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La chute de Troie

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Les Achéens sont rentrés dans Troie. Ils sont parvenus au palais de Priam. Pyrrhus, le fils d’Achille, vient d’abattre Polite et son père. Énée, un prince troyen, se désespère. Pourtant, l’histoire de cet immortel ne fait que commencer.

"Troie incendié" de Simon de VliegerPour la première fois, l’horreur et l’effroi m’environnent. Ce roi vénérable, mourant sous mes yeux me rappelle mon père du même âge, ma femme Créuse, mon fils Iule. Je regarde, je cherche autour de moi si quelques braves m’accompagnent encore… ils ont tous disparu.

Tout à coup, j’aperçois Hélène, la fille de Tyndare, assise en silence dans le sanctuaire de Vesta. Là, redoutant à la fois et la haine des Troyens et le ressentiment des Grecs, elle tremblait et se cachait dans l’ombre. Mon courroux s’allume aussitôt. Je brûle de venger ma patrie expirante, et d’immoler l’auteur de tant de maux : « Quoi ! l’odieuse Hélène retrouvera Sparte et Mycènes ! Elle ira, fière de nos malheurs, s’y promener en reine ! On la verra entourée de nos épouses captives et de nos enfants esclaves ! Et Priam sera tombé sous le fer ! Et le feu aura dévoré Troie ! Et des fleuves de sang auront abreuvé nos rivages ! »

J’allais châtier cette criminelle, quand soudain Vénus, ma mère, plus brillante que mes yeux ne l’avaient jamais vue et resplendissant dans la nuit sur un char de lumière, retient mon bras. Sa bouche de rose m’adresse ces paroles :

« Mon fils ! À quel excès t’entraîne ta douleur ? Songe plutôt aux dangers où ton absence laisse un père accablé de vieillesse. Songe aux pleurs d’une épouse. Songe au salut de ton fils. Si je ne veillais sur eux, déjà le glaive ennemi se serait abreuvé de leur sang, déjà la flamme aurait consumé leurs restes. Ce n’est point la fille de Tyndare ni Pâris, ce sont les dieux, c’est leur colère qui renverse Ilion. Regarde, je vais dissiper le brouillard qui couvre tes paupières de mortel. Vois-tu ces murailles en poussière, et ces décombres entassés sur de vastes décombres, et ces noirs tourbillons de poudre et de fumée ? Là, Neptune abat nos murailles de son trident redoutable. Ailleurs, l’implacable Junon tonne aux portes de Scée, et, le fer à la main, appelle au carnage les Grecs. Plus loin, sur ces tours qui chancellent, c’est Pallas entourée d’un nuage de feu, secouant l’horrible Gorgone. Jupiter lui-même nourrit l’audace des Grecs, et les remplit d’une force inconnue. Lui-même, il soulève les dieux contre les troyens. Fuis, ô mon fils.»

Elle dit, s’échappe et se perd dans les ombres. Alors m’apparaissent ces divinités terribles, ces puissances de l’Olympe acharnées contre Troie. Je crois voir Ilion tout entier s’abîmer dans les flammes, et ces remparts bâtis par Neptune s’écrouler de fond en comble.

Je descends, et guidé par une main divine, je franchis les feux et les rangs ennemis. Devant moi, les flèches se détournent, les flammes reculent devant moi. Parvenu au palais d’Anchise, je retrouve Créuse, Iule et mes amis. Je cours d’abord vers mon père. Je veux l’arracher avant tout à ces lieux funestes, le transporter moi-même au sommet des montagnes. Mais ô douleur ! il renonce à vivre, il préfère la mort à l’exil.

Baignés de larmes, tous nous le conjurons d’accepter de partir. Vains efforts ! c’est là qu’il a vécu, c’est là qu’il veut mourir. Hors de moi, je n’écoute plus que ma rage. Je verrai donc mon épouse, mon père, mon fils, l’un sur l’autre égorgés, noyés dans le sang l’un de l’autre ! «Des armes, compagnons, des armes ! m’écrié-je. La dernière heure appelle les vaincus. Allons braver Mycènes, allons reprendre le combat. Nous ne mourrons pas tous aujourd’hui sans vengeance. »

À ces mots, je ceins de nouveau mon glaive, et saisissant mon bouclier, je m’élançais déjà. Tout à coup un prodige inattendu vient accroître nos terreurs. Une flamme légère environne la tête du jeune Iule d’un cercle lumineux, effleure sans le blesser sa chevelure, et volette autour de son front. Dans notre effroi, nous secouons ses cheveux embrasés. Nous essayons d’éteindre cette flamme mystérieuse. Mais Anchise lève au ciel des yeux où rayonne la joie, et les mains étendues vers l’Olympe, il s’écrie : « Jupiter tout puissant ! daigne nous manifester ta présence et confirmer un heureux présage ! »

À peine a-t-il parlé, que vers sa gauche retentissent les éclats du tonnerre. Une étoile fend les ténèbres de la nuit, et promène au milieu des airs sa queue flamboyante. On la voit raser en courant le sommet du palais, et nous marquant la route, s’enfoncer radieuse dans les bois touffus de l’Ida. Derrière elle se prolonge un sillon de lumière. Vaincu par tant de merveilles, Anchise se lève : « C’en est fait, dit-il, je vous suis. Je vole où votre voix m’appelle. Toi, mon fils, soutiens mes pas. Je ne refuse plus de vous suivre. »

Déjà le bruit des flammes nous menace de plus près, déjà l’incendie roule jusqu’à nos portes ses brûlants tourbillons. « Eh bien ! mon père, placez-vous sur mes épaules, que le jeune Iule marche à mes côtés et que mon épouse, observant mes traces, vienne après nous. Vous, serviteurs fidèles, retenez mes ordres : au-delà des remparts s’élève sur une colline un vieux temple de Cérès maintenant abandonné. Près de ce temple est un antique cyprès. C’est là que par des routes différentes, nous viendrons tous nous réunir. »

Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie

À ces mots, je m’incline, je reçois mon précieux fardeau. Le jeune Iule se suspend à ma main, et se presse pour me suivre de sa marche enfantine. Sa mère s’avance sur nos pas. Nous cheminons par les lieux les plus sombres. Moi que n’effrayaient naguère ni les flèches sifflant sur ma tête ni les coups des Grecs, maintenant je tremble au moindre bruit. Un souffle m’épouvante. Je crains à la fois et pour celui que je porte et pour ceux qui m’accompagnent. Bientôt je touchais aux portes. J’allais franchir le dernier obstacle. Je me croyais vainqueur quand tout à coup arrive à mon oreille le bruit lointain d’une marche accélérée. Au même instant, mon père s’écrie : « Fuyons, mon fils, fuyons ! Les voilà qui s’approchent ! Je vois luire les boucliers, je vois briller les lances. » Tandis que la frayeur précipite mes pas, mon épouse, ô coup affreux du sort ! est ravie à mon amour. S’égara-t-elle dans les ténèbres ? ne put-elle endurer la fatigue ? Je ne sais, mais le ciel ne la montra plus à mes yeux. Je ne m’aperçus de sa perte qu’après avoir atteint les hauteurs où nous devions nous retrouver. Là tous sont rassemblés. Seule Créuse est absente, et manque aux appels d’un fils et d’un époux. Qui des dieux, qui des hommes n’accusai-je pas dans mon délire ? Que pouvait Pergame1 expirante m’offrir de plus cruel ?

L’Énéide (livre second) Traduction J. N. M. de Guerle

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