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Si les lycéens n’ont pas la maturité pour être éduqués au numérique, les collégiens l’ont

Exercice de sixièmeLa page d’exercices en sixième est devenue, cette année, l’une des pages les plus consultées. Elle compte désormais près de 150 exercices en tout genre, dont l’essentiel est constitué d’exercices de grammaire, d’orthographe et de conjugaison. Ceux-ci visent à permettre aux élèves de maîtriser le programme de l’année, mais aussi de combler les lacunes qui seraient les leurs. C’est pourquoi je m’efforce de créer des exercices dès que je constate une difficulté (Quand faut-il mettre un ou deux «s» ? Quand faut-il mettre une cédille ?, etc.). L’avantage de ces exercices principalement créés avec Hot Potatoes est de permettre de différencier la pédagogie en donnant des exercices ciblant telle ou telle difficulté. De cette façon, un élève qui n’aurait pas une de ces difficultés peut continuer à travailler sur le programme sans avoir à souffrir les révisions superfétatoires.

Mais compte tenu d’un certain nombre d’obstacles liés pour la plupart aux travaux de rénovation du collège, je n’ai pas pu pendant longtemps utiliser mon propre site avec mes élèves. À présent que les choses sont à peu près rentrées dans l’ordre, je peux enfin utiliser Ralentir travaux avec ceux pour lesquels il a été, à l’origine, créé. Or je me suis aperçu de quelques petites choses qu’il est absolument nécessaire de savoir si vous désirez, en tant qu’enseignant ou en tant que parent, utiliser cette page d’exercices.

L’élève face à l’ordinateur

La toute première chose que j’ai observée est qu’on ne peut pas laisser un élève seul face à son exercice, particulièrement s’il s’agit d’un exercice «binaire» qui appelle une réponse ou une autre. C’est typiquement le cas des exercices consacrés aux homophones, «on» ou «ont» par exemple. Un élève, peu soucieux de comprendre ce qu’il fait, complétera par «on» ou «ont» plus ou moins au hasard, appuiera sur Vérifier (l’exercice met alors en gras les bonnes réponses, laisse les fausses). À la suite de quoi, l’élève corrigera par son contraire ce qui est faux, aura donc cette fois-ci tout bon, et passera à l’exercice suivant sans avoir rien compris pour autant. Dans ces conditions, l’exercice ne sert à rien.

Exercice sur les homophones

Pour être certain que l’exercice a servi à quelque chose, il faut demander à l’élève de restituer la règle lorsqu’il a fini. S’il n’y parvient pas, on peut le renvoyer à la lecture de la leçon et refaire l’exercice avec lui (ou faire d’autres exercices). Dans tous les cas, il faut exiger de l’élève qu’il fasse son exercice dans un onglet. Il pourra passer à autre chose si vous n’avez pas la possibilité de faire le point avec lui immédiatement, et quand vous serez disponible, vous pourrez vérifier le taux de réussite à l’exercice et interroger l’élève afin de vérifier ce qu’il a compris.
L’utilisation des onglets dans Firefox ou Chrome est fort pratique en ceci qu’elle évite de cliquer sur les flèches pour revenir en arrière ou pour aller en avant. Utiliser ces flèches est toujours une perte de temps, surtout si le réseau est lent. Il faut attendre que la page se recharge, on retourne en arrière, va en avant, etc. Je conseille donc à mes élèves d’ouvrir la page des exercices dans un onglet, de lancer un exercice dans un autre et enfin d’en ouvrir un troisième pour y faire des recherches dans Google ou un dictionnaire comme le Larousse ou Reverso.

Un onglet

Puisque les élèves travaillent avec un ordinateur, la tentation est grande de leur rappeler que le clavier ne sert pas qu’à taper du texte, mais qu’on peut effectuer toutes sortes d’actions qui augmenteront l’efficacité du travail. On peut évoquer l’inévitable ctrl + a pour sélectionner du texte, les fameux ctrl + c et ctrl + v pour copier et coller. Si très peu d’élèves utilisent ces raccourcis, aucun ne pense jamais à taper ctrl + f pour effectuer une recherche sur une page qui contient des centaines de lignes lorsque l’on cherche un mot précis (l’essayer, c’est l’adopter). Fort heureusement, certains ont constaté qu’en utilisant la touche Backspace, on passait d’une zone de saisie à l’autre sans avoir pour autant à lâcher le clavier pour la souris. Ça soulage énormément notamment lorsque l’on fait des exercices à trous.

Quoi qu’il en soit, dans le cas où un élève était confronté à une difficulté, je lui demande toujours de noter la leçon ou, si celle-ci est trop longue, de l’imprimer. À la fin (c’est-à-dire au bout de quelques séances), on procède à une évaluation, notée ou non. En ce cas, l’exercice aura permis de prendre conscience d’une lacune, d’y remédier facilement, et même d’obtenir de meilleurs résultats lors de l’évaluation, une évaluation qui cible les difficultés de l’élève, lequel (on l’a vu) n’a pas les mêmes que celle de son voisin.

La tentation d’évacuer la difficulté

J’ai remarqué un autre problème : une tendance à zapper, à passer d’un exercice à un autre, sans trop se préoccuper de cohérence, allant, par exemple, d’un exercice de conjugaison sur le présent de l’indicatif à des mots croisés sur les dieux romains. En début de séance, je précise donc l’objectif à atteindre. Ainsi on travaillera sur les homophones grammaticaux ou sur le présent, et sur rien d’autre tant que l’ensemble des exercices donnés n’auront pas été faits et compris (le taux de réussite doit donc être, selon l’exercice, supérieur à 85%).

Au début, je laissais les élèves butiner au gré de leur fantaisie (que je croyais être l’expression de leurs besoins) dans la série d’exercices. J’ai vu alors des élèves travailler avec plus ou moins d’efficacité, mais j’ai observé chez eux un goût prononcé pour certains types d’exercices. Quels que soient les objectifs fixés par ces exercices (vocabulaire, connaissances, orthographe, littérature…), ils sont toujours choisis par les élèves en fonction de leur aspect non scolaire ou, disons, moins scolaire. Ainsi, les pendus, les quiz (surtout en images comme celui sur les Métamorphoses, sur les contes ou la guerre de Troie), les mots croisés ou les charades ont la préférence des élèves. Ces dernières ont d’ailleurs connu un certain succès. Elles ont évidemment un côté ludique, elles permettent de travailler le vocabulaire et surtout l’orthographe sans qu’il n’y paraisse ou plus précisément les élèves ont besoin de l’orthographe pour réussir l’exercice. De ce point de vue, ils ont véritablement besoin d’un dictionnaire (ouvert dans un onglet, consultable à l’envi, sans qu’il soit nécessaire de revenir sans cesse à la page précédente). Je me suis rendu compte que les élèves avaient très envie d’en rédiger à leur tour, et que la création de ce type d’exercices avec Hot Potatoes était encore plus formatrice, obligeant les élèves à beaucoup de rigueur dans la rédaction des charades, des définitions, dans l’utilisation de l’orthographe, de la ponctuation, etc. Dans le cas contraire, les charades sont infaisables.

Il y aurait beaucoup d’autres exercices à concevoir que le temps ou des connaissances insuffisantes en JavaScript ne me permettent pas de réaliser. J’aimerais faire davantage de dictées, mais cela prend beaucoup de temps d’enregistrer les textes. Par ailleurs, le réseau étant chez nous excessivement lent, l’exercice devient rapidement infaisable.

En guise de conclusion

De tout cela, je retiens que l’usage de l’informatique au collège n’est pas qu’un petit supplément d’âme dans un enseignement somme toute relativement conventionnel. Je me souviens avoir lu sur Twitter que les exerciseurs étaient le degré zéro de l’informatique. Sur le moment, j’accréditais cette formule d’une certaine pertinence. Avec le temps, je pense que les exercices réalisés de cette façon sont un moyen de différencier la pédagogie. En effet, un élève procède à son rythme et, s’il le désire ou le peut, on peut lui proposer de réaliser le programme de l’année, d’aller plus loin, de revenir en arrière sans que cela ne gêne qui que ce soit qui voudrait aller plus vite ou plus lentement. Les parents peuvent même reprendre les exercices avec l’enfant s’ils ont internet à la maison (ce qui est devenu généralement le cas). Et l’on ne risque pas d’oublier le manuel ! Au reste, en dépit de ce que prétend le pourrisseur du web, je suis persuadé que les élèves ont la maturité nécessaire pour être éduqués au numérique… pour peu que l’enseignant le désire et soit très présent.

Dernier point. Pour ceux qui n’ont pas de difficultés particulières (et pour lesquels les révisions susmentionnées sont donc inutiles), on peut très bien les faire travailler sur des tâches plus complexes (des exposés, des rédactions…). Quelques élèves ont même accepté de jouer les tuteurs, et d’expliquer à qui le voulait les règles sur lesquels d’aucuns achoppaient. C’est alors l’occasion pour eux de formuler les choses avec clarté, concision et rapidité, car ils sont très sollicités.

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Pour en finir avec le pourrisseur du web

Un canular pertinent ?

Pourquoi la talentueuse galéjade d’un dénommé Loys n’en finit-elle pas de faire couler de l’encre ? Cette farce n’est-elle donc pas réussie ? Bien sûr qu’elle l’est, et c’est précisément pour cette raison qu’elle est couronnée de succès. De surcroît, elle pose un vrai problème que l’Éducation nationale devra prendre un jour à bras-le-corps. Je veux parler de l’utilisation d’internet dans la rédaction de réponses à un devoir et même lors d’un examen. Mieux encore, on comprend que c’est un problème de société lorsque l’on constate que les lycéens paresseux n’ont pas l’apanage du vice dénoncé. L’auteur du blog À la toison d’or ne dit pas autre chose :

“Des élèves de lycée recopient leurs devoirs ? Et pourquoi ne le feraient-ils pas ? On a vu en moins d’un an un journaliste culturel à succès, une ancienne ministre, un présentateur vedette de journal télévisé et celui qui est présenté comme le plus grand écrivain actuel se rendre coupable de plagiat ! Soit ils ont avoué, soit ils ont présenté des excuses tellement lamentables que personne n’a été dupe.”

Le plagiat, la copie éhontée sont donc des problèmes réels qu’on ne peut ignorer. De ce point de vue, il est intéressant de reconnaître que l’article de Loys met en évidence la plaie que représente ce que j’ai déjà appelé les marchands du temple, ces commerçants du soutien scolaire qui vendent des commentaires et des dissertations à la qualité douteuse. Eux aussi pourrissent le web.

Mais alors, si cet article est bien écrit, est même brillant et pose de vrais problèmes, que ne sommes-nous satisfaits ? Eh bien si l’on passe les petites manifestations d’ego auctoriales (“j’ai voulu démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu’eux, voire mieux qu’eux”, “cette expérience […] me vaut aujourd’hui une belle réputation dans mon lycée.”), le méchant et pernicieux piège tendu aux élèves, force est de constater que le texte n’apporte aucune réponse au problème posé ou, plus précisément, il l’évacue de la pire des manières.

Foin du numérique

Retournons au bon vieux temps où l’ordinateur n’existait pas. Tel pourrait être le credo de Loys. Exigeons des élèves qu’ils se passent de leurs jouets technologiques. Cette injonction rappelle fortement le désir finkielkrautien de débrancher les établissements scolaires. Outre que, avant de les débrancher, j’aimerais qu’on les branche, on peut s’interroger quant à la légitimité d’une telle demande. Si elle n’étonne plus de la part du philosophe (s’exprimant sur France culture le samedi matin), elle laisse pour le moins perplexe quand il s’agit de notre jeune auteur qui voit dans le numérique le mal qui ronge notre école. Tout se passe comme si de jeunes gens nés à une époque où Steve Jobs n’était déjà plus un hippie puant et défoncé, mais un entrepreneur qui allait changer notre rapport à la machine, tout se passe comme si ces jeunes gens, disais-je, n’avaient jamais rien compris à l’informatique. Ils ont la même réaction que leurs aînés qui ont assisté à la naissance de Pong, ils ne comprennent pas l’intérêt de l’ordinateur personnel. Pire encore, ils le conçoivent comme un péril. Ils poussent des cris d’orfraie et tels des prophètes de malheur nous annoncent que l’école va à sa perte et que son fossoyeur est la machine.

Des enseignants passéistes

C’est précisément cela que je trouve détestable. Cette vaine propension à regretter ce qui est, au lieu de le prendre en compte et d’agir en conséquence. Vous pouvez regretter tant que vous voulez l’omniprésence des machines, elles sont bien là et toutes les incantations visant à restaurer un état antérieur sont frappées d’inanité. Pour pasticher Jean-Marie Tjibaou, je dirais volontiers que notre avenir est devant nous. Le retour en arrière est un mythe. Nous n’aurons pas d’école sans ordinateurs. Faites-vous à cette idée.

Et j’aurais tant voulu que notre contempteur des usages numériques nous dise, tel Umberto Eco, qu’il faut apprendre à “exercer son sens critique face à internet”, “ne pas tout accepter pour argent comptant” (N’espérez pas vous débarrasser du livre). Ne me répondez pas que c’est ce qu’il a fait. Il a éventuellement apporté à des lycéens la preuve qu’il fallait être prudent, il n’a rien enseigné. Or l’exercice, selon Eco, pourrait être : “à propos du sujet proposé, trouvez dix sources de renseignements différentes et comparez-les” (op. cit.). Si Loys avait eu cette idée, celle d’éduquer à l’usage d’internet, son article aurait eu l’assentiment général. Au lieu de ça, ses mesquineries piégées exaspèrent, ses regrets nauséabonds fleurent bon la nostalgie de l’école du passé. Le mot “nauséabond” peut paraître excessif, mais il faut comprendre une chose. Le succès de Loys est le succès de tous les réacs en général et en particulier de professeurs qui, dans un forum bien connu, se débondent en épandant leur regret d’une école qui ne leur convient pas. Parmi eux, un chasseur de mouches (c’est ce qu’indique son pseudo) est le grand réac en chef. Je le soupçonne, tel un personnage huysmansien, de s’être fait tatouer sur la plante des pieds le nom de Meirieu pour le fouler toute la journée. Il hait le collège unique, conspue l’usage de l’informatique en classe, conchie les réformes visant à faire de l’école autre chose qu’une fabrique de crétins (mais après tout, c’est son fonds de commerce). Il abhorre jusqu’à l’Éducation nationale qu’il voudrait voir instruire et non éduquer.

Instruire ?

Vous pouvez m’attribuer d’ores et déjà le point Godwin, je me l’attribue si vous le voulez : la seule fois, en près de 200 ans, qu’on est revenu au ministère de l’Instruction publique, c’était sous le gouvernement de Vichy. Comment, aujourd’hui, peut-on encore prétendre que les enseignants ne sont là que pour instruire et non éduquer (si le sujet vous intéresse, j’y consacrerai un autre article) ? Quoi qu’il en soit, le grand réac a ses thuriféraires parmi lesquels vous trouverez notre pourrisseur du web et sa vulgate : le web est truffé d’erreurs, point de vérité hors du livre dans lequel ils semblent avoir toute confiance. C’est à croire qu’ils n’ont jamais lu la Bible, aucune histoire de la Révolution française ou de la franc-maçonnerie.

Tapage médiatique

L’accueil réservé à de tels personnages fait donc frémir. Ils ont accaparé toute l’attention du public sur Twitter, sur Facebook, sur Europe 1, sur France 2 et que sais-je encore ? Que fallait-il faire pour cela ? Rien ou presque. Il suffisait de dire que les lycéens sont des crétins feignants et que le web est un vivier à sottises. Et tout le monde d’applaudir ! Les bras m’en sont tombés. Tous les gens qui, depuis des années, contribuent à faire du réseau des réseaux un lieu hautement éducatif sont boudés, ignorés, peut-être même maintenant méprisés, et un enseignant venu pourrir le web, falsifier une encyclopédie est accueilli en héros ! C’est pour cela que j’ai écrit cet article Comment j’ai nourri le web. Si c’était à refaire, je l’intitulerais Comment ils nourrissent le web afin d’y inclure tous ceux qui travaillent dur pour publier le fruit de leur travail sur internet. Heureusement, certains d’entre eux ont eu l’idée d’un Wiki rassemblant toutes les contributions. C’est la fin de l’histoire du pourrisseur du web. Que celui-ci retourne dans son cénacle où l’on célèbre l’école d’antan et le charme discret de la bourgeoisie. Je vote pour la damnatio memoriae.

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Comment j’ai nourri le web

Une expérience réussie

J’ai beaucoup ri en lisant l’article Comment j’ai pourri le web. J’ai ri d’un rire primesautier, sans trop porter d’attention à l’objet de ma lecture, une parmi tant d’autres lors d’un mercredi après-midi. J’ai d’ailleurs trouvé l’idée de cette expérience excellente. L’idée de montrer aux élèves qu’ils ne devaient pas se fier aveuglément à ce qu’ils trouvent sur internet, l’idée de leur montrer la vénalité et l’inanité des sites qui vendent des commentaires ou des dissertations, l’idée enfin que la paresse est un bien vilain défaut, tout cela me plaisait. Mais je ne m’attendais pas à une telle conclusion. L’auteur y affirmait qu’internet creuse «la tombe de l’école républicaine», que paradoxalement on ne profite du numérique que quand on a formé son esprit sans lui».

L’école se meurt, c’est la faute à internet

À ce moment de ma lecture, ces réflexions me chiffonnent. Je les ai déjà lues quelque part. D’ailleurs, en parcourant la liste de liens en regard de ce texte, je ne m’y trompe plus, je suis bien en présence d’un lecteur de Néoprofs, de Bonnet d’âne, probablement membre de Sauver les lettres, etc. Ce n’est pas bien grave. Ce sont mes réacs préférés, mais je sais à quoi m’en tenir. Je suis donc en présence d’un article pour lequel l’auteur va consacrer toute son intelligence à vouloir démontrer une chose : l’école meurt, et le numérique est son virus. Je me garderai bien de récolter un point Godwin si tôt, mais enfin le parallèle avec la décadence (le corps qui dépérit), le mal localisé, incarné… On a là tous les poncifs de la pensée réactionnaire. Il ne manque plus que le nivellement par le bas, le bon sens, et on y est.

Évidemment, je ne vais pas entamer un paragraphe pour expliquer l’innocuité du numérique à l’école. Dans la majorité des écoles, collèges et lycées de France et de Navarre, le numérique se réduit à une misérable salle informatique pour des centaines d’élèves. Ce n’est pas ça qui est mortifère. À lire le contempteur des usages informatiques, les élèves paresseux et pas très futés seraient les fautifs. Mais il faut dire que ces pauvres enfants, à qui l’on confie des bijoux technologiques dès leur plus tendre âge, ont des enseignants qui préfèrent se gausser de leur nullité plutôt que leur apprendre à s’en servir.
Et que dire de ce prétendu paradoxe dont la formulation ne se pare des plumes de la rhétorique que pour masquer son indigence ? Des phrases comme celle-là, je vous en ponds à la dizaine : «On ne profite du sport que quand on a formé son corps sans lui» ou encore «On ne profite de l’informatique que quand on n’a jamais utilisé un ordinateur ». Ah ! mince ! Celle-là a déjà été faite…

Une manipulation un rien perverse

Et puis, tout de même, quelque talentueuse que soit la démonstration, elle n’est pas dépourvue d’une certaine perversité. Semer des erreurs sur un texte et un auteur dont les élèves ignorent tout ; attendre d’eux, dénués qu’ils sont, qu’ils se fourvoient dans le piège tendu pour ensuite jeter le blâme sur des procédés auxquels on s’attendait qu’ils s’adonnent et qu’on a même favorisés, si cela n’est pas de la manipulation, de la perversité… Les voix de la pédagogie étant inextricables, la chose était concevable si elle amenait à prendre en compte l’usage des sources sur internet, à poursuivre la démonstration par un travail sur le bon usage des sources sur internet ou ailleurs. Parce qu’il n’y a qu’un naïf pour prétendre que le plagiat éhonté est l’apanage de notre époque. Pour autant que je sache, les élèves ont toujours puisé où ils le pouvaient des réflexions toutes prêtes, leur épargnant ainsi le moindre effort de pensée. Ce n’est franchement pas une nouveauté. Je ne développe pas ce point ; on ne va pas ergoter pour savoir si aujourd’hui c’est plus facile ou si, avant, prendre le stylo pour recopier était d’un quelconque profit. Tout au plus fera-t-on remarquer que si l’on ne veut pas, lors d’un devoir, qu’un élève en classe prenne son iPhone pour butiner des réponses toutes faites, on peut aussi se donner la peine de le surveiller.

Pour conclure

Achevons. L’idée est de battre en brèche l’usage d’internet, de le pourrir annonce le titre. La conclusion est évidemment sans appel : «Leur servitude [celle des élèves] à l’égard d’internet va même à l’encontre de l’autonomie de pensée et de la culture personnelle que l’école est supposée leur donner.» Ainsi l’école serait l’opposée d’internet, l’école émancipe tandis qu’internet asservit. Je n’ai vu aucune démonstration permettant d’aboutir à ce constat. J’ai vu en revanche des lycéens paresseux, mais est-ce que cette paresse s’origine dans l’usage d’internet ? Très sincèrement ? La question ne m’intéresse même pas. Ce qui m’intéresse, c’est ce que ce prof clame haut et fort : «Je pourris internet». Et plus je lisais cet article, plus je me disais que je faisais exactement le contraire. Depuis cinq ans, je m’efforce de nourrir internet, d’y apporter tout ce qui permettrait à mes élèves d’apprendre, de comprendre, de se documenter, d’obtenir de l’aide, de s’entraîner, de réfléchir, etc. Ma démarche est exactement l’inverse de celle prônée par l’auteur de cet article. Je veux que mes élèves n’aient pas à s’inscrire ni à payer pour obtenir une information qui plus est erronée. Je veux que mes élèves sachent où chercher, raison pourquoi je mets tous les liens des sites qui me semblent fiables. Je veux que mes élèves puissent me contacter dès qu’ils achoppent sur une notion, qu’ils puissent retrouver tous mes cours, faire des exercices, etc. Tout cela s’appelle Ralentir travaux, et certainement pas Pourriture du web.

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Liste de lecture pour un collégien

Le rat de bibliothèque

On m’a demandé récemment quels romans pourrait lire un garçon – bon lecteur – actuellement en classe de quatrième. J’ai aussitôt suggéré quelques titres, puis j’ai promis de rédiger une liste bien évidemment non exhaustive contenant divers romans, mais aussi des contes ou des nouvelles.
Cette liste est constituée de titres qui me sont plus ou moins rapidement venus à l’esprit, parce qu’ils m’ont marqué et qu’il m’a semblé qu’ils pourraient plaire à un jeune lecteur. Comme cette liste s’adresse à un collégien de niveau quatrième, elle prend appui naturellement sur le programme (et s’en affranchit parfois). Elle est classée par genre (si tant est que cela soit toujours possible).

Science fiction

Je suis une légende de Richard Matheson
Journal d’un monstre de Richard Matheson
La Nuit des temps de Barjavel
Le Voyageur imprudent de Barjavel
La Machine à explorer le temps d’H. G. Wells
La Planète des singes de Pierre Boulle
Le Passeur de Lois Lowry

Romans policiers

Le Chien des Baskerville d’Arthur Conan Doyles
Les Aventures de Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyles
L’Île aux trente cercueils de Maurice Leblanc
L’Aiguille creuse de Maurice Leblanc
Dix petits nègres d’Agatha Christie
Le Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie
Pars vite et reviens tard de Fred Vargas

Récits fantastiques / surnaturels / noirs

La Vénus d’Ille suivi de Colomba et de Mateo Falcone de Prosper Mérimée
Le Horla de Guy de Maupassant
Nouvelles histoires extraordinaires d’E. A. Poe
Contes fantastiques de Théophile Gautier
Le Moine d’Antonin Artaud
Le Sorcier d’Honoré de Balzac
La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac
Les Mystères du château d’Udolphe d’Ann Radcliffe
Le Diable amoureux de Jacques Cazotte
La disparition d’Honoré Subrac de Guillaume Apollinaire
Les Armes secrètes de Julio Cortázar
Le K de Dino Buzzati

Romans d’aventures / historiques

Le Monde perdu d’Arthur Conan Doyles
Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier
Les Mystères de Paris d’Eugène Sue
Les Misérables de Victor Hugo
Oliver Twist de Charles Dickens
Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas
Vingt après d’Alexandre Dumas
Pauline d’Alexandre Dumas
L’Île mystérieuse de Jules Verne
Voyage au centre de la terre de Jules Verne

Récits ou contes du XIXe

L’auberge rouge d’Honoré de Balzac
Trois contes de Gustave Flaubert
Contes du jour et de la nuit de Guy de Maupassant
La Maison Tellier de Guy de Maupassant

Qu’en pensez-vous ? Voyez-vous de regrettables oublis ?
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Un iPad au collège

L'iPad sur le bureau

Ma femme ayant récemment eu le bon goût de m’offrir un iPad, j’ai immédiatement délaissé mon MacBook Pro (et ma femme) au profit de la tablette d’Apple. Je pensais, au début, simplement faire l’essai du passage de l’un à l’autre, voir s’il était seulement envisageable de troquer l’un pour l’autre, mais je me vois aujourd’hui difficilement faire marche arrière. Les quelques lignes qui suivent tentent d’apporter une réponse, même si tout a probablement déjà été dit sur la chose. Mais enfin, voici mon expérience propre.

Un poids en moins

Moi qui trimballe ma machine chaque jour que Steve Jobs fait (ou faisait), la première chose que j’ai observée – ou plus précisément ressentie – est la légèreté nouvelle de mon sac. Le Mac avec son chargeur atteint facilement ses quatre kilos alors que l’iPad pèse moins de 700 grammes ! Mon sac me paraît même vide, et ne l’a pas en horreur (le vide). J’ai aussi gagné de la place sur mon bureau. S’il y a bien une chose que je déplore depuis que j’enseigne à l’aide d’un ordinateur et d’un vidéoprojecteur, c’est le truchement de la machine, cette frontière même ténue qui s’interpose entre mes élèves et moi. Et franchement, quoi de plus triste que ces professeurs qui restent assis derrière leur bureau, les mains sur le clavier ? Désormais, je branche donc l’iPad sur le vidéoprojecteur (il faut pour cela un adaptateur VGA). L’iPad est d’ailleurs si petit qu’il se ferait presque oublier s’il ne suscitait chez les élèves un émerveillement auquel je ne m’attendais pas. S’ils sont parfaitement blasés quand un enseignant sort son ordinateur, fût-ce un Mac tout rutilant, ils sombrent dans une béatitude dont on les sort difficilement les premiers jours quand on exhibe (malgré soi) un iPad. Les jours passants, l’outil se fait plus ou moins oublier et l’on peut travailler. Mais je ne peux m’empêcher de me demander ce que serait un cours si d’aventure l’administration consentait à équiper ma salle d’un vidéoprojecteur wi-fi (je ne sais même pas si la chose existe) ? Que ne pourrait-on faire alors ? Déambuler dans la salle, quitter ce bureau monotone, et, la tablette à la main, afficher tel ou tel point de grammaire en fonction des difficultés aperçues dans les rangs (par exemple)… Il va de soi que, dans ces conditions (et même sans wi-fi), on ne tourne plus le dos aux élèves lorsque l’on écrit au tableau. Pas mal, non ?

En plus du poids, il est un autre avantage lié aux tablettes numériques : la batterie qui, pour ce que j’en fais, tient largement toute la journée. Je n’ai donc pas besoin de prise de courant, et il y a ainsi, dans ma classe, un fil de moins dans lequel les élèves venant au tableau peuvent se prendre les pieds. Ce n’est pas rien.

Comme dans un livre

iCal

S’il est une chose qui, lorsque j’allume l’iPad me séduit tout particulièrement, c’est l’interface dans ce qu’elle a de plus proche avec l’objet qu’elle imite. Ainsi, le calendrier (iCal) ou les livres (dans iBooks) ont l’avantage du numérique (je peux les projeter, les annoter, zoomer…), ils ont aussi l’avantage du papier dont on tourne les pages. Ils se présentent dans toute leur familiarité d’objets connus. C’est alors un plaisir esthétique et pratique qu’on ne cesse que difficilement d’apprécier benoîtement à chaque utilisation. Ainsi quand je donne les devoirs à faire, les élèves ont le calendrier sous les yeux. C’est, il me semble, plus facile d’envisager la semaine dans sa globalité avec les temps forts de la semaine ou au contraire ses moments libres, et de juger de la pertinence de donner tel ou tel travail à tel ou tel moment. Les alarmes me rappellent chaque jour que j’ai donné tel travail à tel élève qui en avait besoin. Elles me rappellent également la punition que j’aurais oublié de réclamer autrement.

L'ïle mystérieuse dans iBooks

Non, mieux qu’un livre

J’apprécie également l’utilisation d’applications tels les dictionnaires : Le Petit Robert, le TLFi, Antidote Ardoise ou Le Larousse illustré. Ces dictionnaires sont un véritable plaisir à utiliser, et je regrette simplement que les élèves n’aient pas une tablette à eux afin de pouvoir consulter ces ouvrages lorsqu’ils travaillent en classe notamment lors des rédactions. À ce sujet, je préciserai – dans le débat sans cesse ravivé Papier vs Numérique – que jamais je ne retournerai au support papier (du moins en ce qui concerne les dictionnaires). Je ne comprendrai jamais que l’on puisse regretter le pavé que représente un dictionnaire, épais, lourd et donc intransportable. Et que dire de ses articles en noir et blanc à la typographie minuscule ? Quel contraste offre alors le Petit Robert sur iPad qui s’offre le luxe de l’espace, de la clarté, de la couleur, de la lisibilité en somme ! Ça y est ! J’entonne un hymne lyricotechnologique. Pardonnez-moi. De surcroît, avec ce système d’application, on fait même l’économie de l’insupportable CD de vérification à glisser tous les 45 jours (oui, je sais les Ayatollahs du libre vont hurler, et ils n’auront pas forcément tort) que le Petit Robert m’inflige sur le Mac.

Quelques inconvénients

Évidemment, il y a bien quelques petites choses qui me chagrinent. Ainsi, on peut regretter que les suites bureautiques ne soient pas vraiment pléthoriques. C’est le moins que l’on puisse dire… Il y a bien iWork, et je m’en accommode, mais j’apprécierais de pouvoir lire le format .odt par exemple. Cependant, la suite d’Apple est assez agréable à utiliser et transférer un document créé sur le Mac ou l’iPad se fait assez aisément en dépit de l’absence d’un véritable système de fichiers (ça, c’est une remarque pour ceux qui voudraient tant voir un port USB sur ce type de tablette). Je n’ai pas encore acheté Keynote (il faut dire qu’on passe son temps à acheter chez Apple), mais j’ai Pages pour le traitement de texte, et Numbers pour les feuilles de calcul.

Pages

Je suis moins habile avec le clavier de l’iPad qu’avec le clavier de mon ordinateur. Si les élèves les plus lents apprécient de me voir taper moins vite, je regrette pour le moment ma maladresse et le peu d’habileté que j’ai pour le moment sur ce type de clavier. Quant à Numbers, je déplore juste que les feuilles de calcul que j’ai importées soient amputées des annotations ou encore des fonctions (les moyennes).

N’ayant pas un iPad 3G mais uniquement Wi-Fi, je regrette l’absence de connexion internet au collège notamment pour accéder à mon propre site ou encore pour utiliser DropBox ou Box.net. L’iPad dépourvu de connexion à internet paraît quelque peu amputé, mais s’offrir le luxe d’un abonnement iPhone plus iPad…

Dernier point. Je suis parfois gêné par les reflets des lumières au plafond. J’ai donc légèrement déplacé mon bureau afin de ne pas être importuné par l’éclairage. C’est évidemment un détail, mais il se rappelle forcément à votre bon souvenir. Heureusement, la SmartCover permet d’incliner la tablette et de se jouer ainsi des reflets indésirables. À ce moment-là, il faut bien songer à vérifier qu’un élève n’a pas collé sa table à votre bureau et ne fasse choir la tablette ainsi en équilibre d’un grand coup de cartable.

En classe
L’iPad relié au vidéoprojecteur (au plafond)

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Éducation Humeur Informatique

SCONET

Dans notre établissement, pendant quelques années, nous avons utilisé Campus pour remplir et éditer les bulletins. Las de dépenser des milliers d’euros pour une prestation peu satisfaisante, il a été décidé que nous adopterions SCONET (Scolarité sur le Net).

SCONET, nous dit Wikipédia, est une application nous permettant «via un simple navigateur sur un réseau sécurisé» de rentrer nos notes et nos appréciations.

Pour y accéder, nous avons reçu une clé OTP (One Time Password). Cette clé affiche un code qui change toutes les minutes.

Clé OTP

Dès lors, on est confronté à un grand moment d’informatique. Qui peut, en effet, savoir que dans la zone de saisie dite «Passcode OTP», l’utilisateur est convié à entrer non seulement le code fourni par la clé OTP mais aussi le code PIN qui a été demandé auparavant ?

SCONET (capture 1)

Si j’en crois mon expérience en matière d’informatique, je n’ai jamais eu à rentrer deux codes en une seule case, mais peut-être me trompé-je… Quand on pense à quel point l’informatique peut avoir ce côté anxiogène, on se dit vraiment qu’on est con de ne pas y avoir pensé… Mais pouvait-on seulement y penser ?

Bref, on rentre son code PIN et le code OTP qui a eu le temps de changer plusieurs fois avant qu’on ait compris quoi que ce soit, et l’on parvient à cette page :

SCONET (capture 2)

À ce moment, on se dit qu’on a loupé quelque chose. C’était quand même bien la peine de nous faire rentrer un double code si c’est pour aboutir à une page dont le certificat n’est pas valide ! À ce sujet, en matière de sécurité, le navigateur Chrome est assez prolixe :

SCONET (capture 3)

Évidemment, on passe outre l’avertissement ; on veut rentrer ses notes, et bon an mal an on arrive sur cette page (avec un beau https) :

SCONET (capture 4)

Le hasard me fait cliquer sur Portail ARENB. Bingo ! Et on arrive là :

SCONET (capture 5)

Et là, avant de comprendre que si l’on veut rentrer ses notes il faut cliquer sur Rechercher, il se passe un certain temps. De clic en clic, on arrive sur une page dans lequel un petit bouton + est niché. C’est lui le Graal :

SCONET (capture 6)

Enfin ! On s’acquitte de sa tâche. On valide et tout et tout. On nous dit qu’on a bien fait tout ce qu’il fallait… et qu’on peut quitter notre navigateur :

SCONET (capture 7)

Pour ma part, même si le message m’évoque fortement les Guignols («Vous pouvez retrouver une vie normale»), je ne peux m’empêcher de protester et de penser que je vais peut-être rester et continuer à flâner sur le net.

Cette petite aventure au pays de l’Éducation nationale s’achèvera lors du conseil de classe par un beau plantage avec l’indicible écran bleu de la mort :

SCONET (capture 8)

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Les enseignants et la prime au mérite

Une logique de prime

Depuis quelque temps, nous sommes entrés dans la logique des primes : les préfets, les recteurs, les proviseurs et les chefs d’établissement bénéficient – ou bénéficieront – de primes récompensant la « qualité » de leur travail. Une prime qui varie selon la profession. À la louche, un préfet touchera jusqu’à 60 000 €, un recteur 20 000 €, un directeur d’établissement 6 000 € (on remarquera que c’est décroissant, et pas nécessairement annuel… ).

À présent, on se demande s’il ne faudrait pas revaloriser les salaires des enseignants de la même façon. À mon humble avis, la réponse est non, mille fois non. Pourquoi ? Je vais vous le dire (j’aime bien emprunter les formules présidentielles, parfois).

Pour commencer, quelques questions pouvant paraître bêtes, mais pourtant indispensables. Quel est le mérite de l’enseignant – ou même de tout individu – exerçant un métier ? Y a-t-il d’ailleurs du mérite à réaliser son travail ?

Qu’est-ce que le mérite ?

Commençons par définir le mérite. On jugera du mérite d’une personne en fonction du caractère particulier qu’elle aura de réaliser son travail, car personne ne s’intéresse au travail et à la façon dont il est réalisé quotidiennement. Hormis l’inspecteur, je n’ai encore jamais vu qui que ce soit venir me serrer la main et me dire : « Bravo, vous avez vraiment bien fait votre travail. Le moment où vous avez ouvert la porte et dit aux élèves de rentrer… vraiment… épatant ! ». En somme, personne ne vient vous remercier ou vous récompenser d’avoir fait votre travail. Vous avez, pour cela, un salaire, il est vrai excessivement et ridiculement bas, mais un salaire tout de même.

Revenons à la question du mérite. Il me semble que beaucoup d’enseignants font leur travail, je veux dire simplement. Certes, ils ne montent pas particulièrement de projets appréciés de la direction parce que valorisants pour l’image de l’établissement, ils ne se font pas particulièrement remarquer en préparant des sorties ou ne se distinguent pas par l’usage des TICE, mais ils font leur travail. Ce sont des vacataires, des certifiés, des agrégés ou des PEGC… Ils font encore des découpages, et des photocopies pourries, mais ils font très bien leur travail. Les élèves les apprécient, ils progressent, sont enjoués ou ternes, donnent de leur temps, ne vont pas uriner de la matinée pour apporter de l’aide à un élève pendant la récréation, mais vous savez quoi ? Cela n’intéresse personne, car la prime ne récompensera pas ce que vous avez toujours fait, mais votre capacité à faire ce que le gouvernement veut que vous fassiez. Exemple type : un préfet doit organiser des expulsions. Plus il expulse de clandestins, plus il est méritant. Même chose pour les recteurs : celui-ci doit supprimer des postes. Plus il trouve de postes à supprimer, plus il est méritant. Il obtient une prime, car il est efficace. Et c’est bien le mot qui a été évoqué à propos de la rémunération par les primes des directeurs d’établissements. Il faut être efficace.

L’enseignant efficace

Heureusement, il n’est venu à l’esprit de personne – mais une bêtise est si vite arrivée (on a en a un exemple avec Hadopi) – d’attendre qu’un enseignant soit efficace. Que l’on s’en convainque : un enseignant ne peut pas être efficace. Si un élève ne travaille pas, je peux le punir, lui mettre une mauvaise note, convoquer ses parents, mais je ne peux pas le forcer à travailler. Je ne peux pas aller contre sa volonté ou l’absence de volonté de ses parents. Je peux le torturer évidemment, mais cette méthode n’est pas reconnue par l’état. C’est dommage. On ne dirait plus des interrogations que l’on contrôle, mais que l’on soumet à la question… Là, je serai efficace. Sans torture, en revanche, on peut tricher, un peu comme on le fait avec le brevet des collèges : tout le monde a gagné, tout le monde a réussi. Les élèves ont tous 20/20. Donnez-moi une belle prime. Mais on l’aura compris, ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher le mérite de l’enseignant.

Et puis, j’aime à penser que ce que je dis, que ce je fais faire à un élève germe dans son esprit d’élève lentement, selon le degré de maturité, selon les vicissitudes et parfois des années après. En somme, l’éducation n’est pas ou ne devrait pas être soumise à la pression du temps, ni de la nécessité, malgré qu’on en ait, et encore moins de l’efficacité. On ne peut pas être efficace avec un élève, ce n’est pas un matériau. Quand je fais de la maçonnerie, je peux être efficace (jusqu’à un certain point, il est vrai). Je peux me fixer des objectifs et les réaliser en un temps donné. Mais, ce que je peux faire avec des briques et du ciment, je ne peux pas le faire avec un enfant. Il n’est pas ma créature soumise à mon bon vouloir, lequel serait pernicieusement celui de ma hiérarchie.

Ainsi le mérite ne serait pas subordonné aux résultats obtenus par les élèves.

Accomplir les volontés ministérielles

Au bout du compte, le mérite consiste à appliquer les volontés ministérielles. On veut voir l’enseignant accomplir à la lettre le Bulletin officiel, quitte à nier sa liberté pédagogique, sa capacité à adapter son savoir-faire, ses désirs, sa connaissance de la réalité que seul lui connaît et qui ne s’accommode pas toujours des désirs ministériels. Et qui sera chargé de vérifier que l’enseignant est efficace ? Pas l’inspecteur, qui vient quand il le peut. Non, ce sera le chef d’établissement ou le proviseur. Ce mystérieux individu que l’on voudrait voir œuvrer comme un manager d’entreprise au nom d’une autonomie galvaudée. L’enseignant sera dépendant d’un personnage dont le rôle reste à définir. Autant dire qu’on ne sait pas à quelle sauce on sera mangé. La seule chose que je sais, c’est que si ma carrière dépend du chef d’établissement, je suis légitimement en droit de m’inquiéter, car peu de ceux que j’ai rencontrés ont suscité en moi un réel sentiment d’admiration…

L’égalité ou la foire d’empoigne

Et puis imaginez un peu la chose : des enseignants payés au mérite, se faisant valoir à qui mieux mieux pour être bien vu de celui qui va vous évaluer ! C’est l’horreur assurée, un peu comme la déjà existante foire à l’empoigne qu’est l’obtention des HSE. Certains travaillent, et c’est tout. D’autres travaillent, et veulent absolument que cela se sache, et soit l’objet d’une rémunération supplémentaire. La rémunération par le mérite ne ferait alors qu’accroître cette rivalité financière entre enseignants. Une salle des profs, ce n’est déjà pas folichon, mais alors là… Encore qu’en matière d’inégalité, on pourrait évoquer la récente augmentation de certains et pas d’autres !

Je vous épargnerai la conclusion récapitulant les arguments susmentionnés. En revanche, vous aurez compris que la seule revalorisation des salaires est celle d’une augmentation pure et simple de tous les salaires.

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Le cahier de textes numérique

J’ai trouvé la lecture du Bulletin officiel du 9 septembre 2010 sur le cahier de textes particulièrement instructive, et je ne suis manifestement pas le seul !

Précisant les modalités de sa mise en œuvre, ce bulletin rappelle à notre bon souvenir ce qu’est un cahier de textes aujourd’hui, grâce à l’informatique (il faut dire que le dernier bulletin datait du 3 mai 1961).

Ce qui a le plus choqué, et à juste titre, c’est que l’enseignant soit enjoint à livrer dans le futur cahier de textes numérique « tout document, ressource ou conseil à l’initiative du professeur, sous forme de textes, de fichiers joints ou de liens » ! Il s’agit, en somme, d’envoyer sur internet des fichiers dont nous n’avons pas les droits. C’est à se demander comment il est possible qu’une telle proposition n’ait pas heurté le bon sens des têtes pensantes du ministère !

À lire ce bulletin, on comprend aussi que le cahier de textes sera être un véritable chef-d’œuvre : doivent évidemment y figurer le travail réalisé, mais aussi le travail à faire, le tout accompagné – on l’a vu – de plein de fichiers illégaux (cf. ci-dessus). On nous demande également d’accorder un soin tout particulier à la mise en page : « polices de caractères, soulignement, couleurs, etc. » (au cas où quelqu’un aurait souhaité faire un truc répugnant à l’œil).

En outre, « Les textes des devoirs et des contrôles figureront au cahier de textes, sous forme de textes ou de fichiers joints. Il en sera de même du texte des exercices ou des activités lorsque ceux-ci ne figureront pas sur les manuels scolaires ».

Les manuels scolaires… C’est bien ça… Ce cahier de textes sera un véritable manuel scolaire !

Personnellement, ça ne me dérange pas plus que ça. Évidemment, ça va râler dans les salles de profs ou les forums d’enseignants, et je le comprends. Malheureusement, la mauvaise foi de certains d’entre eux est malvenue. J’ai lu la réaction d’un enseignant qui disait : « et maintenant il faudrait que j’utilise mon abonnement internet et mon ordinateur pour remplir des cahiers de textes ». Ah ! Comme si on payait encore un forfait à la connexion ! Comme si notre ordinateur allait souffrir de la nouvelle (j’ai écrit « nouvelle » ?) nécessité de remplir son cahier de textes !

Mais ont-ils vraiment tort ces enseignants qui rechignent ? Pas tout à fait. Les enseignants sont énervants à râler dès qu’on leur demande quelque chose, mais je dois quand même reconnaître ceci : on demande toujours plus à l’enseignant, sans pour autant revaloriser un salaire sans rapport avec les vicissitudes de la vie. Au reste, la dernière fois qu’un inspecteur est venu me voir, il n’en avait rien à faire de mon cahier de textes numérique. Même pas regardé ! Pourtant il y avait tout : la mise en page, les liens, et tutti quanti !

J’ai plus ou moins abandonné finalement, essentiellement parce que le collège a depuis investi dans un logiciel à l’interface archaïque et peu ergonomique qui ne permet pas tout à fait ce que demande le Bulletin officiel. Et, compte tenu des travaux que connaît notre établissement, on ne peut pas encore l’utiliser (le serveur déménage).

À propos d’informatique, quelques mots pour finir. Je veux bien admettre la nécessité d’évoluer dans nos pratiques. Ce qui me gêne, cependant, est le peu de matériel figurant dans les collèges. Dans la salle des profs, il y a trois ordinateurs que l’ex-RDA aurait méprisés (je le redis, juste pour le plaisir, où diable le Conseil général est-il allé chercher des écrans à tube cathodique ?) pour une cinquantaine de profs. S’il n’y a pas d’ordinateurs, comment fait-on ? En somme, on met la charrue avant les bœufs, mais le ministère se dit peut-être que les bœufs sont déjà là…

Il se trouve que les bœufs ont pratiquement tous un ordinateur portable. En revanche, ils n’ont pas tous envie de l’utiliser ou même de l’amener. Encore une fois, ça se comprend : chez nous, il n’y a pas de serrure dans notre collège rénové, mais pas fini (quelqu’un a oublié de commander les barillets)… Alors, moi, mon ordinateur, je l’ai sur moi en permanence, même pour aller aux toilettes.

Pour finir ce billet (je ne voudrais pas que l’on pense que je suis rétif au cahier de textes numérique), je voudrais donner un modeste aperçu de ce à quoi devrait ressembler un cahier de textes (si j’ai bien tout compris) :

Mercredi 8 septembre 2010

Séance 1° (fin)

Leçon 1 : La chanson de geste

Lecture du poème de Victor Hugo

Distribution du texte et du questionnaire de la séance suivante pour ceux qui veulent se mettre en avance.

Pour le lundi 13 septembre, apprendre la leçon 1

Qui voudrait faire un tel travail pour le même salaire ? Si je le fais, c’est parce que j’en ai envie, mais on ne saurait contraindre qui quoi que ce soit à réaliser ce travail de cénobite. Qui a envie d’utiliser les mochissimes logiciels scandaleusement vendus pour faire cela ? Ne pourrait-on trouver un logiciel élégant, simple, ergonomique ? Libre ? J’avoue ne pas m’être penché sur la question.

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Le redoublement

Aujourd’hui, plus que jamais, le redoublement m’apparaît comme étant inique, arbitraire et inutile. La chose est devenue, selon moi, détestable. Il n’est pas jusqu’au mot qui ne me soit devenu odieux : ce suffixe inutile qui indique la répétition (re-) et qui fait redondance avec la suite du mot (-doublement) ! C’est comme si celui qui le prononçait, avec une délectation lexicale, énonçait deux fois la même notion, celle d’une sentence punitive qui n’a rien, mais alors rien de pédagogique.

Cela fait maintenant de nombreuses années que le redoublement est considéré comme inutile. Quel enseignant ne l’a pas constaté : tel élève que l’on a fait redoubler a refait une année catastrophique. Le redoublement s’est révélé inutile, et chacun de le constater empiriquement. Tant et si bien qu’il n’y a plus besoin d’argumenter, de citer les études qui le disent depuis si longtemps : le redoublement est inutile ; il serait même coûteux (1). En conseil de classe, tout le monde le sait, tout le monde le dit. Et puis, n’y a-t-il pas des pays (2) où il n’existe plus de redoublement, et cela semble fonctionner, puisque l’on nous dit (je ne sais plus où) qu’un élève, à niveau égal, progresse plus vite en passant dans la classe supérieure qu’un élève redoublant. Par ailleurs, le redoublement aurait un effet dévastateur, traumatisant (3). Évidemment, ce n’est pas ce dernier argument qui l’emporte.

En dehors de toute législation sur le sujet, on continue à faire redoubler, dans les limites étroites du non-dit administratif (rectorat, inspection académique), c’est-à-dire que même si une bande de réactionnaires nostalgiques décide que Kévin (si si, on trouve parfois et même souvent un accent) va redoubler, il va redoubler, sauf si le chef d’établissement décide dans le secret de son bureau, et en accord avec les injonctions administratives, qu’il ne doit pas encombrer la classe de niveau inférieur.

On redouble donc peu dorénavant. En revanche, on redouble toujours. Qui est la cible de tant d’attention ? La bande de gros nuls qui, en six ou sept ans, ne parvient toujours pas à aligner deux mots sans faire quatre fautes d’orthographe ? Que nenni ! Celui qui va redoubler, c’est le pauvre gosse à qui l’on fait croire que c’est une chance, qu’il va pouvoir s’améliorer. Il a parfois une moyenne supérieure à la bande tout entière réunie ! Ce discours sur le redoublement s’accompagne d’une affirmation tacite : les autres gros nuls, ils sont trop nuls pour bénéficier d’une telle « chance », ils rejoindront la sortie plus vite ! Personne ne semble s’apercevoir que le « chanceux » va devoir, à la rentrée, se débrouiller… tout seul. C’est un peu comme si on vous faisait traverser un labyrinthe dans lequel vous vous perdez naturellement. Au bout d’une année, les murs tombent, vous croyez trouver la sortie. On vous dit : « On recommence » ! Et naturellement, vous ne parvenez pas plus à trouver la sortie que la première fois.

Pire encore : comme Kévin ne comprend pas, malgré force explications, pourquoi sa bande de copains est tout de même passée (après tout ne sont-ils pas aussi nuls voire plus nuls que lui ? Il y a même un qui a traité tel professeur de « gros bâtard »), il se dit que c’est louche, qu’on ne lui donne pas une seconde chance, mais qu’on le punit et qu’on n’en punit pas certains. Et quand bien même la sentence aurait été prononcée avec toutes les meilleures intentions du monde, le message est tellement brouillé qu’il est incompréhensible pour l’élève.

Le redoublement est donc inutile, inique, arbitraire. C’est, on l’a vu, de surcroît coûteux, peut-être même sadique, certainement et inconsciemment punitif. Un gâchis. À abandonner d’urgence.

Notes :

1 — Ce coût fait dire à quelques mauvais esprits que, si on ne fait plus redoubler, c’est parce que cela coûte trop cher.
2 — La Finlande, je crois.
3 — J’emploie le mot traumatisant, parce que je sais que certains enseignants vont s’écrier : « Oh le pauvre chéri ! On le traumatise ! », refusant de considérer une seconde qu’un gosse à qui l’on fait refaire son CP engage bien mal une plus ou moins longue scolarité.

Ajout du 22.02.11 :

En y repensant, je me fais deux réflexions.

Tout d’abord, je ne comprends toujours pas pourquoi les élèves que l’on fait redoubler sont lâchement abandonnés lors de leur année supplémentaire. Aucune indication, aucune aide à des problèmes déjà repérés ne leur ait proposée. Les élèves qui redoublent ont la délicate tâche de recommencer une nouvelle année avec de nouveaux professeurs qui ont tout à redécouvrir de leurs difficultés. Quel temps perdu !

Enfin, je me demande pourquoi on continue à faire recommencer une année tout entière. L’élève a-t-il été mauvais en français ? Il refera tout le programme de SVT ! C’est un non-sens ! On voit là que la chose n’a jamais été pensée autrement qu’une punition : une année de pensums !


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Éducation Littérature Lu

Il faut connaître l’entreprise dès le lycée. Vraiment ?

J’ai développé dans un article précédent les raisons de mon indignation provoquée par la lecture du vôtre.

Il me reste un dernier point à développer : les raisons de mon désaccord avec votre vision du monde ou du moins de l’éducation. Ma diatribe étant d’objectif modeste, je me limiterai au seul point d’intersection possible : l’école prépare-t-elle à rentrer dans votre monde, c’est-à-dire dans celui de l’entreprise ?

L’introduction qui précède votre article précise que vous invitez les jeunes à devenir entrepreneur. C’est à coup sûr un bel objectif, et je me satisfais de constater que vos ambitions sont sans limites, puisque vous leur offrez l’exemple de Larry Page et de Sergey Brin. Mais, d’emblée, je me dis que nous ne vivons pas dans le même monde car, dans le collège dans lequel je travaille, pas moins de 52 % des élèves sont issus d’un milieu défavorisé. C’est vous dire qu’ils ne sont pas prêts à balancer de leur garage l’algorithme qui va bouleverser le monde.
Je ne vais certes pas bâtir mon argumentation sur un misérabilisme larmoyant, mais il serait intéressant que vous les voyiez ces jeunes, et que vous compreniez que leurs préoccupations sont à mille lieues des vôtres. Vous semblez rêver d’une jeunesse galopante et rayonnante débarrassée de ces enseignants parasitaires freinant son élan. Hélas ! ce jeune public est davantage concerné par ses petits problèmes : un parent qui vient de se suicider, un autre qui a mis son enfant à la porte, un abus sexuel, une dyslexie mal traitée, etc. Malgré tout cela, ces enfants parfois en très grande difficulté scolaire sont contrairement à ce que vous dites ponctuels, polis et respectueux. En revanche, ils accroissent les «bataillons d’illettrés» dont vous parlez. À qui la faute ?

Cela, c’est pour remettre les choses dans leur contexte, et je peux vous dire que j’ai grandement édulcoré les choses.

À présent, demandons-nous ce que ces collégiens deviennent. J’en viendrai directement au point qui nous intéresse : les «meilleurs» vont au lycée, c’est-à-dire presque tous. Comment pourrait-il en aller autrement ? Lorsqu’on veut emmener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, il n’est pas étonnant que ce soit pratiquement tous nos élèves qui accèdent au lycée. Au reste, je maintiens que cet objectif n’a rien de scandaleux, sauf pour les nostalgiques du charme discret de la bourgeoisie, qui aimaient tant que l’élite soit l’élite, c’est-à-dire une catégorie sociale non souillée de la présence des prolétaires venant outrageusement faire baisser le niveau.
Nos collégiens deviennent donc des lycéens en accédant soit au lycée général et technique soit au lycée professionnel. Le deuxième choix, car c’est presque toujours un deuxième choix, voit des élèves arriver qui n’ont pas envie d’être là. Aujourd’hui, on considère toujours qu’il vaut mieux faire de la philosophie que de la mécanique, rappelle François Dubet. C’est dire que ces élèves à qui on a fait comprendre que le lycée général et technique n’était pas pour eux n’ont pas envie d’être là. Bien souvent, ils y sont malgré eux. C’est dommage, mais c’est ainsi. Quelles peuvent être alors leurs motivations ? À eux dont les médias rabâchent à longueur de journée que de grands patrons s’octroient des salaires pharaoniques, parfois doubles, avant de fermer l’entreprise pour ensuite délocaliser. Quelle est à votre avis leur opinion sur le monde de l’entreprise, eux qui voient papa et maman chômer ?
Le problème est donc là : l’école n’est plus un gage de réussite. Tant et si bien qu’on ne sait plus comment motiver nos élèves. Dans certains cas, on propose même des cagnottes de 10000€. C’est vous dire le désarroi qui a dû s’emparer des têtes pensantes de notre ministère.

Mais quand bien même le monde qui les attend regorgerait d’emplois à qui mieux mieux, qu’en serait-il exactement ? Faudrait-il préparer nos élèves à rentrer dans la vie active ?

Pour moi, et je ne me lasserai jamais de le répéter, la réponse est non, mille fois non. Les élèves eux-mêmes le savent, eux qui effectuent leur scolarité. L’univers dans lequel ils évoluent – celui de l’école – n’est pas la réalité. C’est un monde à part dans lequel l’erreur est tolérée, la faute acceptable. C’est un monde dans lequel on peut recommencer sans être condamné, méprisé ou ostracisé : si je rate un contrôle, je peux le recommencer, je peux refaire une année, je peux recevoir de l’aide ; si, d’aventure, je commets une bêtise (je me bats, par exemple) je ne paie pas d’amende, je ne vais pas en prison. Je suis éduqué, élevé, non pas condamné. Il n’existe qu’un seul cas où le réel rencontre l’école : c’est lorsqu’un enfant ayant commis et répété de graves forfaits se voit traîné en conseil de discipline et que celui-ci se prononce pour l’exclusion définitive de l’élève. Là, en voyant le regard de l’enfant, on comprend qu’il n’avait pas saisi que le réel le rattrapait.

Le réel ! Le moins que l’on puisse dire est qu’il varie en fonction de divers facteurs. Qu’est-ce que cela veut dire le réel, et surtout préparer nos enfants au monde réel? Au XVIIe siècle, cela ne voulait sûrement pas dire grand-chose : un état dans lequel tout un chacun aurait reçu une éducation, aurait son mot à dire dans une démocratie serait un non-sens. Après la Révolution française, les choses sont un peu différentes, mais combien de petits Français reçoivent les lumières de l’éducation ? Ce n’est que progressivement, au XIXe siècle, que les Français vont accéder de plus en plus nombreux à l’école, mais pourquoi faire ? L’enfant apprend à compter, à lire et à écrire. Cela est bien suffisant, et de toute façon la moisson mobilisera bientôt toute l’énergie de la famille. Dans l’industrialisation croissante de ce siècle, à quoi faut-il préparer les enfants ? Au travail que le monde est en mesure de leur donner ? À travailler dans une mine, à travailler dans une manufacture ? À faire la guerre pour lutter contre les Prussiens ? Ce qui n’est pas encore l’Éducation nationale n’a-t-il pour autre objectif que de préparer l’enfant à recevoir ce que le monde veut bien lui donner ? Dans le nôtre, que faudrait-il apprendre ? À mépriser La Princesse de Clèves, à s’adapter à telle technologie tant que nous en avons besoin (pensez aux cassettes vidéo de Sony dans les Landes), puis à les mettre à la porte ?

Ce n’est pas là ma conception de l’école.

Mieux encore. Selon moi, l’école est incompatible avec la logique de l’entreprise et de l’idéologie du libéralisme qui voit ou veut voir dans l’individu un être compétitif, prêt à écraser l’autre, ce qui est bien, en dernière analyse, l’exemple que vous donnez en évoquant Larry Page et Sergey Brin. Ne sont-ils pas à l’origine de l’entreprise qui, tel un monstre mythologique, avale tout, diminue ou écrase la concurrence c’est-à-dire des individus ?
Or rien de tel dans une classe. Si l’on fait de la pédagogie différenciée, la classe est divisée en petits groupes mêlant les élèves dont les meilleurs aident les moins forts. Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur ce terme : le meilleur dans une classe n’est pas forcément le plus intelligent, mais parfois le plus chanceux, le plus mûr, le plus sérieux, le plus docile (ou le moins réfractaire), celui qui est passionné ou seulement intéressé. Dans un tel contexte, ledit meilleur n’a pas pour objectif d’écraser l’autre, mais bien de l’aider. Et tout l’enjeu de mon enseignement sera de le leur expliquer. Je tenterai également de leur parler de tout ce qui sera profondément inutile, la littérature. Vous qui aimez l’économie, permettez-moi d’y faire référence. L’enseignement de la littérature, c’est l’équivalent de ce que Georges Bataille appelait la part maudite, la dépense pour rien. Il n’y a rien de plus détestable que cette instrumentalisation de l’école, sa subordination au monde du travail. L’enseignement n’est pas utilitaire. Je n’enrôle pas de futurs chômeurs.