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Séance 1 Introduction

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Nous présenterons succinctement les éléments suivants :

L’auteur

Stendhal

1783-1842

Son vrai nom est Henri Beyle.

En 1806, de passage en Allemagne, il découvre la ville de Stendhal. Il adopte ce nom qui lui sert de pseudonyme et qui rime avec « scandale ».

Ses œuvres

Le titre du roman

La symbolique des couleurs : on oppose souvent dans ces couleurs deux manières de s’élever socialement : la carrière ecclésiastique représentée par le Noir et la carrière militaire qu’évoque le Rouge.

Le noir

En effet, le noir évoque la prêtrise, l’habit noir dont la tenue connote l’église. C’est la couleur du deuil et donc de la mort. C’est aussi celle de la laideur (morale), de la noirceur du caractère du héros.

Le rouge

Le rouge est la couleur de la passion, du sang, de la vitalité et donc de la force, de l’énergie du héros romantique.

Hussards

Le rouge et le noir sont les couleurs du héros qui monte les marches de l’ascension sociale. Ce sont les couleurs de l’ambition de Julien qui hésite entre la carrière ecclésiastique et militaire. On en trouve de nombreux échos tout au long du roman :

Tout à coup Julien cessa de parler de Napoléon ; il annonça le projet de se faire prêtre, et on le vit constamment, dans la scie de son père, occupé à apprendre par cœur une bible latine que le curé lui avait prêtée. Ce bon vieillard, émerveillé de ses progrès, passait des soirées entières à lui enseigner la théologie. Julien ne faisait paraître devant lui que des sentiments pieux. Qui eût pu deviner que cette figure de jeune fille, si pâle et si douce, cachait la résolution inébranlable de s’exposer à mille morts plutôt que de ne pas faire fortune ? (Livre premier, chapitre 5)

Mais ce bruit admirable ne fit plus d’effet sur Julien, il ne songeait plus à Napoléon et à la gloire militaire. Si jeune, pensait-il, être évêque d’Agde ! mais où est Agde ? et combien cela rapporte-t-il ? deux ou trois cent mille francs peut-être. (Livre premier, chapitre 18)

Le personnage de Julien

Un personnage ambigu

  1. Un personnage fasciné par l’épopée napoléonienne, en proie au mal du siècle
  2. Un véritable Tartuffe (personnage de Molière se servant de la religion pour parvenir à ses fins) qui, à l’image de la société, use de l’hypocrisie à des fins d’élévation sociale
  3. Un personnage en proie à la lutte des classes
  4. Un personnage complexe à contre-temps

Sur le mal du siècle

Julien, comme Alfred de Musset dans La Confession d’un enfant du siècle, est né trop tard et éprouve un sentiment que l’on a baptisé le mal du siècle. C’est un sentiment auquel les jeunes gens de ce début de XIXe siècle sont exposés. En voici les raisons :

Trois éléments partageaient donc la vie qui s'offrait alors aux jeunes gens : derrière eux, un passé à jamais détruit, s'agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l'absolutisme ; devant eux, l'aurore d'un immense horizon, les premières clartés de l'avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l'Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l'avenir, qui n'est ni l'un ni l'autre, et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l'on ne sait, à chaque pas qu'on fait, si l'on marche sur une semence ou sur un débris.
Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d'audace, fils de l'Empire et petits-fils de la Révolution.
Or, du passé, ils n'en voulaient plus ; car la foi en rien ne se donne ; l'avenir, ils l'aimaient ; mais quoi ? comme Pygmalion Galatée ; c'était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu'elle s'animât, que le sang colorât ses veines.

Il leur restait donc le présent, l'esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n'est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d'ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d'un froid terrible. L'angoisse de la mort leur entra dans l'âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus ; ils s'en approchèrent comme le voyageur à qui l'on montre à Strasbourg la fille d'un vieux comte de Saawerden, embaumée dans sa parure de fiancée. Ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l'anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d'oranger.

Comme à l'approche d'une tempête il passe dans les forêts un vent terrible qui fait frissonner tous les arbres, à quoi succède un profond silence, ainsi Napoléon avait tout ébranlé en passant sur le monde ; les rois avaient senti vaciller leur couronne, et, portant leur main à leur tête, ils n'y avaient trouvé que leurs cheveux hérissés de terreur. Le pape avait fait trois cents lieues pour le bénir au nom de Dieu et lui poser son diadème ; mais Napoléon le lui avait pris des mains. Ainsi tout avait tremblé dans cette forêt lugubre des puissances de la vieille Europe ; puis le silence avait succédé.

On remarquera, entre autres, dans ces lignes de Musset, les nombreuses métaphores dépeignant les deux mondes : le vieux monde détruit de l’Ancien régime et un avenir insaisissable. On notera aussi que le présent, dont on ne sait jamais, comme le dit Musset, s’il contient un débris du premier ou une semence du second, est un présent silencieux succédant à l’épopée napoléonienne et qui laisse place à l’ennui, à la mélancolie.

De fait, très souvent le héros du Rouge et le Noir a le sentiment d’arriver trop tard, comme on peut le voir dans les passages ci-dessous :

Ah ! s’écria-t-il, que Napoléon était bien l’homme envoyé de Dieu pour les jeunes Français ! Qui le remplacera ? que feront sans lui les malheureux, même plus riches que moi, qui ont juste les quelques écus qu’il faut pour se procurer une bonne éducation, et qui ensuite n’ont pas assez d’argent pour acheter un homme à vingt ans et se pousser dans une carrière ! Quoi qu’on fasse, ajouta-t-il avec un profond soupir, ce souvenir fatal nous empêchera à jamais d’être heureux ! (Livre premier, chapitre 17)

Ou encore celui-ci lorsque Julien mange chez Valenod :

Napoléon ! qu’il était doux de ton temps de monter à la fortune par les dangers d’une bataille [...] (Livre premier, chapitre 22)

Ou lors de son arrivée à Besançon :

Quelle différence pour moi, dit-il en soupirant, si j’arrivais dans cette noble ville de guerre, pour être sous-lieutenant dans un des régiments chargés de la défendre [...] (Livre premier, chapitre 24)

Mais ce parallélisme du chapitre 26 de la première partie nous montre que notre héros (pour parler comme Stendhal) n’a pas trop à regretter l’époque napoléonienne et qu’il peut quand même faire une grande carrière :

Sous Napoléon, j’eusse été sergent ; parmi ces futurs curés, je serai grand vicaire.

Tartuffe

Julien est un parfait hypocrite

Pour faire carrière, Julien Sorel a recours à l’hypocrisie. Voyez comme le terme abonde dans le roman :

Vous savez qu’à l’église je ne vois que Dieu, ajouta Julien, avec un petit air hypocrite, tout propre, selon lui, à éloigner le retour des taloches. (Livre premier, chapitre 5)

Il jugea qu’il serait utile à son hypocrisie d’aller faire une station à l’église. (Livre premier, chapitre 5)

Quelle n’était pas ma présomption à Verrières, se disait Julien, je croyais vivre ; je me préparais seulement à la vie, me voici enfin dans le monde, tel que je le trouverai jusqu’à la fin de mon rôle, entouré de vrais ennemis. Quelle immense difficulté, ajoutait-il, que cette hypocrisie de chaque minute ; c’est à faire pâlir les travaux d’Hercule. (Livre premier, chapitre 26)

Mais il ne s’agit pas que de Julien. Le monde dans lequel il vit n’est partout qu’hypocrisie :

Partout hypocrisie, ou du moins charlatanisme, même chez les plus vertueux, même chez les plus grands (Livre second, chapitre XLIV)

Me voici donc dans le centre de l’intrigue et de l’hypocrisie ! Ici règnent les protecteurs de l’abbé de Frilair. (Livre second, chapitre 1)

L’abbé Pirard l’avait mené dans plusieurs maisons jansénistes. Julien fut étonné ; l’idée de la religion était invinciblement liée dans son esprit à celle d’hypocrisie et d’espoir de gagner de l’argent. (Livre second, chapitre 5)

L’hypocrisie sert l’ambition de Julien :

Ma vie n’est qu’une suite d’hypocrisies, parce que je n’ai pas mille francs de rente pour acheter du pain. (Livre second, chapitre 10)

Pour toutes ces raisons et parce que Julien est donc un hypocrite ambitieux, il est rarement lui-même. Il passe son temps à jouer un rôle.

Julien, s’obstinant à jouer le rôle d’un Don Juan, lui qui de la vie n’avait eu de maîtresse, il fut sot à mourir toute la journée. (Livre premier, chapitre 14)

Julien tremblait que sa demande ne fût accordée ; son rôle de séducteur lui pesait si horriblement que, s’il eût pu suivre son penchant, il se fût retiré dans sa chambre pour plusieurs jours [...] (Livre premier, chapitre 15)

Julien oublia ses vains projets et revint à son rôle naturel : ne pas plaire à une femme si charmante lui parut le plus grand des malheurs. (Livre premier, chapitre 15)

Mais, dans les moments les plus doux, victime d’un orgueil bizarre, il prétendit encore jouer le rôle d’un homme accoutumé à subjuguer des femmes : il fit des efforts d’attention incroyables pour gâter ce qu’il avait d’aimable. (Livre premier, chapitre 15)

N’ai-je manqué à rien de ce que je me dois à moi-même ? Ai-je bien joué mon rôle ?
Et quel rôle ? celui d’un homme accoutumé à être brillant avec les femmes. (Livre premier, chapitre 15)

Le mot « hypocrisie » vient du grec hupokrisis et signifie « réponse » dans un dialogue de théâtre. De là, le sens de « jeu d’acteur » puis de « feinte », « faux-semblant ». Être hypocrite, c’est donc feindre, jouer un rôle.

Voyez ce passage du dernier chapitre de la première partie, lorsque Julien apprend qu’il va à Paris :

Il allait enfin paraître sur le théâtre des grandes choses.

Le monde est un théâtre où, comme l’évêque ou les prêtres du séminaire, tout est faux-semblant et artifice. On y joue un rôle pour parvenir à ses fins.

Un personnage en proie à la lutte des classes

On a vu que l’hypocrisie était l’arme d’un jeune homme dont la basse condition ne lui permet pas de s’élever dans la société.

Dès lors, son ambition s’apparente à une lutte contre ceux qui ont le pouvoir, ceux qui sont privilégiés en particulier les nobles.

Elle [Madame de Rênal] est bonne et douce, son goût pour moi est vif, mais elle a été élevée dans le camp ennemi. Ils doivent surtout avoir peur de cette classe d’hommes de cœur qui, après une bonne éducation, n’a pas assez d’argent pour entrer dans une carrière. Que deviendraient-ils ces nobles, s’il nous était donné de les combattre à armes égales ! Moi, par exemple, maire de Verrières, bien intentionné, honnête comme l’est au fond M. de Rênal ! comme j’enlèverais le vicaire, M. Valenod et toutes leurs friponneries ! comme la justice triompherait dans Verrières ! Ce ne sont pas leurs talents qui me feraient obstacle. Ils tâtonnent sans cesse. [...]
Madame de Rênal avait été étonnée du mot de Julien, parce que les hommes de sa société répétaient que le retour de Robespierre était surtout possible à cause de ces jeunes gens des basses classes, trop bien élevés.

Julien s’élève dans la société et l’hypocrisie en est le moyen. Ce principe d’élévation est symbolisé par l’échelle, objet que l’on retrouve de bout en bout dans le livre, et dont Julien dit :

C’est un instrument, se dit-il en riant, dont il est dans mon destin de me servir ! (Livre second, chapitre 15)

Et de fait, on ne peut qu’être frappé du nombre de fois où Julien monte sur une échelle :

Julien vit qu’il fallait monter à l’échelle lui-même, son agilité le servit bien. (Livre premier, chapitre 28)

Plus tard, il entra chez un vigneron qui consentit à lui vendre une échelle et à le suivre en la portant jusqu’au petit bois qui domine le COURS DE LA FIDÉLITÉ à Verrières. (Livre premier, chapitre 30)

En vain elle lui demanda un volume de l’Histoire de France de Vély, placé au rayon le plus élevé, ce qui obligeait Julien à aller chercher la plus grande des deux échelles ; Julien avait approché l’échelle, il avait cherché le volume, il le lui avait remis, sans encore pouvoir songer à elle. (Livre second, chapitre 9)

« J’ai besoin de vous parler ; il faut que je vous parle, ce soir ; au moment où une heure après minuit sonnera, trouvez-vous dans le jardin. Prenez la grande échelle du jardinier auprès du puits ; placez-la contre ma fenêtre et montez chez moi. Il fait clair de lune ; n’importe. » (Livre second, chapitre 14)

Une heure sonna ; entendre le son de la cloche et se dire : Je vais monter avec l’échelle, ne fut qu’un instant. (Livre second, chapitre 19)

Ce ne fut qu’en tremblant et bien caché par un grand chêne, qu’il osa lever les yeux jusqu’à la fenêtre de mademoiselle de La Mole. Elle était hermétiquement fermée ; il fut sur le point de tomber et resta longtemps appuyé contre le chêne ; ensuite, d’un pas chancelant, il alla revoir l’échelle du jardinier. (Livre second, chapitre 25)

Julien est un personnage qui veut littéralement se hisser. Juste après avoir obtenu son premier rendez-vous avec Mathilde (et donc être monté au chapitre 15), il exprime le sentiment suivant :

[...] il se sentait porté à une immense hauteur. (Livre second, chapitre 16)

On peut aussi se rappeler, à la fin, que Julien rentre dans l’église au moment de l’élévation !

En ce moment, le jeune clerc qui servait la messe sonna pour l’élévation. Madame de Rênal baissa la tête qui un instant se trouva presque entièrement cachée par les plis de son châle. Julien ne la reconnaissait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua ; il tira un second coup, elle tomba. (Livre second, chapitre 35)

Un personnage complexe à contretemps

Julien n’est pas noble (il n’est pas bien né). Il est né trop tard pour connaître la gloire napoléonienne et il ne lui reste que la prêtrise qui lui assure les moyens de son ambition en le faisant arriver à l’hôtel du marquis de la Mole qui incarne la société de l’Ancien régime et le désir du retour à une véritable monarchie (c’est un ultra). Julien aspire à acquérir cette noblesse. Il prend leur parti. Il prend le parti d’une société qui n’existe plus et qui, à l’aube des Trois glorieuses, s’apprête à perdre de nouveau. En somme, là encore, Julien arrive trop tard.

Et pourtant le jeune homme est un plébéien souvent comparé aux grandes figures de la Révolution :

Julien la regarda froidement avec des yeux où se peignait le plus souverain mépris.
Ce regard étonna madame Derville, et l’eût surprise bien davantage si elle en eût deviné la véritable expression ; elle y eût lu comme un espoir vague de la plus atroce vengeance. Ce sont sans doute de tels moments d’humiliation qui ont fait les Robespierre. (Livre premier, chapitre 9)

— Oui, disait-il au comte Altamira, Danton était un homme !
Ô ciel ! serait-il un Danton, se dit Mathilde [...] (Livre second, chapitre 9)

— Prenez bien garde à ce jeune homme qui a tant d’énergie, s’écria son frère ; si la révolution recommence, il nous fera tous guillotiner. (Livre second, chapitre 12)

Julien est en somme un personnage contradictoire issu de la plèbe, aspirant à la noblesse mais animé par la fièvre révolutionnaire. C’est un personnage qui ne peut trouver sa place dans la société sclérosée de 1830.

Un roman ?

Le rouge et le noir

La question du genre

À quel genre Le Rouge et le Noir appartient-il ?

Développons ce dernier point. On trouve dans l’ouvrage de nombreuses références au destin : l’anagramme annonçant la mort, les trois coups....

Sur le prie-Dieu, Julien remarqua un morceau de papier imprimé, étalé là comme pour être lu. Il y porta les yeux et vit :
Détails de l’exécution et des derniers moments de Louis Jenrel, exécuté à Besançon, le... (Livre premier, chapitre V)

Les trois coups sonnaient ; c’est un signal bien connu dans les villages de France, et qui, après les diverses sonneries de la matinée, annonce le commencement immédiat de la messe.
Julien entra dans l’église neuve de Verrières. Toutes les fenêtres hautes de l’édifice étaient voilées avec des rideaux cramoisis. Julien se trouva à quelques pas derrière le banc de madame de Rênal. (Livre second, chapitre 35)

Tout le livre abonde en référence à la fin tragique de Julien. C’est le cas de la scène du bal où Mathilde voit dans la condamnation le signe d’une élection :

Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme, pensa Mathilde, c’est la seule chose qui ne s’achète pas. (Livre second, chapitre 8)

On peut aussi penser à la référence à la Reine Marguerite (au livre second, chapitre 10) qui annonce la scène finale de la grotte.

Reine Marguerite

Réalisme

Le roman de Stendhal est-il réaliste ?

D’une part, précisons que deux affaires sont à l’origine du roman qui s’inspire ainsi du réel :

D’ailleurs, Stendhal écrivait dans une lettre du 4 mai 1834 à une amie qui lui demandait des conseils littéraires : « en décrivant un homme, une femme, un site, songez toujours à quelqu’un, à quelque chose de réel »

D’autre part, évidemment, on se rappellera de l’épigraphe de la première partie du roman : « La vérité, l’âpre vérité ».

Il y a là un véritable programme dont l’exigence de vérité peut aussi bien renvoyer à l’écriture journalistique (et nous avons vu que le roman s’inspire de faits réels notamment le journal la Gazette des tribunaux), mais aussi au réalisme (courant littéraire du XIXe dont les théories sont toutefois ultérieures au roman de Stendhal).

Stendhal écrit dans la Vie de Henry Brulard : « Être vrai, et simplement vrai, il n’y a que cela qui tienne », ce qui n’est pas sans évoquer l’écrivain Honoré de Balzac qui écrivait au début du Père Goriot : « all is true ».

De ce point de vue, on gardera à l’esprit cette célèbre phrase extraite du chapitre XIX, livre second : « un roman est un miroir qui se promène sur une grande route » (qui apparaît en fait deux fois dans le roman, la première comme une citation attribuée à Saint-Réal au chapitre 13 du premier livre). On a là un véritable manifeste littéraire.

Voici la citation complète (qui figure dans une longue parenthèse commentant la narration à laquelle se livre Stendhal) :

Hé, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former.

Ce qui inclut la politique :

— Si vos personnages ne parlent pas politique, reprend l’éditeur, ce ne sont plus des Français de 1830, et votre livre n’est plus un miroir, comme vous en avez la prétention… (Livre second, chapitre 22)

Mais précisons que le réalisme stendhalien présente un certains nombre de spécificités esthétiques. Ainsi, contrairement à un Balzac, il ne produit pas de longues descriptions, à l’exception peut-être de l’incipit présentant la ville de Verrières. Et encore ! Stendhal pratique un réalisme particulier qu’on appelle réalisme subjectif qui ne donne à voir au lecteur que ce qu’en perçoit le personnage (d’où l’utilisation si fréquente de la focalisation interne). Bien souvent, on ne perçoit donc du réel que ce qu’en perçoit Julien qui est bien souvent concentré sur lui-même et son insatiable appétit de réussite sociale. En somme, le miroir est un miroir déformant.

Romantisme

Julien est un héros romantique.

Le Voyageur contemplant une mer de nuages

Voici une courte définition du romantisme :

Cela ferait d’ailleurs un sujet de dissertation intéressant : Julien est-il un héros romantique ?

Un roman ambigu

On voit combien il est malaisé de définir le roman de Stendhal en cherchant à le placer dans telle ou telle case. L’auteur exprime d’ailleurs lui-même toute l’ambiguïté de son œuvre en ces termes :

«  Peut-être faut-il être romantique dans les idées : le siècle le veut ainsi ; mais soyons classiques dans les expressions et les tours [...] » (Racine et Shakespeare, chapitre VII)

Période historique

On a vu que le roman a pour sous-titre « chronique de 1830 ».

Il se situe à fin de la Restauration, peu avant la révolution de Juillet (1830), qui voit la chute de Charles X et des aristocrates nostalgiques de l’Ancien Régime.

Charles X

La Restauration est le nom donné au régime politique de la France entre 1814 et 1830. Il s'agit du retour des rois de la dynastie des Bourbons après la période de la Révolution française et du Premier Empire. La noblesse tente de reprendre le pouvoir qu'elle dispute à la bourgeoisie. On distingue :

La Restauration se termine par la révolution des Trois Glorieuses en juillet 1830.
Elle est dirigée par Louis XVIII jusqu'en 1824, puis par Charles X jusqu'en 1830.(Vikidia)

La Restauration est une période marquée par la charte, qui est la constitution du royaume de France entrant en vigueur sous la première puis seconde Restauration. Lire l’article de Wikipédia, mais celui de Vie publique est beaucoup plus court et synthétique.

L’époque à laquelle se déroule le roman est une période profondément inégalitaire. Les idées de la Révolution n’ont plus court. L’inégalité des hommes est (redevenue) la norme. On le voit bien dans le chapitre 1 de la deuxième partie lorsque l’abbé Pirar fait à Julien le portrait de la famille du marquis de la Mole. Voici ce que pense la marquise :

Elle ne cache pas, elle, qu’avoir eu des ancêtres qui soient allés aux croisades est le seul avantage qu’elle estime. L’argent ne vient que longtemps après : cela vous étonne ? nous ne sommes plus en province, mon ami.

Cependant, ajouta M. Pirard, nous sommes prêtres, car elle vous prendra pour tel ; à ce titre, elle nous considère comme des valets de chambre nécessaires à son salut.

Le mérite individuel compte donc moins que la naissance. C’est pour ça que l’expression « bien né » revient si souvent dans le livre. Être bien né, c’est être noble. Soit dit en passant, c’est le sens étymologique du mot « généreux » (= generosus signifiant « de bonne ou noble race).

— J’aurais beaucoup de peine à quitter des enfants si aimables et si bien nés, mais peut-être le faudra-t-il. On a aussi des devoirs envers soi.
En prononçant la parole si bien nés (c’était un de ces mots aristocratiques que Julien avait appris depuis peu), il s’anima d’un profond sentiment d’anti-sympathie.
Aux yeux de cette femme, moi, se disait-il, je ne suis pas bien né. (Livre premier, chapitre 7)

Il pensait à la hardiesse dont Fouqué avait fait preuve avec ses maîtresses, et non à madame de Rênal ; le mot bien nés pesait encore sur son cœur. (Livre premier, chapitre 13)

Un homme bien né, qui tient son rang comme moi, est haï de tous les plébéiens. [C’est monsieur de Rênal qui parle] (Livre premier, chapitre 21)

Le jeune homme si bien né qu’il avait devant lui n’offrait aucun point de ressemblance avec le grossier personnage, qui, la veille, l’avait insulté. (Livre premier, chapitre 6)

Ainsi, comme on le verra avec l’analyse du chapitre où Julien prend la main de madame de Rênal, parvenir à se hisser dans la société des nobles relève de la conquête. C’est une bataille.

Quelques dates à retenir

La Liberté guidant le peuple

Les années 1830

C’est une époque où la noblesse craint encore une révolution. Madame de Rênal dit à Julien :

S’il y a une nouvelle révolution, tous les nobles seront égorgés [...] (Livre premier, chapitre 23)

On lit également un peu plus loin :

[...] si la révolution recommence, il nous fera tous guillotiner. (Livre second, chapitre 12)

Les Trois Glorieuses (27,28 et 29 juillet 1830) mettent fin à la Restauration et au règne de Charles X. L’insurrection qui a eu lieu durant ces trois jours a été déclenchée par une série de mesures (suspension de la liberté de la presse, dissolution de la chambre et restriction du droit de vote) qui restreignaient les libertés.

Mais le roman ne raconte pas ce moment. Toutefois, il le laisse pressentir.

C’est aussi une période compliquée marquée par la confiscation des idées de la Révolution française par Bonaparte qui a rétabli une noblesse d’empire, ce que Saint-Giraud appelle les « friperies monarchiques » au chapitre 1 de la deuxième partie :

Hé bien ! Bonaparte, que le ciel confonde, lui et ses friperies monarchiques, a rendu possible le règne des Rênal et des Chélan, qui a amené le règne des Valenod et des Maslon.

Les Misérables

Si vous voulez comprendre la complexité de la situation politique de ce début de XIXe siècle, lisez Les Misérables de Victor Hugo (et en particulier l’histoire de Marius dont le père était officier de l’armée de Napoléon et le grand-père, M. Gillenormand. On y comprend ce qui oppose les générations entre d’une part les partisans de Bonaparte et d’autre part les royalistes.

Période littéraire

Bataille d'Hernani

Un bref mot sur la période littéraire. Retenez le du mouvement romantisme, et le courant réaliste ainsi que les deux œuvres et les deux dates ci-dessous.

Pour en savoir plus sur Le Rouge et le Noir et son auteur

Notes :

1 - Roman d’apprentissage puisque le protagoniste qui au début n’est qu’un « chien de lizard » selon son père acquiert progressivement le statut de véritable héros.
2 - Roman d’aventures car le roman a incontestablement une dimension... romanesque : situations invraisemblables, rebondissements, suspense... On retrouve même le motif de l’enfant trouvé qui ferait de Julien un héros à l’ascendance plus conforme à sa valeur et sa noblesse de caractère.
3 - Roman d’analyse psychologique en ceci qu’il fait le portrait d’une Mathilde dévorée par son orgueil ou d’une madame de Rênal soumise aux affres de la passion et du remords.
4 - Œuvre rapidemnt évoquée au livre second, chapitre 10 :
Il s’approcha de lui comme on passait au jardin, prit un air doux et soumis, et partagea sa fureur contre le succès d’Hernani.
— Si nous étions encore au temps des lettres de cachet !… dit-il.
— Alors il n’eût pas osé, s’écria l’académicien avec un geste à la Talma.

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