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Séance 2 (Correction)

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La chimie

La chimie du latin médiéval « chimia » désigne l’art de transformer les métaux. Le mot latin vient du grec « khêmia » et signifiait « magie noire ».

L’alchimie

L’alchimie (du latin médiéval « alchimia » de l’arabe « al-kîmiyâ » emprunté au grec) désigne l’art de fondre et d’allier les métaux. C’est une science occulte (qui est cachée, secrète) qui prétend enseigner notamment à ses adeptes comment transmuer les métaux grâce à la pierre philosophale, éviter les maladies grâce à la panacée (1) ou l’élixir de longue vie.
Le mot a un second sens figuré qui désigne la transformation, la sublimation de la réalité dans l’art. Dès l’âge classique, mais aussi durant l’Antiquité, on reconnaît à l’art cette vertu :

Cf. extrait du Chant III de l’Art poétique de Nicolas Boileau

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux :
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.

À rapprocher d’Aristote

Ce qui est imité plaît toujours. On en peut juger par les productions des arts : des objets que, dans la réalité, nous verrions avec peine, par exemple les bêtes les plus hideuses, les cadavres, nous en contemplons avec plaisir les représentations les plus exactes.

Toutefois, pour qu’« un affreux objet » (un monstre, un individu, un débauché...) devienne « aimable », l’artiste se doit de le condamner explicitement et que le bien (ce qui est bon et donc moral) soit puni.

Chez Baudelaire, l’art opère une transfiguration du réel et est donc supérieur au réel, comme il le dit dans « L’Invitation au voyage » dans les Petits poèmes en prose à propos de la Hollande : « Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue. ».

La boue et l’or

De fait, la poésie baudelairienne a ceci d’alchimique qu’elle transforme la boue du réel en or poétique :

Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

Le mot « boue » a d’ailleurs une polysémie intéressante. Il désigne bien évidemment la terre mélangée d’eau (entre autres), mais au sens figuré, elle désigne l’abjection, l’infamie. Voir les métaphores du dictionnaire de l’Académie : se vautrer dans la boue du péché, cet homme est tombé dans la boue ou traîner quelqu’un dans la boue notamment. La boue, c’est aussi le mélange résiduel de l’encrier. D’une certaine façon, il est donc possible de tremper sa plume dans la boue pour produire de l’or, qui au sens figuré s’emploie pour désigner tout ce qui est précieux, est d’une grande valeur (voir les expressions l’âge d’or, le siècle d’or, la règle d’or, une affaire en or, etc.).

Il est intéressant de noter que le poème « Alchimie de la douleur » dise le contraire du projet d’épilogue (voir ci-dessus) (2). En effet, dans ce poème, le poète apparait comme un Midas inversé et transforme l’or en fer, le paradis en enfer. Le poète semble échouer dans la mission qui est la sienne et que revendique le projet d’épilogue. S’agit-il là d’une contradiction ? Le poète exprime-t-il ici des sentiments ironiques en revendiquant les reproches qui lui ont été adressés ? Le poème exprime-t-il une détresse qui s’insère dans ce mouvement de chute que représente la section Spleen et Idéal (3). Peut-être ce poème appartient-il à la boue qui sera, in fine, transformée en or, l’épilogue révélant le processus alchimique du recueil ?

Si l’on maintient la contradiction, trois lectures sont envisageables et peuvent guider l’étude du recueil :

  1. La boue devient or. Baudelaire dispose de la pierre philosophale. L’art transfigure le réel prosaïque.
  2. L’or devient boue. Baudelaire, par sa poésie profane, corrompt tout ce qu’elle touche. Le poète gâche ses dons poétiques.
  3. L’or côtoie la boue comme le Spleen et l’Idéal. Les Fleurs du mal est un ensemble hétéroclite.

Dans le documentaire de la RTBF, il apparait que le recueil de Baudelaire a été perçu comme une « œuvre licencieuse » sévèrement jugée par Mérimée (« livre très médiocre nullement dangereux », d’une « indigence navrante » selon Le Figaro qui ajoute qu’il s’agit là d’« poésie scrofuleuse, écœurante, glaciale de charniers et d’abattoirs »). Sainte-Beuve reconnaît pourtant la facture classique de sa forme d’une œuvre évoquant non pas Moïse ou Orphée et les grandes figures mythiques mais les mendiants, les courtisanes, des ivrognes, des chiffonniers dans les rues de Paris à l’aube.

Les pièces condamnées

Elles ont été regroupées dans le volume intitulé Les Épaves publié pour la première fois en 1866 en Belgique.

Les Épaves
Source

Le frontispice (voir image ci-dessus) est dû à Félicien Rops et était accompagné des explications suivantes :

Sous le Pommier fatal, dont le tronc-squelette rappelle la déchéance de la race humaine, s’épanouissent les Sept Péchés Capitaux (4), figurés par des plantes aux formes et aux attitudes symboliques. Le Serpent, enroulé au bassin du squelette, rampe vers ces Fleurs du Mal, parmi lesquelles se vautre le Pégase macabre, qui ne doit se réveiller, avec ses chevaucheurs, que dans la vallée de Josaphat (5).

Cependant une Chimère noire enlève au delà des airs le médaillon du poëte, autour duquel des Anges et des Chérubins font retentir le Gloria in excelsis (6) !

L’Autruche en camée (7), qui avale un fer à cheval, au premier plan de la composition, est l’emblême de la Vertu, se faisant un devoir de se nourrir des aliments les plus révoltants :

VIRTUS DURISSIMA COQUIT (8).

Les pièces condamnées évoquent les amours saphiques qui s’affranchissent de la morale du Second Empire (« Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ? ») pour affirmer le primat du désir et font l’apologie d’une « stérile volupté ». = Lesbos
Ces poèmes manifeste un érotisme (« Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses, / Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ») = Lesbos. « Dans tes jupons remplis de ton parfum / Ensevelir ma tête endolorie » (Le Léthé), « La très chère était nue », « Elle était donc couchée et se laissait aimer, / Et du haut du devant elle souriait d’aise » (Les Bijoux)
Érotisme qui a partie liée avec le masochisme et le sadisme (« Delphine la couvait avec des yeux ardents, / Comme un animal fort qui surveille une proie, / Après l’avoir d’abord marquée avec les dents ». Voir aussi les strophes 8 et 9) = Femmes damnées. « Je te hais autant que je t’aime ! », « Pour châtier ta chair joyeuse, / Pour meurtrir ton sein pardonné, / Et faire à ton flanc étonné / Une blessure large et creuse, » et tout particulièrement la dernière strophe. (À celle qui est trop gaie). « Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre » (Les Bijoux)
Ces poèmes font aussi de la femme un monstre (« comme un tigre dompté », Les Bijoux) ou un être sujet aux métamorphoses à la fois être de désir (« Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés, / Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés »), mais qui après l’amour se transforme en « outre au flancs gluants, toute pleine de pus » (Les Métamorphoses du vampire).

Notes :

1 - La panacée étant le remède (akos) à tout (pan), la « panacée universelle » est donc une tautologie.
2 - Source
3 - Après tout, il s’agit du poème LXXXI et donc un dernier avant la conclusion de « L’Horloge » : « [...] meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
4 - Il s’agit de la colère, l’avarice, l’envie, l’orgueil, la gourmandise, la paresse et la luxure (source). « invidia », « picritia », « libido », « superbia », « ira », « avaritia » and « gula » en latin.
5 - C’est la Vallée du Verdict dans le judaïsme. Pour les chrétiens, elle est la vallée du Jugement dernier. (source)
6 - Termes latins signifiant « Gloire à Dieu » et désignant un chant liturgique. (source)
7 - Pierre fine sculptée en relief.
8 - La vertu se nourrit des choses les plus viles.

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