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Éducation Informatique

Si les lycéens n’ont pas la maturité pour être éduqués au numérique, les collégiens l’ont

Exercice de sixièmeLa page d’exercices en sixième est devenue, cette année, l’une des pages les plus consultées. Elle compte désormais près de 150 exercices en tout genre, dont l’essentiel est constitué d’exercices de grammaire, d’orthographe et de conjugaison. Ceux-ci visent à permettre aux élèves de maîtriser le programme de l’année, mais aussi de combler les lacunes qui seraient les leurs. C’est pourquoi je m’efforce de créer des exercices dès que je constate une difficulté (Quand faut-il mettre un ou deux «s» ? Quand faut-il mettre une cédille ?, etc.). L’avantage de ces exercices principalement créés avec Hot Potatoes est de permettre de différencier la pédagogie en donnant des exercices ciblant telle ou telle difficulté. De cette façon, un élève qui n’aurait pas une de ces difficultés peut continuer à travailler sur le programme sans avoir à souffrir les révisions superfétatoires.

Mais compte tenu d’un certain nombre d’obstacles liés pour la plupart aux travaux de rénovation du collège, je n’ai pas pu pendant longtemps utiliser mon propre site avec mes élèves. À présent que les choses sont à peu près rentrées dans l’ordre, je peux enfin utiliser Ralentir travaux avec ceux pour lesquels il a été, à l’origine, créé. Or je me suis aperçu de quelques petites choses qu’il est absolument nécessaire de savoir si vous désirez, en tant qu’enseignant ou en tant que parent, utiliser cette page d’exercices.

L’élève face à l’ordinateur

La toute première chose que j’ai observée est qu’on ne peut pas laisser un élève seul face à son exercice, particulièrement s’il s’agit d’un exercice «binaire» qui appelle une réponse ou une autre. C’est typiquement le cas des exercices consacrés aux homophones, «on» ou «ont» par exemple. Un élève, peu soucieux de comprendre ce qu’il fait, complétera par «on» ou «ont» plus ou moins au hasard, appuiera sur Vérifier (l’exercice met alors en gras les bonnes réponses, laisse les fausses). À la suite de quoi, l’élève corrigera par son contraire ce qui est faux, aura donc cette fois-ci tout bon, et passera à l’exercice suivant sans avoir rien compris pour autant. Dans ces conditions, l’exercice ne sert à rien.

Exercice sur les homophones

Pour être certain que l’exercice a servi à quelque chose, il faut demander à l’élève de restituer la règle lorsqu’il a fini. S’il n’y parvient pas, on peut le renvoyer à la lecture de la leçon et refaire l’exercice avec lui (ou faire d’autres exercices). Dans tous les cas, il faut exiger de l’élève qu’il fasse son exercice dans un onglet. Il pourra passer à autre chose si vous n’avez pas la possibilité de faire le point avec lui immédiatement, et quand vous serez disponible, vous pourrez vérifier le taux de réussite à l’exercice et interroger l’élève afin de vérifier ce qu’il a compris.
L’utilisation des onglets dans Firefox ou Chrome est fort pratique en ceci qu’elle évite de cliquer sur les flèches pour revenir en arrière ou pour aller en avant. Utiliser ces flèches est toujours une perte de temps, surtout si le réseau est lent. Il faut attendre que la page se recharge, on retourne en arrière, va en avant, etc. Je conseille donc à mes élèves d’ouvrir la page des exercices dans un onglet, de lancer un exercice dans un autre et enfin d’en ouvrir un troisième pour y faire des recherches dans Google ou un dictionnaire comme le Larousse ou Reverso.

Un onglet

Puisque les élèves travaillent avec un ordinateur, la tentation est grande de leur rappeler que le clavier ne sert pas qu’à taper du texte, mais qu’on peut effectuer toutes sortes d’actions qui augmenteront l’efficacité du travail. On peut évoquer l’inévitable ctrl + a pour sélectionner du texte, les fameux ctrl + c et ctrl + v pour copier et coller. Si très peu d’élèves utilisent ces raccourcis, aucun ne pense jamais à taper ctrl + f pour effectuer une recherche sur une page qui contient des centaines de lignes lorsque l’on cherche un mot précis (l’essayer, c’est l’adopter). Fort heureusement, certains ont constaté qu’en utilisant la touche Backspace, on passait d’une zone de saisie à l’autre sans avoir pour autant à lâcher le clavier pour la souris. Ça soulage énormément notamment lorsque l’on fait des exercices à trous.

Quoi qu’il en soit, dans le cas où un élève était confronté à une difficulté, je lui demande toujours de noter la leçon ou, si celle-ci est trop longue, de l’imprimer. À la fin (c’est-à-dire au bout de quelques séances), on procède à une évaluation, notée ou non. En ce cas, l’exercice aura permis de prendre conscience d’une lacune, d’y remédier facilement, et même d’obtenir de meilleurs résultats lors de l’évaluation, une évaluation qui cible les difficultés de l’élève, lequel (on l’a vu) n’a pas les mêmes que celle de son voisin.

La tentation d’évacuer la difficulté

J’ai remarqué un autre problème : une tendance à zapper, à passer d’un exercice à un autre, sans trop se préoccuper de cohérence, allant, par exemple, d’un exercice de conjugaison sur le présent de l’indicatif à des mots croisés sur les dieux romains. En début de séance, je précise donc l’objectif à atteindre. Ainsi on travaillera sur les homophones grammaticaux ou sur le présent, et sur rien d’autre tant que l’ensemble des exercices donnés n’auront pas été faits et compris (le taux de réussite doit donc être, selon l’exercice, supérieur à 85%).

Au début, je laissais les élèves butiner au gré de leur fantaisie (que je croyais être l’expression de leurs besoins) dans la série d’exercices. J’ai vu alors des élèves travailler avec plus ou moins d’efficacité, mais j’ai observé chez eux un goût prononcé pour certains types d’exercices. Quels que soient les objectifs fixés par ces exercices (vocabulaire, connaissances, orthographe, littérature…), ils sont toujours choisis par les élèves en fonction de leur aspect non scolaire ou, disons, moins scolaire. Ainsi, les pendus, les quiz (surtout en images comme celui sur les Métamorphoses, sur les contes ou la guerre de Troie), les mots croisés ou les charades ont la préférence des élèves. Ces dernières ont d’ailleurs connu un certain succès. Elles ont évidemment un côté ludique, elles permettent de travailler le vocabulaire et surtout l’orthographe sans qu’il n’y paraisse ou plus précisément les élèves ont besoin de l’orthographe pour réussir l’exercice. De ce point de vue, ils ont véritablement besoin d’un dictionnaire (ouvert dans un onglet, consultable à l’envi, sans qu’il soit nécessaire de revenir sans cesse à la page précédente). Je me suis rendu compte que les élèves avaient très envie d’en rédiger à leur tour, et que la création de ce type d’exercices avec Hot Potatoes était encore plus formatrice, obligeant les élèves à beaucoup de rigueur dans la rédaction des charades, des définitions, dans l’utilisation de l’orthographe, de la ponctuation, etc. Dans le cas contraire, les charades sont infaisables.

Il y aurait beaucoup d’autres exercices à concevoir que le temps ou des connaissances insuffisantes en JavaScript ne me permettent pas de réaliser. J’aimerais faire davantage de dictées, mais cela prend beaucoup de temps d’enregistrer les textes. Par ailleurs, le réseau étant chez nous excessivement lent, l’exercice devient rapidement infaisable.

En guise de conclusion

De tout cela, je retiens que l’usage de l’informatique au collège n’est pas qu’un petit supplément d’âme dans un enseignement somme toute relativement conventionnel. Je me souviens avoir lu sur Twitter que les exerciseurs étaient le degré zéro de l’informatique. Sur le moment, j’accréditais cette formule d’une certaine pertinence. Avec le temps, je pense que les exercices réalisés de cette façon sont un moyen de différencier la pédagogie. En effet, un élève procède à son rythme et, s’il le désire ou le peut, on peut lui proposer de réaliser le programme de l’année, d’aller plus loin, de revenir en arrière sans que cela ne gêne qui que ce soit qui voudrait aller plus vite ou plus lentement. Les parents peuvent même reprendre les exercices avec l’enfant s’ils ont internet à la maison (ce qui est devenu généralement le cas). Et l’on ne risque pas d’oublier le manuel ! Au reste, en dépit de ce que prétend le pourrisseur du web, je suis persuadé que les élèves ont la maturité nécessaire pour être éduqués au numérique… pour peu que l’enseignant le désire et soit très présent.

Dernier point. Pour ceux qui n’ont pas de difficultés particulières (et pour lesquels les révisions susmentionnées sont donc inutiles), on peut très bien les faire travailler sur des tâches plus complexes (des exposés, des rédactions…). Quelques élèves ont même accepté de jouer les tuteurs, et d’expliquer à qui le voulait les règles sur lesquels d’aucuns achoppaient. C’est alors l’occasion pour eux de formuler les choses avec clarté, concision et rapidité, car ils sont très sollicités.

10 réponses sur « Si les lycéens n’ont pas la maturité pour être éduqués au numérique, les collégiens l’ont »

Je trouve RalentirTravaux et les exercices proposés très intéressants. A vrai dire ce que j’apprécie dans ta démarche, Yann, c’est la dimension critique que je souhaite te voir conserver à l’égard du numérique. J’ai moi-même la même démarche.

Car, non, je ne suis pas un « réactionnaire » anti-numérique comme j’ai pu le lire sur ton blog. J’ai moi-même expérimenté beaucoup de choses depuis dix ans avec le numérique à l’école, et je continue avec mes élèves. Un exemple parmi d’autres : http://www.chaptal.net/2011/index.php?option=com_content&view=article&id=4&Itemid=188

Il n’empêche que je me suis forgé une conviction personnelle : je n’insulte pas pour autant ceux qui ne pensent pas comme moi.

« Au reste, en dépit de ce que prétend le pourrisseur du web, je suis persuadé que les élèves ont la maturité nécessaire pour être éduqués au numérique… « . Yann, cite correctement ma phrase : « les élèves au lycée n’ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres ».

En lettres, c’est-à-dire pour préparer les épreuves du baccalauréat comme la dissertation ou le commentaire. A ce sujet je n’ai lu nulle part rien de convaincant.

Par contre le numérique que j’appelle « sauvage » (pour l’opposer au numérique « institutionnel ») pourrit l’enseignement des lettres au lycée pour des dizaines et des dizaines de raisons dont tu ne parles pas.

Et moi je dis qu’il faut en parler.

@Loys

Pour te dire les choses très sincèrement, j’ai autant aimé ton article que je l’ai détesté. C’est peut-être pour cela que j’ai réagi avec tant de virulence. En tout cas, je n’ai pas tenu à t’insulter à travers cette appellation, il est vrai peu amène, de « pourrisseur du web », laquelle est quand même directement inspirée de ton titre « Comment j’ai pourri le web ». Mais, promis, je n’en abuserai plus.

Il est maintenant un peu tard pour reprendre tout cela, mais même si je le faisais, même si je changeais par « les élèves au lycée n’ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres », ma réaction serait toujours la même. J’ai réagi en prenant exemple chez mes collégiens, mais je pense la même chose des lycéens. Ceux-ci utilisent internet comme on aurait utilisé les livres. Ce n’est qu’une question de support. Et quand un élève prépare sa dissertation ou son commentaire (pas en classe ou le jour de l’examen, mais dans le cadre d’un travail de préparation), il trouve les textes dont il a besoin, utilise un dictionnaire, cherche des explications sur telle ou telle notion (une figure de style, un genre littéraire) non pas dans les livres mais sur internet qui consacre le retour à la galaxie Gutenberg. Le réseau peut même être un moyen de solliciter de l’aide entre pairs ou avec un de ses anciens professeurs. C’est un soutien gratuit dont bénéficie celui qui veut faire son travail. Alors, oui, l’élève tire de tout cela «un quelconque profit».

En revanche, s’il cherche une réponse toute faite, il n’aura pas fait son travail, et je ne crois pas que les enseignants seront dupes. Le copier/coller doit être condamné. Et il l’est. Au reste, je ne comprends même pas le succès des sites monnayant le soutien scolaire ou des sujets tout faits. J’en ai parlé ici même et j’ai même rajouté les cinq derniers mots à ton attention. 🙂

Le plagiat, la copie éhontée sont donc des problèmes réels qu’on ne peut ignorer. De ce point de vue, il est intéressant de reconnaître que l’article de Loys met en évidence la plaie que représente ce que j’ai déjà appelé les marchands du temple, ces commerçants du soutien scolaire qui vendent des commentaires et des dissertations à la qualité douteuse. Eux aussi pourrissent le web.

Ils pourrissent le web en effet, et pour une kyrielle de raisons. Je veux bien l’écrire cet article. Tu as raison, il faut en parler. Mais jusqu’à présent, j’ai toujours parié sur leur faible longévité tant la médiocrité desdits sites est patente.

@Loys

Ah ! J’oubliais ! Je te remercie sincèrement d’être venu en ces lieux pour parler de tout cela.

C’est bien d’avoir cette discussion avec un peu de recul. Note qu’il y a un forum sur mon site. 😉

Je reconnais volontiers que le titre de mon article était provocateur. Et pour cette phrase, avec le recul, je changerais un mot pour la rendre moins absolue: « les élèves au lycée n’ont pas la maturité nécessaire pour tirer un véritable profit du numérique en lettres » (conformément d’ailleurs à ma dernière phrase : « on ne profite vraiment du numérique… »).

Utiliser un dictionnaire évidemment chercher des explications sur des notions, bien sûr que c’est souvent utile, que ce soit dans un manuel ou sur des sites web validés. Chercher des indications biographiques ou bibliographiques aussi, dans une moindre mesure. Encore faut-il être à même d’identifier sur le web ce qui est validé ou pas, ce pour quoi des élèves de seize ans n’ont pas la maturité, je continue de le soutenir. Même les « comités de lecture » de Oodoc et Oboulo ne sont pas capables de séparer le bon grain de l’ivraie !

En réalité, les professeurs de lycée savent tous combien les élèves utilisent généralement leurs recherches documentaires (bibliographiques ou numériques, comme c’est de plus en plus le cas) pour faire du remplissage de copie : par exemple une partie sur le mouvement baroque, une partie sur l’histoire du sonnet, une partie sur la vie de l’auteur, etc. C’est une plaie des copies de lycée en lettres.

Mais pour comprendre littéralement un texte comme le sonnet de Vion d’Alibray, il n’y a rien à chercher à part peut-être la tournure vieillie « tant s’en faut ». Le reste du vocabulaire est vraiment très accessible, je te laisse le vérifier. La biographie de l’auteur n’apportait rien : quand on a dit que la femme aimée s’appelle Melle de Beaunais, on n’a pas dit grand chose sur le texte, en vérité.

Car pour pouvoir comprendre un texte, il faut avant tout le LIRE.

Et c’est le renoncement de la majorité des élèves à ce préalable nécessaire du commentaire, la lecture et la compréhension par soi-même, qui m’inquiète grandement. Renoncement facilité par le numérique qui offre ses solutions en un clic, son prêt-à-penser qui – quoiqu’on en dise – n’existe pas dans les livres : quelques Annabac difficilement trouvables peuvent éventuellement fournir quelques rares corrigés de commentaires de textes connus, mais le web, lui, offre aujourd’hui une immense « bibliothèque » instantanée et exponentielle de corrigés gratuits ou payants, de résumés d’œuvres littéraires.

Quand on sait les immenses difficultés actuelles de nos élèves en français (qui s’expliquent par d’autres raisons, dont l’institution scolaire doit d’ailleurs prendre sa part de responsabilité) et les facilités offertes en regard par le web, on ne s’étonne pas que la tentation soit grande de ne plus lire ou penser par soi-même.

Les élèves ont trouvé sur le web un corrigé qui disait que la femme aimée est comparée à un arc-en-ciel : ils l’ont recopié. S’ils avaient lu le sonnet, ils auraient compris que c’est au contraire le poète qui est comparé à un arc-en-ciel. Et que ce corrigé ne valait rien.

Mais ça, aucun logiciel ne permet de l’automatiser.

@Loys

Encore faut-il être à même d’identifier sur le web ce qui est validé ou pas, ce pour quoi des élèves de seize ans n’ont pas la maturité, je continue de le soutenir. Même les « comités de lecture » de Oodoc et Oboulo ne sont pas capables de séparer le bon grain de l’ivraie !

Alors, je vais être un peu grandiloquent, mais je dirais qu’il nous appartient (à nous enseignants) de désherber et de faire en sorte qu’on ne trouve plus que le bon grain. Il faut remplir internet de ressources fiables qu’un élève peut utiliser quelle que soit son degré de maturité. Il faut aussi avoir confiance en ce réseau balbutiant encore. Le web connaît cette période que l’imprimerie a connue. Il faudrait, La Guerre du faux en main, montrer combien des livres (imprimés) truffés d’erreurs ont servi l’ire de ses contempteurs au XVIe siècle. Aujourd’hui encore, dans la presse, dans les livres (le succès des Protocoles des Sages de Sion dans certains pays en témoigne encore), on peut trouver maintes absurdités qui ont pourtant fait l’objet d’une validation.

Et c’est le renoncement de la majorité des élèves à ce préalable nécessaire du commentaire, la lecture et la compréhension par soi-même, qui m’inquiète grandement. Renoncement facilité par le numérique qui offre ses solutions en un clic, son prêt-à-penser qui – quoiqu’on en dise – n’existe pas dans les livres

Les élèves ne pensent parfois absolument rien. Je le dis sans mépris aucun. Simplement, ils sèchent sur un sujet donné, et se rassurent, par paresse également, en allant chercher la bonne parole qu’ils s’estiment probablement incapables de donner. Ils doivent comprendre qu’ils ne fournissent pas le travail demandé en collant des références biographiques sans intérêt. Mais ils n’ont peut-être pas lu Contre Sainte-Beuve. 🙂

A ce sujet je n’oppose pas les livres et le web quand les deux servent au remplissage. 🙂

Reconnais qu’en dénonçant publiquement Oodoc, Oboulo etc. (à mon tour d’être grandiloquent) j’ai commencé à « désherber » plus que quiconque. 😉

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