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Une mère affligée

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Lecture analytique du poème « Je veux peindre la France » d’Agrippa d’Aubigné

Dès le premier vers, le poète annonce son intention : il veut peindre la France comme une mère affligée. Celle-ci nourrit deux enfants, qui sont deux jumeaux aux noms bibliques (Ésaü et Jacob). Ils se livrent à une lutte mortifère.
Cette peinture est une allégorie, c’est-à-dire que la France est personnifiée en une femme qui souffre. Elle est le champ de bataille (voir le vers 14) sur lequel s’entredéchirent ses enfants qui représentent les catholiques (« cet Ésaü malheureux », vers 7) et les protestants (Jacob, désigné par la périphrase « Celui qui a le droit et la juste querelle » au vers 26). En somme, l’allégorie révèle la tragédie de la France lors des guerres de religion.

Un poème d’inspiration biblique

Comme dans L’Ancien Testament (Le premier livre du Pentateuque, c’est-à-dire la Genèse), les jumeaux représentent deux nations antagonistes1. Yahvé dit à Rébecca attendant des jumeaux (lesquels cohabitaient déjà difficilement lors de leur vie intra-utérine) :

« Il y a deux nations en ton sein,
deux peuples, issus de toi, se sépareront,
un peuple dominera un peuple,
l’aîné servira le cadet »

L’affrontement entre les deux frères est d’une grande violence, comme le souligne l’emploi de nombreux termes en rapport avec le sang : « sanglants » (vers 23), « ensanglanté » (vers 31), « sanglante » (vers 33) et « sang » (vers 34). D’autres termes montrent la véhémence de cette lutte fratricide : « arracher son frère à la vie » (vers 9), « leur rage » (vers 17), « furieux » (vers 19) et « se crèvent les yeux » (vers 20). D’autres moyens sont utilisés pour souligner cette violence, tel l’enjambement aux vers 4 et 5 : «à force de coups/D’ongles, de poings, de pieds» renforcé par l’énumération des coups portés, la répétition de la préposition «de» et l’allitération des consonnes « d » et « p » dont les sonorités font entendre les heurts. On a également une assonance (« ou ») mêlée à une allitération (son [k]) au vers 18 : « Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble » soulignant le nombre de coups donnés.

Un poème engagé

Le poète, dans la prosopopée finale (la prosopopée consiste à faire parler et agir une chose personnifiée ou une allégorie.), montre qu’il ne prend pas parti pour les protestants, contrairement à ce qu’on aurait pu penser en lisant une œuvre poétique engagée en faveur des protestants. Au contraire, il fait remarquer que la France, à cause de ces guerres de religion, n’est plus qu’un champ « ensanglanté ».

Voltaire, dans La Henriade, raconte le massacre des protestants dans la nuit du 23 au 24 août 1572 (nuit de la Saint-Barthélemy) :

Je ne vous peindrai pas le tumulte et les cris,
Le sang de tout côté ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère,
Les époux expirants sous leurs toits embrasés,
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre.
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-même encore à peine vous croirez,
Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;
Et, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.

Qu’est-ce que la littérature engagée ?

Selon Jean-Paul Sartre, la littérature est comme la loi : nul n’est censé l’ignorer, car elle est écrite. Vous êtes libre de l’enfreindre, mais vous savez les risques que vous courez. De la même manière, le rôle de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et ce qui s’y passe. De cette façon, l’écrivain change le monde. À cet effet, il se bat non avec des armes, mais avec sa plume (son stylo ou son ordinateur).

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