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Le livre numérique, l’histoire d’un naufrage

Cet article a été, à l’origine, publié sur Medium, il y a quelque temps déjà. Il prenait la forme d’une lettre ouverte destinée aux éditeurs auxquels j’entendais confier mon désarroi concernant l’état du livre numérique. J’y avouais ma déception quant à la négligence dont lesdits éditeurs faisaient preuve à l’égard du livre numérique.

Au moment où cette lettre a été écrite, je dois confesser que je pensais que les choses finiraient par s’arranger. Mais hier (c’est-à-dire deux ans après), j’ai pris conscience qu’il n’en était rien. C’est même pire.

Le livre numérique, état des lieux

Il y a deux ans, donc, une de mes filles m’a dit : « Je n’aime pas trop la liseuse ; je préfère un vrai livre ». Mais qu’est-ce qu’un vrai livre ? Autrefois volumen, devenu codex, transformé en livre de poche, aujourd’hui électronique, l’une de ses formes  peut-elle prétendre définir à l’exclusivité de toute autre ce qu’est un livre ?

En ce qui me concerne, longtemps, j’ai lu sur papier. Longtemps, ma passion pour le numérique a eu pour borne le livre papier. Je n’avais pas alors perçu tout ce qui faisait la richesse du livre numérique. Mais à présent que je le comprends, je ne cesse de lire sur ma tablette, sur mon téléphone ou mieux ma liseuse. Je suis devenu un lecteur avide et je n’aime rien tant qu’indiquer la progression de ma lecture sur Goodreads et voir ce que lisent mes amis.

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Malheureusement, cette ardeur est vite tempérée par le catalogue exsangue que les éditeurs proposent. Lire Si c’est un homme ? Pas possible. Lire Les Mots ? Non plus. Lire Ellis Island ? Vous n’y pensez pas. Lire Enfance de Nathalie Sarraute ? Lire Journal extime. N’y pensons pas non plus. Ni Levi, ni Perec, ni Sartre, ni Sarraute, ni Tournier n’ont vraisemblablement mérité que des éditeurs se livrent à leur première mission, celle de diffuser l’œuvre des écrivains, celle d’être un peu le héraut de ces artistes. Mais, après tout, ils ont bien manqué le rendez-vous avec Proust, Gracq ou Artaud. Alors on n’est pas très étonné de ces lacunes du catalogue que donc, par définition, les éditeurs possèdent pourtant déjà. Ils sont capables de rater deux fois le même rendez-vous.

Alors, on cherche ailleurs. Mais j’y reviendrai…

Si d’aventure on trouve l’ouvrage désiré, que se passe-t-il ? Prenons un exemple. J’ai acheté L’Âge d’homme de Michel Leiris. L’ouvrage est publié par Gallimard. C’est un ePub flambant neuf. Cet ouvrage de 1939 a bénéficié d’une « édition électronique » le 25 janvier 2016 (édition réalisée par Inovcom). Qu’est-ce que ça donne ?

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L’ouvrage, du moins la première partie, est truffé d’erreurs. On trouve les traditionnels guillemets ou points d’exclamation qui se retrouvent tout seuls au début d’une ligne. On trouve des signes de ponctuation qui n’ont rien à faire là où ils se trouvent. Un point ici, un signe de parenthèse là. Et on comprend que le scanne du livre papier n’a pas dû faire l’objet d’une relecture très attentive. Par conséquent, le lecteur achoppe sur des bouts de phrases qui ne veulent rien dire : « clans de telles conditions », « aucun danger de ment », « on petit dire »…

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Dans L’Enfant de Jules Vallès, il y a certes moins d’erreurs (il y en a cependant un nombre important), mais parfois il manque carrément un mot.

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Toutefois, ce qui est bien avec Amazon, c’est qu’on peut signaler les erreurs. Du coup, j’en ai signalé près d’une vingtaine. Évidemment, ces erreurs se retrouvent chez le concurrent. Chez Apple par exemple. Cela me laisse perplexe d’ailleurs. Sachant à quel point ils sont excessivement vétilleux et zélés chez la pomme, je subodore que certains éditeurs bénéficient de passe-droits ou du moins d’une certaine clémence. En ce qui me concerne, Apple a retiré de son store un de mes bouquins pour des erreurs qui n’existaient pas.

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Mais les éditeurs s’en fichent comme de l’an 40 ! La preuve ! Ces deux erreurs sont dans cette édition depuis des années et des années et elles n’ont jamais été corrigées !

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L’ePub, ce mal aimé des éditeurs

En fait, ces éditions électroniques que les éditeurs confient à je ne sais trop qui, elles les indiffèrent un peu ! Assez cruellement, ils vont jusqu’à prétendre qu’il n’y a aucun intérêt à s’intéresser au marché du livre numérique.

En lisant cet article de Numerama, on découvre que ce livre numérique serait même moribond. L’article, dont voici l’en-tête, propose ironiquement un intéressant état des lieux tel que les éditeurs le définissent :

L’ebook va mourir ! Mais si, vous l’avez lu un peu partout dans la presse il y a quelques semaines. Les études le prouvent : le marché du livre numérique serait au point mort quand le livre papier reviendrait en force. Pour certains, l’affaire est pliée, le bon vieux bouquin a gagné et la technologie a perdu. Enfin ça, c’est ce que certains aimeraient croire. Sans doute un peu parce que ça les arrange.

Parce que ça les arrange. C’est exactement ça.

Parce que si le livre numérique se meurt, c’est quasi in utero. Les éditeurs ont pris si peu le temps de le mettre au monde ! On peut le comprendre. Ils sont tellement contents de ce marché à 4 milliards d’euros. C’est le plus gros en France devant le cinéma ou le jeu vidéo. Ils sont plein aux as. Ils parviennent même à faire croire aux gens que le vrai livre s’incarne dans cette reliure de feuillets apparue grosso modo à la Renaissance (bon, d’accord, exit le cuir et le vélin et place au papier recyclé sur lequel l’encre s’efface). Pourquoi investir dans un nouveau modèle ? Pourquoi dépenser de l’argent alors qu’ils en gagnent tant avec un business model déjà bien établi ?

Bien sûr, on le leur a déjà dit, mais n’ayons pas peur de le répéter. Les éditeurs vont mourir. Exactement comme cela s’est passé avec la musique. D’abord, il y aura le piratage. Oh ! Chers éditeurs, ne prenez pas cet air exaspéré ! Le moyen de faire autrement ? Vous croyez que je l’ai lu comment, Enfance de Nathalie Sarraute ? Sincèrement, je préfère acheter mes livres, mais quand ils n’existent pas… Et c’est pareil pour Journal extime de Michel Tournier. D’ailleurs, j’étais prêt à l’acheter en papier. Après trois passages vains chez mon libraire (pas préféré), je suis allé le chercher ailleurs…

Le piratage n’est que la première étape. La seconde est un remplacement. Comme pour les disquaires ou les plateformes n’ayant pas su évoluer, de nouveaux acteurs débarquent sur le marché avec leurs longues dents qui rayent le plancher. Les Spotify ou les Deezer pour la musique. Et pour l’édition ? Eh bien cherchez qui jettera la première pelletée de terre sur le mausolée que les éditeurs se sont confectionné.

Pour ma part, j’ai choisi l’autoédition. Je publie les versions numériques de mon dernier livre chez Apple, Amazon, Kobo, Google Play… Et j’ai même une version papier avec Createspace. Mais je ne suis pas là pour vous parler de mon expérience d’auteur. Je suis là en tant que lecteur. Et je suis un lecteur déçu, c’est-à-dire au sens étymologique trompé. Je me suis bien fait avoir. Je ne vous remercie pas.

Au reste, quitte à trouver des erreurs, je préfère encore télécharger un livre provenant de Wikisource et aider au bien commun en corrigeant les erreurs quand j’en trouve.

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Quand l’édition numérique tourne à la farce

Les ouvrages que l’on peut acheter sont donc de bien mauvaise facture, on vient de le voir. Ce qu’on ne sait pas, c’est que c’est encore pire que ce que l’on peut penser, un peu à l’image de cette reproduction qui, devenue numérique, est vide de sens.

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Mais la dernière acquisition que je viens de faire me laisse quasiment sans voix.

Voici.

La dernière de mes filles vient de finir Les Malheurs de Sophie. C’est une lecture qu’elle a appréciée. Pour prolonger ce plaisir littéraire, on décide de télécharger Les Petites filles modèles. On choisit une édition payante avec des illustrations de Pénélope Bagieu qui nous semble sympathique (Folio Junior).

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Et c’est tout. Je donne la liseuse à ma fille.

Constatant le peu d’engouement de celle-ci, je m’étonne sans plus. Puis, nonchalamment, je regarde où elle en est de sa lecture. Tout d’abord, je suis un peu surpris de la mention d’une 2CV chez la comtesse de Ségur. Et puis l’évidence me frappe ! La couverture est la bonne mais le livre, à l’intérieur, est… tout autre. Il s’agit de La Troisième vengeance de Robert Poutifard ! J’ai acheté Les Petites filles modèles. J’ai la couverture des Petites filles modèles, mais à l’intérieur, c’est La Troisième vengeance de Robert Poutifard  !

Le livre n’est donc pas le bon. Gallimard s’est trompé de livre !

J’avais déjà été déçu par le passé mais là c’est le coup de grâce. C’est désormais l’évidence. Le livre numérique, c’est un naufrage dont les éditeurs sont pleinement responsables.