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L'Île mystérieuse (extraits)

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Extrait 1

Comment faire du feu ?

Quelques instants après, les trois chasseurs se trouvaient devant un foyer pétillant. Cyrus Smith et le reporter étaient là. Pencroff les regardait l'un et l'autre, sans mot dire, son cabiai à la main.
« - Eh bien, oui ! s'écria le reporter. Du feu, du vrai feu, qui rôtira parfaitement ce magnifique gibier !
- Mais qui a allumé ?... demanda Pencroff.
- Le soleil ! »
Le marin ne voulait pas en croire ses yeux, et il était tellement ébahi, qu'il ne pensait pas à interroger l'ingénieur.
« Vous aviez donc une lentille, monsieur ? demanda Harbert à Cyrus Smith.
- Non, répondit celui-ci, mais j'en ai fait une. »
Et il montra l'appareil qui lui avait servi de lentille. C'étaient tout simplement les deux verres qu'il avait enlevés à la montre de reporter et à la sienne. Après les avoir remplis d'eau et rendu leurs bords adhérents au moyen d'un peu de glaise, il s'était ainsi fabriqué une véritable lentille, qui, concentrant les rayons solaires sur une mousse bien sèche, en avait déterminé la combustion.

Extrait 2

Fabrication des briques puis du four

Les colons étaient arrivés sur un terrain reconnu la veille. Il se composait de cette argile figuline qui sert à confectionner des briques et des tuiles. Il suffisait de dégraisser cette figuline avec du sable, de mouler les briques et de les cuire à la chaleur d'un feu de bois.
Ordinairement, les briques sont tassées dans des moules, mais l'ingénieur se contenta de les fabriquer à la main [...] .
Le 6 avril, dès l'aube, l'ingénieur et ses compagnons étaient réunis sur la clairière, à l'endroit où allait s'opérer la cuisson des briques. Le combustible, fait de fascines bien préparées, fut disposé sur le sol, et on l'entoura de plusieurs rangs de briques séchées, qui formèrent bientôt un gros cube, à l'extérieur duquel des évents furent ménagés. Ce travail dura toute la journée, et, le soir seulement, on mit le feu aux fascines.
Cette nuit-là, personne ne se coucha, et on veilla avec soin à ce que le feu ne se ralentît pas.
L'opération dura quarante-huit heures et réussit parfaitement. Il fallut alors laisser refroidir la masse fumante, et, pendant ce temps, Nab et Pencroff, guidés par Cyrus Smith, charrièrent sur une claie faite de branchages entrelacés plusieurs charges de carbonate de chaux, pierres qui se trouvaient abondamment au nord du lac. Ces pierres, décomposées par la chaleur, donnèrent une chaux vive, très grasse ; cette chaux fournit un mortier excellent.
De ces divers travaux il résulta que, le 9 avril, l'ingénieur avait à sa disposition une certaine quantité de chaux et quelques milliers de briques.
On commença donc, sans perdre un instant, la construction d'un four, qui devait servir à la cuisson des diverses poteries indispensables pour les usages domestiques. On y réussit sans trop de difficulté. Cinq jours après, le four fut chargé de houille, dont l'ingénieur avait découvert un gisement à ciel ouvert, et les premières fumées s'échappaient d'une cheminée haute d'une vingtaine de pieds.

Extrait 3

Devenir métallurgiste

Or, de briquetiers et de potiers, les compagnons de l'ingénieur allaient devenir métallurgistes.
Avant toutes choses, il s'agissait d'utiliser le minerai de fer, dont l'ingénieur avait observé quelques gisements dans la partie nord-ouest de l'île.
Le sol ne renferme généralement pas les métaux à l'état de pureté. Pour la plupart, on les trouve combinés avec l'oxygène ou avec le soufre. Précisément, les deux échantillons rapportés par Cyrus Smith étaient l'un du fer magnétique, non carbonaté, l'autre de la pyrite, autrement dit du sulfure de fer. C'était donc le premier, l'oxyde de fer, qu'il fallait réduire par le charbon, c'est-à-dire débarrasser de l'oxygène, pour l'obtenir à l'état de pureté.
« - Alors, monsieur Cyrus, lui dit Pencroff, nous allons travailler le minerai de fer ?
- Oui, mon ami, répondit l'ingénieur, et, pour cela, nous commencerons par faire sur l'îlot la chasse aux phoques.
- La chasse aux phoques ! s'écria le marin en se retournant vers Gédéon Spilett. Il faut donc du phoque pour fabriquer du fer ?
- Puisque Cyrus le dit ! » répondit le reporter.
[...]
« Les phoques demandés, monsieur Cyrus ! dit le marin en s'avançant vers l'ingénieur.
- Bien, répondit Cyrus Smith. Nous en ferons des soufflets de forge !
- Des soufflets de forge ! » s'écria Pencroff.
C'étaient, en effet, une machine soufflante, nécessaire pour le traitement du minerai, que l'ingénieur comptait fabriquer avec la peau de ces amphibies.
Ce fut le 20 avril, dès le matin, que commença « la période métallurgique », ainsi que l'appela le reporter dans ses notes. L'ingénieur était décidé à opérer sur le gisement même de houille et de minerai [...]
Le lendemain, 21 avril, Cyrus Smith, accompagné d'Harbert, alla rechercher ces terrains de formation ancienne sur lesquels il avait déjà trouvé un échantillon de minerai. Il rencontra le gisement à fleur de terre, presque aux sources mêmes du creek, au pied de la base latérale de l'un de ces contreforts du nord-est. Ce minerai, très riche en fer, convenait parfaitement au mode de réduction que l'ingénieur comptait employer, c'est-à-dire la méthode catalane, mais simplifiée. En effet, la méthode catalane exige la construction de fours et de creusets, dans lesquels le minerai et le charbon, placés par couches alternatives, se transforment et se réduisent. Mais Cyrus Smith voulait tout simplement, avec le minerai et le charbon, une masse cubique au centre de laquelle il dirigerait le vent de son soufflet. C'était le procédé employé, sans doute, par les premiers métallurgistes du monde habité.
L'opération fut difficile. Il fallut toute la patience, toute l'ingéniosité des colons pour la mener à bien ; mais enfin elle réussit. Après bien des efforts, bien des fatigues, le 25 avril, plusieurs barres de fer étaient forgées, et se transformaient en outils : pinces, tenailles, pics, pioches, etc., que Pencroff et Nab déclaraient être de vrais bijoux.
Mais ce métal, ce n'était pas à l'état de fer pur qu'il pouvait rendre de grands services, c'était surtout à l'état d'acier. Or, l'acier est une combinaison de fer et de charbon que l'on tire soit de la fonte, en enlevant à celle-ci l'excès de charbon, soit du fer, en ajoutant à celui-ci le charbon qui lui manque. Le premier donne l'acier naturel, le second, produit par la carburation du fer, donne l'acier de cémentation.
C'était donc à ce dernier que Cyrus Smith devait donner la préférence, puisqu'il possédait le fer à l'état pur. Il y réussit en chauffant le métal avec du charbon en poudre dans un creuset fait en terre réfractaire. Puis, cet acier, il le travailla au marteau. Nab et Pencroff, habilement dirigés, firent des fers de hache, lesquels, chauffés au rouge, et plongés dans l'eau froide, acquirent une trempe excellente. D'autres instruments furent ainsi fabriqués : lames de rabot, bandes d'acier qui devaient être transformées en scies, etc.

Extrait 4

Fabrication de la nitroglycérine

Quelques moments après, Cyrus Smith, Harbert et Gédéon Spilett, remontant la rivière, se dirigeaient vers le gisement de houille où abondaient ces pyrites schisteuses dont Cyrus avait déjà rapporté un échantillon.
Toute la journée fut employée à charrier une certaine quantité de ces pyrites aux Cheminées. Le soir, il y en avait plusieurs tonnes. Le lendemain, 8 mai, l'ingénieur commença ses manipulations. Ces pyrites schisteuses étant composées principalement de charbon, de silice, d'alumine et de sulfure de fer, il s'agissait d'isoler le sulfure de fer et de le transformer en sulfate le plus rapidement possible. Le sulfate obtenu, on en extrairait l'acide sulfurique.
Cyrus Smith choisit, derrière les Cheminées, un emplacement dont le sol fut soigneusement égalisé. Sur ce sol, il plaça un tas de branchages et de bois haché, sur lequel furent placés des morceaux de schistes pyriteux, arc-boutés les uns contre les autres ; puis le tout fut recouvert d'une mince couche de pyrites.
Ceci fait, on mit le feu au bois, dont la chaleur se communiqua aux schistes, lesquels s'enflammèrent, puisqu'ils contenaient du charbon et du soufre. Alors, de nouvelles couches de pyrites concassées furent disposées de manière à former un énorme tas, qui fut extérieurement tapissé de terre et d'herbes, après qu'on y eut ménagé quelques évents, comme s'il se fût agi de carboniser une meule de bois pour en faire du charbon.
Puis on laissa la transformation s'accomplir.
Pendant que s'accomplissait ce travail chimique, Cyrus Smith fit procéder à d'autres opérations.
Nab et Pencroff avaient recueilli la graisse du dugong dans de grandes jarres de terre. Cette graisse, il s'agissait d'en isoler un de ses éléments, la glycérine, en la saponifiant. Or, pour obtenir ce résultat, il suffisait de la traiter par la soude, donc Cyrus Smith devait chercher à obtenir de la soude. Était-ce difficile ? Non, car les plantes marines abondaient sur le rivage. On recueillit donc une grande quantité de ces plantes, on les fit d'abord sécher, puis brûler dans des fosses en plein air. La combustion de ces plantes fut entretenue pendant plusieurs jours, de manière que la chaleur s'élevât au point d'en fondre les cendres, et le résultat de l'incinération fut une masse compacte grisâtre, connue sous le nom de « soude naturelle ».
Ce résultat obtenu, l'ingénieur traita la graisse par la soude : ce qui donna, d'une part, un savon soluble, et, de l'autre, cette substance neutre, la glycérine.
Mais ce n'était pas tout. Il fallait encore à Cyrus Smith une autre substance, l'azote de potasse, qui est plus connu sous le nom de salpêtre. Très heureusement, cette fois, la nature allait lui fournir le salpêtre, sans qu'il eût d'autre peine que de le ramasser. Harbert en découvrit un gisement dans le nord de l'île, au pied du mont Franklin, et il n'y eut plus qu'à purifier ce sel.
Ces divers travaux durèrent une huitaine de jours. Pendant les jours qui suivirent, les colons eurent le temps de construire un fourneau de briques d'une disposition particulière qui devait servir à la distillation de sulfate de fer, lorsque celui-ci serait obtenu. Tout cela fut achevé vers le 18 mai, à peu près au moment où la transformation chimique se terminait.
Lorsque le tas de pyrites eut été entièrement réduit par le feu, le résultat de l'opération fut déposé dans un bassin rempli d'eau. On agita ce mélange, on le laissa reposer, puis on le décanta, et on obtint un liquide clair, contenant en dissolution du sulfate de fer et du sulfate d'alumine. Enfin, ce liquide s'étant vaporisé en partie, des cristaux de sulfate de fer se déposèrent.
Cyrus Smith avait donc à sa disposition une assez grande quantité de ces cristaux de sulfate de fer.
Pour obtenir l'acide sulfurique, Cyrus Smith n'avait plus qu'une seule opération à faire : calciner en vase clos les cristaux de sulfate de fer, de manière que l'acide sulfurique se distillât en vapeurs, lesquelles vapeurs produiraient ensuite l'acide par condensation.
C'est à cette manipulation que servirent les poteries réfractaires. Le 20 mai, l'ingénieur était possesseur de l'agent qu'il comptait utiliser pour produire l'acide azotique. Et cela fut aisé, puisque le salpêtre, attaqué par l'acide sulfurique, lui donna précisément cet acide par distillation.
Cependant l'ingénieur touchait à son but, et une dernière opération lui procura la substance qui avait exigé tant de manipulations. Après avoir pris de l'acide azotique, il le mit en présence de la glycérine, et il obtint plusieurs pintes d'un liquide huileux et jaunâtre.
Cette dernière opération, Cyrus Smith l'avait faite à l'écart, car elle présentait des dangers d'explosion, et, quand il apporta un flacon de ce liquide à ses amis, il se contenta de leur dire :
« Voilà de la nitroglycérine !
[...] »

Extrait 5

Fabrication du verre

Vers cette époque aussi, Cyrus Smith essaya de fabriquer du verre, et il dut d'abord approprier l'ancien four à poteries à cette nouvelle destination. Après plusieurs essais infructueux, il finit par réussir à monter un atelier de verrerie, que Gédéon Spilett et Harbert, les aides naturels de l'ingénieur, ne quittèrent pas pendant quelques jours.
Quant aux substances qui entrent dans la composition du verre, ce sont uniquement du sable, de la craie et de la soude (carbonate ou sulfate). Or, le rivage fournissait le sable, la chaux fournissait la craie, les plantes marines fournissaient la soude, les pyrites fournissaient l'acide sulfurique, et le sol fournissait la houille pour chauffer le four à la température voulue.
L'outil dont la fabrication offrit le plus de difficultés fut la « canne » du verrier, tube de fer, long de cinq à six pieds, qui sert à recueillir par un de ses bouts la matière que l'on maintient à l'état de fusion.
Le 28 mars, le four fut chauffé vivement. Cent parties de sable, trente-cinq de craie, quarante de sulfate de soude, mêlées à deux ou trois parties de charbon en poudre, composèrent la substance, qui fut déposée dans les creusets en terre réfractaire. Lorsque la température élevée du four l'eut réduite à l'état pâteux, Cyrus Smith « cueillit » avec la canne une certaine quantité de cette pâte ; il la tourna et la retourna sur une plaque de métal préalablement disposée de manière à lui donner la forme convenable pour le soufflage ; puis il passa la canne à Harbert en lui disant de souffler par l'autre extrémité.
« Comme pour faire des bulles de savon ? demanda le jeune garçon.
- Exactement », répondit l'ingénieur.
Et Harbert, gonflant ses joues, souffla tant et si bien dans la canne, en ayant soin de la tourner sans cesse, que son souffle dilata la masse vitreuse. D'autres quantités de substance en fusion furent ajoutées à la première, et il en résulta bientôt une bulle qui mesurait un pied de diamètre. Alors Cyrus Smith reprit la canne des mains d'Harbert et, lui imprimant un mouvement de pendule, il finit par allonger la bulle malléable, de manière à lui donner une forme cylindroconique.
L'opération du soufflage avait donc donné un cylindre de verre terminé par deux calottes hémisphériques, qui furent facilement détachées au moyen d'un fer tranchant ; ce cylindre fut fendu dans sa longueur, et, après avoir été rendu malléable par une seconde chauffe, il fut étendu sur plaque et plané au moyen d'un rouleau de bois.
La première vitre était donc fabriquée [...]

Extrait 6

Fabrication du télégraphe

« [...] Nous avons tous les éléments nécessaires pour confectionner une pile, et le plus difficile sera d'étirer des fils de fer, mais, au moyen d'une filière, je pense que nous en viendrons à bout.
- Eh bien, après cela, répliqua le marin, je ne désespère plus de nous voir un jour rouler en chemin de fer ! »
Cyrus Smith commença par fabriquer une filière, c'est-à-dire une plaque d'acier, qui fut percée de trous coniques de divers calibres qui devaient amener successivement le fil au degré de ténuité voulue. Cette pièce d'acier fut fixée d'une façon inébranlable sur un bâti solidement enfoncé dans le sol, à quelques pieds seulement de la grande chute, dont l'ingénieur allait utiliser la force motrice, au moyen d'un arbre de couche. Mû par une extrême puissance, celui pouvait servir à étirer le fil, en l'enroulant autour de lui.
L'opération fut délicate et demanda beaucoup de soins. Finalement, l'ingénieur obtint des fils longs de quarante à cinquante pieds, qu'il était facile de raccorder et de tendre sur cette distance de cinq milles qui séparait le corral de l'enceinte de Granite-House.
Puis Cyrus Smith, après mûres réflexions, entreprit de fabriquer une pile très simple, et il y réussit avec son ingéniosité coutumière. Ce fut le 6 février que fut commencée la plantation des poteaux, munis d'isoloirs en verre, et destinés à supporter le fil, qui devait suivre la route du corral. Quelques jours après, le fil était tendu.
Deux piles avaient été fabriquées, l'une pour Granite-House, l'autre pour le corral, car si le corral devait communiquer avec Granite-House, il pouvait être utile aussi que Granite-House communique avec le corral.
Quant au récepteur et au manipulateur, ils furent très simples. Aux deux stations, le fil s'enroulait sur un électro-aimant, c'est-à-dire sur un morceau de fer doux entouré d'un fil. La communication était-elle établie entre les deux pôles, le courant, partant du pôle positif, traversait le fil, passait dans l'électro-aimant, qui s'aimantait temporairement, et revenait par le sol au pôle négatif. Le courant était-il interrompu, l'électro-aimant se désaimantait aussitôt. Il suffisait donc de placer une plaque de fer doux devant l'électro-aimant, qui, attirée pendant le passage du courant, retombait, quand le courant était interrompu. Ce mouvement de la plaque ainsi obtenu, Cyrus Smith put très facilement y rattacher une aiguille disposée sur un cadran, et, de cette façon, correspondre d'une station à l'autre.

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