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Écho et Narcisse

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"Echo et Narcisse" de John William Waterhouse
Source : Wikipédia

Narcisse n’était plus un enfant, c’était à peine un jeune homme. Une foule de nymphes brûlaient pour lui, mais il était d'un orgueil si farouche que pas une ne parvenait à toucher son cœur.
Un jour qu'il chassait le cerf, il fut aperçu par une nymphe à la voix étonnante. C'est Écho, dont la bouche redit les sons qui frappent son oreille. Elle ne peut se taire quand on lui parle, et elle ne sait pas parler la première.

L’orgueil est l’amour de soi (l’amour-propre) : c’est l’opinion très avantageuse et exagérée que l’on a de soi-même.
Narcisse, comme Apollon ou même Ulysse, sont des personnages orgueilleux.

Écho était alors une nymphe, et non une simple voix, et cependant sa voix ne lui servait, comme à présent, qu’à répéter les dernières paroles qu’elle avait recueillies. Junon l’avait ainsi punie, car souvent, sur les montagnes, lorsqu’elle cherchait à surprendre les nymphes dans les bras de Jupiter, Écho l’avait retenue par de longs bavardages pour donner aux nymphes le temps de fuir. La fille de Saturne découvrit la ruse : « Cette langue qui m’a trompée, dit-elle, perdra presque tout son pouvoir ». L’effet suit la menace : Écho ne peut plus désormais que répéter les dernières paroles de la voix qu’elle entend.

À peine Narcisse, errant au fond des bois, a-t-il frappé ses regards, qu’elle s’enflamme et suit sa trace. Plus elle le suit, et plus son cœur s’embrase. Que de fois elle voulut l’aborder d’une voix caressante ! Son destin lui défend de parler la première ; mais au moins, puisqu'elle le peut, elle s’apprête à recueillir ses paroles, et à lui répondre à son tour. Le jeune homme s’écrie : « Y a-t-il quelqu’un près de moi ? — Moi », répond Écho.

Immobile de surprise, il tourne ses regards de tous côtés. « Viens », dit-il à haute voix, et la nymphe appelle celui qui l’appelait. Il se tourne, et comme personne ne venait : « Pourquoi me fuis-tu ? » dit-il, et son oreille recueille autant de paroles que sa bouche en a proféré. Trompé par cette voix qui reproduit la sienne, il s'exclame : « Réunissons-nous ». À ces mots, les plus doux que sa bouche puisse redire, Écho répond : « Unissons-nous ». Elle sort du bois, et s’élance vers Narcisse, dans le doux espoir de le presser dans ses bras, mais celui-ci s'enfuit pour échapper aux embrassements de la nymphe. « Je préfère mourir, dit-il, que de m’abandonner à tes désirs ».

« Puisse-t-il aimer à son tour, et ne jamais être aimé en retour ! »

La nymphe, rejetée, s’enfonce dans les bois, et va cacher sa honte sous leur épais feuillage. Depuis ce temps, elle habite les antres solitaires, mais l’amour vit encore au fond de son cœur, et la douleur épuise et consume ses membres. La maigreur dessèche sa beauté. Tout son sang s’évapore. Il ne lui reste que la voix et les os. Sa voix s’est conservée ; ses os ont pris, dit-on, la forme d’un rocher. Depuis ce jour, retirée dans les bois, elle ne paraît plus sur les montagnes, mais elle s’y fait entendre à tous ceux qui l’appellent. C’est un son qui vit en elle.

Comme Écho, d’autres nymphes ainsi qu'une foule de jeunes gens furent dédaignés par Narcisse. Une victime de ses mépris, élevant ses bras vers le ciel, s’écria : « Puisse-t-il aimer à son tour, et ne jamais être aimé en retour ! » Némésis exauça cette juste prière.

Près de là, une fontaine limpide roulait ses flots argentés. Jamais les bergers ni les chèvres, venant de paître sur les montagnes, ni toute autre espèce de troupeaux ne s’y étaient désaltérés. Jamais oiseau, ni bête sauvage, ni feuille tombée des arbres n’avait troublé sa pureté. Bordée d’un gazon que l’humidité du lieu entretenait toujours vert, l’ombre des arbres défendait la fraîcheur de l'onde contre les feux du soleil.

C’est là que Narcisse vient se reposer, épuisé par la chasse et la chaleur. Charmé de la beauté du lieu et de la limpidité des eaux, il veut éteindre sa soif, mais il sent naître dans son cœur une soif plus dévorante encore. Tandis qu’il boit, il aperçoit son image dans l’onde. En extase devant lui-même, il demeure, le visage immobile comme une statue de marbre de Paros. Il admire les charmes qui le font admirer. Insensé ! Il est lui-même, et l’amant et l’objet aimé, c’est lui-même qu’il recherche ! Que de vains baisers il donne à cette onde trompeuse ! Que de fois il y plonge ses bras pour saisir la tête qu’il a vue, sans pouvoir embrasser son image !

Rien ne peut l’en arracher, ni la faim ni le repos. Couché sur l’épais gazon, il ne peut rassasier ses yeux de la vue de ses propres charmes. Il s’écrie, les bras étendus vers les arbres qui l’entourent : « Ô forêts, vous souvient-il, vous dont la vie a traversé tant de siècles, d’avoir vu un amant dépérir dans une aussi triste langueur ? Une beauté me charme, je la vois, et je ne puis la rejoindre. Pour comble de douleur, il n’y a entre nous ni vastes mers, ni longues distances, ni montagnes, ni murailles fermées de portes ! Un peu d’eau nous sépare. L’objet de ma tendresse brûle de m’appartenir : chaque fois que je me suis penché sur l'onde pour lui donner un baiser, j’ai vu sa tête s’avancer et sa bouche approcher de la mienne. Ma main semble près de l’atteindre, l’obstacle le plus faible s’oppose à notre bonheur. Ah ! qui que tu sois, sors de cette onde ! Quand je tends mes bras vers toi, tu me tends les tiens. Quand je ris, tu souris. Souvent même quand j’ai pleuré, j’ai surpris des larmes dans tes yeux. Si je dois en juger par le mouvement de ta bouche gracieuse, elle m’envoie des paroles qui n’arrivent pas jusqu’à mon oreille.

« Je m’éteins à la fleur de l'âge. »

Mais je suis en toi, je le comprends enfin. Ma propre image pourrait-elle m’abuser ? Je brûle d’amour pour moi-même, et j’allume la flamme que je porte en moi. Ce que je désire est en moi : c’est pour trop posséder que je ne possède rien. Ah ! que ne puis-je me séparer de mon corps ! Souhait étrange pour un amant, je voudrais éloigner de moi ce que j’aime ! Déjà la douleur épuise mes forces. Il ne me reste plus que peu d’instants à vivre. Je m’éteins à la fleur de l'âge, mais la mort n’a rien d’affreux pour moi, puisqu’elle doit me délivrer du poids de mes souffrances Je voudrais que l’objet de ma tendresse pût me survivre, mais unis dans le même corps, nous ne perdrons en mourant qu’une seule vie ».

Ses larmes troublent la limpidité des eaux, et l’image s’efface. Comme il la voit s’éloigner : « Où fuis-tu ? s’écrie Narcisse. Oh ! demeure, je t’en conjure ! Ne m’abandonne pas. Ces traits que je ne puis toucher, laisse-moi les contempler ». Au milieu de ses plaintes, il déchire ses vêtements. Il meurtrit sa poitrine nue qui se colore, sous les coups, d’une rougeur légère. Aussitôt que son image meurtrie a reparu dans l’onde redevenue limpide, il n’en peut soutenir la vue. Il languit, desséché par l’amour, et s’éteint lentement, consumé par le feu secret qu’il nourrit dans son âme.

Déjà il a vu se faner les lis et les roses de son teint. Il a perdu ses forces et cet air de jeunesse qui le charmaient naguère. Ce n’est plus ce Narcisse qu’aima jadis Écho. Témoin de son malheur, la nymphe en eut pitié, bien qu’irritée par de pénibles souvenirs. Chaque fois que l’infortuné Narcisse s’écriait hélas ! la voix d’Écho répétait : « Hélas ! » Lorsque de ses mains il frappait sa poitrine, elle faisait entendre un bruit pareil au bruit de ses coups. Les dernières paroles de Narcisse furent : « Hélas ! vain objet de ma tendresse ! » Les lieux d’alentour répètent ces paroles. « Adieu », dit-il. « Adieu », répond-elle.

Narcisse changé en fleur
Source : Wikipédia

Il laisse retomber sa tête languissante sur le gazon fleuri, et la nuit ferme ses yeux encore épris de sa beauté. Descendu au ténébreux séjour, il se contemplait encore dans les eaux du Styx. Les naïades, ses sœurs, le pleurèrent, et coupèrent leurs cheveux pour les déposer sur sa tombe. Les Dryades le pleurèrent aussi. Écho redit leurs gémissements. Déjà le bûcher, les torches funèbres, le cercueil, tout est prêt, mais on cherche vainement le corps de Narcisse. On ne trouve à sa place qu’une fleur jaune, couronnée de feuilles blanches au milieu de sa tige.

D'après Les Métamorphoses d'Ovide

Questions

Une histoire dans l’histoire dans...

1 - Où l’histoire de Narcisse commence-t-elle ? À quel paragraphe reprend-elle ?
2 - Par quelle histoire l’histoire de Narcisse est-elle interrompue ?
3 - Pourquoi la nymphe a-t-elle été punie par Junon ? Quel châtiment lui a-t-elle infligé ?
4 - Quel sentiment éprouve-t-elle pour Narcisse ? Et Narcisse ?
5 - Pour quelle raison Narcisse n’aime-t-il personne ?
6 - Comment Écho fait-elle pour parler à Narcisse ?
7 - Que devient la nymphe rejetée par Narcisse ?

Le châtiment de Narcisse

8 - Qui demande à ce que Narcisse puisse aimer sans être aimé ?
9 - Quelle déesse exauce cette prière ? De quelle façon ?
10 - Relisez le dixième paragraphe et nommez l’illusion dont est victime le jeune homme.
11 - Quels pronoms utilise d’abord Narcisse pour désigner celui qu’il aime ? Quels pronoms utilise-t-il ensuite dans le onzième paragraphe ?
12 - Quel souhait le jeune homme formule-t-il alors ?
13 - Ne pouvant se séparer de lui-même, que lui arrive-t-il ? Que reste-t-il de lui ? Pourquoi ?

Rédaction

Vous vous promenez dans la montagne. L’écho répète votre voix. Vous dialoguez avec vous-même.
Racontez et décrivez ce phénomène acoustique.

Grammaire

Écho était alors une nymphe, et non une simple voix, et cependant sa voix ne lui servait, comme à présent, qu’à répéter les dernières paroles qu’elle avait recueillies. Junon l’avait ainsi punie, car souvent, sur les montagnes, lorsqu’elle cherchait à surprendre les nymphes dans les bras de Jupiter, Écho l’avait retenue par de longs bavardages pour donner aux nymphes le temps de fuir. La fille de Saturne découvrit la ruse.

a) Lisez ce paragraphe et relevez les verbes.
b) À quels temps sont ces verbes ?
c) Conjuguez-les.

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