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Lettre ouverte à un lycéen (qui n’a pas la maturité pour être éduqué au numérique)

Cher lycéen, toi qui as – ou qui es en passe d’avoir – l’âge de te marier, de voter et même de faire la guerre, tu n’aurais pas la maturité nécessaire pour être éduqué au numérique. Dix-huit ans après ta naissance, tu ne serais même pas en mesure de tirer profit du numérique !

En lisant une telle assertion, tu dois passablement pouffer de rire, toi qui «du matin jusques au soir» vis dans un univers numérique. En revanche, tu dois manquer de t’étrangler en avalant tes céréales quand tu entends qu’un enseignant ne veut pas t’éduquer, toi qui appartiens au mythe faux et archifaux de la génération Y, et qui connais toute l’étendue de ce mensonge. Certes, un clavier n’a pour toi rien d’anxiogène, mais tu as besoin d’apprendre à t’en servir. En effet, il ne suffit pas de naître dans une bibliothèque ou un centre hippique pour devenir un grand lecteur ou un cavalier émérite. Il faut apprendre.
De surcroît, tu sais bien que «numérique», ça ne veut rien dire. S’agit-il de calcul numérique ? De signal numérique ? D’appareil numérique ? Et dans ce dernier cas, parle-t-on de caméra, d’appareil photo, de téléviseur numériques ? Et, au fait, la fracture numérique n’existe-t-elle plus ? Tous les adolescents sont-ils devenus égaux face au numérique ? Ont-ils tous les mêmes capacités ? Le même équipement ? La même connexion internet ?

Bref, la chose est si vague, si fausse, si révoltante qu’elle devrait susciter l’indignation. Mais non, les gens ont préféré applaudir à tout rompre.

Le lycéen – lui qui vit et jongle en permanence avec divers appareils – ne mérite pas que l’on se désintéresse à ce point de son présent. On ne peut non plus négliger son avenir dans lequel les machines seront chaque jour davantage omniprésentes. Demain, le lycéen votera sur son téléphone, il paiera ses courses avec ce même appareil. Il rencontrera peut-être même sa femme par ce truchement. Sa culture – fût-elle littéraire – est numérique. Lui dire que l’enseignement se désintéresse de cette question, c’est lui dire : «Ton univers ne m’intéresse pas. Le tien et le mien (celui de la littérature, celui de la poésie et du baroque) ne s’interpénétreront jamais».

Le professeur de lettres que je suis trouve ce discours absolument inaudible. Le professeur que je suis voudrait te dire tout ce que je souhaiterais que tu apprennes si j’avais la charge de ton éducation numérique.

Tout d’abord, tu apprendrais à te servir d’un clavier. Tu apprendrais donc la dactylographie afin de frapper mélodieusement et délicatement de tes dix doigts ce clavier que tu utilises tous les jours. Et pas comme ces autodidactes heurtant nerveusement et fébrilement les touches lorsqu’ils chattent sur les messageries instantanées. Les raccourcis clavier, les combinaisons de touches n’auraient aucun secret pour toi. Ta frappe aurait l’efficacité d’un développeur programmant en C++.
Tu apprendrais également la typographie, afin que les documents que tu imprimes n’aient pas la laideur repoussante de ceux que les adultes nous imposent. Tu découvrirais différentes «fontes» et saurais ce qu’est une espace insécable ou le quart de cadratin. Soucieux de ton orthographe, tu découvrirais l’importance et la richesse des correcteurs orthographiques que sont Antidote ou le Petit ProLexis.
Tu apprendrais à te servir d’une machine, à la démonter et à la remonter, tu considérerais chaque système d’exploitation, chaque programme à sa juste valeur, et ta pratique ne serait pas assujettie à celle qui t’a été imposée par l’usage, celui du cercle familial, de l’impact publicitaire ou même du coût financier.
La programmation serait enseignée. L’omniprésence du web ne plaide-t-elle pas en faveur du HTML 5, du CSS 3, du JavaScript, etc. ? Eh quoi ? Un internaute ne serait-il qu’un simple usager, jamais un créateur ? Le web 2.0 n’était-il qu’un mythe ? Faut-il enfermer les lycéens dans la simple utilisation de programme délivrant des sites tout faits ? Désire-t-on un web uniforme ? En outre, l’apprentissage de la programmation invite à la plus grande des rigueurs : si le programme est mal écrit, il ne fonctionne pas.
L’usage du web doit-il se conformer à des lois sinon iniques du moins inadaptées ? Un lycéen devrait pouvoir outrepasser les filtres qui lui sont imposés. Il doit pouvoir assurer la sécurité de son réseau wifi. Il doit pouvoir déplomber ce qu’il a légalement acheté pour pouvoir en jouir à sa guise. Il doit pouvoir regarder ses séries américaines sans que l’industrie télévisuelle ne lui indique quand, comment et de quelle façon il doit les regarder. De ce point de vue, le lycéen doit être un hacker, et un hacker qui parle anglais. Il est même polyglotte, parce que connecté aux réseaux sociaux, il s’adresse à la planète entière. Il parle à ceux qui se trouvent dans leur printemps révolutionnaire, il parle aux lycéens des antipodes subissant des cataclysmes, il suit sur son téléphone l’arrestation de Ben Laden avant tout le monde.
Enfin, on peut espérer que ce lycéen, tel un de ces étudiants facétieux qui hantent les romans ou l’histoire de l’informatique, soit l’un de ces farceurs qui font enrager les grandes entreprises. Un Steve Wozniak en puissance mâtiné de Panurge.
La culture qui est la sienne est aussi une culture soucieuse de la garantie des libertés informatiques. Le lycéen est soucieux de sa vie privée (il sait par exemple ce qu’est un VPN), il est désireux d’utiliser les standards de l’informatique, et recherche autant que faire se peut les logiciels libres. Il ne veut pas mettre son avenir (et tous ses précieux documents) entre les mains de géants informatiques mercantiles.

Retourné dans la galaxie Gutenberg, il est sorti d’un univers que l’on croyait un temps uniquement dévolu au monde de l’image. Le lycéen passe son temps à lire… sur internet. Il faut donc lui apprendre à le faire, à choisir soigneusement ses sources pour éviter de se faire berner par le moindre pervers malicieux. Il doit croire en la liberté de la presse, et la parcourir quotidiennement. Il doit lire autant de livres qu’il veut sur son iPad, sa tablette Androïd, sur ce qu’il veut enfin, mais lire. Et prendre des notes avec l’un de ces merveilleux programmes qu’est, par exemple, Evernote. Quand il part en vacances, il a dans sa poche ou dans son sac des milliers de livres. Il peut même, s’il le désire et si on l’a aidé à en comprendre l’importance, avoir le Grand Robert. Avec cela, il ne reviendra jamais au papier, ce support jauni, terne, en petits caractères noir et blanc. Et quand il achoppe sur une notion, quelle qu’elle soit, il doit pouvoir trouver de l’aide dans cette grande bibliothèque qu’est internet soit en cherchant, soit en s’adressant à ses enseignants bienveillants par le biais de la visioconférence.

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Si les lycéens n’ont pas la maturité pour être éduqués au numérique, les collégiens l’ont

Exercice de sixièmeLa page d’exercices en sixième est devenue, cette année, l’une des pages les plus consultées. Elle compte désormais près de 150 exercices en tout genre, dont l’essentiel est constitué d’exercices de grammaire, d’orthographe et de conjugaison. Ceux-ci visent à permettre aux élèves de maîtriser le programme de l’année, mais aussi de combler les lacunes qui seraient les leurs. C’est pourquoi je m’efforce de créer des exercices dès que je constate une difficulté (Quand faut-il mettre un ou deux «s» ? Quand faut-il mettre une cédille ?, etc.). L’avantage de ces exercices principalement créés avec Hot Potatoes est de permettre de différencier la pédagogie en donnant des exercices ciblant telle ou telle difficulté. De cette façon, un élève qui n’aurait pas une de ces difficultés peut continuer à travailler sur le programme sans avoir à souffrir les révisions superfétatoires.

Mais compte tenu d’un certain nombre d’obstacles liés pour la plupart aux travaux de rénovation du collège, je n’ai pas pu pendant longtemps utiliser mon propre site avec mes élèves. À présent que les choses sont à peu près rentrées dans l’ordre, je peux enfin utiliser Ralentir travaux avec ceux pour lesquels il a été, à l’origine, créé. Or je me suis aperçu de quelques petites choses qu’il est absolument nécessaire de savoir si vous désirez, en tant qu’enseignant ou en tant que parent, utiliser cette page d’exercices.

L’élève face à l’ordinateur

La toute première chose que j’ai observée est qu’on ne peut pas laisser un élève seul face à son exercice, particulièrement s’il s’agit d’un exercice «binaire» qui appelle une réponse ou une autre. C’est typiquement le cas des exercices consacrés aux homophones, «on» ou «ont» par exemple. Un élève, peu soucieux de comprendre ce qu’il fait, complétera par «on» ou «ont» plus ou moins au hasard, appuiera sur Vérifier (l’exercice met alors en gras les bonnes réponses, laisse les fausses). À la suite de quoi, l’élève corrigera par son contraire ce qui est faux, aura donc cette fois-ci tout bon, et passera à l’exercice suivant sans avoir rien compris pour autant. Dans ces conditions, l’exercice ne sert à rien.

Exercice sur les homophones

Pour être certain que l’exercice a servi à quelque chose, il faut demander à l’élève de restituer la règle lorsqu’il a fini. S’il n’y parvient pas, on peut le renvoyer à la lecture de la leçon et refaire l’exercice avec lui (ou faire d’autres exercices). Dans tous les cas, il faut exiger de l’élève qu’il fasse son exercice dans un onglet. Il pourra passer à autre chose si vous n’avez pas la possibilité de faire le point avec lui immédiatement, et quand vous serez disponible, vous pourrez vérifier le taux de réussite à l’exercice et interroger l’élève afin de vérifier ce qu’il a compris.
L’utilisation des onglets dans Firefox ou Chrome est fort pratique en ceci qu’elle évite de cliquer sur les flèches pour revenir en arrière ou pour aller en avant. Utiliser ces flèches est toujours une perte de temps, surtout si le réseau est lent. Il faut attendre que la page se recharge, on retourne en arrière, va en avant, etc. Je conseille donc à mes élèves d’ouvrir la page des exercices dans un onglet, de lancer un exercice dans un autre et enfin d’en ouvrir un troisième pour y faire des recherches dans Google ou un dictionnaire comme le Larousse ou Reverso.

Un onglet

Puisque les élèves travaillent avec un ordinateur, la tentation est grande de leur rappeler que le clavier ne sert pas qu’à taper du texte, mais qu’on peut effectuer toutes sortes d’actions qui augmenteront l’efficacité du travail. On peut évoquer l’inévitable ctrl + a pour sélectionner du texte, les fameux ctrl + c et ctrl + v pour copier et coller. Si très peu d’élèves utilisent ces raccourcis, aucun ne pense jamais à taper ctrl + f pour effectuer une recherche sur une page qui contient des centaines de lignes lorsque l’on cherche un mot précis (l’essayer, c’est l’adopter). Fort heureusement, certains ont constaté qu’en utilisant la touche Backspace, on passait d’une zone de saisie à l’autre sans avoir pour autant à lâcher le clavier pour la souris. Ça soulage énormément notamment lorsque l’on fait des exercices à trous.

Quoi qu’il en soit, dans le cas où un élève était confronté à une difficulté, je lui demande toujours de noter la leçon ou, si celle-ci est trop longue, de l’imprimer. À la fin (c’est-à-dire au bout de quelques séances), on procède à une évaluation, notée ou non. En ce cas, l’exercice aura permis de prendre conscience d’une lacune, d’y remédier facilement, et même d’obtenir de meilleurs résultats lors de l’évaluation, une évaluation qui cible les difficultés de l’élève, lequel (on l’a vu) n’a pas les mêmes que celle de son voisin.

La tentation d’évacuer la difficulté

J’ai remarqué un autre problème : une tendance à zapper, à passer d’un exercice à un autre, sans trop se préoccuper de cohérence, allant, par exemple, d’un exercice de conjugaison sur le présent de l’indicatif à des mots croisés sur les dieux romains. En début de séance, je précise donc l’objectif à atteindre. Ainsi on travaillera sur les homophones grammaticaux ou sur le présent, et sur rien d’autre tant que l’ensemble des exercices donnés n’auront pas été faits et compris (le taux de réussite doit donc être, selon l’exercice, supérieur à 85%).

Au début, je laissais les élèves butiner au gré de leur fantaisie (que je croyais être l’expression de leurs besoins) dans la série d’exercices. J’ai vu alors des élèves travailler avec plus ou moins d’efficacité, mais j’ai observé chez eux un goût prononcé pour certains types d’exercices. Quels que soient les objectifs fixés par ces exercices (vocabulaire, connaissances, orthographe, littérature…), ils sont toujours choisis par les élèves en fonction de leur aspect non scolaire ou, disons, moins scolaire. Ainsi, les pendus, les quiz (surtout en images comme celui sur les Métamorphoses, sur les contes ou la guerre de Troie), les mots croisés ou les charades ont la préférence des élèves. Ces dernières ont d’ailleurs connu un certain succès. Elles ont évidemment un côté ludique, elles permettent de travailler le vocabulaire et surtout l’orthographe sans qu’il n’y paraisse ou plus précisément les élèves ont besoin de l’orthographe pour réussir l’exercice. De ce point de vue, ils ont véritablement besoin d’un dictionnaire (ouvert dans un onglet, consultable à l’envi, sans qu’il soit nécessaire de revenir sans cesse à la page précédente). Je me suis rendu compte que les élèves avaient très envie d’en rédiger à leur tour, et que la création de ce type d’exercices avec Hot Potatoes était encore plus formatrice, obligeant les élèves à beaucoup de rigueur dans la rédaction des charades, des définitions, dans l’utilisation de l’orthographe, de la ponctuation, etc. Dans le cas contraire, les charades sont infaisables.

Il y aurait beaucoup d’autres exercices à concevoir que le temps ou des connaissances insuffisantes en JavaScript ne me permettent pas de réaliser. J’aimerais faire davantage de dictées, mais cela prend beaucoup de temps d’enregistrer les textes. Par ailleurs, le réseau étant chez nous excessivement lent, l’exercice devient rapidement infaisable.

En guise de conclusion

De tout cela, je retiens que l’usage de l’informatique au collège n’est pas qu’un petit supplément d’âme dans un enseignement somme toute relativement conventionnel. Je me souviens avoir lu sur Twitter que les exerciseurs étaient le degré zéro de l’informatique. Sur le moment, j’accréditais cette formule d’une certaine pertinence. Avec le temps, je pense que les exercices réalisés de cette façon sont un moyen de différencier la pédagogie. En effet, un élève procède à son rythme et, s’il le désire ou le peut, on peut lui proposer de réaliser le programme de l’année, d’aller plus loin, de revenir en arrière sans que cela ne gêne qui que ce soit qui voudrait aller plus vite ou plus lentement. Les parents peuvent même reprendre les exercices avec l’enfant s’ils ont internet à la maison (ce qui est devenu généralement le cas). Et l’on ne risque pas d’oublier le manuel ! Au reste, en dépit de ce que prétend le pourrisseur du web, je suis persuadé que les élèves ont la maturité nécessaire pour être éduqués au numérique… pour peu que l’enseignant le désire et soit très présent.

Dernier point. Pour ceux qui n’ont pas de difficultés particulières (et pour lesquels les révisions susmentionnées sont donc inutiles), on peut très bien les faire travailler sur des tâches plus complexes (des exposés, des rédactions…). Quelques élèves ont même accepté de jouer les tuteurs, et d’expliquer à qui le voulait les règles sur lesquels d’aucuns achoppaient. C’est alors l’occasion pour eux de formuler les choses avec clarté, concision et rapidité, car ils sont très sollicités.

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Pour en finir avec le pourrisseur du web

Un canular pertinent ?

Pourquoi la talentueuse galéjade d’un dénommé Loys n’en finit-elle pas de faire couler de l’encre ? Cette farce n’est-elle donc pas réussie ? Bien sûr qu’elle l’est, et c’est précisément pour cette raison qu’elle est couronnée de succès. De surcroît, elle pose un vrai problème que l’Éducation nationale devra prendre un jour à bras-le-corps. Je veux parler de l’utilisation d’internet dans la rédaction de réponses à un devoir et même lors d’un examen. Mieux encore, on comprend que c’est un problème de société lorsque l’on constate que les lycéens paresseux n’ont pas l’apanage du vice dénoncé. L’auteur du blog À la toison d’or ne dit pas autre chose :

« Des élèves de lycée recopient leurs devoirs ? Et pourquoi ne le feraient-ils pas ? On a vu en moins d’un an un journaliste culturel à succès, une ancienne ministre, un présentateur vedette de journal télévisé et celui qui est présenté comme le plus grand écrivain actuel se rendre coupable de plagiat ! Soit ils ont avoué, soit ils ont présenté des excuses tellement lamentables que personne n’a été dupe. »

Le plagiat, la copie éhontée sont donc des problèmes réels qu’on ne peut ignorer. De ce point de vue, il est intéressant de reconnaître que l’article de Loys met en évidence la plaie que représente ce que j’ai déjà appelé les marchands du temple, ces commerçants du soutien scolaire qui vendent des commentaires et des dissertations à la qualité douteuse. Eux aussi pourrissent le web.

Mais alors, si cet article est bien écrit, est même brillant et pose de vrais problèmes, que ne sommes-nous satisfaits ? Eh bien si l’on passe les petites manifestations d’ego auctoriales (« j’ai voulu démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu’eux, voire mieux qu’eux », « cette expérience […] me vaut aujourd’hui une belle réputation dans mon lycée. »), le méchant et pernicieux piège tendu aux élèves, force est de constater que le texte n’apporte aucune réponse au problème posé ou, plus précisément, il l’évacue de la pire des manières.

Foin du numérique

Retournons au bon vieux temps où l’ordinateur n’existait pas. Tel pourrait être le credo de Loys. Exigeons des élèves qu’ils se passent de leurs jouets technologiques. Cette injonction rappelle fortement le désir finkielkrautien de débrancher les établissements scolaires. Outre que, avant de les débrancher, j’aimerais qu’on les branche, on peut s’interroger quant à la légitimité d’une telle demande. Si elle n’étonne plus de la part du philosophe (s’exprimant sur France culture le samedi matin), elle laisse pour le moins perplexe quand il s’agit de notre jeune auteur qui voit dans le numérique le mal qui ronge notre école. Tout se passe comme si de jeunes gens nés à une époque où Steve Jobs n’était déjà plus un hippie puant et défoncé, mais un entrepreneur qui allait changer notre rapport à la machine, tout se passe comme si ces jeunes gens, disais-je, n’avaient jamais rien compris à l’informatique. Ils ont la même réaction que leurs aînés qui ont assisté à la naissance de Pong, ils ne comprennent pas l’intérêt de l’ordinateur personnel. Pire encore, ils le conçoivent comme un péril. Ils poussent des cris d’orfraie et tels des prophètes de malheur nous annoncent que l’école va à sa perte et que son fossoyeur est la machine.

Des enseignants passéistes

C’est précisément cela que je trouve détestable. Cette vaine propension à regretter ce qui est, au lieu de le prendre en compte et d’agir en conséquence. Vous pouvez regretter tant que vous voulez l’omniprésence des machines, elles sont bien là et toutes les incantations visant à restaurer un état antérieur sont frappées d’inanité. Pour pasticher Jean-Marie Tjibaou, je dirais volontiers que notre avenir est devant nous. Le retour en arrière est un mythe. Nous n’aurons pas d’école sans ordinateurs. Faites-vous à cette idée.

Et j’aurais tant voulu que notre contempteur des usages numériques nous dise, tel Umberto Eco, qu’il faut apprendre à « exercer son sens critique face à internet », « ne pas tout accepter pour argent comptant » (N’espérez pas vous débarrasser du livre). Ne me répondez pas que c’est ce qu’il a fait. Il a éventuellement apporté à des lycéens la preuve qu’il fallait être prudent, il n’a rien enseigné. Or l’exercice, selon Eco, pourrait être : « à propos du sujet proposé, trouvez dix sources de renseignements différentes et comparez-les » (op. cit.). Si Loys avait eu cette idée, celle d’éduquer à l’usage d’internet, son article aurait eu l’assentiment général. Au lieu de ça, ses mesquineries piégées exaspèrent, ses regrets nauséabonds fleurent bon la nostalgie de l’école du passé. Le mot « nauséabond » peut paraître excessif, mais il faut comprendre une chose. Le succès de Loys est le succès de tous les réacs en général et en particulier de professeurs qui, dans un forum bien connu, se débondent en épandant leur regret d’une école qui ne leur convient pas. Parmi eux, un chasseur de mouches (c’est ce qu’indique son pseudo) est le grand réac en chef. Je le soupçonne, tel un personnage huysmansien, de s’être fait tatouer sur la plante des pieds le nom de Meirieu pour le fouler toute la journée. Il hait le collège unique, conspue l’usage de l’informatique en classe, conchie les réformes visant à faire de l’école autre chose qu’une fabrique de crétins (mais après tout, c’est son fonds de commerce). Il abhorre jusqu’à l’Éducation nationale qu’il voudrait voir instruire et non éduquer.

Instruire ?

Vous pouvez m’attribuer d’ores et déjà le point Godwin, je me l’attribue si vous le voulez : la seule fois, en près de 200 ans, qu’on est revenu au ministère de l’Instruction publique, c’était sous le gouvernement de Vichy. Comment, aujourd’hui, peut-on encore prétendre que les enseignants ne sont là que pour instruire et non éduquer (si le sujet vous intéresse, j’y consacrerai un autre article) ? Quoi qu’il en soit, le grand réac a ses thuriféraires parmi lesquels vous trouverez notre pourrisseur du web et sa vulgate : le web est truffé d’erreurs, point de vérité hors du livre dans lequel ils semblent avoir toute confiance. C’est à croire qu’ils n’ont jamais lu la Bible, aucune histoire de la Révolution française ou de la franc-maçonnerie.

Tapage médiatique

L’accueil réservé à de tels personnages fait donc frémir. Ils ont accaparé toute l’attention du public sur Twitter, sur Facebook, sur Europe 1, sur France 2 et que sais-je encore ? Que fallait-il faire pour cela ? Rien ou presque. Il suffisait de dire que les lycéens sont des crétins feignants et que le web est un vivier à sottises. Et tout le monde d’applaudir ! Les bras m’en sont tombés. Tous les gens qui, depuis des années, contribuent à faire du réseau des réseaux un lieu hautement éducatif sont boudés, ignorés, peut-être même maintenant méprisés, et un enseignant venu pourrir le web, falsifier une encyclopédie est accueilli en héros ! C’est pour cela que j’ai écrit cet article Comment j’ai nourri le web. Si c’était à refaire, je l’intitulerais Comment ils nourrissent le web afin d’y inclure tous ceux qui travaillent dur pour publier le fruit de leur travail sur internet. Heureusement, certains d’entre eux ont eu l’idée d’un Wiki rassemblant toutes les contributions. C’est la fin de l’histoire du pourrisseur du web. Que celui-ci retourne dans son cénacle où l’on célèbre l’école d’antan et le charme discret de la bourgeoisie. Je vote pour la damnatio memoriae.

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Comment j’ai nourri le web

Une expérience réussie

J’ai beaucoup ri en lisant l’article Comment j’ai pourri le web. J’ai ri d’un rire primesautier, sans trop porter d’attention à l’objet de ma lecture, une parmi tant d’autres lors d’un mercredi après-midi. J’ai d’ailleurs trouvé l’idée de cette expérience excellente. L’idée de montrer aux élèves qu’ils ne devaient pas se fier aveuglément à ce qu’ils trouvent sur internet, l’idée de leur montrer la vénalité et l’inanité des sites qui vendent des commentaires ou des dissertations, l’idée enfin que la paresse est un bien vilain défaut, tout cela me plaisait. Mais je ne m’attendais pas à une telle conclusion. L’auteur y affirmait qu’internet creuse «la tombe de l’école républicaine», que paradoxalement on ne profite du numérique que quand on a formé son esprit sans lui».

L’école se meurt, c’est la faute à internet

À ce moment de ma lecture, ces réflexions me chiffonnent. Je les ai déjà lues quelque part. D’ailleurs, en parcourant la liste de liens en regard de ce texte, je ne m’y trompe plus, je suis bien en présence d’un lecteur de Néoprofs, de Bonnet d’âne, probablement membre de Sauver les lettres, etc. Ce n’est pas bien grave. Ce sont mes réacs préférés, mais je sais à quoi m’en tenir. Je suis donc en présence d’un article pour lequel l’auteur va consacrer toute son intelligence à vouloir démontrer une chose : l’école meurt, et le numérique est son virus. Je me garderai bien de récolter un point Godwin si tôt, mais enfin le parallèle avec la décadence (le corps qui dépérit), le mal localisé, incarné… On a là tous les poncifs de la pensée réactionnaire. Il ne manque plus que le nivellement par le bas, le bon sens, et on y est.

Évidemment, je ne vais pas entamer un paragraphe pour expliquer l’innocuité du numérique à l’école. Dans la majorité des écoles, collèges et lycées de France et de Navarre, le numérique se réduit à une misérable salle informatique pour des centaines d’élèves. Ce n’est pas ça qui est mortifère. À lire le contempteur des usages informatiques, les élèves paresseux et pas très futés seraient les fautifs. Mais il faut dire que ces pauvres enfants, à qui l’on confie des bijoux technologiques dès leur plus tendre âge, ont des enseignants qui préfèrent se gausser de leur nullité plutôt que leur apprendre à s’en servir.
Et que dire de ce prétendu paradoxe dont la formulation ne se pare des plumes de la rhétorique que pour masquer son indigence ? Des phrases comme celle-là, je vous en ponds à la dizaine : «On ne profite du sport que quand on a formé son corps sans lui» ou encore «On ne profite de l’informatique que quand on n’a jamais utilisé un ordinateur ». Ah ! mince ! Celle-là a déjà été faite…

Une manipulation un rien perverse

Et puis, tout de même, quelque talentueuse que soit la démonstration, elle n’est pas dépourvue d’une certaine perversité. Semer des erreurs sur un texte et un auteur dont les élèves ignorent tout ; attendre d’eux, dénués qu’ils sont, qu’ils se fourvoient dans le piège tendu pour ensuite jeter le blâme sur des procédés auxquels on s’attendait qu’ils s’adonnent et qu’on a même favorisés, si cela n’est pas de la manipulation, de la perversité… Les voix de la pédagogie étant inextricables, la chose était concevable si elle amenait à prendre en compte l’usage des sources sur internet, à poursuivre la démonstration par un travail sur le bon usage des sources sur internet ou ailleurs. Parce qu’il n’y a qu’un naïf pour prétendre que le plagiat éhonté est l’apanage de notre époque. Pour autant que je sache, les élèves ont toujours puisé où ils le pouvaient des réflexions toutes prêtes, leur épargnant ainsi le moindre effort de pensée. Ce n’est franchement pas une nouveauté. Je ne développe pas ce point ; on ne va pas ergoter pour savoir si aujourd’hui c’est plus facile ou si, avant, prendre le stylo pour recopier était d’un quelconque profit. Tout au plus fera-t-on remarquer que si l’on ne veut pas, lors d’un devoir, qu’un élève en classe prenne son iPhone pour butiner des réponses toutes faites, on peut aussi se donner la peine de le surveiller.

Pour conclure

Achevons. L’idée est de battre en brèche l’usage d’internet, de le pourrir annonce le titre. La conclusion est évidemment sans appel : «Leur servitude [celle des élèves] à l’égard d’internet va même à l’encontre de l’autonomie de pensée et de la culture personnelle que l’école est supposée leur donner.» Ainsi l’école serait l’opposée d’internet, l’école émancipe tandis qu’internet asservit. Je n’ai vu aucune démonstration permettant d’aboutir à ce constat. J’ai vu en revanche des lycéens paresseux, mais est-ce que cette paresse s’origine dans l’usage d’internet ? Très sincèrement ? La question ne m’intéresse même pas. Ce qui m’intéresse, c’est ce que ce prof clame haut et fort : «Je pourris internet». Et plus je lisais cet article, plus je me disais que je faisais exactement le contraire. Depuis cinq ans, je m’efforce de nourrir internet, d’y apporter tout ce qui permettrait à mes élèves d’apprendre, de comprendre, de se documenter, d’obtenir de l’aide, de s’entraîner, de réfléchir, etc. Ma démarche est exactement l’inverse de celle prônée par l’auteur de cet article. Je veux que mes élèves n’aient pas à s’inscrire ni à payer pour obtenir une information qui plus est erronée. Je veux que mes élèves sachent où chercher, raison pourquoi je mets tous les liens des sites qui me semblent fiables. Je veux que mes élèves puissent me contacter dès qu’ils achoppent sur une notion, qu’ils puissent retrouver tous mes cours, faire des exercices, etc. Tout cela s’appelle Ralentir travaux, et certainement pas Pourriture du web.