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Humeur Littérature Lu

Sauvegarde qui peut

Il y a peu, Pierre Assouline regrettait sur son blog le contenu fort rétrograde de l’émission de Finkielkraut sur France Culture dans laquelle était invité Jean-Claude Carrière. On s’étonnera peut-être que l’on s’étonne du contenu des émissions de Finkielkraut. Au reste, je ne saurais dire ce que je pense de ce dernier dont les propos à forte teneur réactionnaire me semblent souvent choquants (sur France Inter à propos de Roman Polanski), mais j’en parlerai peut-être un jour, si je n’ai rien d’autre à faire.
Bref.
Pierre Assouline déplorait que nombre d’idées reçues sur l’informatique, sur son écrasante domination et sa menace sur le livre aient été une fois de plus répétées à l’envi. Or il se trouve que je lis actuellement une série d’entretiens entre Umberto Eco et Jean-Claude Carrière (N’espérez pas vous débarrasser des livres). J’ai la conviction (il faudrait vérifier, écouter l’émission de France Culture) que la présence d’Umberto Eco a servi de garde-fou aux débordements disons réactionnaires de Carrière. Ce dernier ne cache pas ou mal sa défiance pour l’informatique. Umberto Eco étant un utilisateur de longue date d’ordinateurs (dès les années 80), il s’est intéressé à la programmation (à l’époque, le basic, entre autres), il ne rechigne pas non plus à exploser quelques envahisseurs extraterrestres pour se divertir, etc. Il ne voit donc pas dans l’informatique une menace. En revanche, il croit en la supériorité du livre sur l’ordinateur, mais il ne pense pas que l’informatique tuera le livre. La préface est déjà un avertissement (celle de Jean-Philippe de Tonnac menant les entretiens), qui reprend en la démentant la citation hugolienne, laquelle expliquait comment l’intelligence humaine avait quitté l’architecture (la cathédrale) pour l’imprimerie (« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice »). Cependant, les cathédrales existent toujours. Il en sera de même pour le livre. L’e-book ne tuera pas le livre. Ils coexisteront. De toute façon, l’e-book n’entre pas en concurrence avec le livre. Il en est une déclinaison, une évolution qui ne remplace par l’objet originel dans lequel Umberto Eco voit la perfection. Selon lui, on ne peut pas faire mieux, on ne peut pas inventer mieux (comme la roue, la cuillère…). Mon propos n’étant pas de prouver la supériorité du livre sur l’ordinateur, je n’insiste pas (j’aime trop les deux), mais lisez N’espérez pas vous débarrasser des livres. C’est passionnant (Carrière dit des choses très justes sur l’informatique, notamment les nouvelles techniques, page 47).
Poursuivons.
Pierre Assouline se rit des invités de Finkielkraut qui s’inquiètent « du caractère précaire de la conservation des données » en informatique. À dire vrai, j’imagine que l’émission a dû être éprouvante à écouter (Finkielkraut pareil à lui-même, Carrière qui se lâche, etc.), mais ils ne doivent pas avoir tout à fait tort. Dans N’espérez pas vous débarrasser des livres, Umberto Eco évoque à juste titre ce problème à plusieurs reprises. Lorsqu’il explique, page 82, qu’il n’a jamais retrouvé une première version du Pendule de Foucault enregistré sur une disquette en 1984 ou 1985, on frémit. Ces données sont extrêmement précaires et pas seulement parce qu’on peut les égarer, mais parce qu’elles sont gravées sur des supports en permanente évolution et obsolescence (de la bande magnétique à la clef USB en passant par les disquettes de différents formats, les CD-ROM, les DVD-ROM, les disques durs IDE et SATA puis SSD…). Dans le livre d’entretien, ils omettent un autre problème qui me paraît particulièrement inquiétant, celui du format choisi. La plupart du temps, nous confions nos précieuses données (et la mémoire de l’humanité tout entière) à un éditeur de logiciel que beaucoup ne se donnent même pas la peine de payer. Très souvent, il s’agit de Microsoft (Word, Works…). Avez-vous pourtant idée du nombre de logiciels de traitement de texte existant ? Vous êtes-vous déjà demandé ce qui arriverait si le logiciel que vous avez l’habitude d’utiliser cessait d’exister ? Ce n’est pas impossible. Pensez à AppleWorks. Pensez à… Word qui pourrait disparaître ou dont le format de fichier a changé (de .doc à .docx). C’est pourquoi il serait sain de s’en remettre à un format ouvert, celui d’OpenOffice (.odt).
De tout cela, j’en conclus qu’un vieux « chnoque » comme Jean-Claude Carrière a des choses fort intéressantes à dire et à nous apprendre, même si elles me semblent provenir d’un esprit qui ne comprend pas bien (et encore !) son époque. Et puis, c’est la première fois que je lis avec tant d’intérêt un auteur avec lequel je pourrais être en total désaccord sur certains points, tant il est vrai que la méfiance envers internet m’horripile (pensez à Jacques Séguéla et à je ne sais plus qui).
En tout cas, je retourne à ma lecture inachevée, et télécharge l’émission de France Culture.
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Divers

On

« on » est un mystère grammatical, une aporie dans une vaine tentative de classement.
Tout d’abord, sa métamorphose est surprenante puisqu’il s’est transformé en ce qui est censé le remplacer. Autrefois un nom (du latin homo, hominis), il est devenu un pronom dont la tournure « l’on » (utilisée essentiellement pour éviter un hiatus) témoigne encore.
Ne désignant généralement personne (il est pour cela appelé pronom indéfini), il est rangé parmi les pronoms personnels.
Enfin, mot singulier, il est trop souvent ressenti comme un pluriel. En effet, nombre d’individus s’obstinent à accorder le participe passé avec « on ».
Récemment, j’ai encore lu ceci : « On s’est bien amusés ».
Sauf erreur de ma part, le sujet étant au singulier, l’auxiliaire également, le participe devrait l’être aussi. Pourquoi accorder ce participe en dépit du sujet et de l’auxiliaire au singulier ?
La seule réponse — peu satisfaisante — est que ce « on » est ressenti comme un pluriel. Il est d’ailleurs pronominalisable en « nous » : « Nous, on s’est bien amusés »
Dans ce cas, ce n’est plus la grammaire (un ensemble de règles morpho-syntaxiques et sémantiques) qui prévaut, mais le seul critère sémantique, un peu comme avec « la plupart ». On dira, en effet, « La plupart se sont amusés » et non « La plupart s’est amusé » (ça peut se comprendre. La tournure est elliptique. Il faut entendre «La plupart des gens se sont amusés »). On reconnaîtra que la grammaire est constituée de tout cela ; ce sont la morphologie, la syntaxe et le sémantisme qui font la grammaire, et que parfois démêler entre ces trois-là est bien difficile.
En ce cas, je ne peux m’empêcher de penser, qu’il faudrait aller jusqu’au bout et écrire : « On se sont bien amusés ». On ne choisirait pas le sémantisme au détriment de la morphologie, mais on contreviendrait à une autre règle, celle de l’euphonie. Il faut que ça sonne à l’oreille !
Le plus simple ne consisterait-il pas à considérer que « on » est singulier et que le participe ne s’accorde pas ?
Bref, quand on m’interroge au sujet de ce « on », je n’ai pas grand-chose de plus satisfaisant à dire que ce que j’ai écrit ici.
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Vu

Le président

Un ami m’a prêté Le président d’Henri Verneuil avec dans le rôle titre Jean Gabin qui y excelle (j’insiste car, malgré Un singe en hiver ou La traversée de Paris, je n’ai jamais vraiment été fasciné par cet acteur).
Cela va bientôt faire un an que j’ai ce film, et je me suis enfin décidé à le regarder à la faveur d’une convalescence. Dans un autre genre, j’ai vu Doctor Who que le même ami m’avait prêté également, mais je suis moins enthousiaste à propos de cette série.
C’est fou comme on devient cultivé après une maladie (on lit, on écrit, on regarde). Pensez à Roland Barthes qui avait lu tout Michelet dans un sanatorium.
Malheureusement, je n’ai eu qu’une petite grippe. Aussi ne deviendrai-je jamais Roland Barthes (soupir).
Que dire de ce film ?
Que c’est sinon un chef-d’œuvre du moins un excellent film, certes.
Qu’il y exprime la vision que son auteur a du chef d’état, oui. Encore faudrait-il préciser que ce film est l’adaptation du roman de Georges Simenon.
Que ceci, que cela ? Oui et oui. Magnifiquement tourné (la réunion pendant le concert est mémorable, le «suicide collectif aux accents de Wagner» !), magnifiquement filmé (pratiquement que des scènes d’intérieur : splendide maison de campagne pour l’essentiel, assemblée nationale, Matignon… seuls le début, une partie de pétanque et une longue balade montrant la campagne de l’époque nous donnent ainsi à voir combien la France a changé !), magnifiquement interprété (Jean Gabin, Bernard Blier…). On remarquera que ce film montre la France à un tournant historique (le passage à l’Europe, qui avait commencé bien avant, mais si on parle aujourd’hui d’eurosceptiques, à l’époque c’étaient les souverainistes qui s’opposaient à l’Europe. Dire qu’il y en a encore !).
Enfin, il faut bien avouer que les dialogues de Jacques Audiard font merveille. Qu’on ne se méprenne pas, sans le reste précédemment cité, ces dialogues ne vaudraient pas tripette. Mais, il fallait bien Audiard pour donner vie à ce président vieillissant (Émile Beaufort), blessé par quarante années de vie politique mais toujours intègre dans ses idéaux, plus fougueux qu’un anarchiste, roué, matois serait plus exact, intelligent, fin, généreux, éloquent, savant, drôle enfin.
Quelques exemples.
Le président mange avec sa secrétaire. La jeune fille le servant lui demande si elle peut prendre son après-midi. S’ensuit ce dialogue :
Le Président  : Ah ! Pour quoi faire ?
La jeune fille : Ma grand-mère est malade.
Le Président : C’est bien ça… enfin… d’ailleurs, c’est bien de votre part de vous intéresser à votre grand-mère. Eh bien prenez donc votre après-midi. Allez !
La jeune fille s’en va.
La secrétaire : Menteuse ! Coureuse ! Et vous lui passez tout !
Le Président : C’est le seul élément jeune de cette maison.
La secrétaire : Vous ne croyez tout de même pas à cette histoire de grand-mère ?
Le Président : Oh ! bien sûr que non, mais elle témoigne d’une imagination délicate.
La secrétaire : D’un certain culot, oui !
Le Président : Non ! Le culot aurait été de me dire : «Monsieur le Président, j’ai besoin de mon après-midi pour aller me faire sauter »!
La secrétaire (air interloqué) : ????
Le Président : Bah ! Quoi ! Le culot, le culot, c’est ça !
Il faudrait enfin citer l’ensemble de la séance de l’assemblée lors de laquelle Gabin se lance dans une intervention qui, selon Wikipedia, ferait référence aux deux cents familles.
À l’assemblée, ses propos font mouche à chaque fois :
Un député : Quand on ne veut pas du pouvoir, on le refuse M. Beaufort ! On peut très bien vivre dans l’ombre !
Le Président : Et ne jamais en sortir, vous en savez quelque chose !
Le Président s’en prend aux patrons. De droite selon lui, et un député lui rétorque qu’il y a aussi des patrons de gauche :
Le Président : Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre.
Et puis, il manie le paradoxe :
Le repos, c’est fait pour les jeunes. Ils ont toute la vie devant eux, moi pas.
Pourquoi ne fumez-vous pas Millerand ? Ça rend aimable !

presidentUn ami m’a prêté Le président d’Henri Verneuil avec dans le rôle titre Jean Gabin qui y excelle (j’insiste car, malgré Un singe en hiver ou La traversée de Paris, je n’ai jamais vraiment été fasciné par cet acteur).

Cela va bientôt faire un an que j’ai ce film, et je me suis enfin décidé à le regarder à la faveur d’une convalescence. Dans un autre genre, j’ai vu Doctor Who que le même ami m’avait prêté également, mais je suis moins enthousiaste à propos de cette série.

C’est fou comme on devient cultivé après une maladie (on lit, on écrit, on regarde). Pensez à Roland Barthes qui avait lu tout Michelet dans un sanatorium.

Malheureusement, je n’ai eu qu’une petite grippe. Aussi ne deviendrai-je jamais Roland Barthes (soupir).

Que dire de ce film ?

Que c’est sinon un chef-d’œuvre du moins un excellent film, certes.

Qu’il y exprime la vision que son auteur a du chef d’état, oui. Encore faudrait-il préciser que ce film est l’adaptation du roman de Georges Simenon.

Que ceci, que cela ? Oui et oui. Magnifiquement tourné (la réunion pendant le concert est mémorable, le «suicide collectif aux accents de Wagner» !), magnifiquement filmé (pratiquement que des scènes d’intérieur : splendide maison de campagne pour l’essentiel, assemblée nationale, Matignon… seuls le début, une partie de pétanque et une longue balade montrant la campagne de l’époque nous donnent ainsi à voir combien la France a changé !), magnifiquement interprété (Jean Gabin, Bernard Blier…). On remarquera que ce film montre la France à un tournant historique (le passage à l’Europe, qui avait commencé bien avant, mais si on parle aujourd’hui d’eurosceptiques, à l’époque c’étaient les souverainistes qui s’opposaient à l’Europe. Dire qu’il y en a encore !).

Enfin, il faut bien avouer que les dialogues de Jacques Audiard font merveille. Qu’on ne se méprenne pas, sans le reste précédemment cité, ces dialogues ne vaudraient pas tripette. Mais, il fallait bien Audiard pour donner vie à ce président vieillissant (Émile Beaufort), blessé par quarante années de vie politique mais toujours intègre dans ses idéaux, plus fougueux qu’un anarchiste, roué, matois serait plus exact, intelligent, fin, généreux, éloquent, savant, drôle enfin.

Quelques exemples.

Le président mange avec sa secrétaire. La jeune fille le servant lui demande si elle peut prendre son après-midi. S’ensuit ce dialogue :

Le Président  : Ah ! Pour quoi faire ?

La jeune fille : Ma grand-mère est malade.

Le Président : C’est bien ça… enfin… d’ailleurs, c’est bien de votre part de vous intéresser à votre grand-mère. Eh bien prenez donc votre après-midi. Allez !

La jeune fille s’en va.

La secrétaire : Menteuse ! Coureuse ! Et vous lui passez tout !

Le Président : C’est le seul élément jeune de cette maison.

La secrétaire : Vous ne croyez tout de même pas à cette histoire de grand-mère ?

Le Président : Oh ! bien sûr que non, mais elle témoigne d’une imagination délicate.

La secrétaire : D’un certain culot, oui !

Le Président : Non ! Le culot aurait été de me dire : «Monsieur le Président, j’ai besoin de mon après-midi pour aller me faire sauter »!

La secrétaire (air interloqué) : ????

Le Président : Bah ! Quoi ! Le culot, le culot, c’est ça !

Il faudrait enfin citer l’ensemble de la séance de l’assemblée lors de laquelle Gabin se lance dans une intervention qui, selon Wikipedia, ferait référence aux deux cents familles.

À l’assemblée, ses propos font mouche à chaque fois :

Un député : Quand on ne veut pas du pouvoir, on le refuse M. Beaufort ! On peut très bien vivre dans l’ombre !

Le Président : Et ne jamais en sortir, vous en savez quelque chose !

Le Président s’en prend aux patrons. De droite selon lui, et un député lui rétorque qu’il y a aussi des patrons de gauche :

Le Président : Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre.

Et puis, il manie le paradoxe :

Le repos, c’est fait pour les jeunes. Ils ont toute la vie devant eux, moi pas.

Pourquoi ne fumez-vous pas Millerand ? Ça rend aimable !

On en restera sur ces belles paroles.