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Les Nuits de Paris (extraits)

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Les ruisseaux

Restif de la BretonneIl pleuvait. Les échenés répandaient à flots l’eau des toits, et les rues formaient autant de torrents, qu’on ne pouvait passer sans danger. Celui de la rue Montmartre était un fleuve d’immondices. Il m’arrêta. Le comble de l’embarras, c’est que nous avions nouvelle lune, et que les réverbères n’étaient pas allumés ; nouvelle lune à Paris, c’est point de lune, à cause de la hauteur des maisons ; et cependant, par un reste de l’ancienne barbarie, l’on n’allume pas : c’est le temps où les citoyens doivent redouter de sortir. Je me déterminais à descendre jusqu’à la rue des Vieux-Augustins, pour traverser au-dessus de l’égout voûté, lorsque j’aperçus deux femmes, de l’autre côté, qui se désolaient de ne pouvoir passer. Je les invitai à faire comme moi. La vieille (c’étaient la mère et la fille) y consentait ; mais la jeune voulut traverser. Le pied lui manqua ; elle tomba, et le torrent l’entraînait. Les cris de la mère, le danger de la fille me déterminèrent ; j’entrai dans la fange (car c’est le ruisseau des halles) au risque d’être renversé ; je saisis la jeune fille, et je la tirai du courant. Mais elle était évanouie. Je fus obligé de la porter jusque chez elle, rue Comtesse-d’Artois.

Les débris de cadavres

En m’en revenant, je passai par la rue Saint-Martin, la rue de Gèvres, le Pont-au-Change et le pont Saint-Michel. Au coin de la rue de la Huchette, à l’endroit nommé le Cagnard, je vis fuir des jeunes gens, qui remontèrent la rue de la Haye. J’allai voir ce qu’ils avaient fait au Cagnard et je trouvai... les membres d’un enfant ouvert. Je frémis. Mais il n’y avait là rien à faire pour moi ; je me retirai.
Le lendemain matin, je vins chez l’apothicaire du coin, pour l’informer de ce que j’avais trouvé sous ses fenêtres. Il se mit à rire : « Ce sont des reste d’anatomie. On refuse des cadavres aux jeunes chirurgiens et ils sont obligés d’en voler ou d’en acheter. Lorsqu’ils les ont disséqués, ils ne savent plus qu’en faire. Quatre se chargent du corps divisé ; deux précèdent et deux suivent, pour avertir. On a soin de tenir ouvertes, sur la route, quelques allées dont on sait le secret et l’on s’y réfugie, en cas de danger. Enfin l’on arrive ici pour y jeter les débris et l’on se sauve. - Pourquoi ne pas donner légalement des corps aux chirurgiens ? - C’est la question que se font tous les gens de bon sens. On devrait leur abandonner le cadavre des criminels et les corps des gens convaincus, qui meurent en prison, ceux des hôpitaux qui ont eu des maladies extraordinaires. J’avais même proposé, dans un petit mémoire, de donner à l’amphithéâtre public, certains scélérats vivants, pour faire sur eux des expériences, qui rendissent leur mort doublement utile à la nation, dont ils ont été le fléau. Mais on m’a éconduit avec horreur, comme un anthropophage. » Satisfait de cette explication, je quittai l’apothicaire en l’assurant que j’étais du même avis que lui.

Les violateurs de sépulture

Le soir, en allant chez la marquise, je voulus passer par le cimetière Saint-Séverin : il était fermé. Je pris par la ruelle des Prêtres et je vins écouter à la grille. J’entendis quelque bruit. Je me tins assis sous la porte du presbytère. Au bout d’une heure, un homme ouvrit la grille du cimetière et quatre jeunes gens sortirent, emportant un corps dans son linceul. Ils prirent par la ruelle des Prêtres, par la rue Boutebrie, par la rue du Foin et se précipitèrent dans une petite maison obscure de la rue de la Harpe.

Suite des violateurs

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Restif de la BretonneEn m’en retournant, il me prit l’idée d’aller à la maison des garçons chirurgiens pour voir ce qu’ils faisaient du corps qu’ils venaient de voler. Parvenu à la porte de l’allée de leur amphithéâtre, je la poussai ; elle céda et je montai au troisième, où j’avais vu de la lumière. Je m’approche doucement de la porte et je vois sur une grande table de corps d’une jeune fille de dix-huit ans, enterrée de la veille. On avait déjà ouvert la poitrine... Je connaissais les parents ; je me retirai, pénétré de douleur. Mais je gardai le silence. Que ne donne-t-on des criminels aux étudiants !

Immondices des bouchers

Je pris par la rue Saint-Martin, pour m'en revenir. Les bouchers nettoyaient les immondices de leurs étables et les portaient à la voirie, dans des tombereaux mal joints, de sorte que toute la rue, depuis Saint-Jacques-Flamel, était jonchée de caillots et de bouses. Je le répète, c'est à Paris seul qu'on paraît ignorer la valeur de ce précieux engrais. A Vienne, à Berlin, le nettoiement des rues est amodié, il rapporte ; ici, l'on paie, et l'on est mal servi. D'où vient cela ? C'est qu'il y a trop de chevaux inutiles à Paris, et qu'on perd l'engrais précieux de plus de quatre provinces. Qu'on y prenne garde ! A la longue, ce luxe de chevaux, cette manie d'avoir une voiture dès qu'on peut la payer, épuiseront nos terres, et causeront la langueur de l’Etat. Les petites causes continues produisent les grands maux. Le hibou vous en avertit. O riches, ne méprisez pas ces cris funèbres !

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