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Séance 4 Le prologue

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L’objectif de ce travail est de bâtir un commentaire de ce passage. Si seule la partie allant de « Nous allons tout savoir » à « on me verra sans doute triompher – ou périr » doit faire l’objet d’un commentaire composé, il est important de lire l’ensemble de ce prologue. Il forme une unité qui éclaire le sens de l’extrait que nous allons étudier, il occupe une place importante dans la pièce et vous aidera dans la composition de votre commentaire.

Pour construire votre commentaire, reportez-vous à la méthode du commentaire composé.

Devant le palais d’Œdipe. Un groupe d’enfants est accroupi sur les degrés du seuil. Chacun d’eux a en main un rameau d’olivier. Debout, au milieu d’eux, est le prêtre de Zeus.

ŒDIPE

Enfants, jeune lignée de notre vieux Cadmos, que faites-vous là ainsi à genoux, pieusement parés de rameaux suppliants ? La ville est pleine tout ensemble et de vapeurs d’encens et de péans mêlés de plaintes. Je n’ai pas cru dès lors pouvoir laisser à d’autres le soin d’entendre votre appel, je suis venu à vous moi-même, mes enfants, moi, Œdipe –Œdipe au nom que nul n’ignore. Allons ! vieillard, explique-toi : tu es tout désigné pour parler en leur nom. À quoi répond votre attitude ? À quelque crainte ou à quelque désir ? Va, sache-le, je suis prêt, si je puis, à vous donner une aide entière. Il faudrait bien que je fusse insensible pour n’être pas pris de pitié à vous voir ainsi à genoux.

LE PRÊTRE

Eh bien ! je parlerai. Ô souverain de mon pays, Œdipe, tu vois l’âge de tous ces suppliants à genoux devant tes autels. Les uns n’ont pas encore la force de voler bien loin, les autres sont accablés par la vieillesse ; je suis, moi, prêtre de Zeus ; ils forment, eux, un choix de jeunes gens. Tout le reste du peuple, pieusement paré, est à genoux, ou sur nos places, ou devant les deux temples consacrés à Pallas, ou encore près de la cendre prophétique d’Isménos. Tu le vois comme nous, Thèbes, prise dans la houle, n’est plus en état de tenir la tête au-dessus du flot meurtrier. La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie. Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s’est abattue sur nous, fouaillant notre ville et vidant peu à peu la maison de Cadmos, cependant que le noir Enfer va s’enrichissant de nos plaintes, de nos sanglots. Certes ni moi ni ces enfants, à genoux devant ton foyer, nous ne t’égalons aux dieux ; non, mais nous t’estimons le premier de tous les mortels dans les incidents de notre existence et les conjonctures créées par les dieux. Il t’a suffi d’entrer jadis dans cette ville de Cadmos pour la libérer du tribut qu’elle payait alors à l’horrible Chanteuse. Tu n’avais rien appris pourtant de la bouche d’aucun de nous, tu n’avais reçu aucune leçon : c’est par l’aide d’un dieu – chacun le dit, chacun le pense – que tu as su relever notre fortune. Eh bien ! cette fois encore, puissant Œdipe aimé de tous ici, à tes pieds, nous t’implorons. Découvre pour nous un secours. Que la voix d’un dieu te l’enseigne ou qu’un mortel t’en instruise, n’importe ! Les hommes éprouvés se trouvent être aussi ceux dont je vois les conseils le plus souvent couronnés de succès. Oui, redresse notre ville, ô toi, le meilleur des humains ! Oui, prends garde pour toi-même ! Ce pays aujourd’hui t’appelle son sauveur, pour l’ardeur à le servir que tu lui montras naguère : ne va pas maintenant lui laisser de ton règne ce triste souvenir qu’après notre relèvement il aura ensuite marqué notre chute. Redresse cette ville, définitivement. C’est sous d’heureux auspices que tu nous apportas autrefois le salut : ce que tu fus, sois-le encore. Aussi bien, si tu dois régner sur cette terre, comme tu y règnes aujourd’hui, ne vaut-il pas mieux pour cela qu’elle soit peuplée que déserte ? Un rempart, un vaisseau ne sont rien, s’il n’y a plus d’hommes pour les occuper.

ŒDIPE

Mes pauvres enfants, vous venez à moi chargés de vœux que je n’ignore pas – que je connais trop. Vous souffrez tous, je le sais ; mais quelle que soit votre souffrance, il n’est pas un de vous qui souffre autant que moi. Votre douleur, à vous, n’a qu’un objet : pour chacun lui-même et nul autre. Mon cœur à moi gémit sur Thèbes et sur toi et sur moi tout ensemble. Vous ne réveillez pas ici un homme pris par le sommeil. Au contraire, j’avais, sachez-le, répandu déjà bien des larmes et fait faire bien du chemin à ma pensée anxieuse. Le seul remède que j’aie pu, tout bien pesé, découvrir, j’en ai usé sans retard. J’ai envoyé le fils de Ménécée 1, Créon, mon beau-frère 2, à Pythô, chez Phœbus, demander ce que je devais dire ou faire pour sauvegarder notre ville. Et même le jour où nous sommes, quand je le rapproche du temps écoulé, n’est pas sans m’inquiéter : qu’arrive-t-il donc à Créon ? La durée de son absence dépasse le délai normal beaucoup plus qu’il n’est naturel. Mais dès qu’il sera là, je serais criminel, si je refusais d’accomplir ce qu’aura déclaré le dieu.

LE PRÊTRE

Tu ne pouvais parler plus à propos : ces enfants me font justement signe que Créon est là, qui approche.

ŒDIPE

Ah ! s’il pouvait, cher Apollon, nous apporter quelque chance de sauver Thèbes, comme on se l’imagine à son air radieux !

LE PRÊTRE

On peut du moins croire qu’il est satisfait. Sinon, il n’irait pas le front ainsi paré d’une large couronne de laurier florissant.

ŒDIPE

Nous allons tout savoir. Le voici maintenant à portée de nos voix. Ô prince, cher beau-frère, ô fils de Ménécée, quelle réponse du dieu nous rapportes-tu donc ?

Créon entre par la gauche.

CRÉON

Une réponse heureuse. Crois-moi, les faits les plus fâcheux, lorsqu’ils prennent la bonne route, peuvent tous tourner au bonheur.

ŒDIPE

Mais quelle est-elle exactement ? Ce que tu dis – sans m’alarmer – ne me rassure guère.

CRÉON

Désires-tu m’entendre devant eux ? je suis prêt à parler. Ou bien préfères-tu rentrer ?

ŒDIPE

Va, parle devant tous. Leur deuil à eux me pèse plus que le souci de ma personne.

CRÉON

Eh bien ! voici quelle réponse m’a été faite au nom du dieu. Sire Phœbos nous donne l’ordre exprès « de chasser la souillure que nourrit ce pays, et de ne pas l’y laisser croître jusqu’à ce qu’elle soit incurable ».

ŒDIPE

Oui. Mais comment nous en laver ? Quelle est la nature du mal ?

CRÉON

En chassant les coupables, ou bien en les faisant payer meurtre pour meurtre, puisque c’est le sang dont il parle qui remue ainsi notre ville.

ŒDIPE

Mais quel est donc l’homme dont l’oracle dénonce la mort ?

CRÉON

Ce pays, prince, eut pour chef Laïos, autrefois, avant l’heure où tu eus toi-même à gouverner notre cité.

ŒDIPE

On me l’a dit ; jamais je ne l’ai vu moi-même.

CRÉON

Il est mort, et le dieu aujourd’hui nous enjoint nettement de le venger et de frapper ses assassins.

ŒDIPE

Mais où sont-ils ? Comment retrouver à cette heure la trace incertaine d’un crime si vieux ?

CRÉON

Le dieu les dit en ce pays. Ce qu’on cherche, on le trouve ; c’est ce qu’on néglige qu’on laisse échapper.

ŒDIPE

Est-ce en son palais, ou à la campagne, ou hors du pays, que Laïos est mort assassiné ?

CRÉON

Il nous avait quittés pour consulter l’oracle, disait-il. Il n’a plus reparu chez lui du jour qu’il en fut parti.

ŒDIPE

Et pas un messager, un compagnon de route n’a assisté au drame, dont on pût tirer quelque information ?

CRÉON

Tous sont morts, tous sauf un, qui a fui, effrayé, et qui n’a pu conter de ce qu’il avait vu qu’une chose, une seule…

ŒDIPE

Laquelle ? Un seul détail pourrait en éclairer bien d’autres, si seulement il nous offrait la moindre raison d’espérer.

CRÉON

Il prétendait que Laïos avait rencontré des brigands et qu’il était tombé sous l’assaut d’une troupe, non sous le bras d’un homme.

ŒDIPE

Des brigands auraient-ils montré pareille audace, si le coup n’avait pas été monté ici et payé à prix d’or ?

CRÉON

C’est bien aussi ce que chacun pensa ; mais, Laïos mort, plus de défenseur qui s’offrît à nous dans notre détresse.

ŒDIPE

Et quelle détresse pouvait donc bien vous empêcher, quand un trône venait de crouler, d’éclaircir un pareil mystère ?

CRÉON

La Sphinx aux chants perfides, la Sphinx, qui nous forçait à laisser là ce qui nous échappait, afin de regarder en face le péril placé sous nos yeux.

ŒDIPE

Eh bien ! je reprendrai l’affaire à son début et l’éclaircirai, moi. Phœbos a fort bien fait – et tu as bien fait, toi aussi – de montrer ce souci du mort. Il est juste que tous deux vous trouviez un appui en moi. Je me charge de la cause à la fois de Thèbes et du dieu. Et ce n’est pas pour des amis lointains, c’est pour moi que j’entends chasser d’ici cette souillure. Quel que soit l’assassin, il peut vouloir un jour me frapper d’un coup tout pareil. Lorsque je défends Laïos, c’est moi-même aussi que je sers. Levez-vous donc, enfants, sans tarder, de ces marches et emportez ces rameaux suppliants. Un autre cependant assemblera ici le peuple de Cadmos. Pour lui, je suis prêt à tout faire, et, si le dieu m’assiste, on me verra sans doute triompher – ou périr.

Il rentre dans le palais avec Créon.

LE PRÊTRE

Relevons, nous enfants, puisque nous sommes venus chercher ici, le roi nous le promet. Que Phœbos, qui nous a envoyés ces oracles, maintenant vienne nous sauver et mettre un terme à ce fléau !

Correction

Introduction

Phrase d’accroche

Les deux grandes familles maudites que sont les Atrides et les Labdacides ont donné naissance à quelques-unes des plus grandes tragédies grecques de l’Antiquité comme Iphigénie d'Euripide ou encore Antigone de Sophocle. Œdipe roi, cité à maintes reprises par Aristote dans sa poétique, n’est pas la moindre d’entre elles. Elle met en scène un épisode de l’histoire de cet homme fuyant sa destinée et devenu roi de Thèbes après avoir vaincu le Sphinx.

Présentation de l’œuvre et de l’extrait

Le tout début de la pièce (c’est-à-dire le prologue, juste avant la parodos) nous le montre au sommet de sa gloire. En effet, le prêtre de Zeus s’adresse à lui en ces termes : « puissant Œdipe aimé de tous ici ». Dans ce moment douloureux (la peste ravage la ville), le héros salvateur, quasi déifié, est sommé de trouver une solution aux malheurs qui frappent Thèbes. À cet effet, l'oracle consulté doit apporter une réponse et une solution.

Problématique

On se demandera alors comment le prologue présente cette réponse qui mène à une nécessaire exigence de vérité digne d’un roman policier.

Plan

Pour ce faire, on verra tout d’abord quel rôle joue Créon, ce messager de la parole divine, puis on s'efforcera de montrer comment la parole oraculaire rend un message paradoxalement clair et obscur. Force sera enfin de constater que ce message aboutit à une nécessaire exigence de vérité à la fois inquiétante et tragique.

Partie 1 Créon, messager de la parole divine

Sous-partie 1 Arrivée de Créon

Le prologue d’Œdipe roi peut aisément être découpé en deux parties. Si la première était consacrée aux supplications du prêtre de Zeus, la deuxième consiste en un dialogue entre Œdipe et Créon. C’est sur cette partie que porte notre analyse. L’unique didascalie (« Créon entre par la gauche. ») informe de l’arrivée du beau-frère d’Œdipe.

Celui-ci apporte un certain nombre d’informations. Les verbes de parole (« Désires-tu m’entendre devant eux ? », « Va, parle devant tous. ») montrent que le dialogue qui va commencer sera riche d’informations. Celles-ci s’adressent autant au lecteur qu’au spectateur (c’est ce qu’on appelle la double énonciation). Elles permettent la mise en place de l’intrigue. C'est bien une scène d’exposition.

L’information principale est rapportée par Créon, qui a ici le rôle d’un messager. Il rapporte la parole du dieu qu’il est allé consulter à la demande d’Œdipe, ce qu’indiquent les paroles rapportées directement : « Sire Phœbos nous donne l’ordre exprès « de chasser la souillure que nourrit ce pays, et de ne pas l’y laisser croître jusqu’à ce qu’elle soit incurable » ». Il convient donc de trouver un criminel.

Sous-partie 2 Qui transmet la parole divine

En rapportant la parole divine (« voici quelle réponse m’a été faite au nom du dieu. »), Créon restitue « l’oracle » et situe le début de la pièce dans une perspective nouvelle. La connaissance de Créon de l’avenir ou du moins de la prophétie (le prophète est, étymologiquement, celui qui parle pour le dieu) place l'enquête sous le joug du domaine religieux.

Force est alors de répondre à l’injonction divine : « Sire Phœbos nous donne l’ordre exprès », « le dieu aujourd’hui nous enjoint nettement ». Notez les verbes « donne » et « enjoint ». Il est donc impossible de s’y soustraire. Le pouvoir politique, fût-il royal, est assujetti au religieux. Il faut laver la « souillure » et retrouver l’équilibre moral.

Cet équilibre n’est possible que si l’on retrouve le « souci du mort ». Le lexique de la vengeance indique qu’un meurtre constitue une « souillure » qu’il faut laver. (voir les verbes dans « chasser la souillure », « En chassant les coupables », « en les faisant payer meurtre pour meurtre », « venger et de frapper ses assassins »). Il importe de rendre justice.

Sous-partie 3 Et est un témoin du passé

Cependant, les adverbes de temps, les temps des verbes comme le passé simple et le plus-que-parfait (« Ce pays, prince, eut pour chef Laïos, autrefois », « Il nous avait quittés pour consulter l’oracle ») suggèrent que le rôle de Créon est plus complexe qu’on peut le penser de prime abord. S’il parle pour le dieu (pro-phète), il a, en tant qu’habitant de longue date de Thèbes, également la connaissance du passé. C’est donc un personnage charnière entre le passé et l’avenir. Son rôle est important (ce que confirmera la suite de la pièce mais aussi Œdipe à Colone).

Œdipe l’interroge (voir les nombreuses phrases interrogatives : « quelle réponse du dieu nous rapportes-tu donc ? », « Quelle est la nature du mal ? »). Il recherche l’information que transmet Créon. On l'a vu, il s'agit de la double énonciation : les propos s’adressent autant aux personnages qu’aux spectateurs. Ici, les interrogations renseignent aussi le spectateur qui découvre par la même le sujet de la pièce.

Ce faisant, les allusions à un passé trouble, chargé de mystère sont nombreuses : « la Sphinx, qui nous forçait à laisser là ce qui nous échappait ». Ce qui échappe remonte à l’arrivée d’Œdipe. Ce qui n'est pas dit mais que l'on comprend aisément, c'est que tout ramène à Œdipe et à son arrivée à Thèbes. Le lecteur/spectateur a ici un temps d'avance sur les personnages. On les regarde se débattre dans l'obscurité d'un présent dont il faut démêler les faits afin de résoudre les maux s’originant dans le passé.

Partie 2 La parole oraculaire

Sous-partie 1 Entre obscurité et clarté

Mais Créon utilise un langage sibyllin : « Crois-moi, les faits les plus fâcheux, lorsqu’ils prennent la bonne route, peuvent tous tourner au bonheur ». Est-ce là un langage obscur voire énigmatique chargé de sous-entendus ? Cette histoire de route et de faits fâcheux renvoient-ils au passé d’Œdipe ? On peut le penser. En tout cas, le langage des hommes est étonnamment plus obscur que celui des dieux.

Il va donc falloir faire la lumière sur tout cela (voir le polyptote : « éclaircir un pareil mystère », « je reprendrai l’affaire à son début et l’éclaircirai, moi. »). Déchiffrer, résoudre les problèmes est la marque d’Œdipe. Or la parole divine est claire. Mais à partir du moment où Œdipe commence à s'intéresser aux faits dans leur déroulement concret, l'oracle ne parle plus, les hommes doivent donc trouver eux-mêmes les réponses.

C’est là un paradoxe intéressant. Nous l’avons dit, l’injonction du dieu est simple : « Sire Phœbos nous donne l’ordre exprès « de chasser la souillure que nourrit ce pays, et de ne pas l’y laisser croître jusqu’à ce qu’elle soit incurable » ». Or Apollon est souvent nommé « Loxias », c'est-à-dire « l'oblique » à cause du caractère obscur des oracles qu'il rend. Et pourtant les choses sont (en apparence) on ne peut plus claires : trouver un coupable mettra un terme aux problèmes auxquels les Thébains font face.

Sous-partie 2 Les dieux et les hommes

Pour autant, les nombreuses phrases interrogatives formulées par Œdipe se chargent de suspicion : « Des brigands auraient-ils montré pareille audace, si le coup n’avait pas été monté ici et payé à prix d’or ? », « Et quelle détresse pouvait donc bien vous empêcher, quand un trône venait de crouler, d’éclaircir un pareil mystère ? », « Comment retrouver à cette heure la trace incertaine d’un crime si vieux ? ». Dès le début de la pièce, Œdipe croit difficilement à la version de Créon. Plus loin, l’adjectif « incertaine » (dans « la trace incertaine d’un crime si vieux ») prouve qu’il a beaucoup de mal à accréditer la version de Créon.

Dès lors, comme dans une enquête, des hypothèse sont formulées : « Des brigands auraient-ils montré pareille audace, si le coup n’avait pas été monté ici et payé à prix d’or ? » Même si le mot n’est pas prononcé, la thèse (thèse accréditée par Créon : « C’est bien aussi ce que chacun pensa ») du complot commence à poindre. A-t-on déjà les germes d’une vérité alternative ? Elle prépare en tout cas l'accusation qu'Œdipe lancera contre Tirésias puis Créon dans les premier et deuxième épisodes.

Au reste, la modalisation du propos (les modalités d’énoncé expriment la manière dont l’énonciateur apprécie le contenu de l’énoncé) est constante et chaque énoncé semble chargé d’incertitude : « Il prétendait que Laïos avait rencontré des brigands » (et voir plus loin « C’est bien aussi ce que chacun pensa », ce qu’on peut interpréter par « Moi, je ne le pensais pas »). Créon remet-il en question une version qu’il sait fausse ? Peut-être à son corps défendant, Créon légitime-t-il et renforce-t-il les doutes qui s'empareront bientôt d'Œdipe.

Sous-partie 3 Transparence politique

Pourtant, ce dernier se montre soucieux de transparence et laisse la parole politique devenir publique. « Va, parle devant tous. Leur deuil à eux me pèse plus que le souci de ma personne. » dit Œdipe qui, dans un élan démocratique, écoute les uns et les autres (ce qu’il ne cessera de faire durant toute la pièce) afin de prendre les décisions qui s’imposent.

Ainsi, entre exigence divine et devoir politique, entre parole divine claire et langage des hommes abscon, Œdipe va devoir prendre les choses en main. Après l'épreuve du Sphinx, une nouvelle énigme s'offre à Œdipe. Il avait prévenu d'emblée avant même que Créon ne revienne :« [...] je serais criminel, si je refusais d'accomplir ce qu'aura déclaré le dieu ». Voilà qui est inquiétant, mais l’exigence de vérité ne saurait être éludée.

Partie 3 L’exigence de vérité

Sous-partie 1 L’exigence de l’oracle est accueillie favorablement

C’est donc favorablement qu’Œdipe accueille toutes les requêtes, tous les témoignages ainsi que l’oracle : « Phœbos a fort bien fait » ; il obéit à « la cause [...] du dieu ». Le religieux enjoint le politique à agir et à révéler la souillure.
L’interjection « Eh bien ! » annonce la conclusion de ce prologue. Œdipe s’exclame et prend une décision : le passé doit être élucidé. Au sens propre, il s’agit de faire la lumière. « elucidare » signifie « rendre clair » et vient de « lucidus » qui veut dire « lumière ». Or on a déjà remarqué le champ lexical de la lumière (à travers le polyptote) : « éclaircir », « éclaircirai ». Toute la pièce consistera d’ailleurs à comprendre le passé.

Ainsi, dans ce prologue, les répliques sont relativement courtes. On a affaire à un début de pièce assez énergique. Œdipe se montre déterminé à prendre les choses en main après la supplication du prêtre.

Sous-partie 2 Une tragédie qui commence bien

Le début de la pièce est en somme assez paradoxal : tout semble se passer au mieux (cf. le vocabulaire mélioratif : « Une réponse heureuse », « bonheur », « Phœbos a fort bien fait – et tu as bien fait »). C’est un début quasi euphorique (étymologiquement, ce qui porte bien) dans une tragédie (rappelons qu’il y a la peste) qui semble proposer sa résolution dès le début. Et en effet, avant notre extrait, Créon revenait « le front ainsi paré d’une large couronne de laurier florissant » (ce qui est un signe scénique positif) et à la fin du prologue, le prêtre exprime pleinement sa satisfaction.

Elle tient à la décision d’Œdipe de prendre les choses en main (« je reprendrai l’affaire à son début »). Le roi est résolument tourné vers un futur (voir le futur simple « éclaircirai ») qui le mènera à son passé, conforté dans son opinion par Créon.

La phrase « Ce qu’on cherche, on le trouve ; c’est ce qu’on néglige qu’on laisse échapper » est construite sur un parallélisme et un présent de vérité générale et indique que la vérité s’obtient par la quête (« ce qu’on cherche »). Cette recherche de la vérité est le sujet de la pièce. La vérité ne se décrète pas, elle n'est pas imposée de l'extérieur, et certainement pas par les dieux. Elle fait l'objet d'une recherche individuelle et elle est accessible à tous.

Sous-partie 3 Mais qui se terminera mal

Pour autant, cette recherche, cette volonté de comprendre porte sa propre menace. Les pronoms personnels ( « je », « moi » dans la dernière réplique) ou encore l’affirmation « Nous allons tout savoir » montrent un Œdipe trop sûr de lui. Pour lui, la volonté personnelle, l’intelligence, l’action des hommes peuvent simplement résoudre les problèmes exposés par les dieux. L’hybris c’est-à-dire la fierté du héros, sa démesure et son entêtement deviennent évidents.

De surcroît, l’ironie tragique (ignorance du héros qui prononce des paroles qui se retourneront contre lui et qui donc se chargent d'un sens ironique pour celui qui a d’emblée connaissance de l'entièreté des faits) est évidente : « c’est pour moi que j’entends chasser d’ici cette souillure. », « Lorsque je défends Laïos, c’est moi-même aussi que je sers. » Œdipe pense encore pouvoir agir, éclaircir le passé, trouver le coupable et « mettre un terme à ce fléau ». Et la dénégation « jamais je ne l’ai vu moi-même » quand il parle de Laïos, pour le spectateur connaissant l’histoire d’Œdipe, prête à sourire puisque précisément Œdipe a vu son père et l’a même tué.

En fait, on ne peut qu'être frappé de la symétrie de la pièce. Au début, Œdipe se croit clairvoyant et ne voit pas. À la fin, il ne voit pas et est clairvoyant (semblable ainsi à Tirésias). « On me verra sans doute triompher – ou périr. » dit-il à la fin du prologue. Ces deux termes contiennent l'ensemble de la pièce. Triompher, c'est maintenant (et c'est même déjà du passé). Périr, c'est à venir.

Conclusion

Bilan / Points essentiels

Le prologue, à l’instar d’une scène d'exposition, met donc en place tous les éléments nécessaires à l'intrigue. Un roi dont les exploits passés en font le héros type de l'épopée doit prendre en mains la résolution d'une crise. Les choses paraissent relativement simples : trouver le meurtrier du précédent roi. Or l'enquête judiciaire s'avèrera bien plus complexe que ne le laisse entendre un oracle paradoxalement limpide. En effet, la parole oraculaire transmise par les hommes et interprétée par les hommes permet de mettre en branle la tragédie. Œdipe le « sauveur », « le meilleur des humains » doit trouver la vérité et donc un coupable qui n'est autre que lui-même. La machine infernale est à l'œuvre.
Vision d’ensemble

Nul doute que le tragique est à l’œuvre. Rappelons-nous de ce que disait Socrate dans l’Art poétique (chapitre 11) : « la péripétie est le revirement de l'action dans le sens contraire ». Le héros d'abord acclamé au début de la pièce sera rejeté et exilé.

Ouverture

La pièce se terminera d’ailleurs sur ces mots qui en seront la conclusion : « Le voilà, cet Œdipe, cet expert en énigmes fameuses qui était devenu le premier des humains. Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin sans envie. Aujourd'hui, dans que flot d'effrayante misère est-il précipité ! C'est donc ce dernier jour qu'il faut, pour un mortel, toujours considérer. Gardons-nous d'appeler jamais un homme heureux, avant qu'il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin. »

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