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Les caprices de la mode

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Lettres persanes (1721)

MontesquieuDans ces lettres fictives, Montesquieu fait parler un Persan (Rica) qui voyage en France et écrit à ses compatriotes (Rhédi notamment). Il porte sur la société française du XVIIIe siècle un œil faussement naïf.
Publiées à Amsterdam, sans nom d’auteur, les Lettres persanes, se présentent comme la traduction d’une correspondance entre Persans. Il s’agit en fait d’un roman par lettres qui permet à son auteur d’éviter la censure.

Cette œuvre connaît alors un succès considérable.

Rica à Rhédi, à Venise

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il s’imagine que c’est quelque Américaine (1) qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.
Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches (2), et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents (3) ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.
Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs (4) selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.
(Lettre 99)

Notes :

1 - Américaine : Nous dirions une Indienne d’Amérique. C’est une allusion à l’usage des fards et du rouge.
2 - Mouches : petites rondelles de tissu noir, que les femmes se collaient sur le visage par coquetterie et qui ressemblaient à des grains de beauté.
3 - De la taille et des dents : Allusion aux jupes montées sur des cerceaux qui cachaient la taille et aux fausses dents que mettaient certaines femmes.
4 - Moeurs : Comportement, habitudes dans une société relatifs à la pratique du bien et du mal ; règles de vie imposées.


Questions

I — Une lettre (7,5 points)

1. Citez avec précision les indices qui montrent que ce texte est une lettre. (2 points)
2. Une correspondance est un échange épistolaire. (2 points)
Quelle est l’origine latine du mot souligné ? Que signifie-t-il ? Quel mot a-t-il donné en français ?
3. « avant que tu eusses reçu ma lettre » (ligne 7). (3,5 points)
Quel est le verbe dans cette proposition subordonnée ? Quel est son mode ? Quel est son temps ? Conjuguez-le.

II — La mode (4 points)

4. « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. » (1 point)
Quelle est la classe grammaticale du mot « je » ? Qui désigne-t-il ?
5. Dès le premier paragraphe, l’auteur de la lettre se moque de la mode. Montrez-le en citant précisément le texte (vocabulaire employé, construction des phrases du premier paragraphe). (1 point)
6. Citez différents exemples de cette moquerie dans le reste du texte. Développez votre réponse et justifiez-la en citant précisément le texte. (2 points)

III — Un autre sujet de moquerie (8,5 points)

7. Dans quel paragraphe l’auteur se moque-t-il d’autre chose ? Quel est le rapport avec la mode ? (2 points)
8. Réécrivez la phrase Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. au discours indirect en commençant par L’auteur pensait. (2 points)
9. Quel est le type de comique utilisé dans ce texte ? Donnez-en une définition. (2 points)
10. Quels autres types de comique avons-nous rencontré au cours de la séquence ? (2,5 points)

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La Brède
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