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Séance 4 Un fou

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Le Gaulois

Voici la fin d‘un court récit intitulé « Un fou » écrit par Guy de Maupassant et qui a paru en 1885 dans le journal Le Gaulois. Cette nouvelle commence par la découverte du journal intime d’un magistrat très respecté, et qui vient de mourir.

Vous devez lire très attentivement cet extrait et rédiger un paragraphe proposant une analyse.

25 août. - Il faut que je tue un homme ! Il le faut.

30 août. - C'est fait. Comme c'est peu de chose !
J'étais allé me promener dans le bois de Vernes. Je ne pensais à rien, non, à rien. Voilà un enfant dans le chemin, un petit garçon qui mangeait une tartine de beurre.
Il s'arrête pour me voir passer et dit :
— Bonjour, m'sieu le président.
Et la pensée m'entre dans la tête : « Si je le tuais ? »
Je réponds :
— Tu es tout seul, mon garçon ?
— Oui, m'sieu.
— Tout seul dans le bois ?
— Oui, msieur.
L'envie de le tuer me grisait comme de l'alcool. Je m'approchai tout doucement, persuadé qu'il allait s'enfuir. Et voilà que je le saisis à la gorge... Je le serre, je le serre de toute ma force ! Il m'a regardé avec des yeux effrayants ! Quels yeux ! Tout ronds, profonds, limpides, terribles ! Je n'ai jamais éprouvé une émotion si brutale... mais si courte ! Il tenait mes poignets dans ses petites mains, et son corps se tordait ainsi qu'une plume sur le feu. Puis il n'a plus remué.

Mon cœur battait, ah ! le cœur de l'oiseau ! J'ai jeté le corps dans le fossé, puis de l'herbe par-dessus.
Je suis rentré, j'ai bien dîné. Comme c'est peu de chose ! Le soir, j'étais très gai, léger, rajeuni, j'ai passé la soirée chez le préfet. On m'a trouvé spirituel.
Mais je n'ai pas vu le sang ! Je suis tranquille.

30 août. - On a découvert le cadavre. On cherche l'assassin. Ah ! ah !

1er septembre. - On a arrêté deux rôdeurs. Les preuves manquent.

2 septembre. - Les parents sont venus me voir. Ils ont pleuré ! Ah ! ah !

6 octobre. - On n'a rien découvert. Quelque vagabond errant aura fait le coup. Ah ! ah ! Si j'avais vu le sang couler, il me semble que je serais tranquille à présent !

10 octobre. - L'envie de tuer me court dans les moelles. Cela est comparable aux rages d'amour qui vous torturent à vingt ans.

20 octobre. - Encore un. J'allais le long du fleuve, après déjeuner. Et j'aperçus, sous un saule, un pêcheur endormi. Il était midi. Une bêche semblait, tout exprès, plantée dans un champ de pommes de terre voisin.
Je la pris, je revins ; je la levai comme une massue et, d'un seul coup, par le tranchant, je fendis la tête du pêcheur. Oh ! il a saigné, celui-là ! Du sang rose, plein de cervelle ! Cela coulait dans l'eau, tout doucement. Et je suis parti d'un pas grave. Si on m'avait vu ! Ah ! ah ! j'aurais fait un excellent assassin.

25 octobre. - L'affaire du pêcheur soulève un grand bruit. On accuse du meurtre son neveu, qui pêchait avec lui. 

26 octobre. - Le juge d'instruction affirme que le neveu est coupable. Tout le monde le croit par la ville. Ah ! ah !

27 octobre. - Le neveu se défend bien mal. Il était parti au village acheter du pain et du fromage, affirme-t-il. Il jure qu'on a tué son oncle pendant son absence ! Qui le croirait ?

28 octobre. - Le neveu a failli avouer, tant on lui fait perdre la tête ! Ah ! ah ! La justice !

15 novembre. - On a des preuves accablantes contre le neveu, qui devait hériter de son oncle. Je présiderai les assises.

15 janvier. - À mort ! à mort ! à mort ! Je l'ai fait condamner à mort ! Ah ! ah ! L'avocat général a parlé comme un ange ! Ah ! ah ! Encore un. J'irai le voir exécuter.

10 mars. - C'est fini. On l'a guillotiné ce matin. Il est très bien mort ! très bien ! Cela m'a fait plaisir ! Comme c'est beau de voir trancher la tête d'un homme ! Le sang a jailli comme un flot, comme un flot ! Oh ! si j'avais pu, j'aurais voulu me baigner dedans. Quelle ivresse de me coucher là-dessous, de recevoir cela dans mes cheveux et sur mon visage, et de me relever tout rouge, tout rouge ! Ah ! si on savait ! 
Maintenant j'attendrai, je puis attendre. Il faudrait si peu de chose pour me laisser surprendre.
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Le manuscrit contenait encore beaucoup de pages, mais sans relater aucun crime nouveau.
Les médecins aliénistes, à qui on l'a confié, affirment qu'il existe dans le monde beaucoup de fous ignorés, aussi adroits et aussi redoutables que ce monstrueux dément.

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