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Comment évaluer en ligne ?

Si vous devez évaluer voire noter le travail que vos élèves ont réalisé durant le confinement, vous nourrissez peut-être quelque inquiétude quant à l’honnêteté avec lequel il a été réalisé.

Bien qu’il n’existe pas de solution idéale et que vous ne pouvez pas surveiller vos élèves avec la même efficacité que s’ils se trouvaient dans la même pièce que vous, vous pouvez tout de même trouver quelques solutions.

Voici un peu plus d’une dizaine de conseils vous permettant de « régler » ou tout au moins de trouver quelques solutions à certains problèmes tout en aidant vos élèves à mieux travailler en ligne. J’espère pouvoir enrichir cette liste au fur et à mesure.

13 conseils pour évaluer en ligne

1. Demandez aux élèves de travailler sur un Google Docs partagé (afin que vous puissiez vérifier de temps en temps ce qu’il s’y passe).

2. Avertissez-les : pas de copier-coller dans ce document (si vous voyez soudain trente lignes apparaître, prévenez-les que cela peut légitimement vous paraitre suspect).

3. Avertissez les élèves que vous vérifierez l’historique (tapez ⌘⌥⇧H pour l’obtenir plus rapidement). Si c’est un travail de groupe, cela vous permet de voir qui a fait quoi.

4. Vous pouvez aussi dire que vous allez utiliser la fonction antiplagiat intégré dans Google Classroom (lire Activez les rapports). Il existe de nombreuses apps de ce type (voir ci-dessous).

5. Pensez à utiliser Draftback, une extension Chrome. C’est très impressionnant et instructif (on a l’impression d’avoir une machine à remonter le temps et de voir tout ce qui a été écrit lettre après lettre). Vous apprendrez ainsi comment la pensée d’un élève prend forme.

6. Comme le rappelle Ken Robison, l’évaluation n’est pas un « spreadsheet » (une feuille de calcul) mais un dialogue. Cela signifie qu’évaluer ne consiste pas (ou pas seulement) à mettre des points. Aussi, efforcez-vous de donner autant de commentaires que possible. Vous pouvez insérer un commentaire audio grâce à Mote. Vous pouvez utiliser Loom pour montrer et expliquer des choses à travers une vidéo rapide. Ou vous pouvez utiliser Text Blaze pour créer une banque de commentaires que vous pouvez modifier et partager avec vos collègues. Uniformiser les appréciations et exigences au sein d’une même équipe offre de la cohérence et de la clarté pour les élèves. De surcroît, Text Blaze vous permet de créer des raccourcis qui vous feront gagner un temps précieux.

7. Les élèves doivent toujours être prêts à expliquer ou justifier ce qu’ils ont écrit. Ainsi, si vous avez des doutes sur ce qui a été rédigé, préparez une réunion avec votre élève et ayez une petite conversation, non pas pour le prendre au piège mais pour s’assurer qu’il ou elle est en mesure de prouver qu’il/elle est l’auteur des lignes que vous voulez évaluer.

8. Si vous pensez que cela est nécessaire, vous pouvez demander aux élèves de garder leur caméra allumée à tout moment pendant l’examen (cela n’est pas sans poser quelques problèmes et de nombreux logiciels de surveillance sont absolument affreux. Voir ci-dessous).

9. Parfois, les parents sont désireux d’apporter leur aide et proposent sinon de surveiller leur enfant, du moins de jeter un œil sur ce qu’il se passe durant l’examen. Contactez-les si vous pensez qu’un élève triche.

10. Ne posez pas de question dont la réponse puisse être facilement recherchée sur Google. Demandez à vos élèves de réfléchir, non pas de répéter ce qu’ils ont appris (ou copié). Il est par ailleurs évident que, dans ma matière (le français), je ne peux plus donner certains textes dont les explications fleurissent sur le web depuis 20 ans. Je dois trouver autre chose.

11. Rappelez à vos élèves qu’ils peuvent refaire et renvoyer leur travail. Ils ressentiront moins la pression de l’échec et éprouveront moins le besoin de tricher.

12. Si possible, évitez de noter. Vous pouvez évaluer par compétences. Cette fois encore, si l’élève n’a pas la pression de la note, il ne ressentira pas (ou moins peut-être) le besoin de tricher.

13. Vous avez le sentiment que vous ne pouvez pas noter un travail parce que vous avez de sérieux doutes à propos de l’honnêteté avec lequel il a été fait ? Faites-en une évaluation formative et fournissez une nouvelle évaluation sommative.

Sites et applications de détection du plagiat

Tous ne se valent pas, mais certains sont gratuits et font le job (comme on dit).

Un peu de lecture sur les logiciels de surveillance du type Proctorio

À propos de Proctorio, le Washington Post écrit :

One system, Proctorio, uses gaze-detection, face-detection and computer-monitoring software to flag students for any “abnormal” head movement, mouse movement, eye wandering, computer window resizing, tab opening, scrolling, clicking, typing, and copies and pastes. A student can be flagged for finishing the test too quickly, or too slowly, clicking too much, or not enough.
If the camera sees someone else in the background, a student can be flagged for having “multiple faces detected.” If someone else takes the test on the same network — say, in a dorm building — it’s potential “exam collusion.” Room too noisy, Internet too spotty, camera on the fritz? Flag, flag, flag.

Ou encore

Some students also said they’ve wept with stress or urinated at their desks because they were forbidden from leaving their screens.

Comme vous pouvez le lire, c’est assez atroce. Pour en apprendre davantage, lire :

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Découvrez la puissance des applications de tableau blanc pour faire vos cours en présentiel, en distanciel ou en hybride

Cet article est la traduction d’un billet publié sur Medium en anglais et écrit dans le cadre de mon travail au lycée Winston-Churchill.


Vous avez un iPad ? Un stylet ? Alors débarrassez-vous de ce feutre et écrivez sur votre iPad avec ces applications au lieu d’utiliser le tableau blanc accroché au mur dans votre classe:

Pourquoi ?

Les notes écrites sont belles et colorées, mais je suis sûr que vous avez un nombre limité de deux ou trois couleurs si vous utilisez le tableau de votre classe alors que vous disposez d’une quantité à peu près infinie de couleurs si vous utilisez les apps susmentionnées. De plus, avec les applications de prises de notes comme Notability ou GoodNotes, vous pouvez ajouter de nombreuses choses comme des images, des sons, des formes et même une page web !

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, si vous êtes en ligne, vous pouvez partager votre tableau facilement. C’est une fonction importante quand les élèves travaillent à distance mais aussi quand vous devez faire en cours en mode hybride et que vous voulez montrer ce que vous écrivez à vos élèves qui sont physiquement présents comme à ceux qui sont en ligne.

De plus

En utilisant votre iPad (ou n’importe quelle tablette d’ailleurs),

  • Vous n’avez plus à tourner le dos à vos élèves.
  • Vous pouvez écrire tout en déambulant dans la classe (attention tout de même).
  • Vous n’aurez plus à effacer votre leçon à la fin de la classe (et réfléchissez-y : pourquoi devrait-on effacer tout le travail qu’on a accompli ?)
  • Vous pouvez envoyer votre travail à un élève absent (en exportant simplement votre tableau au format PDF ou image).
  • Les élèves peuvent revoir la leçon à leur rythme (si vous l’avez enregistrée).

Comment faire cela ?

Pour commencer, j’ai mentionné quelques-unes des grandes apps pour iPad, mais en voici quelques-unes que j’utilise comme tableau blanc et voici comment je partage ma leçon avec mes élèves.

Les applications de tableau blanc

Comment partager son tableau avec les élèves en ligne

La plupart du temps, quand on enseigne en ligne, il est possible d’utiliser le tableau blanc intégré d’une application comme Zoom. Mais, comme vous allez le voir ci-dessous, on peut trouver de plus en plus d’applications en ligne vraiment impressionnantes.

Quel que soit votre choix, dans Zoom, cliquez sur Partager > Tableau blanc or Écran (si vous préférez des apps comme Notability ou JamBoard).

À mon avis, il est important de comprendre qu’on a besoin à la fois d’une application de vidéoconférence et un tableau blanc. Comme on peut le lire dans cet article sur Medium:

L’année scolaire commençant, divers défis relatifs à l’enseignement en ligne commencent à apparaître. Les outils de vidéoconférence résolvent les besoins de l’audio et de la vidéo dans une certaine mesure. En revanche, l’aspect informel des instructions délivrées dans une classe comme écrire un problème sur un tableau blanc ou regarder le travail d’un élève sur celui-ci, prendre des notes sur le tableau en tant qu’enseignant, aller au tableau pour participer manquent énormément.

Par conséquent, on a braiment besoin d’une application de vidéoconférence comme Zoom ou Meet mais on a aussi besoin d’une application de tableau blanc. Selon vos besoins, certaines des apps que nous avons mentionnées vous conviendront plus ou moins.

Ce que j’aime dans ces apps

GoodNotes et Notability sont de très belles apps de prises de notes (et avec un vidéoprojecteur, vous obtenez un très joli tableau blanc à afficher en classe). Et si vous voulez avoir une idée des possibilités du second, jetez un œil sur l’article Tips for Online Learning Using Notability. Mais quelles que soient les qualités de ces apps, elles ne sont pas très bonnes en matière de collaboration (même les nouvelles fonctions de GoodNotes sont plutôt limitées).

Vous devriez donc plutôt regarder du côté d’apps comme celles de Microsoft ou Google : Whiteboard & Jamboard. Microsoft et Google excellent dans les fonctions de partage. Notability est une app très puissante. Je l’utilise tout le temps comme tableau blanc, mais si je veux que mes élèves interviennent, qu’ils écrivent une réponse, une app comme Jamboard est beaucoup plus convaincante.

Mais vous pouvez aussi jeter un œil sur quelques-unes de ces très puissantes apps telles que Peer.school, WhiteBoard.fi, Whiteboard Chat, etc. Toutes ces apps vous permettent d’écrire et de collaborer avec vos élèves.

Peer.school

J’aime beaucoup Peer.school. C’est un projet libre, gratuit et open-source. De plus, vous pouvez trouver le code sur GitHub.

C’est une app très simple. En fait, il n’y pas grand-chose que vous puissiez faire à part écrire. Mais tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un navigateur. Nul besoin de s’inscrire. Et j’apprécie beaucoup que les élèves puissent voir la caméra du professeur pendant que celui-ci écrit sur le tableau.

WhiteBoard.fi

WhiteBoard.fi est beaucoup plus élaboré. Il est gratuit et il est très respectueux de votre vie privée également. Voici un extrait de leur règlement :

Aucune inscription n’est requise pour utiliser ce service. Aucun nom d’utilisateur, email ou mot de passe n’est requis.
Aucune information personnelle n’est stockée ou collectée. On demande aux participants leur nom quand ils entrent dans une pièce (pour que le professeur puisse les identifier), mais vous pouvez utiliser des surnoms ou des alias.
Toute information est supprimée quand la pièce est close (ou après deux heures d’inactivité).
Aucune information n’est partagée avec des services de tierce partie.
Aucune publicité ni traqueur n’est affiché dans ce service.

De plus, le site est fréquemment mis à jour et cela prendrait beaucoup de temps afin d’énumérer toutes les fonctions, mais j’apprécie la possibilité pour un enseignant de contrôler qui entre dans une pièce (votre session) ou de la verrouiller après que la classe a commencé.

J’aime également la facilité avec laquelle vous pouvez insérer des symboles mathématiques, des expressions ou des équations. De fait, il y a un éditeur qui vous permet d’insérer du code LaTeX. Davantage d’informations sur le sujet dans cette vidéo YouTube How to use the math tool.

Whiteboard Chat

Whiteboard Chat est certainement la forme la plus fascinante de ce type d’app puisqu’elle annonce la fusion d’un tableau blanc collaboratif et d’une application de vidéoconférence. De plus, c’est gratuit. Il est possible de l’utiliser sans avoir à se connecter. C’est donc rapide et pratique. Et il y a une tonne de chouettes fonctions comme créer un sondage, un sablier, insérer des symboles mathématiques ou musicaux, inviter des gens, etc.

Il y a également une belle vue en grille vous permettant de voir toutes les pages du tableau blanc (dans la mesure où vous avez choisi l’option Start teaching au début). Pratique quand vos élèves sont en train de travailler sur différentes pages.

Cependant, pour sauvegarder votre tableau, il vous faudra vous connecter avec votre compte Google ou Facebook.

Ziteboard

Celui-ci n’est pas gratuit (du moins pas complètement : voyez les prix sur cette page). Dans la version gratuite, vous pouvez créer trois tableaux blancs.

Cela me rappelle un peu l’application pour iPad Concepts qui présente une sorte de canevas infini, ce qui signifie que vous pouvez écrire quelque chose et au lieu de l’effacer ou même de créer une page ou diapositive comme dans Jamboard, vous pouvez faire défiler le tableau où vous voulez et continuer à écrire sans jamais vous arrêter et éventuellement zoomer, dézoomer… D’ailleurs, le nom « Ziteboard » vient de la fusion de zoomable et whiteboard !

Bien sûr, vous pouvez inviter des gens pour travailler sur votre tableau. Vous trouverez de sympathiques fonctions comme l’import d’image, de PDF ou de mp3. J’aime beaucoup la possibilité d’insérer un PDF qu’il s’agisse de mon propre document que je souhaite partager ou du travail d’un élève que je désire montrer.

Mais, encore une fois, l’app n’est pas totalement gratuite.

Tableau noir

Vous n’aimez pas les tableaux blancs ? Vous préférez un tableau noir ? On a ça aussi. Allez sur Tableaunoir, un tableau noir en ligne.

Vous pouvez cacher la barre d’outils de telle façon que tout le monde se concentre sur le tableau. C’est net et élégant.

Voici les principales fonctions :

Bien sûr, vous pouvez dessiner et effacer avec votre souris ou une tablette graphique.
Vous pouvez aussi utiliser des sortes d’aimants pour le frigo que vous déplacez sur le tableau, faire des animations par exemple pour montrer des algorithmes, des graphiques, etc. (Et même appuyer sur Go !)
Créer vos propres aimants personnalisés pour faire des leçons interactives en important n’importe quelle image.
Des palettes de couleurs pour les craies (7 couleurs noir/blanc, jaune, orange, bleu, rouge, rose, vert),
Changer la couleur de l’arrière-plan des aimants,
Charger/Sauvegarder l’actuel tableau,
Ajouter du texte (Appuyez sur Entrer et écrivez), et bouger le texte. Intégration de LaTeX (recourant à MathJax) !
Passez à un tableau blanc au lieu d’un tableau noir,
Collaborer et annoter le même tableau au même moment (vous avez besoin d’un serveur à cet effet),
Changer le curseur pour droitier (par défaut) pour un curseur pour gaucher,
Ajouter autant de demi-tableaux que nécessaire en allant à droite avec → et puis gauche/droite avec les flèches du clavier ←/→,

Vous pouvez regarder une vidéo sur YouTube expliquant comment l’utiliser. Et vous pouvez télécharger le code source également sur GitHub !

Autres utilisations

Nous avons mentionné au début de cet article que nous avions besoin de deux apps : une app de vidéoconférence et une app de tableau blanc. Mais il y a encore deux autres utilisations que j’aimerais évoquer.

Expliquez tout ce que vous voulez à un élève

Cette fois, nous allons utiliser un tableau blanc non pas pour toute la classe, mais pour un seul élève seulement. Et pour ce faire, nous allons utiliser une app permettant d’enregistrer ce qu’il se passe à l’écran comme Loom quand on souhaite expliquer une notion particulière qui requiert un peu plus de quelques lignes dans un email. En fait, pouvoir afficher le travail d’un élève et expliquer les erreurs qui ont été faites est vraiment extraordinaire. C’est quelque chose d’assez facile à faire dans une école, en vrai, quand tout le monde est présent physiquement mais si vous êtes en ligne, l’utilisation de Loom va se révéler fort pratique.

Donc, à chaque fois qu’un élève envoie un message et dit « Je ne comprends pas ceci et cela », je choisis d’afficher son travail dans l’une des apps que nous avons mentionnées et j’enregistre les explications que j’écris sur le tableau avec Loom que ce soit sur mon Mac ou mon iPad.

Enregistrez votre leçon dans une brève vidéo

En classe, quand on manque de temps et que je ne souhaite pas prendre davantage de temps pour que les élèves écrivent la leçon parce que je veux qu’on avance et que l’on passe à l’activité suivante, je choisis, quand je rentre chez moi, d’enregistrer une courte vidéo expliquant rapidement l’essentiel de notre travail afin que les élèves sachent ce qu’il faut retenir et apprendre.

Bien sûr, si vous ne voulez pas le faire ou si vous ne souhaitez pas prendre du temps pour cela (mais gardez à l’esprit que ce n’est pas chronophage parce des apps comme Loom ou Screencastify rendent la chose très facile et très rapide), vous pouvez simplement enregistrer la leçon durant le cours. Ainsi, vous enregistrez simplement ce que vous dites et montrez avec le vidéoprojecteur et une app de tableau blanc.

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Le livre numérique est né au Moyen Âge

Une exposition à la Bodleian Library

En passant à Oxford (que c’est beau !), et au hasard d’une promenade, j’ai eu la chance de voir une exposition sur le livre à la Bodleian Library. Mon attention a tout d’abord été attirée par une vidéo racontant l’incroyable processus de création d’un livre manuscrit. Non pas qu’on y apprenne grand-chose de nouveau, mais cela m’a inspiré quelques réflexions.

On le sait, le livre est un objet incroyablement complexe. L’ensemble du processus rend compte de sa richesse : de l’animal dont on a récupéré la peau, à sa longue préparation (comme le rappelle l’exposition avec humour, « l’animal ne naît pas rectangulaire »), en passant par la constitution de l’encre, la taille de la plume, l’écriture patiente et soignée, les emplacements laissés à l’enlumineur dessinant, peignant à grosses gouttes puis appliquant ses feuilles d’or et, pour finir, le travail de reliure des feuillets à la grosse aiguille et l’épaisse couverture protégeant le tout et souvent accompagné d’un fermoir savamment ouvragé. On voit bien à quel point le livre était un bel ouvrage (désolé pour la tautologie).

Métamorphoses du livre

Naturellement, le livre tel qu’on le connaîtra ensuite tout au long des siècles qui ont suivi la découverte de l’imprimerie subira bien des métamorphoses. Il aura fallu inventer le papier, matière première indispensable pour que les orfèvres travaillant le métal appliquent leur savoir-faire à la création des fontes (lisez L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean pour en savoir plus sur le sujet).

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La confection de l’objet connaîtra une nette accélération malgré une confection encore très artisanale pendant des années et des années, et puis, dans les années 1950, on en est arrivé à la démocratisation de la chose. Un jour, le livre est devenu *livre de poche*. Papier recyclé, colle séchant précocement et cassant, encre s’effaçant au contact du pouce ; objet devenu courant et accessible mais devenu si laid et ayant perdu sa consistance ; il semble à peine le reflet de ses illustres ancêtres.

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Le livre et la nymphe

Ce n’est pas que je regrette que seule une maigre aristocratie ait les moyens de commander et acheter de rares et splendides ouvrages, mais il m’apparaît à présent avec évidence que le livre est un peu comme la nymphe Écho. Malheureuse de ne pas être aimée du beau Narcisse auquel elle ne peut s’adresser, elle dépérit, maigrit et perd son corps pour n’être plus qu’un son. Le livre, aujourd’hui, c’est un peu la même chose. On est passé du superbe objet fait de cuir et de vélin au petit format du Folio et puis il est devenu fichier numérique. Il est presque intangible et ne pèse désormais que quelques kiloctets. À peine. C’est devenu un bien immatériel.

Et vous savez quoi ? Eh bien, c’est tout à fait normal. Ça va dans le sens de l’histoire. Beaucoup de gens expriment leur amour du livre, du papier, de l’objet palpable, lourd et manipulable. Mais cet objet prétendument aimé a commencé à disparaître il y a déjà plusieurs siècles. Précisons dans une parenthèse que je vais très vite refermer que les beaux livres ont trouvé refuge dans les catalogues d’exposition, les livres d’art ou la littérature de jeunesse richement illustrée. Seulement, ce n’est pas la majorité des livres. Notre objet de consommation n’est pas le beau livre. C’est un ersatz qui s’il disparaît un jour face au livre numérique ne saurait vraiment être regretté.

Mais on sait bien qu’il n’y aucune raison pour que le livre même de médiocre qualité disparaisse. C’est même plutôt fortement improbable. Il n’y a d’ailleurs aucune raison de l’opposer à son avatar numérique. Mais ce qui me frappe à présent, c’est combien le livre numérique ressemble à son vénérable ancêtre médiéval. L’exposition que je viens de voir me confirme à quel point le livre ressemble à internet depuis… le Moyen Âge.

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Par exemple (voir ci-dessus), on associe la possibilité de laisser un commentaire au site web ou au blog, mais les manuscrits du Moyen Âge offraient déjà cette possibilité aux lecteurs en insérant une large marge dans laquelle on pouvait inscrire quelques ajouts ou surligner les passages importants pour les futurs lecteurs.

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On voit dans cet ouvrage que l’écriture à plusieurs mains n’était pas l’apanage de Wikipédia. Un livre pouvait être commencé par tel scribe et être poursuivi par tel autre. Un siècle plus tard, un lecteur ajoutait une traduction dans les marges.

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Dernier exemple (ci-dessus) parmi une kyrielle d’autres que je n’ai pas pris en photo : dans cette bible latine, les scribes ont glissé quelques traductions en anglais un peu à la façon d’une Kindle où l’on peut insérer dans les interlignes des traductions pour aider le lecteur à surmonter les difficultés linguistiques.

De fait, je ne saurais finir sans un clin d’œil amusé à tous ces gens — et ils sont légion — qui craignent que le livre disparaisse alors que la parenté du format ePub avec ses prédécesseurs manuscrits est si évidente ! Si l’évolution du livre vous effraie ou vous horripile, apprenez que cette évolution a commencé bien avant votre naissance. En fait, elle était contenue en germe dès la naissance du livre.

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Différencier l’enseignement : deux exemples

Le péril éducatif

L’enseignement que je prodigue essaie autant que faire se peut de s’éloigner d’une transmission qui s’appliquerait aveuglément et indifféremment à tous. Je désire plus que tout prendre le contre-pied d’un enseignement (et ce n’est vraiment pas toujours facile) qui ferait fi des besoins spécifiques de chaque élève.

C’est que, comme le disait Ken Robinson dans Creative schools (chapitre 9 Bring it all back home, empl. 3026) :

One of the perils of standardized education is the idea that one size fits all.

C’est d’ailleurs cette idée qui prévaut quand je propose des dictées différenciées comme en témoigne mon précédent article Cette année la dictée en cache trois. Force est de constater que donner la même dictée à 26 élèves différents, de nationalités différentes, d’âges différents, de niveau différents, de motivations différentes n’a aucun sens. ‍♂️

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Fort de ce point de vue, j’avais commencé par enregistrer mes dictées au format mp3 pour que les élèves les fassent à leur rythme. Mais cette année, chaque dictée est désormais déclinée en trois niveaux pour que les élèves les fassent en fonction de leurs capacités.

Mais qu’en est-il de l’enseignement de la grammaire ? Comment différencier ?

Tout commence par un Kahoot

Tout commence par un simple test, mais pas n’importe quel test. Un Kahoot. Cette très simple application en ligne a la capacité d’électrifier une classe. Et ce n’est pas la moindre merveille de voir tous les élèves se lever, tablette à la main pour répondre aux questions du quiz, bataillant pour trouver la bonne réponse. Quoi qu’on pense de la chose, les faits sont là : on voit des élèves se passionner pour… un test de grammaire ! 😮 Il n’entre pas dans mon sujet d’expliquer plus avant ce qu’est un Kahoot (ou tout autre forme de quiz en ligne, comme Nearpod ou Plickers). Il suffira d’avoir à l’esprit qu’on fait participer tous les élèves. Pas un seul timide ne conserve sa réponse pour lui-même au fond de la classe puisqu’il n’a ni à mettre à l’épreuve sa capacité à parler en public ni à affronter le regard des autres.

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C’est donc un premier point primordial (si j’ose dire) : tous les élèves contribuent activement et ce dans une atmosphère de joie peu commune.

Tout cela est parfait, mais encore ?

Exploiter les données

Ce qui m’importe, ce sont alors les résultats que j’obtiens dans une feuille de calcul. En effet, quand le test est terminé, l’application génère une page sur laquelle on va trouver toutes sortes d’informations.

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Ainsi, j’obtiens un classement (ce qui n’est pas la chose la plus pertinente), mais surtout je vois quel élève a réussi quoi. Par exemple, tout en haut du Google Sheets, apparaît tel élève qui a tout réussi sauf la conjugaison du futur simple. Tel autre a besoin de revoir diverses règles de grammaire et d’orthographe : la nature, la fonction, le pluriel, etc.

Demander le menu !

Je vais donc éplucher cette feuille de calcul afin d’établir un programme spécifique à chaque élève. Pour chacun d’entre eux, je liste les points à revoir. Je prépare un certain nombre de ressources en fonction desdits points. Dans l’exemple ci-dessous, l’élève doit mettre des groupes nominaux au pluriel puis des phrases. À chaque étape de l’exercice, il doit réexpliquer la règle ou du moins formuler ce qu’il a compris, tandis que des élèves qui n’ont aucun souci avec le pluriel s’attèleront à d’autres tâches.

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Bien sûr, du fait qu’on utilise des Google Forms pour faire les exercices, je récupère à nouveau les résultats dans une feuille de calcul. Et l’on sait que la notation (si l’on veut noter) peut même être automatisée en ajoutant à Chrome un add-on comme Doctopus.

Créer du lien

À cela, j’ajoute un document que je donne à l’élève et dont la fonction est double. Il sert de menu indiquant ce que l’élève doit faire. Mais ce document sert également à établir un contact entre l’élève et l’enseignant. Ce document doit permettre à l’élève de dire : « J’ai pu faire ceci, mais pas cela et je vous explique pourquoi » (et naturellement l’enseignant peut répondre en insérant des commentaires). Enfin, au bas de ce document apparaît une date qui fixe le jour de la prochaine évaluation.

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Pour conclure

Tout cela demande un temps important de préparation. C’est pour cette raison qu’il est fondamental de constituer des banques d’exercices, ce que l’on peut faire entre collègues (par exemple, partager un dossier commun dans lequel on peut mettre les préparations de chacun).

Cela demande aussi beaucoup de temps aux élèves de reprendre là où ils ont des difficultés, de formuler les règles, d’être réévalués, etc. Mais on peut prendre le parti de la lenteur et devenir adepte du slow movement. On a alors non plus des objectifs de rentabilité (réaliser un programme, mettre des notes) mais de qualité (donner à l’élève la possibilité de revenir en arrière, de recommencer jusqu’à ce que l’évaluation soit satisfaisante).

Ken Robinson, dans l’ouvrage mentionné au début de cet article, montre comment la Révolution industrielle a engendré une conception de l’éducation fondée sur la notion de rentabilité. Il développe ensuite une analogie intéressante entre agriculture et éducation. De même qu’on oppose agriculture intensive et agriculture biologique, Ken Robinson oppose une éducation naturelle, biologique à une éducation intensive, industrielle :

education is not an industrial process at all; it is an organic one.

(op. cit., empl. 771)

Et il ajoute plus loin :

As in farming, the emphasis in industrial education has been, and increasingly is, on outputs and yield: improving test results, dominating league tables, raising the number of graduates.

[…]

Education is really improved only when we understand that it too is a living system and that people thrive in certain conditions and not in others.

(op. cit., empl. 810)

Bien des choses sont nécessaires pour que les élèves réussissent (to thrive évoque à la fois la réussite, le développement, la croissance), mais je suis persuadé que le temps et un programme adapté – en l’occurrence en orthographe et en grammaire pour mes collégiens – sont des facteurs essentiels de l’épanouissement scolaire.

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Cette année, la dictée en cache trois !

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Désormais, la dictée se décline en trois exemplaires : un texte difficile (niveau expert), le même texte mais simplifié (niveau intermédiaire) et le texte très simple, très court expurgé de toute difficulté (niveau apprenti).

Ainsi, on différencie.

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Comme d’habitude, les élèves font leur dictée avec leurs écouteurs et leur iPad, à leur rythme, à leur niveau et en prenant soin de vérifier leurs erreurs dans le dictionnaire ou le Bescherelle en ligne. Ils peuvent m’appeler. Ils peuvent demander de l’aide à leur voisin. Ils peuvent passer d’un niveau à l’autre.

Enfin, selon la vision d’André Antibi, les élèves se constituent un vivier de dictées pour lesquelles ils peuvent être évalués. Nulle surprise, nul piège, nulle angoisse. Et si on veut valoriser les élèves qui prennent la dictée la plus dure, on peut mettre un coefficient.

Ça et la pratique de la rédaction régulière (sous toutes ses formes), c’est la voie de la maîtrise de l’écrit.

À ce propos, un élève est venu me voir hier, me disant qu’il n’avait pas compris sa note. Je la lui ai expliquée, tableau Excel à l’appui, où il avait « péché ». Il a compris. Je lui ai proposé de refaire la rédaction et de changer la note. Problem solved. 😃

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Une correction des rédactions inspirée par Ken Robinson

L’enseignant corrige des rédactions, des dissertations, etc. et émet un certain nombre de remarques, fait des commentaires, etc. Ceux-ci sont très importants et j’ai montré comment une copie numérique peut apporter un feed-back riche. Mais si on habituait non seulement les élèves à recevoir une critique mais aussi à avoir à regard critique ? Voici comment et pourquoi.

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Les artistes sont habitués à la critique

À la Boston Arts Academy, les élèves ont un programme basé sur l’étude de l’art :

« […] because artists are accustomed to receiving criticism and responding to that criticism quickly, the school is also creating students far better prepared for what will be asked of them once they leave school.

[…]

Our kids are willing to take risks, imagine, work hard, work collaboratively. They take critique, which is a really important part of an arts-based education. » (Creative school, Sir Ken Robinson, Empl. 2729/2736, 66%)

On conçoit ainsi que la critique soit bénéfique. Voici donc une proposition d’application très simple en cours de français.

Comment ?

L’idée est de faire écrire aux élèves une critique (comme celle d’un critique d’art) de la rédaction d’un autre élève (comme si cette rédaction était la publication d’une œuvre).

La critique doit donc :

  • Présenter l’œuvre (qui l’a écrite, quand, quels autres ouvrages ont précédé, etc.)
  • Résumer l’œuvre
  • Faire la critique : dire le bien comme le mal
  • Conclure

J’imagine bien ce travail s’appliquer, au lycée, à un sujet d’imagination. On fait alors comme si le texte réalisé était celui d’un écrivain.

Le texte qui a fait l’objet d’une critique doit permettre à son auteur de reprendre un certain nombre de points (à corriger tout de suite ou pour le prochain devoir). C’est une correction par les pairs (encore qu’il n’est pas nécessaire qu’elle se substitue à celle de l’enseignant). C’est un travail pour le rédacteur comme pour le correcteur/élève. C’est un travail collectif impliquant l’enseignant et au moins deux élèves. Tout cela doit permettre d’enrichir le texte produit tout en invitant son auteur à accepter le regard d’autrui.

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Ralentir travaux fête ses 10 ans 🎂

Cette année, Ralentir travaux a dix ans. Un peu plus d’ailleurs, mais j’ai pris l’habitude de fixer l’anniversaire de ce site web à la date d’achat du nom de domaine et de l’hébergement.

Quelques chiffres

Quelques chiffres pour commencer et surtout pour vous remercier. De 2007 à aujourd’hui, vous avez été 15 millions à vous rendre sur Ralentir travaux. Soyez 15 millions de fois remerciés (c’est une image, hein ! 😃). 15 millions, c’est une estimation parce que je n’ai commencé à utiliser Google Analytics que vers 2009, mais je ne dois pas être loin de la réalité. En tout cas, si j’en crois Google Analytics toujours, Ralentir travaux a été visité (presque) partout dans le monde.

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Un peu d’histoire

On m’a souvent demandé pourquoi j’avais choisi ce titre : Ralentir travaux ? C’est en effet un titre qui évoque davantage la signalisation routière que la poésie. Et pourtant, c’est le titre d’un ouvrage surréaliste écrit par André Breton, Paul Éluard et René Char. J’aimais ces mots qui évoquent le nécessaire ralentissement (en particulier sur ce qu’on avait alors coutume d’appeler les autoroutes de l’information), mais aussi le travail en cours (le fameux work in progress) et évidemment l’écriture à plusieurs. Ce dernier point n’a pu se faire et pendant toutes ces années, Ralentir travaux n’aura eu qu’un seul auteur. Cela devrait changer, mais n’anticipons pas.

À l’origine, Ralentir travaux s’adressait spécifiquement à mes élèves puis son public s’est élargi progressivement. C’était un tout petit site au départ sur lequel je plaçais les cours qui avaient été réalisés en classe. Ce n’était parfois pas bien brillant ni original, mais c’est ce qui avait été réalisé avec les élèves. Il y avait aussi un cahier de textes qui tout d’abord tenait du journal de bord. Par la suite, j’ai voulu rendre les cours plus complets, plus attrayants en les illustrant, en ajoutant un peu d’interaction. Bref, au fur et à mesure, Ralentir travaux s’est enrichi d’un contenu qui dépassait le cadre du travail produit en classe.

L’enseignant apprenant

Réaliser Ralentir travaux a été pour moi un travail particulièrement enrichissant. Pour mettre en ligne certains contenus, il a fallu lire beaucoup, se documenter, se renseigner, demander, résumer, simplifier, rédiger, et partager. Ce dernier point a été l’occasion d’apprendre comment diffuser mon travail et j’ai ainsi découvert le HTML, le CSS, l’ePub, le Markdown, etc. En somme quand je repense à ces dix ans, j’ai le sentiment d’être resté un élève apprenant perpétuellement et ayant des univers entiers à découvrir.

Ces dix années ont été passionnantes. Cependant, nul doute que l’année qui a vu la publication de mon premier manuel fait avec iBooks Author a été une étape importante de mon travail. Toutefois, l’année où j’ai reçu votre soutien pour renouveler mon matériel et produire un énième manuel et passer à une licence libre représente certainement le souvenir qui m’arrache encore quelques larmes.

Tout ce travail m’a amené souvent très loin de mon bureau : Montréal, Londres, Genève, San Francisco… Mais cette bonne claque géographique à ceux qui font une fixette sur le temps d’écran ne vaudrait rien sans toutes ces personnes fascinantes que j’ai eu la chance de rencontrer. Je pense à Ghislain, François (x2), Anne, Evelyne, Véronique, Nicolas, Jacky, Marie, Christophe, Mireille, Julien et tant d’autres que je ne peux nommer sans établir une liste excessivement longue. Votre apport a été inestimable.

Mais dix ans, c’est long. Or mesurer l’évolution de Ralentir travaux durant ces dix (longues) années n’est pas vraiment facile. Pour cette raison, j’aimerais beaucoup avoir votre avis là-dessus : que représente pour vous Ralentir travaux ? Vous a-t-il aidé à un moment ou un autre ? Quelle image en avez-vous ?

Quel avenir ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Je n’ai pas beaucoup de temps à consacrer à mon site. Depuis que je suis à Londres, j’ai encore moins de temps. Mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas de projets.

J’ai bien pensé à transformer Ralentir travaux en un wiki accessible à tous. Ce serait la libération ultime de ce site. Ce serait le vôtre. Qu’en dites-vous ?

Cette année, j’ai des lycéens. Ralentir travaux pourrait-il s’ouvrir désormais au lycée ? À voir…

Mais surtout, l’idée de travailler avec vous notamment avec l’objectif de créer un nouveau manuel scolaire libre au format standard ePub est probablement ce qui me tient le plus à cœur.

J’ai aussi très envie de continuer à parler de pédagogie. C’est ce que je voulais faire en ouvrant ce blog Un Centaure à l’école en écrivant ce type d’article. Cela émane en fait de formations que j’ai réalisées et que je réécris pour les publier. C’est assez long à faire, mais, comme à l’accoutumée, passionnant.

Enfin, pour terminer, je ne saurais mettre un terme à cet article sans remercier les deux (seuls) journalistes qui ont jamais apporté un soutien à Ralentir travaux. Je pense à Sandrine Chesnel et Luc Cédelle que je remercie chaleureusement.

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Faire une dictée par jour qui passionne les élèves

Quand on parle de dictée, et dieu sait qu’on en parle aujourd’hui, force est de constater qu’un modèle s’est gravé dans l’esprit de ceux qui nomment ce pensum venu de la nuit des temps pédagogiques : la dictée, la terrible dictée, celle qui vous vaut de perdre tout espoir d’atteindre la moyenne dès le troisième mot, en un mot la dictée de Pivot. Quelque chose comme ça :

Deux voyageurs, à six heures et demie sonnées, s’étaient étirés dans les couchettes superposées d’une des voitures-lits. Ils s’étaient levés tout titubants et s’étaient fait un brin de toilette avec les moyens du bord. Bien que cela fût malcommode, ils avaient enfilé des jeans et des parkas crème. (in Tests 2001, Devenez un champion en orthographe, Albin Michel)

Pour ma part, j’en ai parlé à plusieurs reprises : Mais comment évaluer cette dictée ? et La dictée encore et toujours, oui mais

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À vrai dire, les choses ont pas mal évolué. Et depuis qu’à l’IUFM on nous disait que la dictée, c’était le mal incarné, le prof que je suis a pu prendre un peu de distance avec ce genre de propos qui nous a conduits à abandonner purement et simplement l’exercice de la dictée. Il faut dire que si c’était pour mettre des 0 à tire-larigot, on pouvait en effet fort bien s’en passer (et puisque dieu sait tout, il sait aussi combien les élèves ont un problème avec l’orthographe). Et c’est ce que l’on fit. Nombre d’enseignants ne font plus de dictées. Je le sais, je l’ai vu. Moi-même, pendant des années, j’ai abandonné sa pratique pour toutes les raisons que je viens de mentionner, mais aussi parce qu’en français, on fait toujours des choix : lecture, rédaction, exposé, etc. On n’a jamais assez de temps.

Enfin bref, venons-en au sujet qui justifie le titre de ce billet.

Une dictée en rapport avec l’actualité

Chaque matin, entre ma tartine et ma tasse de café, sur mon téléphone, je compulse frénétiquement mes flux RSS à la recherche d’un fait en rapport avec l’actualité. Quand un article a retenu mon attention, j’en extrais une phrase ou je résume l’événement afin d’en faire une dictée. C’est donc une simple phrase qui sera soumise aux élèves.
Pourquoi l’actualité ? Parce qu’elle intéresse les élèves, parce que ce rendez-vous quotidien leur rappelle ce dont ils ont pu discuter avec leurs parents en regardant le journal télévisé, parce que cela ouvre la classe sur ce monde qui bouge sans cesse et dont l’école voudrait bien trop souvent s’abstraire. Enfin bref parce que cela les intéresse, et que bien souvent la dictée est précédée ou suivie de questions, d’interrogations sur des choses, des possibilités qui étaient jusque-là ignorées.
De plus, les dictées sont placées sur Evernote et elles sont suivies d’un lien menant à l’article d’où elles proviennent. L’élève intéressé par l’actualité du jour peut en découvrir davantage.

Une seule phrase

Cette dictée est quotidienne. On ne peut donc lui accorder trop de temps, sinon nous ne ferions plus que ça, et ce serait au détriment de tout le reste. Elle ne doit donc durer qu’un quart d’heure. Comment s’y prend-on ? C’est très simple. C’est devenu une habitude et les élèves dès les premières minutes sortent leur cahier de brouillon. Un élève vient à mon bureau et tape la dictée sur l’ordinateur. Quand tout le monde a noté, on affiche la dictée de celui qui écrivait sur mon ordinateur. Ensuite, chacun de lever la main pour signaler les erreurs ou ce qu’il croyait être des erreurs. Et on explique. Quand je dis « on », c’est moi ou le plus souvent les élèves. On explique pourquoi c’est juste ou pourquoi cela ne l’est pas. Tu ne sais pas ? Eh bien on va l’apprendre.
Bien souvent, ce petit travail orthographique est assorti d’un travail typographique : comment fait-on les majuscules ? le « ç » ? Il y a une espace en trop. Il en manque une, etc. C’est que l’exercice du clavier est pour beaucoup d’élèves une terra complètement incognita.

Non notée

Pour finir, je voudrais tordre le cou à une idée reçue qui colle à la dictée, celle de la note. On n’est pas obligé de noter la dictée. Ce travail quotidien est un simple travail, un exercice au brouillon permettant de dire et redire les choses. Par exemple, le passé composé avec son participe passé, comment se termine-t-il déjà ? Par un « i », par un « s » ou « t » ?. Faut-il ou non l’accorder ? Y a-t-il « être » ou « avoir » ? Au brouillon, on peut avoir faux, on peut s’être trompé, on peut se corriger. Rien n’est grave.
Évidemment, la dictée n’est pas le seul moyen d’évaluer l’orthographe. C’est d’ailleurs ce qui se passe au brevet. On l’évalue par la dictée bien sûr, mais aussi par l’exercice de réécriture et enfin par la rédaction. Mais je dis « évaluation » ! Où avais-je la tête ? Qui parle d’évaluation ? Pourquoi veut-on absolument que la dictée soit une évaluation ? L’orthographe ni évaluée ni notée peut rester un travail sur la langue nécessaire, non pas le seul, mais l’un d’entre eux. Et ce serait dommage de le vouer aux gémonies.

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Ces pédagogos qui ont assassiné l’École

L'Instruction publiqueHier, le collège unique rassemblait tous les élèves, tous ! Le cancre et le génie, le feignant et le courageux, le savant et l’inculte, tous rassemblés au mépris des différences, nivelant par là même les aspirations au savoir de générations entières sacrifiées sur l’autel de la soi-disant bienveillance pédagogique et de la diversité. Ladite bienveillance – euphémisme cachant à peine la haine de l’élitisme – ne cherche rien d’autre qu’à détruire l’école. Imaginez une chimère, ce monstre d’hétérogénéité auquel le valeureux enseignant doit faire face, muni de son seul savoir face à l’ignorance érigée en principe, pire, en modèle sociétal.

Le redoublement, retour à la réalité

Plus récemment, les précieuses ridicules du pédagogisme ont battu en brèche le redoublement. Il n’est désormais plus possible de faire redoubler « l’apprenant ». L’élève en difficulté ne peut plus saisir sa chance, et subir l’humiliation douloureuse mais nécessaire de ne pas suivre ses petits camarades partis s’envoler dans les sphères supérieures du savoir. Supprimer le redoublement, c’est surtout une mise à mal du pouvoir de l’enseignant de dire : « Non, tu ne passeras pas » ! Le redoublement, ce mal pour un bien, ce microtraumatisme doit ramener l’enfant à la réalité : « Tu n’as pas travaillé, tu n’as rien fait, tu ne passeras pas ». Pour quelle raison le paresseux n’ayant pas fourni le travail demandé se verrait-il garantir une injuste ascension et nécessairement un jour limitée par la dure réalité des examens et du marché de l’emploi ? Depuis quand récompense-t-on les enfants ayant démérité ? En a-t-on déjà vu qui progressaient en passant dans la classe supérieure ?

Le numérique, nouvel obscurantisme

Et que dire de cette croyance, cet obscurantisme des temps modernes qui voit dans le numérique la solution à tous nos maux ? Comme si cette prétendue panacée allait sauver l’école, comme si fournir de coûteux objets technologiques à nos enfants allait leur permettre de mieux savoir lire, écrire et compter ! L’on voudrait même que des analphabètes n’ayant jamais approché un livre apprennent les rudiments algorithmiques de la programmation ! Marche-t-on sur la tête au pays de l’Éducation nationale ? Il faut qu’au sommet de l’État l’on soit devenu fou pour brandir cette aveugle foi en la technologie, cette mode se réinventant sempiternellement pour mieux vendre, cette fiction éducative agitée par les marchands du temple que sont Google et Apple, ces ogres des temps modernes venus dévorer et nos enfants et nos impôts.

Le baromètre d’une école malade

Aujourd’hui, l’école, menacée de la ruine, une ruine orchestrée par des décennies de réformes, est l’objet d’une nouvelle attaque pédagogique : il ne s’agirait rien moins que d’interdire les notes. La note traumatiserait les élèves ! La note, ce baromètre du niveau déjà bien bas, ne fournirait qu’une piètre indication et ne proposerait aucune remédiation ! Las ! L’on veut supprimer tout instrument de mesure pour mieux cacher la maladie qui s’est emparée du système scolaire. Ainsi, après que la loi Haby a créé des générations entières d’illettrés, on voudrait nous cacher les effets délétères d’une éducation à vau-l’eau. Si la note stigmatise le vaurien, elle récompense fièrement le travail bien fait. Il est vital que notre système scolaire ne soit pas un lieu où le plaisir se loverait comme un serpent en son nid. Il est vital que le travail, cette torture fructueuse de l’esprit, fasse naître devant l’adversité, devant la difficulté, devant l’ennui (oui, l’enfant doit s’ennuyer, c’est essentiel) heur et malheur. Eh ! croit-on tout réussir tout le temps partout ? Croit-on que tout le monde puisse réussir ? Qui voudrait d’une société où tout le monde réussit ? Cette idéologie post-soixante-huitarde où il est interdit d’interdire, qui prône la jouissance et l’absence d’effort doit définitivement être éradiquée. Ou alors la fabrique du crétin aura accouché d’une nation de dégénérés…

Réagissons

Le chant des partisans

Pour cette raison, exigeons la fin du collège unique, rétablissons le redoublement et ne cédons pas à cet appel des Sirènes, ce mirage de bienveillance éducative. Nous n’avons nul besoin de votre numérique que nous laisserons au placard. Armés de nos seules craies, nous vous disons bien haut quelle est l’école que nous voulons et que nous défendrons. Il ne sera pas dit qu’un élève ait passé une journée agréable à découvrir le monde qui l’entoure grâce à une école qui vivrait en harmonie avec la société qui l’anime. L’école est un sanctuaire. L’élève est un moine des temps modernes, il porte un cilice de papier qui lui rappelle chaque jour qu’on n’a rien sans rien. Et l’enseignant, ce croisé antipédagogo, boute la compétence. Il refuse les élèves tous nuls et à égalité. Il prône la culture, le savoir et la transmission, en un mot, le retour à l’Instruction publique.

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Pour un manuel numérique

iPad et manuels
Dressons le décor. Une salle polyvalente d’un collège de banlieue. Un bruit sourd, écho d’un scandale pédagogique. L’inspecteur vient d’annoncer que les manuels pour le nouveau programme de seconde n’étaient pas encore prêts chez tous les éditeurs. L’oreille attentive aura su entendre ces exclamations fugaces : “Mais comment vais-je bien pouvoir préparer mes cours sans manuel?” “C’est bien la première fois que je vais devoir préparer un nouveau programme sans livre”

Mais diable, à l’heure du numérique ; du web 2.0 ; des tablettes et des ENT, voilà que l’absence de manuel scolaire papier semble paralyser un aréopage d’enseignants, pourtant tous capables d’être de fabuleux producteurs de contenus. N’aurait-on pas là le reflet d’un paradoxe inquiétant? Ou alors, ne faudrait-il pas voir dans cette situation, qui prête aussi à sourire, l’occasion d’une salutaire réflexion sur le devenir de cet objet singulier qu’est le manuel scolaire ?

Dont acte !

Ceci tuera-t-il cela ?

Longtemps, j’ai pensé que le débat reposant sur l’opposition hugolienne était infondé, que ceci ne tuerait pas cela, que le numérique ne tuerait pas le papier . Fort de l’idée qu’une technique ne remplace pas une autre (1), j’avais acquis la conviction que le livre tel qu’on le connaît ne serait en rien menacé par le numérique. De ce point de vue, chaque fois que je mets les pieds dans un salon consacré à la littérature, en particulier de jeunesse, je me conforte dans cette idée. Le livre sur papier, joliment relié, avec de belles illustrations ou non, a de beaux jours devant lui. Il n’est que de constater le taux de fréquentation de telles manifestations.

En revanche, je sais maintenant que si l’ordinateur ou la tablette ne tueront pas les livres, ils tueront cependant un certain type de livre. C’est peut-être le cas du livre de poche, c’est à coup sûr celui du manuel scolaire. Cela pour une raison très simple : si le manuel numérique a mieux à offrir que son jumeau de papier, alors l’espérance de vie de ce dernier est menacée.

Cet article écrit à deux pouces, quatre mains, vingt doigts (ou – si l’on préfère – à deux par Ghislain Dominé et Yann Houry), ambitionne non seulement de le démontrer, mais aussi de montrer en quoi cela est possible et souhaitable.

Si le manuel devient numérique

On le sait, le manuel est solidement implanté dans la culture scolaire. Pas une année ne commence sans la distribution de cet objet hautement commercial représentant, selon un rapport de Michel Leroy, 281 millions d’euros pour la seule année 2010. Or le manuel tel qu’on le connaît aujourd’hui – celui-là même dont le coût est si élevé (et encore cette dépense est-elle concurrencée par celle que provoque le nombre croissant des photocopies), ce manuel parfois superbement ignoré par les enseignants sommés de le choisir – finit inéluctablement au rebut.
Abîmé, ne correspondant plus au programme, trop lourd aussi, il doit être renouvelé, modifié, allégé. Sa durée de vie est brève (officiellement elle est de cinq ans environ), et les contraintes, qui ont présidé à sa conception, nombreuses. En effet, l’auteur d’un manuel ne doit pas dépasser tant de pages voire tant de mots, il obéit à une ligne éditoriale ou à un programme, selon des délais parfois excessivement courts, etc. Sans compter que ces manuels sont intrinsèquement pensés, non pour les élèves, mais plutôt pour les enseignants. Ce qui n’est pas sans fâcheuses conséquences : sans aller jusqu’à parler de moteurs de paresse, ces manuels sont vendus aux enseignants comme le nec plus ultra de la ressource documentaire et de la pédagogie, offrant des démarches clefs en main, pourtant bien immobiles et où l’innovation pédagogique est aussi importante que la prise de risque économique…

Or ce sont précisément ces contraintes ou ces défauts qui volent en éclat dès lors que le manuel devient numérique. Il perd son poids. Il met à mal les limites éditoriales et ouvre des perspectives pédagogiques où l’audace est la bienvenue. De plus, devenu intangible, il n’est plus à jeter, il est mis à jour. Il frappe d’obsolescence ou d’inanité la photocopie. Enfin, paradoxalement, il permet d’envisager une réduction des coûts.

Mieux encore, tout se passe comme si le manuel devenant numérique, tel un composé chimique, agissait comme un révélateur, le révélateur d’une métamorphose scolaire. En effet, la publication du manuel numérique – a fortiori d’un manuel libre et gratuit – pose un certain nombre de questions ou plus précisément remet en question un certain nombre de modèles : un modèle économique, mais aussi un mode d’enseignement voire d’enseignant tout court, tant il est vrai que ce rôle est plus que jamais à redéfinir.

Un nouveau modèle économique

Le manuel numérique – donc immatériel, intangible – ne s’abîme jamais, il ne s’écorne pas, il ne s’efface pas. L’élève est même, pour la première fois, invité à écrire, gribouiller, souligner, surligner, annoter son manuel. Ainsi, devenu numérique, le manuel peut devenir possession des élèves. Personnalisable et mobile, il peut être approprié. Faire sien son manuel est une composante essentielle dans le processus d’apprentissage. Tel le moine copiste écrivant dans la marge de son manuscrit ses réflexions et corrections, l’élève peut annoter, corriger et augmenter son manuel numérique. Qu’il cherche à faire cela avec son manuel papier et il aura à rendre des comptes, et à la documentaliste, et au comptable de son établissement.
Évidemment d’aucuns rétorqueront que si le manuel ne se détériore pas, ce peut être le cas de la machine qui le supporte. Force est cependant de constater que certaines tablettes – les iPad pour ne pas les nommer – ont une durée de vie largement suffisante pour accompagner les élèves dans leur scolarité (au moins au collège puisque c’est le niveau qui nous intéresse) (2).

Le numérique permet, non pas l’abandon d’un manuel qui ne correspondrait plus au programme, mais son renouvellement, sa mise à jour. Et il est fortement à espérer que s’il doit être payant, sa mise à jour ne saurait être au même prix ; qu’un simple toilettage ou quelque ajout soit offert à un prix que les collectivités trouveront intéressant au point de préférer le numérique au papier.

Ainsi, c’est tout un modèle économique qui doit être redéfini. Si l’on considère que le papier, ou plus précisément un certain usage du papier, est amené à disparaître, on peut faire le raisonnement suivant. Certes, il faut fournir les tablettes, et cela représente un coût. Mais c’est un coût que l’on doit mettre en regard des 280 millions susmentionnés. Ce coût ne pourrait-il s’amoindrir ? D’une certaine façon, et sans que cela ne relève du domaine de l’utopie, ne pourrait-il sinon disparaître du moins diminuer drastiquement ?

Dans un domaine où l’imprimante et la photocopieuse sont reines, ne pourrait-on envisager leur abandon ? Le numérique permet, en effet, la transmission de données, de sujets, d’exercices en tout genre de façon bien plus intéressante que ne le fait le papier. On pourrait même rêver ceci : aucun enseignant n’aurait plus à se ruer sur la photocopieuse encore en état de marche, celle devant qui deux collègues trépignent déjà, attendant qu’un lève-tôt (ou un retardataire comme les trois autres) achève son collage pour distribuer une photocopie de qualité médiocre (médiocre parce que le numérique a tellement mieux à offrir) ! Songez aux images en très haute définition. Qui peut regretter l’obscure reproduction d’un tableau de maître mal photocopié ? L’abandon des photocopieurs permettrait de consacrer des sommes importantes aux tablettes et aux manuels prévus pour de tels supports. Ajoutons, pour finir, qu’un rapport de février 1986 explique que «le volume des dépenses consacrées aux photocopies est équivalent à la dotation annuelle consacrée à l’achat de manuels» (cité par Michel Leroy), et l’on comprendra que, dans ces conditions, l’achat de tablettes n’est pas le moins du monde inconsidéré. Si, d’aventure, ces manuels sont gratuits (que l’on pense au Manuel de quatrième ou au Livrescolaire.fr), alors, l’argument du prix de la tablette est battu en brèche. S’ils ne sont pas gratuits, ces manuels numériques seront de toute façon, paraît-il, 70 % moins chers.

Si l’on veut ajouter quelque argument consensuel, précisons que c’est au motif de la santé publique qu’a été publiée la circulaire n° 2008-002 du 11 janvier 2008 sur le poids du cartable. On a vu récemment une association de kinésithérapeutes se saisir du problème. Or cela ne doit-il pas rentrer dans le calcul ? Ne doit-on pas se demander quel est l’impact sur la sécurité sociale.

Un modèle économique est donc à redéfinir. Loin de grever le budget, le financement du manuel numérique et de son support peut se faire en utilisant l’argent différemment. Mais, on le devine, c’est aussi un modèle pédagogique que l’on doit repenser.

Vers une pédagogie différenciée

Si l’on se demande pourquoi utiliser un manuel numérique, il faut évidemment se demander ce qu’il apporte au regard de son équivalent de papier. On a vu qu’il était plus léger, qu’il permettait de s’affranchir de certaines contraintes éditoriales, qu’il était plus aisément remis au goût du jour, etc. Est-ce tout ? Ne s’agit-il que de moderniser l’école ? Une école qui a un train de retard dans une société où le numérique est omniprésent ? Je ne le crois pas.

Bien sûr, l’école se modernise, et s’est toujours modernisée. De l’apparition du tableau noir à celle du TBI, du papier carbone au photocopieur en passant par la machine à polycopier à alcool, l’école a toujours accueilli de nouvelles techniques. Hier, le magnétophone, le magnétoscope, puis la télévision, aujourd’hui, l’ordinateur, puis la tablette. En un sens, l’enseignant a toujours été un technophile. Mais toute cette technique ne sert à rien, ou à pas grand-chose, si elle ne s’accompagne d’un changement dans la façon d’enseigner, dans la pédagogie.

Ce seul mot suffit à faire prendre la fuite à des cohortes d’enseignants. Pourtant, quelles que soient leurs exigences, quelle que soit leur vision de l’éducation ou de l’instruction (comme on voudra), aucun ne se refusera à reconnaître qu’il est soucieux de la réussite de ses élèves, de tous ses élèves, pas un ne devant être relégué au fond de la classe à attendre que les heures passent. C’est, de mon point de vue, le grand apport du numérique. Ce n’est pas un supplément d’âme permettant de se dire que l’école est moderne, que l’école n’est pas un îlot ou un sanctuaire (quelle que soit la métaphore que l’on choisisse) sans rapport aucun avec la société qui l’accueille. C’est un outil, un simple outil, un outil que l’on peut débrancher (est-il besoin de le rappeler à ceux que le numérique horripile), un outil qui doit nous permettre de mieux réaliser notre métier ou alors il ne sert à rien.

Il faut se convaincre de cette idée : une technique a une influence sur l’enseignement. Ainsi, le passage de la plume d’oie à la plume de fer a permis d’enseigner aux enfants l’arithmétique plus tôt, la dextérité requise étant moindre avec la plume de fer. Quelles peuvent être, en adoptant des tablettes et des manuels numériques, les transformations pédagogiques ? Eh bien, si cela reste encore à découvrir, je crois que l’informatique permet de modifier notre pédagogie, en la différenciant à moindres frais (3). C’est, par exemple, le cas de la dictée. Traditionnellement, l’enseignant dicte un texte et un seul à la classe tout entière, laquelle s’efforce de le suivre au même rythme. Mais un manuel numérique proposant des dictées permet à l’élève de travailler à son rythme, à son niveau (il n’est pas obligé de faire la même que celle de son voisin, il n’est pas obligé de finir en même temps que son voisin), etc.

En outre, le numérique rend poreuse la frontière entre l’école et la maison. Le travail peut être accompagné. L’élève (ou le parent aidant l’élève) sont susceptibles de bénéficier d’une simple aide par mail. Ce peut être un véritable travail à distance. En effet, le numérique permet l’écriture collaborative. Un élève invité à rédiger un texte ne court plus le risque du hors sujet. Il n’a même plus à se retrouver seul face à une page qu’il ne sait comment remplir, car il est possible de cet élève corriger au fur et à mesure en utilisant un site (4) permettant la rédaction collective d’un texte.

La visioconférence permet de suivre ou de rattraper (en y assistant «en différé») un cours. C’est utile pour l’élève qui se trouve dans l’incapacité de se déplacer (maladie, conditions climatiques), c’est utile pour l’élève qui veut réécouter le cours. Et on trouvera bien d’autres exemples encore ! Naturellement, ce n’est nullement la panacée, la solution miracle, mais on aura au moins pallié certains manques, certaines injustices, etc.

Le manuel numérique, le numérique tout court d’ailleurs, permet donc d’aider tous les élèves et peut-être même de faire que le collège devienne enfin unique, car il ne l’a jamais été, n’en déplaise à ses détracteurs. C’est un rôle nouveau qui est dévolu à l’enseignant. On pourra penser qu’il n’est pas assez payé, et l’on n’aura pas tort. On pourra penser que sa vie personnelle est envahie par sa vie professionnelle, et l’on aura tort. Cela a toujours été le cas, lorsque l’on prépare ses cours, lorsque l’on corrige ses copies. Tout au plus, les choses s’accentuent-elles davantage (5), mais ce rôle gagne en importance.

En fait, après avoir mis l’élève au centre du dispositif scolaire, l’enseignant doit, à son tour, trouver une place centrale, une place qu’internet a fait émerger.

Le rôle de l’enseignant

Nous avons commencé par évoquer le coût phénoménal du manuel scolaire en France. C’est un coût qui pèse sur les collectivités, malgré qu’on en ait, un coût que l’on peut considérer, bien souvent, comme superfétatoire. Ces manuels fort onéreux, délaissés par les uns, portés au pinacle par les autres, ne connaissent qu’une utilisation partielle, une utilisation que ne justifie pas un tel coût. Je ne crois pas connaître un seul enseignant qui l’utilise d’un bout à l’autre, à l’exclusivité de toute autre ressource. La réalité est que, parfois, l’enseignant s’appuie sur tel ou tel manuel, et recompose sa progression pédagogique en glanant çà et là diverses ressources. Ces ressources peuvent provenir des manuels qui envahissent nos casiers lors des renouvellements de programmes. Bien souvent ces ressources proviennent d’internet.

Que constate-t-on ? Que les enseignants bâtissent des sites internet dans lesquels ils proposent leurs propres ressources, que les enseignants réfléchissent à leur pratique sur leur propre blog, échangent leurs idées sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook…), dans de nombreux forums ou listes de discussion. Ces enseignants scannent, prêtent, transmettent, diffusent leurs travaux par ces divers truchements, en conséquence de quoi internet regorge de documents qu’au prix d’une adaptation l’enseignant fait siens. C’est une gigantesque salle des professeurs de toutes les matières, de tous les niveaux, de toutes les nationalités (si la langue le permet). Depuis l’avènement des réseaux sociaux, je n’ai jamais autant côtoyé mes homologues belges, québécois ou marocains.

D’aucuns, et les éditeurs en première ligne, verront ces richesses à travers le prisme de leur profession. Ils regretteront, par exemple, que l’auteur et son autorité, disparaisse, que l’éditeur ne soit plus le garant d’une ligne éditoriale. On va jusqu’à toiser cet afflux numérique, et filant la métaphore aquatique, le qualifiant d’égout.
Ces considérations font de l’intermédiaire entre l’œuvre et le lecteur une nécessité. Or si elle n’a pas toujours existé, elle n’est pas même seulement nécessaire ni souhaitable.

Elle n’est pas nécessaire en ceci qu’un éditeur n’est le garant de rien du tout. Le marché de l’édition présente des dizaines de «chefs-d’œuvre» à lire chaque semaine. On voudrait nous faire croire à la supériorité de ce flot sur celui du numérique parce qu’il a fait l’objet d’un tri, un tri parfois lié à des impératifs mercantiles ? Que dire des vanity press, ces livres vendus à compte d’auteur ? des livres à grand tirage d’une médiocrité absolument inconcevable ? Ont bien été édités des livres erronés, des horreurs de Maurras ou de Céline ! Et que dire de ces ouvrages dans lesquels on trouve coquilles et erreurs faute d’une seconde correction voire d’une relecture humaine !

Et pour le dire franchement, l’éditeur n’est le garant d’un savoir que parce que nous lui accordons toute notre confiance. Notre savoir ne repose pas sur la validation de tel ou tel, mais sur la confiance que nous lui accordons. Ainsi nous croyons dur comme fer que la racine carrée de 2 est 1,414 213 562 373 095 048 801 688 724 209 698 078 569 671 875 376 948 073 176 679 737 990 732 478 462 107 038 850 387 534 327 641 572 7. Pourquoi ? Parce que la communauté scientifique nous l’affirme. Personnellement, c’est une notion que je ne suis pas capable de battre en brèche. Je m’en remets donc à un tiers, que je trouve l’information dans un livre ou sur internet ne change rien.

Elle n’est pas souhaitable en ceci que l’édition ne comprend pas la mutation qui est en train de s’accomplir, et qui, pourtant, s’est déjà accomplie dans l’industrie musicale. Condamnés à reproduire ce qui existe déjà ou à disparaître, les éditeurs s’arc-boutent sur des principes battus en brèche par internet. Les droits d’auteur et autres joyeusetés (les DRM, les Time bombs, etc.) font du manuel numérique un objet peu pratique, qui ne peut s’épanouir dans de telles conditions.
Pire encore ces droits paralysent l’essor, la diffusion, le partage du savoir. Or toute la littérature du Moyen Âge s’est développée hors de ce carcan que la Révolution française, soucieuse de protéger les auteurs, a apporté. Libérant l’auteur du mécénat, il s’agissait de lui donner les moyens de vivre et donc de penser. Elle ne pouvait prévoir qu’elle se ferait confisquer ses plus belles avancées par la rapacité de ces auteurs et de leurs éditeurs lesquels confisqueraient à leur seul profit des écrivains parfois morts depuis près de 100 ans (c’est le cas de Guillaume Apollinaire), quand elle ne fait pas pire…

Que faire de l’éditeur scolaire ? N’est-il pas moribond ? Il n’est plus imprimeur depuis fort longtemps (dès le XIXe siècle pour Louis Hachette). Certains des métiers liés à l’impression ont disparu ou du moins partiellement disparu. C’est le cas de la prépresse, non ? Le livre devenant à son tour immatériel, la PAO touchant le grand public, n’avons-nous pas là les signes d’une mutation inéluctable ?

Dans ces conditions, comment ne pas voir qu’il pèse sur l’enseignant une nouvelle responsabilité, celui de déterminer si telle ou telle ressource trouvée sur internet présente ou non un intérêt, si elle est fiable ou non. Si c’est une responsabilité certaine, elle lui incombe d’autant plus volontiers que du haut de ses cinq années d’études (au minimum), l’enseignant a la capacité de trier, de faire la part des choses dans la masse d’informations que déverse internet.
Voilà comment le lecteur devient auteur, comment il fait autorité. C’est lui qui dira si telle ou telle ressource lui semble fiable ou pas.

Ayant autorité sur sa matière, rédigeant lui-même les manuels (en France ce sont, en effet, des enseignants qui font les manuels), ayant aujourd’hui la capacité de s’autopublier, l’enseignant du XXIe siècle est un professionnel d’un nouveau genre. Au tout début des années 1880, dans le contexte des lois Ferry, on reconnaissait aux enseignants cette capacité de choisir leurs propres manuels. Ce n’était plus du ressort du ministère. Pourquoi ne pas aller plus loin à présent puisqu’il a les moyens de s’autopublier ? L’arrêté du 12 mai 2010 qui explicite les compétences à acquérir par les professeurs ne va-t-il pas dans ce sens ? Il s’agit d’«apprécier la qualité des documents pédagogiques (manuels scolaires numériques ou non et livres du professeur associés, ressources documentaires numériques ou non, logiciels d’enseignement, etc.)».

Pour finir

Ainsi, le manuel sur papier, cet objet onéreux et précaire, en bute à l’essor d’internet, connaît une véritable crise. Cette crise, me semble-t-il, redistribuera les rôles et modifiera notre façon d’enseigner. Plus mobile et plus personnalisé, renouant avec les aspirations de Freinet tout en conjugant le potentiel des nouvelles technologies.
Quant au manuel numérique, fort de tous ses avantages en terme de poids, d’interactivité et de richesse en tout genre, il devrait prendre, à plus ou moins longue échéance place dans les cartables des élèves, dès lors que les camions informatiques (autrement dit les PC de bureau conventionnels) auront été abondonnés au profit des outils mobiles, smartphones, ordinateurs de poche et tablettes. Souhaitons que cela se fasse rapidement.

On ne fera cependant pas l’économie d’une véritable réflexion sur ce que doit être ce manuel. Devra-t-on encore parler de manuel ? N’aurions-nous pas tout à gagner à envisager la constitution collaborative d’un cahier de travaux dirigés ? Cahier produit du travail d’enseignants et de l’élève. A la fois recueil documentaire et témoignage des réflexions de l’apprenant. Lyonel Kaufmann, reprenant ce billet, a esquissé très récemment quelques pistes.

Une question doit se poser également. Quelle entreprise emportera la mise ? Faut-il d’ailleurs qu’une entreprise emporte cette mise ? Google, Microsoft, Apple ont en tout cas bien compris qu’il y avait là un marché (6) à prendre. Je ne vais pas ergoter sur un tel sujet qui excéderait de loin l’objet de cet article, mais, enfin, il faudra bien prendre en compte ceci : l’élégance, la facilité d’usage, l’ouverture et la fiabilité sont les qualités indispensables requises pour convaincre et les pouvoirs publics et les élèves (sans oublier leurs parents) et leurs enseignants. Je ne sais vraiment pas qui, de Google, Microsoft ou Apple, possède la totalité de ces qualités, mais j’ai tout de même une préférence.

Notes :

1 Internet n’a pas tué la télévision qui n’a pas tué la radio qui n’a pas tué la presse…

2 Sans tomber dans l’asservissement ou l’aveuglement publicitaire, force est de reconnaître que l’iPad relègue dans les limbes toutes les autres machines à commencer part les ultraportables faits de plastiques et dont la fiabilité laisse à désirer. Que je sache, l’iPad n’a pas de panne, est solide et son autonomie n’oblige pas les collectivités à modifier les salles de cours pour que tous les élèves puissent se brancher sur le secteur.

3 À moindres frais parce que, sans l’informatique, différencier la pédagogie peut se révéler complexe.

4 Etherpad ou Piratepad par exemple.

5 Et encore ! Je préfère prendre le temps de répondre à un élève par mail plutôt que de découvrir, le lendemain, que tel exercice n’a pas été fait, qu’il n’a pas été compris.

6 On peut regretter que l’école soit un marché, mais c’est le cas. C’est d’ailleurs l’édition scolaire qui, voulant élargir ce marché, l’a compris fort tôt en créant le cahier de vacances. En effet, en 1933, paraissait Loulou et Babette.

Quelques saines lectures :