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Séance 4 L’épilogue (éléments de correction)

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Fin du roman souvent présentée comme un moment de révolte (« Je l'avais pris par le collet de sa soutane »), mais c'est une colère mêlée de « joie » et le livre s'achève sur cette conclusion qui rappelle le Mythe de Sisyphe : « j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore ».

Proposition de problématique : pourquoi le personnage de Meursault éprouve-t-il un bonheur en apparence paradoxal ?

Plan

1. Un moment de colère

Un moment de colère suivi d'un moment de paix qui structure l’extrait tout entier : 1. « Alors, je ne sais pas pourquoi... » 2. « Lui parti, j’ai retrouvé le calme ».

Il est bien fait mention de « colère » puis de « grande colère » et plus loin Meursault précise « J'étouffais en criant tout ceci ». Violence du moment : « Je me suis mis à crier à plein gosier et je l'ai insulté », « bondissements ». ➝ Moment de révolte (à expliciter).

Mais suivi d'un moment de paix : « Lui parti, j’ai retrouvé le calme ».
Les cinq sens sont convoqués. L'ouïe : « Des bruits de campagne » ; les odeurs : « Des odeurs de nuit, de terre et de sel » et le toucher « rafraîchissaient mes tempes ». Sentiment d’unité (➝ lyrisme).

Moment nocturne lié au plaisir. C'est un moment d'apaisement qui suit la colère mais aussi le moment du meurtre. À l'ombre recherchée (voir la scène du meurtre), Meursault attend la mort comme sa mère a pu le faire à l'asile.

Catharsis (« cette grande colère m’avait purgé du mal »). Meursault prend le contre-pied du mensonge des hommes (de l'aumônier, mais aussi du juge ou du directeur de l’asile, du patron) et de la société (se rappeler de la préface à l’édition américaine : « Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit »). Mais aussi acceptation de la mort.

2. Vérité philosophique

On peut lire cette conclusion — car c'en est bien une, le « alors » du début l'annonce (et a peut-être un sens qu'il n'a pas dans l'extrait étudié précédemment) — comme l'interprétation de ce qui a précédé, à commencer par la mort de la mère, mais aussi et surtout sur la validité du système de Meursault qui est que toute chose est égale :

J'avais vécu de telle façon et j'aurais pu vivre de telle autre. J'avais fait ceci et je n'avais pas fait cela. Je n'avais pas fait telle chose alors que j'avais fait cette autre. Et après ?

Cette thèse est affirmée avec force conviction renforcée par la triple répétition de l'adjectif « sûr » :

Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n'avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu'elle me tenait.

Cette vérité est celle de l'absurde (« toute cette vie absurde que j'avais menée ») exposée dans Le Mythe de Sisyphe. C’est d’ailleurs la seule occurrence du mot dans tout le livre ! L’absurde, c'est celle du divorce entre l'homme et le monde, « un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent ». C'est celle de l'acceptation de cette absurdité et qu'il est vain de pleurer sur une mort inéluctable (ce qui explique pourquoi le narrateur n'a pas pleuré lors de l'enterrement de sa mère). Il convient même de l'aimer. Noter l'adjectif dans « je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde ».

Réconciliation avec le monde et refus des faux espoirs (« Vidé d’espoir ») d’où le rejet de la religion. Acceptation de la mort.

3. Une victime expiatoire

La proposition subordonnée de but « pour que tout soit consommé » confirme l'hypothèse de la conclusion. Tout d'abord, ce passage permet à l'abolitionniste qu'était Camus d'exprimer son indignation face à la peine capitale. De ce point de vue, ce passage qui précède rappelle fortement le début de Réflexions sur la peine capitale écrit avec Arthur Koestler :

Je me suis souvenu dans ces moments d’une histoire que maman me racontait à propos de mon père. Je ne l’avais pas connu. Tout ce que je connaissais de précis sur cet homme, c’était peut-être ce que m’en disait alors maman : il était allé voir exécuter un assassin. Il était malade à l’idée d’y aller. Il l’avait fait cependant et au retour il avait vomi une partie de la matinée. Mon père me dégoûtait un peu alors. Maintenant je comprenais, c’était si naturel. Comment n’avais-je pas vu que rien n’était plus important qu’une exécution capitale et que, en somme, c’était la seule chose vraiment intéressante pour un homme !

Dans L'Étranger, tout se passe comme si la haine apparaissait comme un supplément au cérémonial de la mise à mort alors que l'acte de tuer devrait se suffire à lui-même. C'est comme si la haine était la motivation réelle de la condamnation à mort.

Mais surtout, la subordonnée rappelle les paroles du Christ indiquant par là-même que tout est terminé, achevé et que la mission confiée par le Père est accomplie. En somme, Meursault est un personnage christique. Les cris de haine — alors qu'il vient de découvrir une harmonie possible entre le monde et lui — paraissent cruels. Ils rappellent les crachats au visage de Jésus et la haine dont il est l'objet alors que lui-même ne s'exprime qu'au nom de l'amour. On peut penser aussi que le meurtrier va trouver la mort soude la collectivité représentée par les spectateurs. Meursault joue alors le rôle de ciment de la cité en sacrifiant sa propre vie. Il se fait pharmakos (la souillure rejetée hors de la cité) qui soude ainsi les autres contre lui. C'est le don christique de Meursault.

Lire la fin du mythe de Sisyphe (« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »)

Pour finir, un poème de Baudelaire

L’Étranger

— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

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