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L'avarice

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HARPAGON, LA FLÈCHE.

HARPAGON :
Hors d’ici tout à l’heure (1), et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou ; vrai gibier de potence (2).

LA FLÈCHE à part :
Je n’ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard ; et je pense, sauf correction, qu’il a le diable au corps.

HARPAGON :
Tu murmures entre tes dents.

Ce que dit le poète Charles Robinet de L’Avare :

« J'avertis que le sieur Molière
[...]
Donne à présent sur son théâtre,
Où son génie est idolâtre,
Un Avare qui divertit,
Non pas certes pour un petit,
Mais au-delà ce qu'on peut dire ;
Car d'un bout à l'autre il fait rire.
Il parle en prose, et non en vers ;
Mais, nonobstant les goûts divers,
Cette prose est si théâtrale
Qu'en douceur les vers elle égale. »

(Lettre en vers à Madame)

LA FLÈCHE :
Pourquoi me chassez-vous ?

HARPAGON :
C’est bien à toi, pendard, à me demander des raisons : sors vite, que je ne t’assomme.

LA FLÈCHE :
Qu’est-ce que je vous ai fait ?

HARPAGON :
Tu m’as fait, que je veux que tu sortes.

LA FLÈCHE :
Mon maître, votre fils, m’a donné ordre de l’attendre.

HARPAGON :
Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent (3) de tous côtés pour voir s’il n’y a rien à voler.

LA FLÈCHE :
Comment diantre (4) voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?

HARPAGON :
Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards (5), qui prennent garde à ce qu’on fait ? (À part) Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argent. (Haut) Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j’ai chez moi de l’argent caché ?

LA FLÈCHE :
Vous avez de l’argent caché ?

HARPAGON :
Non, coquin, je ne dis pas cela. (À part) J’enrage. (Haut) Je demande si malicieusement tu n’irais point faire courir le bruit que j’en ai.

LA FLÈCHE :
Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n’en ayez pas, si c’est pour nous la même chose ?

HARPAGON :
Tu fais le raisonneur ; je te baillerai (6) de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet (7)) Sors d’ici encore une fois.

LA FLÈCHE :
Hé bien ! je sors.

HARPAGON :
Attends. Ne m’emportes-tu rien ?

LA FLÈCHE :
Que vous emporterais-je ?

HARPAGON :
Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.

LA FLÈCHE :
Les voilà.

HARPAGON :
Les autres.

LA FLÈCHE :
Les autres ?

HARPAGON :
Oui.

LA FLÈCHE :
Les voilà.

HARPAGON, désignant les chausses (8) :
N’as-tu rien mis ici dedans ?

LA FLÈCHE :
Voyez vous-même.

HARPAGON, Il tâte le bas de ses chausses :
Ces grands hauts-de-chausses (9) sont propres à devenir les receleurs (10) des choses qu’on dérobe ; et je voudrais qu’on en eût fait pendre quelqu’un.

LA FLÈCHE, à part :
Ah ! qu’un homme comme cela, mériterait bien ce qu’il craint ! et que j’aurais de joie à le voler !

HARPAGON :
Euh ?

LA FLÈCHE :
Quoi ?

HARPAGON :
Qu’est-ce que tu parles de voler ?

LA FLÈCHE :
Je dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si je vous ai volé.

HARPAGON :
C’est ce que je veux faire.

Il fouille dans les poches de la Flèche.

LA FLÈCHE, à part :
La peste soit de l’avarice, et des avaricieux.

L’Avare, Acte I, scène 3

Notes :

1 - Tout de suite, immédiatement.
2 - Personne qui mérite d’être pendue (menée à la potence).
3 - Du verbe « fureter » (chercher, fouiller, aller partout dans l’intention de découvrir quelque chose d’intéressant).
4 - Juron synonyme de « diable » marquant, ici, l’étonnement.
5 - Espions.
6 - Donnerai.
7 - Gifle.
8 - Élément du vêtement masculin qui habillent des hanches jusqu’aux pieds (sorte de bas).
9 - Habit masculin allant de la ceinture au genoux. Pour plus d’explications, voir ce site.
10 - Personne faisant du recel (action de garder des choses volées par quelqu’un).


L'Avare (mise en scène de Roger Planchon) est une comédie en prose qui a été représentée pour la première fois au théâtre du Palais-Royal le 9 septembre 1668.
Molière y joue Harpagon, un vieillard riche et avare qui souhaite se remarier.
Source : Gallica

Questions

Deux caractères

1. Dans sa première réplique, quel mode emploie Harpagon pour donner ses ordres ? Qu’est-ce qui, dans le vocabulaire qu’il emploie, montre qu’il est le maître ?

2. À votre avis, qui est La Flèche ? Que vous inspire son nom ?

3. Celui-ci répond-il tout de suite ? Quels mots montrent qu’il se parle d’abord à lui même ?

4. Quels sentiments lui inspirent les propos de son maître ? Justifiez votre réponse.

La peur du vol

5. Qu’est-ce qu’un avare ? Trouvez deux mots de la même famille dans cette scène.

6. Qu’appelle-t-on, aujourd’hui, un harpagon ?

7. Quand La Flèche se décide à obéir à Harpagon, que fait celui-ci ?

8. Pourquoi Harpagon fouille-t-il La Flèche ? Où Harpagon le fouille-t-il ?

9. Au début de l’extrait, qui pose les questions ? Ensuite, qui les pose ? Comment sont les répliques à ce moment ? Quel est l’effet produit ?

L'Avare

Maître et valet

10. Qui du maître ou du valet vous semble le plus malin ? Pour quelles raisons ?

11. Quelle phrase semble annoncer la suite de la pièce ?

12. En somme, qui vous paraît diriger le jeu ? Le maître ou le valet ?

Réécriture

Réécrivez cette phrase en conjuguant les verbes à l’impératif de la deuxième personne du pluriel :

Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout.

Grammaire

« Ah ! qu’un homme comme cela, mériterait bien ce qu’il craint ! et que j’aurais de joie à le voler ! »

À quel temps sont les verbes en gras ? Conjuguez-les à toutes les personnes.

Qu’expriment ces verbes :

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