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Il doit bien y avoir des hackers chez les littéraires

L’accord sur la numérisation et la diffusion du fond de la BNF, la monétisation qui doit en découler ne laissent pas de m’inquiéter. Cela devrait d’ailleurs inquiéter tout utilisateur d’internet, mais l’enseignant que je suis est doublement inquiet. Il l’est, bien sûr, en tant que citoyen (auquel, par ailleurs, les questions de neutralité, d’accès à la culture importent), il l’est en tant que professionnel de l’éducation.

Voici pourquoi.

Sans Wikipédia, sans Gallica, sans tous ces sites qui donnent accès librement à la littérature, aux illustrations, aux manuscrits, etc., je retourne à ce qui est, pour moi, l’âge de pierre de ma profession : les années 90 où il fallait recopier à la main des textes, des contes entiers, les scanner, utiliser un logiciel de reconnaissance de caractères puis les corriger. Aujourd’hui, cela n’est plus la peine, car il me suffit de copier et de coller un extrait de tel ou tel auteur, de le relire et, éventuellement, de corriger telle ou telle erreur. Je gagne alors un temps précieux. Imaginez le temps qu’il faut pour recopier ne serait-ce qu’un conte de Voltaire !

J’ai trouvé un autre moyen de jouir (professionnellement) de Wikipédia ou Gallica. Ai-je à faire un exercice sur les propositions subordonnées relatives ? Voudrais-je quelques exemples littéraires de bon aloi qui en imposeront davantage que mes petites phrases inventées pour l’occasion ? Vais-je relire des milliers de pages pour trouver le bon exemple littéraire ? Que nenni ! On ouvre, dans Gallica ou Wikipédia une page de Chateaubriand, de Zola ou de n’importe quel auteur, on fait un cmd (ou clic) + f, on tape quelques mots clefs et l’on trouve tout ce que l’on cherche en un clin d’œil. Des centaines de propositions apparaissent surlignées. Combien de temps, d’heures, de jours ai-je gagnés en ayant à ma disposition tout ceci?

Ce temps, entre autres, m’a permis, par exemple, de concevoir des manuels libres et gratuits. D’ailleurs, ces manuels ont vu le jour parce que le partage de la culture, le libre (Aaron Swartz, je te salue au passage) m’ont permis d’accéder à tout un pan de notre culture, celui-là même qui était auparavant enfermé dans les coffres des grandes bibliothèques, oublié, car ne faisant plus l’objet de publication peu rentable, exposé dans des musées lointains ou des collections privées, etc. Privés de tout cela, mes manuels ressembleraient, après en avoir accouché dans la douleur du scanner et de l’OCR, à de vagues et exsangues photocopies dépourvues d’illustrations.

Or Apple m’avait déjà signifié que les mots «libre» et «gratuit» n’étaient pas les bienvenus sur la couverture d’un livre exposé sur son store. Très bien. Faut-il que dorénavant il n’y ait plus rien de libre ni de gratuit ? Que les incunables (vous savez ceux qui sont «antérieurs à 1500». Appréciez la tautologie) soient commercialisés ? bardés de DRM ? Savez-vous ce que cela signifie pour tous ces pays – je pense notamment à certains pays d’Afrique, du Maghreb – qui bénéficient gratuitement et librement de cette somme ?

Bien des fois, lors de l’élaboration de mes manuels, je me suis dit que le droit d’auteur avait été inventé, non pas pour nourrir les ayants droit, mais pour engraisser des éditeurs confisquant des œuvres d’auteurs morts depuis près de cent ans (un vrai conte !). Mais ceux qui le sont depuis un demi-millénaire, faut-il qu’ils le soient également ? Faudra-t-il payer pour les lire ? En ce cas, il faudra faire ce qu’a fait Aaron Swartz, il faudra piller le catalogue et le mettre en ligne. Il doit bien y avoir des littéraires chez les hackers.

3 réponses sur « Il doit bien y avoir des hackers chez les littéraires »

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