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Éducation Informatique

Dialogue sur le numérique à l’école

Platon et AristoteMais alors, le numérique à l’école ? T’es pour ou t’es contre ?

On ne fait pas de barrage contre le Pacifique. Le numérique est inéluctable.
Même lorsqu’il est contre, un enseignant reconnait forcément l’apport ou la présence du numérique, de la technique, de la teknê (en grec, le « savoir-faire dans un métier »). Il a nécessairement un ordinateur, il utilise un vidéoprojecteur voire un rétroprojecteur et même un photocopieur. L’école est pleine d’objets manufactués et donc techniques. Il faut juste convaincre l’enseignant récalcitrant d’admettre que cette technique n’est pas l’apanage du seul professeur, mais aussi de l’élève, que celui-ci peut y trouver des avantages irréfragables.

Ce ne sont donc que des avantages que le numérique apportera ?

Le numérique n’est pas la panacée. D’ailleurs, celle-ci n’existe pas. Il n’existe d’ailleurs nul remède universel. C’est un mythe. Il ne s’agit donc pas de verser dans l’euphorie ou la phobie, mais se demander comment utiliser au mieux le numérique.

À ce propos, laisse-moi te raconter une histoire. En 1997, le champion d’échecs Garry Kasparov était battu par Deep Blue, un ordinateur conçu par IBM. Fallait-il en conclure que l’homme ne pouvait affronter une machine capable de calculer 200 millions de coups par seconde ? Kasparov eut une réponse intéressante : et si, au lieu d’essayer de battre la machine, l’être humain et l’ordinateur collaboraient ? L’ordinateur apporterait sa capacité à traiter en un instant des millions de possibilités et l’individu son intuition, sa perspicacité, en un mot sa créativité. Ainsi allaient s’affronter deux équipes : un homme et un ordinateur contre un autre homme équipé lui-aussi d’un ordinateur. À ce jeu, Kasparov affronta un autre grand joueur, Veselin Topalov. Ce dernier était moins fort que son adversaire, mais il gagna, ayant mieux exploité les ressources offertes par l’ordinateur.
En 2005, un tournoi opposa des équipes réunissant êtres humains et ordinateurs. Ainsi des professionnels affrontèrent des amateurs. Qui l’emporta ? Deux jeunes amateurs battirent des joueurs d’échecs expérimentés et talentueux parce qu’ils savaient mieux exploiter les ressources de leurs ordinateurs. Littéralement, ils collaboraient avec elles, sachant quand se fier à leurs conseils et quand privilégier des combinaisons jugées peu fiables par la machine mais susceptibles de décontenancer l’adversaire. Ces jeunes sont ce que Clive Thompson appelle des centaures, des créatures hybrides à la fois humaine et technique. Ils allèrent jusqu’à battre Hydra, un ordinateur plus puissant que Deep Blue et qui avait écrasé de grands champions dans un combat que l’on sait désormais vain, un combat homme-machine.

Pourquoi ? Le numérique peut-il donc être nuisible ?

C’est une crainte qui ressortit à la critique marxiste : la technique serait l’instrument du capitalisme permettant d’asservir les travailleurs. Mais comme elle conditionne également notre avenir, force est de constater que son statut est ambivalent. Le numérique apporte confort et sécurité, comme dans nos voitures par exemple. Il nous rend même plus fort. Mais il peut aussi être un moyen d’asservissement des masses, ce que montre le projet de loi sur le renseignement adopté récemment à l’Assemblée. En somme, le numérique est un pharmakon, à la fois remède et poison.

Mais concrètement, à l’école, c’est quoi le numérique ? Qu’apporte-t-il ?

On pourrait passer des heures à répondre à cette question, à laquelle j’ai d’ailleurs déjà essayé de répondre.

Mais, à brûle-pourpoint, voilà ce que je dirais : le numérique apporte l’intelligence (en latin, « interlegere », c’est faire des liens entre les choses), c’est la connexion. Comme les objets qu’elle enrichit (le smartphone, par exemple), le numérique nous rend plus intelligent. Par le numérique, l’élève est lié à son professeur. Il peut l’interroger, lui poser des questions par mail. Ce même professeur rentre plus aisément en contact avec les parents. Un réseau social élargit considérablement les dimensions de la salle des professeurs : la terre entière devient un lieu d’échanges où les idées, les pratiques, les conseils sont transmis d’un bout à l’autre du globe.

En somme, le numérique est un rapport social.

Tout ça est super, mais combien cela va-t-il coûter ? Des millions, des milliards ?

Le numérique va coûter beaucoup d’argent. C’est sûr ! Mais quand il est question d’éducation, n’est-ce pas une nécessité ? Au reste, le numérique, qui induit de nouveaux coûts, en fera disparaître d’autres. Les dispendieux photocopieurs et leur cohortes de rames de papier, de toners n’ont plus de raison d’être. Les manuels scolaires, lesquels coûtent des millions d’euros et ne sont que très partiellement utilisés par les enseignants, peuvent être remplacés par les ressources créées par les enseignants. Un dernier exemple : à quoi sert d’acheter encore et encore le domaine public ? ces Balzac ou Verne à 7 euros l’exemplaire pour 30 élèves ? Ne peut-on pas les lire gratuitement sur des liseuses, lesquelles ont un faible coût ?

D’accord, mais ne laisse-t-on pas entrer le loup dans la bergerie ? Les Apple, Microsoft, etc.

Tout d’abord, ce serait une erreur de penser que l’école n’est pas un marché. Mal gré qu’on en ait ! Ensuite, c’est aux enseignants voire à l’Éducation nationale de faire les choses correctement : promouvoir les ressources libres, les logiciels libres ou les formats standards qui permettront à l’école d’échapper à la voracité des commerçants. Encore que leur appétit sans limite est, en général, conditionné par un impératif : faire des produits utiles, désirables et de qualité, sans quoi ils n’auraient plus rien à vendre. Or il serait dommage de se priver de tel ou tel logiciel au seul motif qu’il est privatif. L’intérêt pédagogique prévaut dans bien des cas.

Tu me convaincs, mais si, moi, jeune enseignant qui n’y connaît rien au numérique, je souhaite m’y mettre, comment faire ?

Tu feras comme tout le monde. Tu ne feras nulle révolution (ce qui te ramènerait à ton point de départ), mais une évolution petit à petit, selon l’aisance, le plaisir et l’efficacité que tu y trouves. Le numérique à l’école ne signifie pas que tout doit s’y rapporter. Parfois, prendre un livre, le lire avec ses élèves sous un arbre un beau jour de printemps, est un plaisir qu’on ne saurait bouder.
Et puis, si tu te sens seul, désœuvré, découragé, viens sur Twitter. Des milliers d’enseignants t’aideront et t’encourageront.

2 réponses sur « Dialogue sur le numérique à l’école »

[…] À ce propos, il faut se sortir de la tête l’idée fausse que les machines remplaceront les enseignants. Pascal Labout, dans son documentaire L’école du futur, a bien montré ce qu’il en était quand d’aucuns envisageaient de mettre des élèves sans professeur face à des ordinateurs. Sans véritable contact humain, l’enfant s’appauvrit, déprime et n’apprend pas. Développer ce point m’amènerait assez loin de mon sujet, mais je crois fortement, comme je l’ai lu chez Clive Thompson dans Smarter than you think, que l’homme doit travailler avec la machine. L’homme est alors une sorte de centaure (tenant à la fois de l’humain et de l’ordinateur) dont j’ai un peu parlé dans l’article Dialogue sur le numérique à l’école. […]

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