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Madame Vauquer

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Madame Vauquer dirige depuis quarante ans une pension bourgeoise, à Paris, rue Neuve-Sainte-Geneviève.

Madame VauquerCette pièce est dans tout son lustre (1) au moment où, vers sept heures du matin, le chat de Mme Vauquer précède sa maîtresse, saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes d’assiettes, et fait entendre son rourou matinal. Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis, elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées (2). Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet ; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d’église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s’est blottie la spéculation, et dont Mme Vauquer respire l’air chaudement fétide sans en être écœurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d’automne, ses yeux ridés, dont l’expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l’amer renfrognement de l’escompteur (3), enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans l’argousin (4), vous n’imaginez pas l’un sans l’autre. L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus (5) est la conséquence des exhalaisons d’un hôpital. Son jupon de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s’échappe par les fentes de l’étoffe lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est là, le spectacle est complet. Âgée d’environ cinquante ans, Mme Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs. Elle a l’œil vitreux, l’air innocent d’une entremetteuse (6) qui va gendarmer pour se faire payer plus cher, mais d’ailleurs prête à tout pour adoucir son sort, à livrer Georges ou Pichegru (7), si Georges ou Pichegru étaient encore à livrer. Néanmoins, elle est bonne femme au fond, disent les pensionnaires, qui la croient sans fortune en l’entendant geindre et tousser comme eux. Qu’avait été M. Vauquer ? Elle ne s’expliquait jamais sur le défunt. Comment avait-il perdu sa fortune ? Dans les malheurs, répondait-elle. Il s’était mal conduit envers elle, ne lui avait laissé que les yeux pour pleurer, cette maison pour vivre, et le droit de ne compatir à aucune infortune, parce que, disait-elle, elle avait souffert tout ce qu’il est possible de souffrir. En entendant trottiner sa maîtresse, la grosse Sylvie, la cuisinière, s’empressait de servir le déjeuner des pensionnaires internes.

Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834-1835

Notes :

1 - Lustre : éclat.
2 - Grimacer : ici, faire un faux pli.
3 - Escompteur: personne qui avance une somme d'argent moyennant un intérêt.
4 - Argousin : surveillant, gardien.
5 - Typhus : maladie infectieuse.
6 - Entremetteuse : femme qui sert d'intermédiaire dans une relation amoureuse ou un mariage.
7 - Georges Cadoudal et Charles Pichegru : royalistes qui complotèrent contre Bonaparte.

Questions

I - Un monstre

1. «la veuve se montre»
Rappelez-vous de l’origine du mot «monstre». Que remarquez-vous ?
2. Relevez les comparaisons décrivant madame Vauquer. Laquelle est développée dans l’avant-dernière ligne ?
3. «Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet»
A-t-elle vraiment un bec de perroquet ? S’agit-il d’une comparaison ? Quelle figure de style est-ce donc ?

II - Un portrait peu flatteur

4° Complétez le tableau relevant les détails physiques et leurs caractéristiques permettant de faire le portrait de madame Vauquer.

Détails physiquesCaractéristiques
Bonnetattifé, de tulle
Tour de cheveuxmal mis, pend










5. Quels termes la décrivant sont particulièrement péjoratifs ?
6. Quels termes la présentent comme un édifice en ruine ?

III - Le spectacle est complet

7. Relevez les passages décrivant la pension.
8. Quel rapport y a-t-il entre madame Vauquer et sa pension ? Relevez la phrase qui l’indique.
10. Quelles comparaisons l’auteur utilise-t-il pour montrer le lien qui unit une personne ou une chose à un lieu ? Que penser alors de madame Vauquer ?
11. Quels termes montrent que les pensionnaires se trompent sur cette personne ?

Conjugaison :

«la veuve se montre»

1. Comment appelle-t-on un verbe commençant par le pronom «se» ?
2. Qui se pronom désigne-t-il ?
3. Conjuguez le verbe «montrer» au présent de l’indicatif et au passé composé.
4. Conjuguez maintenant le verbe «se montrer» au présent de l’indicatif et au passé composé. Que remarquez-vous ?
5. Conjuguez, enfin, «se montrer» à l’impératif présent. Que remarquez-vous.

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