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Peau d'Âne

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Dans la joie et le bruit de toute l’Assemblée,
Le bon Roi ne se sentait pas (78)
De voir sa Bru (79) posséder tant d’appas ;
La Reine en était affolée (80),
Et le Prince son cher Amant,
De cent plaisirs l’âme comblée,
Succombait sous le poids de son ravissement.
Pour l’Hymen aussitôt chacun prit ses mesures ;
Le Monarque en pria tous les Rois d’alentour (81),
Qui, tous brillants de diverses parures,
Quittèrent leurs États pour être à ce grand jour.
On en vit arriver des climats de l’Aurore,
Montés sur de grands Éléphants ;
Il en vint du rivage More (82),
Qui, plus noirs et plus laids encore,
Faisaient peur aux petits enfants ;
Enfin de tous les coins du Monde,
Il en débarque et la Cour en abonde.

Le Monarque en pria tous les Rois d’alentour

Mais nul Prince, nul Potentat (83),
N’y parut avec tant d’éclat
Que le père de l’Épousée,
Qui d’elle autrefois amoureux
Avait avec le temps purifié les feux
Dont son âme était embrasée (84).
Il en avait banni tout désir criminel
Et de cette odieuse flamme (85)
Le peu qui restait dans son âme
N’en rendait que plus vif son amour paternel.
Dès qu’il la vit : « Que béni soit le Ciel
Qui veut bien que je te revoie,
Ma chère enfant », dit-il, et tout pleurant de joie,
Courut tendrement l’embrasser ;
Chacun à son bonheur voulut s’intéresser,
Et le futur Époux était ravi d’apprendre
Que d’un Roi si puissant il devenait le Gendre.

Dans ce moment la Marraine arriva
Qui raconta toute l’histoire,
Et par son récit acheva
De combler Peau d’Âne de gloire.

Il n’est pas malaisé de voir
Que le but de ce Conte est qu’un Enfant apprenne
Qu’il vaut mieux s’exposer à la plus rude peine
Que de manquer à son devoir ;

Que la Vertu peut être infortunée
Mais qu’elle est toujours couronnée ;

Que contre un fol amour et ses fougueux transports
La Raison la plus forte est une faible digue,
Et qu’il n’est point de si riches trésors
Dont un Amant ne soit prodigue ;

Que de l’eau claire et du pain bis
Suffisent pour la nourriture
De toute jeune Créature,
Pourvu qu’elle ait de beaux habits ;
Que sous le Ciel il n’est point de femelle
Qui ne s’imagine être belle,
Et qui souvent ne s’imagine encor
Que si des trois Beautés la fameuse querelle
S’était démêlée avec elle,
Elle aurait eu la pomme d’or (86).

Le Conte de Peau d’Âne est difficile à croire,
Mais tant que dans le Monde on aura des Enfants,
Des Mères et des Mères-grands,
On en gardera la mémoire.

Notes :

78 - Le bon Roi ne se sentait pas : le roi éprouve une grande joie.
79 - Bru : belle-fille.
80 - La Reine en était affolée : la reine raffolait de sa belle-fille, en était folle.
81 - Le Monarque en pria tous les Rois d’alentour : le monarque invita tous les rois des alentours.
82 - More : on écrit également Maure. Ce sont les habitants les habitants de l’Afrique ; au Moyen Âge, ce sont les musulmans.
83 - Potentat : monarque, roi.
84 - Les feux Dont son âme était embrasée : l’amour qui « brûlait » son âme.
85 - Cette odieuse flamme : son amour coupable (pour sa fille).
86 - La pomme d’or est un épisode de la mythologie grecque.

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