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Les figures de l’ironie

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Nous allons lire quelques extraits de contes et autres textes écrits par Voltaire. Pour chacun d’eux, il s’agira de trouver les moyens par lesquels s’exprime l’ironie de l’auteur.

  1. Identifiez-les (en les soulignant par exemple).
  2. Tâchez de nommer le procédé employé.

Extrait 1

Tous les juges admirèrent le profond et subtil discernement de Zadig ; la nouvelle en vint jusqu’au roi et à la reine. On ne parlait que de Zadig dans les antichambres, dans la chambre, et dans le cabinet ; et quoique plusieurs mages opinassent qu’on devait le brûler comme sorcier, le roi ordonna qu’on lui rendît l’amende des quatre cents onces d’or à laquelle il avait été condamné. Le greffier, les huissiers, les procureurs, vinrent chez lui en grand appareil lui rapporter ses quatre cents onces ; ils en retinrent seulement trois cent quatre-vingt-dix-huit pour les frais de justice, et leurs valets demandèrent des honoraires.

Zadig ou la destinée, chapitre 3

Extrait 2

Jeannot était fils d'un marchand de mulets très renommé, et Colin devait le jour à un brave laboureur des environs, qui cultivait la terre avec quatre mulets, et qui, après avoir payé la taille, le taillon, les aides et gabelles, le sou pour livre, la capitation et les vingtièmes (1), ne se trouvait pas puissamment riche au bout de l'année.

Jeannot et Colin

Extrait 3

Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectait la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.

Candide ou l’optimisme, chapitre 3

Extrait 4

Les lecteurs qui aiment à s’instruire doivent savoir que M. Jeannot, le père, avait acquis assez rapidement des biens immenses dans les affaires. Vous demandez comment on fait ces grandes fortunes ? C’est parce qu’on est heureux. M. Jeannot était bien fait, sa femme aussi, et elle avait encore de la fraîcheur. Ils allèrent à Paris pour un procès qui les ruinait, lorsque la fortune, qui élève et qui abaisse les hommes à son gré, les présenta à la femme d’un entrepreneur des hôpitaux des armées, homme d’un grand talent, et qui pouvait se vanter d’avoir tué plus de soldats en un an que le canon n’en fait périr en dix. Jeannot plut à madame ; la femme de Jeannot plut à monsieur. Jeannot fut bientôt de part dans l’entreprise ; il entra dans d’autres affaires. Dès qu’on est dans le fil de l’eau, il n’y a qu’à se laisser aller ; on fait sans peine une fortune immense.

Jeannot et Colin

Extrait 5

Micromégas, un géant venu de Sirius, accompagné d’un habitant de Saturne découvrent la terre et ses minuscules habitants. Une conversation commence entre les hommes et les deux voyageurs.

« Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à vous manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe : car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c’est la véritable vie des esprits. Je n’ai vu nulle part le vrai bonheur ; mais il est ici, sans doute. » À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête ; et l’un d’eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l’on en excepte un petit nombre d’habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux. « Nous avons plus de matière qu’il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière ; et trop d’esprit, si le mal vient de l’esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu’à l’heure que je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d’un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c’est ainsi qu’on en use de temps immémorial ?  »

Micromégas

Extrait 6

Quelques mauvais plaisants (2) ont abusé de leur esprit jusqu’au point de hasarder le paradoxe étonnant que l’homme est originairement fait pour vivre seul comme un loup cervier (3), et que c’est la société qui a dépravé la nature. Autant vaudrait-il dire que, dans la mer, les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que c’est par un excès de corruption qu’ils passent en troupes de la mer Glaciale sur nos côtes ; qu’anciennement les grues volaient en l’air chacune à part, et que par une violation du droit naturel elles ont pris le parti de voyager de compagnie.

Dictionnaire philosophique, article Homme

Notes :

1 - Ces termes désignent des impôts.
2 - Référence à Jean-Jacques Rousseau et à son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
3 - Le loup-cervier (du latin lupus cervarius = loup qui attaque des cerfs) est en fait un lynx des régions boréales d’Eurasie.


Correction

Extrait 1

L’ironie est patente à la fin de l’extrait quand quatre cents onces doivent être rendues à Zadig et que les frais de justice s’élèvent à 398 onces. Il reste deux onces sur lesquelles des honoraires sont prélevés. En d’autres termes, Zadig n’obtiendra rien. L’ironie réside essentiellement dans l’adverbe « seulement », qui relève de l'antiphrase, c'est-à-dire que c’est le contraire qu’il faut comprendre.

Extrait 2

L’énumération relève de l’ironie en ceci qu’elle s’achève sur une litote. Le père, « après avoir payé la taille, le taillon, les aides et gabelles, le sou pour livre, la capitation et les vingtièmes, ne se trouvait pas puissamment riche au bout de l'année ». La litote est l’art de paraître affaiblir par l’expression une pensée qu’on veut laisser dans toute sa force. On dit moins qu’on ne pense, mais on sait qu’on ne sera pas pris à la lettre. Voltaire souligne donc, par cette litote, que le laboureur est pauvre, plus précisément rendu pauvre par les impôts énumérés.

Extrait 3

Énumération, adverbe d’intensité « si ». Au début, l’ironie n’est pas forcément perceptible.
Gradation surprenante (« Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons »). Harmonie en enfer = marque évidente de l’ironie. On a une antiphrase puisqu’il ne saurait y avoir d’harmonie en enfer.
Euphémismes pour désigner la mort (« renversèrent », « ôta »). Les termes se moquent de la philosophie de Leibnitz (« meilleur des mondes », « raison suffisante »). L’adverbe « environ » suggère un compte approximatif sans importance. C’est presque une œuvre de bienfaisance (« environ neuf à dix mille coquins qui en infectait la surface »).
Oxymore « boucherie héroïque ».

Extrait 4

« un entrepreneur des hôpitaux des armées, homme d'un grand talent, et qui pouvait se vanter d'avoir tué plus de soldats en un an que le canon n'en fait périr en dix »
La figure d’élection de l’ironie est l’antiphrase : on dit le contraire de ce que l’on pense. Dans l’exemple ci-dessus, l’entrepreneur des hôpitaux est tout sauf un « homme d’un grand talent ». En fait, il est même le contraire ; ou alors son talent consiste à tuer, et non pas à soigner. En ce cas, le mot « talent » peut être pris à la lettre, mais dans un sens différent de celui auquel on aurait pensé naturellement.
L’ironie est à son comble dans la proposition subordonnée relative « qui pouvait se vanter d'avoir tué plus de soldats en un an que le canon n'en fait périr en dix ». Elle contient une autre antiphrase (« se vanter ») et une hyperbole, laquelle est une exagération construite elle-même sur une opposition (« un an » et « dix »).

Extrait 5

La périphrase « ô atomes intelligents » est un rien ironique. Outre l’interjection, il y a une disproportion entre l’attention de « l’Être éternel » et l’objet de cet attention (l’atome). Le caractère ingénu de la réflexion de Micromégas est également ironique (« vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe »). Il croit que l’être humain n’est qu’esprit (qu’il est en somme spirituel).
Définition de l’humanité est ironique. Les autres périphrases visant à réduire l’importance de ceux qu’elles désignent tout comme elles permettent de les définir par des attributs qui ne permettent pas de différencier les uns des autres (« cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux » vs « cent mille autres animaux couverts d’un turban »).

Extrait 6

Encore une périphrase (« Quelques mauvais plaisants ») qui ici vise à ne pas nommer l’adversaire que tout le monde reconnaît pourtant. Son œuvre est dénigrée (voir les verbes « ont abusé », « hasarder »). La simplification de cette oeuvre est un autre principe bien connu de ceux qui manient l’ironie.

Les comparaisons (« Autant vaudrait-il dire que... ») visent à battre en brèche la thèse rousseauiste. La personnification des harengs et des grues également prête à sourire. Le vocabulaire juridique prête à sourire.

Résumons

Les principales figures de style sont

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