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Le Cimetière de Prague

Une œuvre à trois voix

Le Cimetière de PragueLe Cimetière de Prague est une œuvre à trois voix. Tout d’abord, celle d’un narrateur extradiégétique qui prend en charge l’ensemble du récit. Celle de Simon Simonini ensuite, le protagoniste de l’histoire. Celle de l’abbé Dalla Picola enfin, personnage « secondaire », qui n’est autre que le double de Simonini.
L’ensemble s’organise selon un journal fragmentaire dont le narrateur susmentionné rassemble les morceaux. En effet, Simonini – ayant rencontré Sigmund Freud – écrit ce qui lui reste de souvenirs, espérant retrouver la mémoire et comprendre son histoire en retrouvant le trauma dans lequel s’origine son amnésie. Dans le même temps, le diariste fait la découverte au sein même de son appartement d’un couloir menant à un autre appartement, celui de l’abbé Dalla Picola. Selon toute vraisemblance, Simonini et Dalla Picola ne forment qu’un seul et même schizophrénique personnage. L’un ne complétant le journal que lorsque le second est absent ou endormi.
Nous avons ainsi un étrange journal intime à deux voix qu’une troisième, celle du narrateur, ne jugeant pas suffisamment cohérent ou compréhensible, homogénéise pour en faire un récit malgré tout lacunaire, parcellaire, incomplet. C’est lui le responsable de la vis narrandi.

Un incipit labyrinthique

Cet enchevêtrement de voix (que la typographie, le style et le ton permettent de distinguer aisément) s’annonce en un début labyrinthique. On voit que, dans son dernier roman, Umberto Eco a abandonné l’image du portail (que le lecteur potentiel devrait franchir) pour céder la place à celle du dédale. N’en sortiront que les happy few, ceux que l’œuvre n’aura pas rebutés. Pour découvrir l’histoire du Cimetière de Prague, il faut donc suivre le narrateur dans un entrelacs de venelles qu’un conditionnel passé révèle improbable : « Le passant qui en ce matin gris du mois de mars 1897 aurait traversé à ses risques et périls… ». S’ensuit une traversée des « rares endroits de Paris épargnés par les éventrements du baron Haussmann » menant à une vitrine de brocanteur, officine du faussaire Simonini.

La brocante comme métaphore littéraire

Le bric-à-brac sans valeur qu’on y trouve, c’est tout le matériau narratif du livre, car Le Cimetière de Prague n’est rien d’autre que le recyclage de la production livresque du XIXe qu’elle soit littéraire, pamphlétaire, propagandiste, épistolaire, etc. Le mot « recyclage » n’a d’ailleurs aucune connotation péjorative. Le protagoniste – gagnant sa vie en créant de faux textes brandissant des menaces judéo-maçonniques – ne fait pas autre chose (« N’es-tu pas, toi, le maître du recyclage ? », demande-t-on à Simonini, page 427)
Ce livre, qui fait ainsi le récit de la genèse et du développement de l’antisémitisme, rassemble cette production hétéroclite qu’elle ait une valeur littéraire ou non. On y trouve pêle-mêle les livres les moins lus des grands auteurs (Les Mystères du peuple d’Eugène Sue, Joseph Balsamo d’Alexandre Dumas), mais aussi ces curieux objets sinon « littéraires » du moins historiques que sont Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly, Les Mystères de la Franc-Maçonnerie de Léo taxil, Le Diable au XIXe siècle du docteur Bataille, La France juive d’Édouard Drumont, etc. Simon Simonini, sycophante, faussaire, assassin et antisémite, est ce curieux héros qui pour vivre fait la lecture de tout cela, et produit des textes susceptibles de servir les intérêts des services d’espionnage ou de contre-espionnage agitant des menaces fantasmatiques.

La menace

Six Promenades dans les bois du roman et d'ailleursUmberto Eco a souvent parlé dans ses livres des Supérieurs Inconnus (notamment dans Le Pendule de Foucault). Ils sont évidemment dans Le Cimetière de Prague.
En 1789, le marquis de Luchet avertissait : « Il s’est formé au sein des plus épaisses ténèbres, une société d’êtres nouveaux qui se connoissent sans s’être vus […] Cette société adopte, du régime jésuitique, l’obéissance aveugle ; de la franche-maçonnerie, les épreuves et les cérémonies extérieures ; des Templiers, les évocations souterraines et l’incroyable audace. » (Essai sur la secte des illuminés, cité par Umberto Eco dans Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, page 176).
Tout l’enjeu du Cimetière de Prague est de montrer comment le XIXe siècle a ajouté les Juifs à cette illusoire menace. Je ne vous ferai pas le récit qui montre comment l’on va de Luchet à Rachkovsky en passant par Barruel, Simonini, Joly, Goedsche, etc. En revanche, ce qu’il faut comprendre, c’est le mécanisme qui favorise l’irruption de la fiction dans la réalité, celle-là même qui mène à Hitler ayant lu les Protocoles des Sages de Sion. Si vous n’avez pas le temps de lire Le Cimetière de Prague, lisez les pages 174 à 185 de Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs datant de… 1994.

Vingt-six après

Le Pendule de FoucaultPourquoi Umberto Eco a-t-il attendu près de 30 ans pour raconter et amplifier cette histoire afin d’en faire un roman de plus de 500 pages ? Une bonne partie du matériau employé dans Le Cimetière de Prague ne figurait-il pas déjà dans Le Pendule de Foucault publié en 1988 ?
On trouvera que, chez les grands écrivains, il y a une grande et unique obsession, ici déclinée en plusieurs ouvrages. Après tout le thème n’est-il pas fascinant ? Il suffit de nommer une chose pour qu’elle existe ! Inventez un improbable complot mondial, pluriséculaire, et tout le monde d’y croire ! Le faux devient vrai. L’obsession flaubertienne d’Eco pour l’erreur, la mauvaise foi, la stupidité se manifeste dans toute son œuvre : dans Les Limites de l’interprétation, l’auteur a élaboré une théorie du faux et des faussaires, dans Le Pendule de Foucault sont évoqués ces occultistes qui croient fanatiquement à tout, dans Baudolino, le personnage principal est un rêveur qui affabule…
Mais peut-être y a-t-il aussi chez Eco une vertu pédagogique ? Ne s’agit-il pas – une énième fois – de s’interroger sur les événements qui ont mené à l’holocauste : « Réfléchir sur les rapports complexes entre lecteur et histoire, entre fiction et réalité, constitue une forme de thérapie contre tout endormissement de la raison, qui engendre des monstres » (op.cit., page 183). C’est d’autant plus important que le monstre, « il est encore parmi nous » (Le Cimetière de Prague, page 545)
Mais cette interrogation est d’autant plus fascinante pour l’homme de lettres qu’il constate que la littérature, fût-elle mauvaise, a un réel pouvoir sur la vie. Cela est rendu possible par la crédulité de ceux qui sont incapables d’accepter le monde tel qu’il est, qui faute de pouvoir le refaire, le réécrivent (et ils sont légion ces gens qui ne voient que manipulation et complot). Ce à quoi, Umberto Eco répondait : « Il faut nécessairement qu’il y ait, associé à l’acte de création, un mystère. Le public le réclame. Sinon comment Dan Brown gagnerait-il sa vie ? » (N’espérez pas vous débarrasser des livres, page 174).
En ce cas, Le Cimetière de Prague n’est-il pas la dernière œuvre romanesque d’un homme de 80 ans qui chatouille de son érudition les déchets romanesques d’un écrivain qui marche maladroitement sur ses plates-bandes ?

« Dieu sait si les cimetières sont paisibles : il n’en est pas de plus riant qu’une bibliothèque. »

N'espérez pas vous débarrasser des livresOn a vu que Le Cimetière de Prague était une véritable brocante littéraire constituée d’objets hétéroclites. Cette métaphore montre que des objets usés vendus au prix du neuf et parfois plus cher (je n’ai plus la référence exacte du livre) représentent des textes parfois anciens réutilisés, réécrits, plagiés pour en faire du neuf. Pensez aux Protocoles des Sages de Sion.
Ce n’est pas la seule métaphore qui sous-tend le livre. Celle du cimetière donne également son titre à l’ouvrage. Ce cimetière praguois où les Supérieurs inconnus sont devenus des rabbins représente la bibliothèque (c’est d’ailleurs là que Simonini y fait ses recherches sur le cimetière). Se développant dans le cadre du « périmètre autorisé », l’auteur y a « superposé » ses livres (cf. pages 252 et 253). Le Cimetière de Prague est le lieu de réunion des rabbins comploteurs. C’est de ce lieu que tout part, de ce monument abritant la tombe de l’auteur du Golem, « créature monstrueuse destinée à accomplir les vengeances de tous les Israélites ». Et Simonini de conclure : « Mieux que Dumas, et mieux que les jésuites » (les jésuites font référence au complot imaginé par Eugène Sue dans Le juif errant).
Plus encore, le cimetière est LA création littéraire.
Ainsi, la culture livresque d’Umberto Eco est un défi jeté à la face des grands auteurs ou plus exactement ou même modestement une imitation amoureuse des feuilletons-romans, comme on disait encore à l’époque.
Pourtant, je crois pouvoir affirmer que je n’ai pas éprouvé particulièrement de plaisir à lire ce monument d’érudition. Le Cimetière de Prague est une œuvre fascinante, chaque péripétie recèle une référence. C’est le royaume de l’intertextualité. Tout ce qu’on lit peut être extrait d’un autre ouvrage. Par exemple, les égouts évoquent la traversée de Jean Valjean dans l’antre du Léviathan (Les Misérables), les épisodes sur la Commune évoquent… eh bien je ne sais plus (désolé, mais si quelqu’un peut me dire où j’ai déjà lu ça : « Le mardi, Montmartre était conquise et quarante hommes, trois femmes, quatre enfants avaient été amenés là où les communards avaient fusillé Lecomte et Thomas, agenouillés et fusillés à leur tour », page 317). La période des attentats des anarchistes, et notamment le malheureux journaliste qui, après avoir exalté les attentats, perdit un œil (cf. page 443) se trouve dans Le mouvement anarchiste en France de Jean Maitron. Ou encore la messe noire provient certainement en partie de Là-bas de Huysmans…
Le véritable plaisir de lecture est alors la recherche des références. Le reste est austère, aride. À aucun moment, on a envie de tourner la page, avide de savoir comme on peut avoir envie de savoir ce que vont devenir les fillettes pourchassées par le terrible père Rodin dans Le juif errant, ou comment la reine va réagir aux déclarations prophétiques de Joseph Balsamo dans l’ouvrage du même nom.
Peut-être cela vient-il du fait qu’Umberto Eco n’a pas la moindre sympathie pour son répugnant personnage, et qu’on ne le suit qu’à contrecœur ? Ou alors que l’auteur est un brillant universitaire possédant sa narratologie sur le bout des doigts, mais qui ne parvient pas à insuffler une once de suspense ? Je ne sais pas, mais assurément Le Cimetière de Prague est une œuvre fascinante, non passionnante.

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Éducation

Les enseignants et la prime au mérite

Une logique de prime

Depuis quelque temps, nous sommes entrés dans la logique des primes : les préfets, les recteurs, les proviseurs et les chefs d’établissement bénéficient – ou bénéficieront – de primes récompensant la « qualité » de leur travail. Une prime qui varie selon la profession. À la louche, un préfet touchera jusqu’à 60 000 €, un recteur 20 000 €, un directeur d’établissement 6 000 € (on remarquera que c’est décroissant, et pas nécessairement annuel… ).

À présent, on se demande s’il ne faudrait pas revaloriser les salaires des enseignants de la même façon. À mon humble avis, la réponse est non, mille fois non. Pourquoi ? Je vais vous le dire (j’aime bien emprunter les formules présidentielles, parfois).

Pour commencer, quelques questions pouvant paraître bêtes, mais pourtant indispensables. Quel est le mérite de l’enseignant – ou même de tout individu – exerçant un métier ? Y a-t-il d’ailleurs du mérite à réaliser son travail ?

Qu’est-ce que le mérite ?

Commençons par définir le mérite. On jugera du mérite d’une personne en fonction du caractère particulier qu’elle aura de réaliser son travail, car personne ne s’intéresse au travail et à la façon dont il est réalisé quotidiennement. Hormis l’inspecteur, je n’ai encore jamais vu qui que ce soit venir me serrer la main et me dire : « Bravo, vous avez vraiment bien fait votre travail. Le moment où vous avez ouvert la porte et dit aux élèves de rentrer… vraiment… épatant ! ». En somme, personne ne vient vous remercier ou vous récompenser d’avoir fait votre travail. Vous avez, pour cela, un salaire, il est vrai excessivement et ridiculement bas, mais un salaire tout de même.

Revenons à la question du mérite. Il me semble que beaucoup d’enseignants font leur travail, je veux dire simplement. Certes, ils ne montent pas particulièrement de projets appréciés de la direction parce que valorisants pour l’image de l’établissement, ils ne se font pas particulièrement remarquer en préparant des sorties ou ne se distinguent pas par l’usage des TICE, mais ils font leur travail. Ce sont des vacataires, des certifiés, des agrégés ou des PEGC… Ils font encore des découpages, et des photocopies pourries, mais ils font très bien leur travail. Les élèves les apprécient, ils progressent, sont enjoués ou ternes, donnent de leur temps, ne vont pas uriner de la matinée pour apporter de l’aide à un élève pendant la récréation, mais vous savez quoi ? Cela n’intéresse personne, car la prime ne récompensera pas ce que vous avez toujours fait, mais votre capacité à faire ce que le gouvernement veut que vous fassiez. Exemple type : un préfet doit organiser des expulsions. Plus il expulse de clandestins, plus il est méritant. Même chose pour les recteurs : celui-ci doit supprimer des postes. Plus il trouve de postes à supprimer, plus il est méritant. Il obtient une prime, car il est efficace. Et c’est bien le mot qui a été évoqué à propos de la rémunération par les primes des directeurs d’établissements. Il faut être efficace.

L’enseignant efficace

Heureusement, il n’est venu à l’esprit de personne – mais une bêtise est si vite arrivée (on a en a un exemple avec Hadopi) – d’attendre qu’un enseignant soit efficace. Que l’on s’en convainque : un enseignant ne peut pas être efficace. Si un élève ne travaille pas, je peux le punir, lui mettre une mauvaise note, convoquer ses parents, mais je ne peux pas le forcer à travailler. Je ne peux pas aller contre sa volonté ou l’absence de volonté de ses parents. Je peux le torturer évidemment, mais cette méthode n’est pas reconnue par l’état. C’est dommage. On ne dirait plus des interrogations que l’on contrôle, mais que l’on soumet à la question… Là, je serai efficace. Sans torture, en revanche, on peut tricher, un peu comme on le fait avec le brevet des collèges : tout le monde a gagné, tout le monde a réussi. Les élèves ont tous 20/20. Donnez-moi une belle prime. Mais on l’aura compris, ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher le mérite de l’enseignant.

Et puis, j’aime à penser que ce que je dis, que ce je fais faire à un élève germe dans son esprit d’élève lentement, selon le degré de maturité, selon les vicissitudes et parfois des années après. En somme, l’éducation n’est pas ou ne devrait pas être soumise à la pression du temps, ni de la nécessité, malgré qu’on en ait, et encore moins de l’efficacité. On ne peut pas être efficace avec un élève, ce n’est pas un matériau. Quand je fais de la maçonnerie, je peux être efficace (jusqu’à un certain point, il est vrai). Je peux me fixer des objectifs et les réaliser en un temps donné. Mais, ce que je peux faire avec des briques et du ciment, je ne peux pas le faire avec un enfant. Il n’est pas ma créature soumise à mon bon vouloir, lequel serait pernicieusement celui de ma hiérarchie.

Ainsi le mérite ne serait pas subordonné aux résultats obtenus par les élèves.

Accomplir les volontés ministérielles

Au bout du compte, le mérite consiste à appliquer les volontés ministérielles. On veut voir l’enseignant accomplir à la lettre le Bulletin officiel, quitte à nier sa liberté pédagogique, sa capacité à adapter son savoir-faire, ses désirs, sa connaissance de la réalité que seul lui connaît et qui ne s’accommode pas toujours des désirs ministériels. Et qui sera chargé de vérifier que l’enseignant est efficace ? Pas l’inspecteur, qui vient quand il le peut. Non, ce sera le chef d’établissement ou le proviseur. Ce mystérieux individu que l’on voudrait voir œuvrer comme un manager d’entreprise au nom d’une autonomie galvaudée. L’enseignant sera dépendant d’un personnage dont le rôle reste à définir. Autant dire qu’on ne sait pas à quelle sauce on sera mangé. La seule chose que je sais, c’est que si ma carrière dépend du chef d’établissement, je suis légitimement en droit de m’inquiéter, car peu de ceux que j’ai rencontrés ont suscité en moi un réel sentiment d’admiration…

L’égalité ou la foire d’empoigne

Et puis imaginez un peu la chose : des enseignants payés au mérite, se faisant valoir à qui mieux mieux pour être bien vu de celui qui va vous évaluer ! C’est l’horreur assurée, un peu comme la déjà existante foire à l’empoigne qu’est l’obtention des HSE. Certains travaillent, et c’est tout. D’autres travaillent, et veulent absolument que cela se sache, et soit l’objet d’une rémunération supplémentaire. La rémunération par le mérite ne ferait alors qu’accroître cette rivalité financière entre enseignants. Une salle des profs, ce n’est déjà pas folichon, mais alors là… Encore qu’en matière d’inégalité, on pourrait évoquer la récente augmentation de certains et pas d’autres !

Je vous épargnerai la conclusion récapitulant les arguments susmentionnés. En revanche, vous aurez compris que la seule revalorisation des salaires est celle d’une augmentation pure et simple de tous les salaires.

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Humeur Littérature Non classé

Qui fera la part du feu ?

En écrivant cet article sur Céline, j’ai voulu montrer qu’il était nécessaire de montrer (oui, je sais…) que Céline était un grand écrivain, et qu’à ce titre, il était digne d’être célébré, sans que la république n’encourût quelque regrettable flétrissure.

Dans le même temps, j’ai lu çà et que Céline était un immense auteur, mais aussi un sale type, ce qui m’a posé deux problèmes. D’une part, il n’était plus nécessaire de faire la démonstration du génie littéraire de Céline alors que j’ai pourtant souvent lu qu’on lui déniait cette qualité ; d’autre part, il fallait faire un sort à cette accusation biographique réduisant la vie d’un homme à ces deux mots : sale type.

Tout d’abord, l’œuvre. Si elle est géniale, point besoin d’ergoter. Il faut la célébrer en tant que telle. Encore faut-il distinguer l’œuvre littéraire des pamphlets qui sont, eux, absolument illisibles, infects, et n’ont précisément aucun intérêt littéraire.

Ensuite, l’homme. ll faudrait tout d’abord faire la démonstration que Céline est un sale type, ce qui n’est, à mon avis, pas si évident. Et avant même de se demander si l’auteur de Mort à crédit est un sale con, je voudrais qu’on se demande si, avant de lire un livre, on cherche à savoir si l’auteur est un type bien ou non.

Prenons un exemple concret. Ronsard est-il un con ?

Passée l’incongruité de la question, vous vous prêterez comme je l’ai fait à l’exercice, et vous en chercherez un témoignage. Dont acte. Je cite, c’est dans Les Amours :

Je n’aime point les Juifs, ils ont mis en la croix

Ce Christ, ce Messias qui nos pechez efface,

Des Prophetes occis ensanglantés la place,

Murmuré contre Dieu qui leur donna les loix.

Fils de Vespasian, grand Tite tu devois,

Destruisant leur Cité, en détruire la race,

Sans leur donner ny temps, ny moment ny espace

De chercher autre part autres divers endroits.

Jamais Leon Hebrieu des Juifs n’est prins naissance,

Leon Hebrieu, qui donne aux Dames cognoissance

D’un amour fabuleux, la mesme fiction :

Faux trompeur, mensonger, plein de fraudes et d’astuce

Je crois qu’en luy coupant la peau de son prepuce

On luy coupa le cœur et toute affection.

À lire un tel sonnet, je ne pense pas qu’on puisse célébrer les cinq cents ans de la mort du poète en 2085, l’antisémitisme étant trop évident.

Évidemment, je n’ignore pas qu’entre Ronsard et Céline, il y a une différence de taille : le premier n’appelle pas au meurtre (encore que le deuxième quatrain ne me paraît pas innocent). Mais enfin, considérera-t-on un jour que les œuvres du passé sont entachées du poids du passé, un passé insupportable, mais un passé qu’on ne peut refouler, car c’est ce que veut Serge Klarsfeld ; un passé qu’on ne peut censurer (c’est le cas de Tintin au Congo) ; un passé qu’on ne peut réécrire (c’est le cas d’Huckleberry Finn) ; un passé qu’on ne peut ignorer, comme c’est le cas de Jules Verne pour lequel je n’entends nul reproche, et je finirai sur ce sinistre exemple plein d’un racisme aisément circonscriptible à une époque donnée, extrait de L’Île mystérieuse :

Le personnage de Nab est un « Nègre » (p. 16). Il est d’une fidélité canine à toute épreuve (la métaphore est plus que suggérée tout au long du roman) : « Quand Nab apprit que son maître [l’ingénieur Cyrus Smith] avait été fait prisonnier, il quitta le Massachusetts sans hésiter, arriva devant Richmond, et, après avoir risqué vingt fois sa vie, il parvint à pénétrer dans la ville assiégée » (p. 16), ou encore, croyant que son maître était mort, il refuse toute nourriture : « Privé de son maître, il ne voulait plus vivre ! » (p. 32). Quand les rescapés adoptent un singe pour le domestiquer, le serviteur réagit en ces termes :

« – Ainsi, dit Nab, c’est sérieux, mon maître ? Nous allons le prendre comme domestique ? – Oui, Nab, répondit en souriant l’ingénieur. Mais ne sois pas jaloux ! » (p. 135)

Que conclure ? La réponse est difficile, mais je suis persuadé qu’on ne peut pas se débarrasser de la question comme on le fait aujourd’hui avec Céline. La seule question digne aujourd’hui d’être posée est la suivante : l’écrivain qui a écrit ces horreurs sur les Juifs a-t-il pu écrire quelques-unes des plus belles pages de la littérature ?

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Humeur Littérature

Où l’on voit qu’il faut célébrer Céline

Céline a été exclu des célébrations de l’année 2011. Si l’on veut s’opposer à cette exclusion, il faut mettre en avant le fait que Céline est un grand écrivain, et que ses chefs-d’œuvre l’emportent sur toute autre considération. Malheureusement, il faut encore le prouver. Cette nécessité montre assez, dans le meilleur des cas, la mauvaise lecture qui a été faite de Céline. Dans le pire des cas, il faudra admettre que les contempteurs de Céline en parlent sans l’avoir lu. En effet, trop souvent, les gens balaient d’un simple revers indigné l’œuvre de Céline sous le prétexte que l’auteur est antisémite. Et de s’abstenir de lire.

On ne peut pas le nier. Il suffit de lire les premières lignes de Bagatelles pour un massacre, et l’on comprendra que cet auteur est infréquentable. En d’autres termes, et pour aller vite, c’est un sale con raciste.

Et alors ? Quand bien même ! Suis-je obligé d’admirer l’auteur – et d’agréer dans le même temps toute sa biographie – pour apprécier une œuvre ? La littérature de Socrate à Céline précisément n’est-elle pas un vivier d’individus narcissiques, névrotiques, drogués, racistes, meurtriers, j’en passe et des meilleurs ? La littérature doit-elle d’ailleurs se contenter d’exprimer en un langage fleuri des sentiments délicats qui ne choqueront personne ? Lisez ou relisez La littérature et le mal de Georges Bataille et vous verrez que la littérature ne connaît aucune limite quant au dicible et à l’indicible : elle est « comme la transgression de la loi morale, un danger. Étant inorganique, elle est irresponsable. Rien ne repose sur elle. Elle peut tout dire ».

Mais qu’importe, car les pamphlets de Céline – ce sont ces livres-là qui posent un problème, le reste pouvant affronter l’éternité sans encourir l’ombre d’une flétrissure – ne sont pas de la littérature. Ils ne nous intéressent pas, ils ne nous intéressent plus, ils n’intéressaient même plus leur auteur qui ne souhaitait pas les voir republier. Ils sont tout juste bons à sombrer dans les oubliettes de l’histoire avec la droite maurassienne et le mot nègre si vite retiré des nouvelles éditions américaines d’Huckleberry Finn.

Il nous reste une œuvre, celle-là même qui est publiée dans la pléiade aux côtés de Marcel Aymé ou de D.A.F de Sade. Et cette œuvre tient du chef-d’œuvre. S’il faut encore le prouver, on se demandera ce qu’est un chef-d’œuvre, parce que manifestement il faut encore prouver que les livres de Céline en sont.

Un chef-d’œuvre est une œuvre qui a survécu aux années voire aux siècles, qui s’est enrichie des lectures qui en ont été faites ou même des polémiques. Notre lecture a chargé l’œuvre d’un poids qu’elle n’avait pas. En somme, un livre ne naît pas chef-d’œuvre. Il le devient, mais contient naturellement en lui tout ce qui lui fera franchir les années.

Un chef-d’œuvre est aussi un livre qui, tout en jouant avec les codes d’un genre littéraire, en est à la fois l’accomplissement et l’ouverture sur un autre. Le Voyage au bout de la nuit n’est-il pas tout ça ? N’est-ce pas un livre qui, tout en reprenant le genre du roman picaresque, le renouvelle de fond en comble en étant à la fois une réécriture de Candide de Voltaire (voir à ce sujet le livre magnifique de Marie-Christine Bellosta Céline ou l’art de la contradiction).

Si le livre est un jeu intertextuel, il n’en propose pas moins une lecture de son époque de la guerre, de la psychanalyse, de la colonisation ou du nouvel Eldorado qu’est alors l’Amérique. Et ce qu’il dit, il le dit dans un langage, une musique, un style comme il y en a deux par siècle. Céline, dit-il lui-même, publie alors le roman qu’auraient dû écrire les surréalistes. Et ce roman n’en finit pas de nous parler, de nous faire parler.

C’est un chef-d’œuvre donc, comme Mort à crédit, comme D’un Château l’autre. Il faut les célébrer, malgré qu’on en ait. Et si vous n’aimez pas ces livres, lisez au moins les points de suspension. Encore que même ces signes typographiques ont réussi à choquer…

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Éducation Humeur Informatique

Le cahier de textes numérique

J’ai trouvé la lecture du Bulletin officiel du 9 septembre 2010 sur le cahier de textes particulièrement instructive, et je ne suis manifestement pas le seul !

Précisant les modalités de sa mise en œuvre, ce bulletin rappelle à notre bon souvenir ce qu’est un cahier de textes aujourd’hui, grâce à l’informatique (il faut dire que le dernier bulletin datait du 3 mai 1961).

Ce qui a le plus choqué, et à juste titre, c’est que l’enseignant soit enjoint à livrer dans le futur cahier de textes numérique « tout document, ressource ou conseil à l’initiative du professeur, sous forme de textes, de fichiers joints ou de liens » ! Il s’agit, en somme, d’envoyer sur internet des fichiers dont nous n’avons pas les droits. C’est à se demander comment il est possible qu’une telle proposition n’ait pas heurté le bon sens des têtes pensantes du ministère !

À lire ce bulletin, on comprend aussi que le cahier de textes sera être un véritable chef-d’œuvre : doivent évidemment y figurer le travail réalisé, mais aussi le travail à faire, le tout accompagné – on l’a vu – de plein de fichiers illégaux (cf. ci-dessus). On nous demande également d’accorder un soin tout particulier à la mise en page : « polices de caractères, soulignement, couleurs, etc. » (au cas où quelqu’un aurait souhaité faire un truc répugnant à l’œil).

En outre, « Les textes des devoirs et des contrôles figureront au cahier de textes, sous forme de textes ou de fichiers joints. Il en sera de même du texte des exercices ou des activités lorsque ceux-ci ne figureront pas sur les manuels scolaires ».

Les manuels scolaires… C’est bien ça… Ce cahier de textes sera un véritable manuel scolaire !

Personnellement, ça ne me dérange pas plus que ça. Évidemment, ça va râler dans les salles de profs ou les forums d’enseignants, et je le comprends. Malheureusement, la mauvaise foi de certains d’entre eux est malvenue. J’ai lu la réaction d’un enseignant qui disait : « et maintenant il faudrait que j’utilise mon abonnement internet et mon ordinateur pour remplir des cahiers de textes ». Ah ! Comme si on payait encore un forfait à la connexion ! Comme si notre ordinateur allait souffrir de la nouvelle (j’ai écrit « nouvelle » ?) nécessité de remplir son cahier de textes !

Mais ont-ils vraiment tort ces enseignants qui rechignent ? Pas tout à fait. Les enseignants sont énervants à râler dès qu’on leur demande quelque chose, mais je dois quand même reconnaître ceci : on demande toujours plus à l’enseignant, sans pour autant revaloriser un salaire sans rapport avec les vicissitudes de la vie. Au reste, la dernière fois qu’un inspecteur est venu me voir, il n’en avait rien à faire de mon cahier de textes numérique. Même pas regardé ! Pourtant il y avait tout : la mise en page, les liens, et tutti quanti !

J’ai plus ou moins abandonné finalement, essentiellement parce que le collège a depuis investi dans un logiciel à l’interface archaïque et peu ergonomique qui ne permet pas tout à fait ce que demande le Bulletin officiel. Et, compte tenu des travaux que connaît notre établissement, on ne peut pas encore l’utiliser (le serveur déménage).

À propos d’informatique, quelques mots pour finir. Je veux bien admettre la nécessité d’évoluer dans nos pratiques. Ce qui me gêne, cependant, est le peu de matériel figurant dans les collèges. Dans la salle des profs, il y a trois ordinateurs que l’ex-RDA aurait méprisés (je le redis, juste pour le plaisir, où diable le Conseil général est-il allé chercher des écrans à tube cathodique ?) pour une cinquantaine de profs. S’il n’y a pas d’ordinateurs, comment fait-on ? En somme, on met la charrue avant les bœufs, mais le ministère se dit peut-être que les bœufs sont déjà là…

Il se trouve que les bœufs ont pratiquement tous un ordinateur portable. En revanche, ils n’ont pas tous envie de l’utiliser ou même de l’amener. Encore une fois, ça se comprend : chez nous, il n’y a pas de serrure dans notre collège rénové, mais pas fini (quelqu’un a oublié de commander les barillets)… Alors, moi, mon ordinateur, je l’ai sur moi en permanence, même pour aller aux toilettes.

Pour finir ce billet (je ne voudrais pas que l’on pense que je suis rétif au cahier de textes numérique), je voudrais donner un modeste aperçu de ce à quoi devrait ressembler un cahier de textes (si j’ai bien tout compris) :

Mercredi 8 septembre 2010

Séance 1° (fin)

Leçon 1 : La chanson de geste

Lecture du poème de Victor Hugo

Distribution du texte et du questionnaire de la séance suivante pour ceux qui veulent se mettre en avance.

Pour le lundi 13 septembre, apprendre la leçon 1

Qui voudrait faire un tel travail pour le même salaire ? Si je le fais, c’est parce que j’en ai envie, mais on ne saurait contraindre qui quoi que ce soit à réaliser ce travail de cénobite. Qui a envie d’utiliser les mochissimes logiciels scandaleusement vendus pour faire cela ? Ne pourrait-on trouver un logiciel élégant, simple, ergonomique ? Libre ? J’avoue ne pas m’être penché sur la question.

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Éducation Humeur

Le redoublement

Aujourd’hui, plus que jamais, le redoublement m’apparaît comme étant inique, arbitraire et inutile. La chose est devenue, selon moi, détestable. Il n’est pas jusqu’au mot qui ne me soit devenu odieux : ce suffixe inutile qui indique la répétition (re-) et qui fait redondance avec la suite du mot (-doublement) ! C’est comme si celui qui le prononçait, avec une délectation lexicale, énonçait deux fois la même notion, celle d’une sentence punitive qui n’a rien, mais alors rien de pédagogique.

Cela fait maintenant de nombreuses années que le redoublement est considéré comme inutile. Quel enseignant ne l’a pas constaté : tel élève que l’on a fait redoubler a refait une année catastrophique. Le redoublement s’est révélé inutile, et chacun de le constater empiriquement. Tant et si bien qu’il n’y a plus besoin d’argumenter, de citer les études qui le disent depuis si longtemps : le redoublement est inutile ; il serait même coûteux (1). En conseil de classe, tout le monde le sait, tout le monde le dit. Et puis, n’y a-t-il pas des pays (2) où il n’existe plus de redoublement, et cela semble fonctionner, puisque l’on nous dit (je ne sais plus où) qu’un élève, à niveau égal, progresse plus vite en passant dans la classe supérieure qu’un élève redoublant. Par ailleurs, le redoublement aurait un effet dévastateur, traumatisant (3). Évidemment, ce n’est pas ce dernier argument qui l’emporte.

En dehors de toute législation sur le sujet, on continue à faire redoubler, dans les limites étroites du non-dit administratif (rectorat, inspection académique), c’est-à-dire que même si une bande de réactionnaires nostalgiques décide que Kévin (si si, on trouve parfois et même souvent un accent) va redoubler, il va redoubler, sauf si le chef d’établissement décide dans le secret de son bureau, et en accord avec les injonctions administratives, qu’il ne doit pas encombrer la classe de niveau inférieur.

On redouble donc peu dorénavant. En revanche, on redouble toujours. Qui est la cible de tant d’attention ? La bande de gros nuls qui, en six ou sept ans, ne parvient toujours pas à aligner deux mots sans faire quatre fautes d’orthographe ? Que nenni ! Celui qui va redoubler, c’est le pauvre gosse à qui l’on fait croire que c’est une chance, qu’il va pouvoir s’améliorer. Il a parfois une moyenne supérieure à la bande tout entière réunie ! Ce discours sur le redoublement s’accompagne d’une affirmation tacite : les autres gros nuls, ils sont trop nuls pour bénéficier d’une telle « chance », ils rejoindront la sortie plus vite ! Personne ne semble s’apercevoir que le « chanceux » va devoir, à la rentrée, se débrouiller… tout seul. C’est un peu comme si on vous faisait traverser un labyrinthe dans lequel vous vous perdez naturellement. Au bout d’une année, les murs tombent, vous croyez trouver la sortie. On vous dit : « On recommence » ! Et naturellement, vous ne parvenez pas plus à trouver la sortie que la première fois.

Pire encore : comme Kévin ne comprend pas, malgré force explications, pourquoi sa bande de copains est tout de même passée (après tout ne sont-ils pas aussi nuls voire plus nuls que lui ? Il y a même un qui a traité tel professeur de « gros bâtard »), il se dit que c’est louche, qu’on ne lui donne pas une seconde chance, mais qu’on le punit et qu’on n’en punit pas certains. Et quand bien même la sentence aurait été prononcée avec toutes les meilleures intentions du monde, le message est tellement brouillé qu’il est incompréhensible pour l’élève.

Le redoublement est donc inutile, inique, arbitraire. C’est, on l’a vu, de surcroît coûteux, peut-être même sadique, certainement et inconsciemment punitif. Un gâchis. À abandonner d’urgence.

Notes :

1 — Ce coût fait dire à quelques mauvais esprits que, si on ne fait plus redoubler, c’est parce que cela coûte trop cher.
2 — La Finlande, je crois.
3 — J’emploie le mot traumatisant, parce que je sais que certains enseignants vont s’écrier : « Oh le pauvre chéri ! On le traumatise ! », refusant de considérer une seconde qu’un gosse à qui l’on fait refaire son CP engage bien mal une plus ou moins longue scolarité.

Ajout du 22.02.11 :

En y repensant, je me fais deux réflexions.

Tout d’abord, je ne comprends toujours pas pourquoi les élèves que l’on fait redoubler sont lâchement abandonnés lors de leur année supplémentaire. Aucune indication, aucune aide à des problèmes déjà repérés ne leur ait proposée. Les élèves qui redoublent ont la délicate tâche de recommencer une nouvelle année avec de nouveaux professeurs qui ont tout à redécouvrir de leurs difficultés. Quel temps perdu !

Enfin, je me demande pourquoi on continue à faire recommencer une année tout entière. L’élève a-t-il été mauvais en français ? Il refera tout le programme de SVT ! C’est un non-sens ! On voit là que la chose n’a jamais été pensée autrement qu’une punition : une année de pensums !


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Vu

San Francisco

Grâce à mon sémillant beau-frère, j’ai pu aller à San Francisco pour une somme plutôt modique. C’est une ville que je rêvais de voir depuis bien longtemps. C’est désormais chose faite. J’en ai ramené quelques photos que vous pourrez voir à l’adresse suivante : Photos de San Francisco. Je n’ai plus qu’une envie : y retourner (et ce d’autant plus que j’ai eu le mauvais goût de ne pas prendre d’iPad).


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Guitare

Des vidéos sur Vimeo

Hier soir, je me suis inscrit sur le site Vimeo, afin d’y mettre en ligne quelques vidéos. J’ai donc ouvert un compte répondant au doux nom de Ralentir travaux.
Mon intention est d’y stocker quelques cours filmés avec la webcam. Je commencerai, plus modestement, en me filmant faisant des dictées. Un élève pourra ainsi s’entraîner à volonté comme si j’étais là pour lui dicter un texte. Un lien sous la vidéo permettra de découvrir le texte corrigé et expliqué.
Évidemment, ce n’est pas pour tout de suite. J’ai plein de choses déjà commencées et bien sûr inachevées (une séquence sur Dix petits nègres, une sur Le Cid, sur Inconnu à cette adresse, sur le conte, sur la poésie, etc. sans parler des cours de grammaire…).

Impatient, j’ai quand même envoyé quelques petites choses n’ayant absolument aucun rapport avec le français.

Il s’agit de morceaux guitares que j’ai enregistré à la va-vite en soufflant comme un bœuf car j’ai le nez bouché 🙁
Pardonnez la qualité : je n’ai fait qu’une prise à chaque fois, et le son n’est pas très bon. Il faudra probablement que j’achète un micro.
Il y a tout de même un point commun entre ces trois morceaux de guitare. Je trouve les chansons relativement moches, mais j’adore la guitare, les arpèges !



On the road again from Ralentir travaux on Vimeo.

Quelque chose de Tennessee from Ralentir travaux on Vimeo.

Under the bridge from Ralentir travaux on Vimeo.

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Éducation Littérature Lu

Il faut connaître l’entreprise dès le lycée. Vraiment ?

J’ai développé dans un article précédent les raisons de mon indignation provoquée par la lecture du vôtre.

Il me reste un dernier point à développer : les raisons de mon désaccord avec votre vision du monde ou du moins de l’éducation. Ma diatribe étant d’objectif modeste, je me limiterai au seul point d’intersection possible : l’école prépare-t-elle à rentrer dans votre monde, c’est-à-dire dans celui de l’entreprise ?

L’introduction qui précède votre article précise que vous invitez les jeunes à devenir entrepreneur. C’est à coup sûr un bel objectif, et je me satisfais de constater que vos ambitions sont sans limites, puisque vous leur offrez l’exemple de Larry Page et de Sergey Brin. Mais, d’emblée, je me dis que nous ne vivons pas dans le même monde car, dans le collège dans lequel je travaille, pas moins de 52 % des élèves sont issus d’un milieu défavorisé. C’est vous dire qu’ils ne sont pas prêts à balancer de leur garage l’algorithme qui va bouleverser le monde.
Je ne vais certes pas bâtir mon argumentation sur un misérabilisme larmoyant, mais il serait intéressant que vous les voyiez ces jeunes, et que vous compreniez que leurs préoccupations sont à mille lieues des vôtres. Vous semblez rêver d’une jeunesse galopante et rayonnante débarrassée de ces enseignants parasitaires freinant son élan. Hélas ! ce jeune public est davantage concerné par ses petits problèmes : un parent qui vient de se suicider, un autre qui a mis son enfant à la porte, un abus sexuel, une dyslexie mal traitée, etc. Malgré tout cela, ces enfants parfois en très grande difficulté scolaire sont contrairement à ce que vous dites ponctuels, polis et respectueux. En revanche, ils accroissent les «bataillons d’illettrés» dont vous parlez. À qui la faute ?

Cela, c’est pour remettre les choses dans leur contexte, et je peux vous dire que j’ai grandement édulcoré les choses.

À présent, demandons-nous ce que ces collégiens deviennent. J’en viendrai directement au point qui nous intéresse : les «meilleurs» vont au lycée, c’est-à-dire presque tous. Comment pourrait-il en aller autrement ? Lorsqu’on veut emmener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, il n’est pas étonnant que ce soit pratiquement tous nos élèves qui accèdent au lycée. Au reste, je maintiens que cet objectif n’a rien de scandaleux, sauf pour les nostalgiques du charme discret de la bourgeoisie, qui aimaient tant que l’élite soit l’élite, c’est-à-dire une catégorie sociale non souillée de la présence des prolétaires venant outrageusement faire baisser le niveau.
Nos collégiens deviennent donc des lycéens en accédant soit au lycée général et technique soit au lycée professionnel. Le deuxième choix, car c’est presque toujours un deuxième choix, voit des élèves arriver qui n’ont pas envie d’être là. Aujourd’hui, on considère toujours qu’il vaut mieux faire de la philosophie que de la mécanique, rappelle François Dubet. C’est dire que ces élèves à qui on a fait comprendre que le lycée général et technique n’était pas pour eux n’ont pas envie d’être là. Bien souvent, ils y sont malgré eux. C’est dommage, mais c’est ainsi. Quelles peuvent être alors leurs motivations ? À eux dont les médias rabâchent à longueur de journée que de grands patrons s’octroient des salaires pharaoniques, parfois doubles, avant de fermer l’entreprise pour ensuite délocaliser. Quelle est à votre avis leur opinion sur le monde de l’entreprise, eux qui voient papa et maman chômer ?
Le problème est donc là : l’école n’est plus un gage de réussite. Tant et si bien qu’on ne sait plus comment motiver nos élèves. Dans certains cas, on propose même des cagnottes de 10000€. C’est vous dire le désarroi qui a dû s’emparer des têtes pensantes de notre ministère.

Mais quand bien même le monde qui les attend regorgerait d’emplois à qui mieux mieux, qu’en serait-il exactement ? Faudrait-il préparer nos élèves à rentrer dans la vie active ?

Pour moi, et je ne me lasserai jamais de le répéter, la réponse est non, mille fois non. Les élèves eux-mêmes le savent, eux qui effectuent leur scolarité. L’univers dans lequel ils évoluent – celui de l’école – n’est pas la réalité. C’est un monde à part dans lequel l’erreur est tolérée, la faute acceptable. C’est un monde dans lequel on peut recommencer sans être condamné, méprisé ou ostracisé : si je rate un contrôle, je peux le recommencer, je peux refaire une année, je peux recevoir de l’aide ; si, d’aventure, je commets une bêtise (je me bats, par exemple) je ne paie pas d’amende, je ne vais pas en prison. Je suis éduqué, élevé, non pas condamné. Il n’existe qu’un seul cas où le réel rencontre l’école : c’est lorsqu’un enfant ayant commis et répété de graves forfaits se voit traîné en conseil de discipline et que celui-ci se prononce pour l’exclusion définitive de l’élève. Là, en voyant le regard de l’enfant, on comprend qu’il n’avait pas saisi que le réel le rattrapait.

Le réel ! Le moins que l’on puisse dire est qu’il varie en fonction de divers facteurs. Qu’est-ce que cela veut dire le réel, et surtout préparer nos enfants au monde réel? Au XVIIe siècle, cela ne voulait sûrement pas dire grand-chose : un état dans lequel tout un chacun aurait reçu une éducation, aurait son mot à dire dans une démocratie serait un non-sens. Après la Révolution française, les choses sont un peu différentes, mais combien de petits Français reçoivent les lumières de l’éducation ? Ce n’est que progressivement, au XIXe siècle, que les Français vont accéder de plus en plus nombreux à l’école, mais pourquoi faire ? L’enfant apprend à compter, à lire et à écrire. Cela est bien suffisant, et de toute façon la moisson mobilisera bientôt toute l’énergie de la famille. Dans l’industrialisation croissante de ce siècle, à quoi faut-il préparer les enfants ? Au travail que le monde est en mesure de leur donner ? À travailler dans une mine, à travailler dans une manufacture ? À faire la guerre pour lutter contre les Prussiens ? Ce qui n’est pas encore l’Éducation nationale n’a-t-il pour autre objectif que de préparer l’enfant à recevoir ce que le monde veut bien lui donner ? Dans le nôtre, que faudrait-il apprendre ? À mépriser La Princesse de Clèves, à s’adapter à telle technologie tant que nous en avons besoin (pensez aux cassettes vidéo de Sony dans les Landes), puis à les mettre à la porte ?

Ce n’est pas là ma conception de l’école.

Mieux encore. Selon moi, l’école est incompatible avec la logique de l’entreprise et de l’idéologie du libéralisme qui voit ou veut voir dans l’individu un être compétitif, prêt à écraser l’autre, ce qui est bien, en dernière analyse, l’exemple que vous donnez en évoquant Larry Page et Sergey Brin. Ne sont-ils pas à l’origine de l’entreprise qui, tel un monstre mythologique, avale tout, diminue ou écrase la concurrence c’est-à-dire des individus ?
Or rien de tel dans une classe. Si l’on fait de la pédagogie différenciée, la classe est divisée en petits groupes mêlant les élèves dont les meilleurs aident les moins forts. Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur ce terme : le meilleur dans une classe n’est pas forcément le plus intelligent, mais parfois le plus chanceux, le plus mûr, le plus sérieux, le plus docile (ou le moins réfractaire), celui qui est passionné ou seulement intéressé. Dans un tel contexte, ledit meilleur n’a pas pour objectif d’écraser l’autre, mais bien de l’aider. Et tout l’enjeu de mon enseignement sera de le leur expliquer. Je tenterai également de leur parler de tout ce qui sera profondément inutile, la littérature. Vous qui aimez l’économie, permettez-moi d’y faire référence. L’enseignement de la littérature, c’est l’équivalent de ce que Georges Bataille appelait la part maudite, la dépense pour rien. Il n’y a rien de plus détestable que cette instrumentalisation de l’école, sa subordination au monde du travail. L’enseignement n’est pas utilitaire. Je n’enrôle pas de futurs chômeurs.


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Lu

En découvrant l’IREF, stupeur…

En flânant sur Twitter, j’ai pris connaissance du blog de Nicolas Lecaussin sur le site de l’IREF, acronyme révélant de doux mots : Institut de recherches économiques et fiscales ( Concurrence fiscale et liberté économique ). Cela sent son libéralisme à cent lieues, et je devais bien me douter de ce que j’y trouverais…

Pour résumer, l’auteur du billet, évoquant les changements de programme des Sciences Économiques et Sociales, regrette que l’enseignement de l’économie soit subordonné à une idéologie de gauche privilégiant auteurs keynésiens, revues étatistes, etc. Il va jusqu’à prétendre que le véritable responsable du chômage ne serait pas le libéralisme, mais l’Éducation nationale (« L’échec des jeunes n’est pas dû au libéralisme mais à l’Éducation nationale qui ne fait pas bien son travail. » ). Diantre !

À ce moment, je suis encore sur ma chaise, et mon teint pâle n’est pas encore empourpré d’une légitime colère, car je connais bien ce discours, et si je ne le reconnais pas comme juste, il ne m’offusque pas plus que ça (question d’habitude). Au reste, quelle autre vision pourrait-elle être développée sur un tel site ?

Ce que je déplore vivement, c’est que non content de s’en prendre aux programmes, Nicolas Lecaussin bat en brèche le monde enseignant comme personne n’oserait le faire avec telle profession ou telle population, de peur de se voir poursuivi pour discrimination voire racisme.

Que dit-il en somme ? Je cite :

« Dirigé par des syndicats gauchistes et des fonctionnaires méprisants et suffisants, notre système scolaire a sombré. Une partie des enseignants sont régulièrement en grève et ne font que penser à leur statut, à leurs vacances ou à leur départ à la retraite. »

« Les fonctionnaires de l’Education nationale reconduisent leur modèle de gens étriqués, qui cherchent avant tout à se mettre à l’abri (fonction publique, professorat) et à vivre si possible aux dépens des autres. »

Nul besoin d’être fin lecteur pour comprendre l’idéologie qui sous-tend de tels propos.

En effet, quand on croit discerner au sein d’une population une catégorie responsable d’une nuisance ( responsabilité à l’égard de « notre système scolaire [qui] a sombré », « de l’échec des jeunes » ), coupable de se comporter en parasite puisqu’elle s’efforce de « vivre si possible aux dépens des autres », ayant quelques inacceptables tares (« fonctionnaires méprisants et suffisants », « gens étriqués »), rétive au bon fonctionnement de la société (« Une partie des enseignants sont régulièrement en grève et ne font que penser à leur statut, à leurs vacances ou à leur départ à la retraite »), quand on croit, disais-je, discerner au sein de la population une telle catégorie d’individus, on n’est pas sans rappeler certaine idéologie des années 30.
Or qu’en est-il réellement ? Je ne voudrais pas que l’on puisse me soupçonner de bâtir un plaidoyer pro domo, mais enfin les enseignants sont-ils ces parasites susmentionnés ? Sont-ils ces feignasses gangrenant la société ?

M. Lecaussin, je vous invite à vous rendre davantage dans les établissements scolaires afin d’y constater la vigueur du corps enseignant, lequel travaille d’arrache-pied à faire réussir ses élèves.
Souvent, l’enseignant se lève tôt ( le petit jeu des mutations ne lui a pas permis d’obtenir un poste près des gens qu’ils aiment ), fait de longs trajets, et passe sa journée sur son lieu de travail, son emploi du temps ne lui permettant pas de faire autrement. Si son service n’est que de 18 heures d’enseignement effectif pour un certifié, il lui faut 3 fois ce temps au moins pour se comporter en intellectuel qu’il est : pour préparer ses cours, il lit énormément, se documente, se déplace dans des musées, au théâtre, au cinéma, accumule les connaissances qui lui permettront d’enrichir des cours constamment renouvelés. Un forum comme Neoprofs vous donnera une idée de l’investissement des enseignants dans leur travail et de la hauteur de vue qui est la leur. Je n’ai évidemment pas parlé du temps consacré à la correction des copies, du temps que nombre de professeurs consacrent à la préparation de sorties scolaires ( je pense, entre autres, aux professeurs de langue). Je ne parlerai pas non plus du temps consacré à recevoir les élèves et leurs parents de plus en plus enclins à rencontrer les enseignants de leurs enfants. Enfin, on aurait pu évoquer, avec le développement d’internet, le temps croissant à diffuser des informations ( notes, cahiers de textes en ligne ) ou à établir le contact avec parents et élèves ( forum, mails ). Faut-il également préciser que les rares enseignants faisant grève le font parce qu’ils défendent leur vision de l’éducation, laquelle doit reposer sur une conception non pas comptable de la chose, mais sur une véritable politique éducative incompatible avec la politique d’éradication du fonctionnaire mise en place par le gouvernement. Ainsi, tous ceux qui font grève et perdent une journée de salaire ne le font pas de gaieté de cœur en songeant aux vacances prochaines.

Je pourrais continuer longtemps comme cela, et je dois évidemment en oublier, mais vous conviendrez qu’on ne peut pas se laisser aussi facilement insulter.