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50 nouveautés dans le Manuel de quatrième

Le manuel de quatrièmeJ’avais interrompu le travail à la fin de l’été. J’aurais pu y passer encore des jours voire des semaines, mais l’imminence de la rentrée rendait la chose impossible. J’avais donc publié le manuel tel quel, en sachant qu’il pourrait être mis à jour (et qu’il le serait encore).
C’est chose faite !
Il y a, bien sûr, diverses corrections et modifications. On trouvera aussi quelques réfections cosmétiques. On découvrira, enfin, pas moins de 50 nouveautés que les vacances de la Toussaint m’auront permis d’ajouter.

Par ailleurs, le manuel pourra, quand les lutins de l’iTunes Store le voudront bien, être téléchargé chapitre par chapitre. Malheureusement, pour l’instant, ces chapitres ne sont publiés que dans 4 stores dont le Canada ou les États-Unis. J’espère que ce sera bientôt le cas en France. Quoi qu’il en soit, cette possibilité de lire le manuel chapitre par chapitre est très importante. En permettant aux professeurs d’accéder au chapitre de leur choix plutôt que de télécharger l’ensemble du manuel, on offre la possibilité à tout un chacun de composer un manuel à sa guise. Mais ce sera le sujet d’un autre billet.

En attendant, voici le petit résumé que vous lirez sur iTunes :

  • Les frises chronologiques ont été refaites.
  • Le manuel est plus richement illustré.
  • Chaque image peut dorénavant être agrandie.
  • Une légende accompagne chaque image.
  • De nombreuses vidéos ont été ajoutées.
  • Les vidéos ne sont plus représentées par une image noire, mais par une image extraite du film.
  • Les diaporamas ont été refaits, d’autres ont été rajoutés.
  • Des cartes mentales permettent de visualiser rapidement un point de grammaire.
  • On peut dorénavant écouter la plupart des poèmes.
  • Des exercices, des leçons, etc. ont été ajoutés.

Voici la liste complète des ajouts :

Chapitre I

  • un exercice (terminer une lettre).
  • écoute du poème («Le relais» de Gérard de Nerval)
  • des questions supplémentaires (la fête punitive).
  • un diaporama (comment rapporter les paroles indirectement).
  • une vidéo (une histoire d’amour en Provence).
  • une vidéo (les lettres persanes).
  • une vidéo (itinéraire de Montesquieu).
  • une galerie (sur le château de la Brède).
  • un exercice (sur les exagérations et les oppositions).

Chapitre II

  • un exercice (qu’est-ce que la noblesse ?)
  • une rédaction (sur l’ironie).
  • un diaporama (qu’est-ce qu’une phrase complexe ?)
  • un diaporama (les propositions).
  • quatre liens en rapport avec les Lumières.
  • une vidéo (l’affaire Calas).
  • une vidéo (la Comédie-Française).

Chapitre III

  • une vidéo (interview de Francis Huster).
  • une leçon (le Cid et son époque).
  • une vidéo (la querelle du Cid).
  • une vidéo (Jacques Martin parodiant le Cid).
  • écoute du poème («Le Cid» de Georges Fourest)

Chapitre IV

  • une vidéo (Orfeu Negro).
  • une vidéo (la bataille d’Azincourt).
  • un diaporama (qu’est-ce qu’une rime ?).
  • un exercice de réécriture (sur le passé composé).
  • une carte mentale (sur les modes et les temps).
  • une carte mentale (sur la versification).
  • une leçon et un exercice (sur le lyrisme).

Chapitre V

  • un poème («Chanson» de Pierre Louÿs).
  • écoute du poème («Chanson» de Pierre Louÿs).
  • un diaporama (faire la différence entre un déterminant et un pronom).
  • une carte mentale (sur les déterminants).
  • une leçon (le rythme du récit).
  • un exercice (sur le bovarysme).
  • une vidéo (Madame Bovary).
  • un diaporama (les homophones).

Chapitre VI

  • un exercice de réécriture (sur le pluriel).
  • une vidéo («Le Horla» de Maupassant).
  • une vidéo («Le diable» de Maupassant)
  • un exercice (sur les verbes personnels et impersonnels).

Chapitre VII

  • un poème («La chambre gothique» d’Aloysius Bertrand).
  • écoute du poème («La chambre gothique» d’Aloysius Bertrand).
  • une dictée (le repas libre).

Chapitre VIII

  • une vidéo (L’homme au masque de fer).
  • une vidéo (L’homme qui rit).
  • un poème («Les fœtus» de Maurice Mac-Nab).
  • un diaporama (faire la différence entre l’épithète et l’attribut).
  • deux liens (sur le Golem).

Chapitre IX

  • écoute du poème («Le mendiant» de Victor Hugo).
  • un exercice (sur les connecteurs de temps).
  • un exercice (sur les connecteurs spatiaux).

Bonne lecture !

 

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Le manuel, ça s’en va et ça revient

Manuel de QuatrièmeD’accord, Apple a retiré mon livre de son magasin en ligne, sans le moindre préavis, pour des motifs somme toute assez futiles, mais incarne-t-elle pour autant le grand méchant inique ? Faut-il la fuir comme la peste ? Que faire maintenant fort de cette expérience ?

Quelques mots (les derniers, j’espère) donc sur toute cette histoire dont je me serais bien passé.

Une censure au rabais

Apple censure-t-elle ?

Non, je ne pense pas que la pomme ait vraiment l’intention de censurer quoi que ce soit. Elle ne frappe pas d’excommunication, après examen, une opinion ou un écrit dont elle condamne la teneur.

Exit donc le sens religieux du terme.

En revanche, le mot «censure» désigne – et c’est un peu différent – l’examen d’œuvres avant d’en autoriser la diffusion. Et c’est, in fine, ce que fait Apple qui examine votre ouvrage et en autorise ou non la diffusion sur son magasin en ligne. Par exemple, si vous vous appelez B., et que vous n’avez plus rien à dire de désagréable sur l’Éducation nationale, et que vous désirez publier un petit porno, ce ne sera pas sur l’iTunes Store, Apple s’opposant à cela, ce en quoi je ne trouve pas grand-chose à redire.

C’est la seule vraie censure qu’elle s’autorise.

Mais si elle interdit la diffusion de mon manuel, c’est – bien sûr – une forme de censure, au sens où l’examen qu’elle fait de mon livre permet ou non sa publication. Mais force est de constater qu’Apple se fiche complètement de ce que contient mon manuel. Apple ne censure pas le contenu (tout au plus interdit-elle l’emploi de certains mots comme «gratuit» ou «iPad»).

C’est plutôt le contenant qui l’intéresse. C’est ainsi une censure au rabais qui ne s’intéresse pas même au contenu de ce qu’elle réprouve. En revanche, des règles plus ou moins évidentes doivent être respectées sinon pas de publication. Un titre manquant, et c’est l’éviction du store.

Un distributeur sachant distribuer

Malheureusement, lesdites règles sont si peu évidentes à concevoir que les gens que j’ai pu rencontrer chez Apple n’ont jamais rien trouvé à redire sur ce manuel qui en aurait imposé ipso facto le retrait. C’est donc que les règles de Cupertino sont absconses, y compris pour ses propres employés. J’ai même pu observer qu’Apple ne s’appliquait pas à elle-même ses propres règles.

Plus ennuyeux encore. Apple se voudrait distributeur de contenus, un commerçant donc, lequel s’arrogerait – au nom de je ne sais trop quoi – le droit d’exiger que telle ou telle chose soit acceptable ou ne le soit pas. C’est ainsi que les mots «libre» et «gratuit» sont muttum non grata. «iPad» aussi. Forbidden. Verboten.

Pourquoi ? On ne sait pas ou du moins on ne le dit pas clairement, mais c’est comme ça. «Obtempérez ou oubliez l’idée de vous voir publier par nous». Tel est en substance le contenu du discours made in Cupertino. Imagine-t-on Carrefour chercher des poux à Daucy qui aurait choisi de mettre tel ou tel mot sur ses emballages ? Imagine-t-on un peu la tête du PDG de ce producteur de légumes à la lecture d’un message expliquant le retrait des marchandises des rayons : «Please remove all mentions of «Qualité» or «Extra fins»».

Évidemment, c’est un peu plus complexe que ça. Apple distribue un contenu qu’il favorise à faire émerger en créant les logiciels permettant de le faire. Une sorte de monstre hybride relevant à la fois de Carrefour et de Daucy en somme.

Apple, mon amour

Bien sûr, j’ai regretté la disparition de mon manuel. J’en ai beaucoup voulu à Apple de l’avoir supprimé sans le moindre préavis. D’un coup, d’un seul, le travail de plusieurs années venait à disparaître des étagères d’Apple (certes momentanément), parce que des mots étaient indésirables et un titre était désiré.

Un peu pénible, non ?

Mais j’ai aussi déploré que cette disparition soit l’occasion de taper sur Apple qui a, il est vrai, tendu le bâton pour se faire battre. Il était légitime de réagir et d’exprimer son rejet de telles pratiques. Je l’ai fait. Et je remercie chaleureusement tous ceux qui l’ont fait. Je pense, entre autres, à Luc Benz, à toute l’équipe de Lyclyc et, naturellement, au Café pédagogique.

Mais je pense aussi à ceux qui sont restés muets, quand Apple a permis la diffusion de mon manuel, et qui se sont éveillés quand elle en a empêché la diffusion. Les mêmes n’ont pas salué le retour du livre sur le store. Mon manuel ne les intéressait pas, mais sa suppression oui. Plus précisément, les agissements d’Apple les intéressaient, le reste pas du tout. On a vu alors une kyrielle de libristes exprimer leur détestation d’Apple. Bon… Pourquoi pas ? Mais je regrette d’avoir été l’occasion de leur fournir des arguments.

Certes, à tout prendre, je suis heureux de voir que cela fait réagir, mais j’aurais aimé que l’on parle plus du manuel que de sa disparition.

Par ailleurs, je ne suis pas un paradoxe près. J’aime Apple, mais je me sens dans mon droit de lui dire que je ne l’aime pas quand elle se comporte comme elle l’a fait. Dont acte. Apple fait des choses extraordinaires, mais elle aussi capable du pire. Elle semble même parfois apprécier le pire. Peut-être alors sera-t-il temps de changer de crémerie si les choses empiraient… En attendant, je compose avec. Je prends mes précautions également. Il est temps de multiplier les supports, d’éviter d’être dépendant du bon vouloir de la seule pomme. Mon site est d’ailleurs là pour ça. Réalisé en HTML 5, il est lisible sur tout support.

iPad à l’école ou pas ?

Je disais que je n’étais pas à un paradoxe près. En voici un autre.

Il faut que je remercie Apple. Sans ses égorgillements, mon manuel n’aurait jamais connu une telle diffusion.

On m’a beaucoup reproché cet autre paradoxe, celui d’avoir réalisé un manuel se prétendant libre et gratuit pour iPad. Il faut dire que l’oxymore devait paraître scandaleux à certains.

J’aimerais quand même m’en expliquer une dernière fois, parce que des gens, dont la lecture a été hâtivement superficielle, m’ont qualifié de tous les noms.

Le manuel est libre. En tant que tel, il est partout où il peut être : sur mon site en HTML, en PDF, au format TXT, au format iBooks pour iPad. Je n’en ai pas eu le temps, mais j’en ferai un ePub. Il sera lisible partout, pour tous.
Vous pouvez le copier, le diffuser, le partager, le modifier. La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c’est le vendre. Je m’y oppose catégoriquement. Mais cela doit être clair : être libre, c’est l’être aussi bien sur une distribution Debian que sur iPad. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas la liberté de mettre mon manuel où bon me semble, y compris dans cette pitoyable métaphore de la «prison dorée». Je peux aussi le photocopier, le lâcher par avion, le distribuer à la criée ou le réécrire en Ruby on rails (non, je plaisante, ça je ne peux pas). Être libre, ce n’est pas fuir Apple.
Il est gratuit. Ça, personne ne me le reproche. Enfin pas que je sache. Ah ! Si les éditeurs !
Il a été fait pour iPad. C’est une belle tablette. La meilleure à mon humble avis, celle pour laquelle il existe toute une pléiade d’applications que j’utilise quotidiennement pour moi, pour mes enfants, pour mes élèves. C’est celle-là que je voudrais voir mes élèves utiliser.

Et donc ?

Reste que tout cela m’a échaudé. Que faire maintenant ? Peut-on avoir confiance en Apple et monter des projets pour que des élèves soient équipés d’iPad ? Peut-on demander à des Conseils généraux d’investir dans ce type d’appareil ? L’Éducation nationale peut-elle travailler avec une telle entreprise ?

Oui, si Apple se comporte en partenaire. Un partenaire qui innove, et produit de belles et robustes machines. Un partenaire qui favorise la création en réalisant des programmes comme iBooks Author. Un partenaire qui diffuse vos œuvres. Un partenaire qui vous écoute, et vous prévient si le besoin s’en faisait ressentir. Au bout du compte, tout le monde sera content. Apple vendra ses iPad parce que les gens auront créé un contenu intéressant.

Non si Apple se comporte en un géant administrativement aveugle et vétilleux, lent et peu prolixe. Après un mois, Apple retire un manuel pour des raisons plus ou moins convaincantes. Peu soucieuse d’explications, elle se contente de vous signifier sans préavis que vous devez effectuer des changements. Le processus de validation est alors excessivement long. Les conséquences fâcheuses, détestables pour l’auteur voyant son œuvre disparaître, ne plus être lue, ne plus pouvoir être lue.

Mais, au moins les élèves seraient-ils ravis. Particulièrement, celui qui arrive en cours d’année à qui on dira : «Apple a retiré le manuel, je ne peux pas t’en donner tant qu’il n’aura pas été à nouveau validé».

Le mot de la fin ? Après avoir pas mal réfléchi, je ne vois pas comment je pourrais – dans l’état actuel des choses – faire mieux qu’avec iBooks Author. Je n’en ferai pas moins un ePub standard.

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Le manuel de quatrième n’est plus sur le store d’Apple

Not on 32 storesCela fait un mois que le Manuel de quatrième peut être téléchargé sur iTunes.
Pardon. Cela faisait un mois.
Je croyais qu’il avait, pour cela, dûment affronté le regard impitoyable et plein d’exigence des gens ayant la dure charge de trier ce qui peut figurer ou non sur le magasin en ligne d’Apple. J’avais, à cet effet, dû modifier (fort légitimement) quelques points (un titre manquant dans la table des matières ou quelque chose dans ce goût-là). Alors, je pus goûter au bonheur de voir le point vert suivi de «On 32 stores».

Aujourd’hui, je découvre un point rouge suivi de «Not on 32 stores».

Première raison

La raison en est que je dois modifier quelques points. Je dois, et c’est bien normal, corriger «Titre du livre» qui a la mauvaise idée d’apparaître en mode portrait dans la table des matières (mais pas en mode paysage ; c’est facétieux un iPad). Cela correspond à un «paramètre fictif» qui doit être remplacé par un texte réel comme «Manuel de quatrième» (puisque c’est le titre du livre). J’avais oublié de changer ça !
C’est la première raison pour laquelle Apple ôte mon livre de son magasin. Il est vrai que cet oubli est absolument insupportable. Je ne peux plus me regarder dans la glace. Je me hais, je me méprise.

Titre du livre

Deuxième raison (à moins que ce ne soit la première)

Je dois aussi enlever toute mention de «libre» ou «gratuit» sur la couverture et dans le livre.
Là je comprends moins.
Si je peux plus ou moins concevoir qu’aucune mention du prix ne doit figurer sur la couverture (maintenant que cela m’arrive, j’ai remembrance d’une app ayant été retirée de l’App Store pour avoir contrevenu à cette règle), je ne vois vraiment pas pourquoi il me serait interdit de présenter mon manuel comme étant libre et gratuit (ce qu’il est, pas le format iPad bien sûr, mais son contenu accessible sur mon site). Malheureusement, le mail qu’on m’envoie est catégorique «Please remove all mentions of “libre” or “gratuit”.»

Bon, ça s’appelle de la censure.

Et que dire de l’amalgame «libre» et «gratuit», c’est donc synonyme pour Apple ?

Le fait est que mon livre est publié par des commerçants qui détestent que l’on parle de prix : «References Pricing : Prices must not be referenced in the EPUB».

C’est de l’humour californien ?

Post-Scriptum

Peut-on imaginer, un seul instant, comme on me le suggère sur Twitter, investir dans un support pour lequel Apple peut, à tout moment, vous priver de son contenu ? Peut-on espérer travailler avec un manuel agréé par Apple si, pour des raisons plus ou moins pertinentes, ce manuel peut disparaître ? Peut-on demander à un Conseil général d’investir massivement dans des contenus qui vous échappent ?

Post-post-scriptum

J’ai effectué les changements demandés. Je reçois, ce matin, un nouveau message.

Nouveau mail d'Apple
Ça va s’arrêter quand ? Ils ne pouvaient pas me le dire la première fois ? Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ?

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Un manuel de français libre et gratuit pour iPad

 
Les deux classeurs

Le manuel de quatrièmeJe me souviens de ce professeur d’histoire qui avait avec lui, en permanence, deux gros classeurs. Je commençais tout juste à enseigner, et ces classeurs m’apparaissaient comme une somme, un véritable trésor, le fruit d’un travail riche d’expériences, de lectures et de recherches, une sorte de Graal auquel tout enseignant devait nécessairement et inéluctablement parvenir après quelques années d’enseignement. J’admirais d’autant plus ces deux classeurs qu’ils me semblaient la matérialisation de ce qui reste d’habitude invisible, le travail de l’enseignant. En effet, les cours de l’enseignant sont parfois intangibles, car ils n’ont pas nécessairement besoin d’être mis par écrit pour être transmis.
Mais ces deux classeurs avaient aussi un côté dérisoire que leur poids et leur encombrement rendaient évident. Pourquoi donc emporter en tout lieu et en tout temps ces deux énormes classeurs ? Ce professeur leur trouvait-il un usage quotidien ? Voulait-il absolument avoir sous la main le document qui deviendrait tout à coup nécessaire à un de ces moments où le hasard pédagogique vous mène ? Je ne sais plus quelle réponse j’ai obtenue à ce sujet, mais je sais depuis que le numérique a achevé de frapper d’inanité ce lourd bagage. Ces deux classeurs tiennent dans un iPad. Or le site Ralentir travaux d’abord, ce manuel ensuite, ce sont un peu mes classeurs, mais je ne voulais pas les garder fermés. Je voulais les tenir à la disposition des autres, pour à la fois les leur offrir et les leur soumettre. C’était à la fois par altruisme et par égoïsme, car, pour plagier Montaigne, je dirais volontiers que votre approbation comme votre condamnation me seront utiles.

Un manuel numérique

Ce manuel n’a pas la prétention de se substituer aux manuels traditionnels. De toute façon, tant que l’on restera engoncé dans l’opposition hugolienne du «Ceci tuera cela», tant que l’on croira nécessaire de choisir l’un ou l’autre, on restreindra sinon la portée du problème du moins la richesse des techniques d’enseignement. Une technique – le plus souvent – ne remplace pas une autre. Internet n’a pas remplacé la télévision, laquelle n’a pas remplacé la radio… L’un ne se substitue pas à l’autre, mais se tient à côté. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que je trouve aux tablettes et plus particulièrement à l’iPad. Celui-ci, contrairement à l’ordinateur de bureau, ne trône pas en conquérant sur la table après avoir terrassé les livres et le papier, il se tient à leurs côtés, accompagnant et enrichissant ces supports pluricentenaires. Le bureau du collégien, je le vois avec une tablette et du papier. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Pourquoi choisir ?

Ce manuel, je le publie maintenant, parce que la rentrée scolaire ne me permettra plus de lui consacrer le temps que les vacances m’ont permis de lui accorder. Il n’est même pas, si l’on y regarde bien, tout à fait terminé (tant s’en faut). Comme les logiciels libres dont il s’inspire, il correspond à une version bêta, disons une version alpha pour parer à toute critique. S’il n’est pas totalement achevé, il pourra – du fait de sa nature – être mis à jour en un rien de temps. Et j’ose espérer qu’il le sera du fait des contributions, des observations et remarques en tout genre que je vous propose dès aujourd’hui d’écrire ici même dans ces commentaires. Je le redis, et même si ce n’est pas ce qui est arrivé, Ralentir travaux n’a jamais eu vocation à être l’ouvrage d’une seule personne. À ce propos, je tiens à remercier chaleureusement les personnes qui m’ont apporté leur aide, et au tout premier chef Christophe Herlory pour son soutien, sa traduction de l’extrait de Frankenstein et sa relecture du manuel, ma femme qui m’a prêté sa voix pour l’enregistrement des dictées, et tous ceux qui ont pris le temps, pour traquer les coquilles et les erreurs, de lire et relire ce manuel.

S’il n’est pas parfait, s’il n’entend pas supplanter quoi que ce soit – et surtout pas ces si riches manuels que les éditeurs proposent maintenant depuis tant d’années, ce manuel numérique se veut libre de droits, c’est-à-dire que pour la première fois l’on propose à l’enseignant d’être, dans sa classe, totalement en règle avec la loi. On peut copier, modifier, distribuer ce manuel. Les images, les textes, les questionnaires, tout peut être partagé ou transformé. Tout est sous licence Creative commons.

L’empire du copyright

Il faut dire et redire à quel point le droit d’auteur est une plaie pour le monde de l’éducation, un fléau qui restreint drastiquement la diffusion des œuvres. Combien de pépites, de découvertes resteront dans les tréfonds de mon ordinateur et de ceux de mes collègues ? Combien d’ouvrages ne pourront être partagés sous le prétexte que les droits d’auteur ont enfermé la culture pour une vingtaine d’années d’abord (lors de la Révolution française), puis pour cinquante, aujourd’hui pour soixante-dix ans ? Cette confiscation des œuvres, parfois totalement arbitraire (songez à cette traduction du Vieil homme et la mer de François Bon), enferme le patrimoine culturel dans la sphère du privé, prive le public de sa possession, de son droit de reproduction quand ce n’est pas purement et simplement de son droit de consultation. Par désir de profiter d’une manière financière, par crainte du vol également.

Or, dans le cas du numérique, la confusion est totale. Si vous copiez un texte ou reproduisez une image, vous ne volez rien du tout. Vous copiez. Il n’y a pas vol.
J’avais été très étonné en entendant pour la première fois la chanson du copyleft. Copier n’est pas voler. Si je vole un vélo, le propriétaire du vélo est lésé. Si je copie un texte ou une image, personne n’y perd. Le propriétaire n’a pas perdu son texte ou son image, mais, à présent, il y en a deux.

C’est qu’il faut distinguer le bien matériel du bien immatériel. Et, étonnamment, le XVIIIe siècle faisait cette distinction :

«Un homme a-t-il le droit d’empêcher un autre homme d’écrire les mêmes choses que lui-même a écrites le premier ? […] En effet, on sent qu’il ne peut y avoir aucun rapport entre la propriété d’un ouvrage et celle d’un champ, qui ne peut être cultivé que par un homme, et dont, par conséquent, la propriété exclusive est fondée sur la nature de la chose. Ainsi ce n’est point ici une propriété dérivée de l’ordre naturel, et défendue par la force sociale ; c’est une propriété fondée par la société même. Ce n’est pas un véritable droit, c’est un privilège, comme ces jouissances exclusives de tout ce qui peut être enlevé au possesseur unique sans violence.

Tout privilège est donc une gêne imposée à la liberté, une restriction mise aux droits des autres citoyens ; dans ce genre il est nuisible non seulement aux droits des autres qui veulent copier, mais aux droits de tous ceux qui veulent avoir des copies […]»

Condorcet, Œuvres, tome 11

La gratuité, enfin, est un point auquel je tiens. Quand j’ai créé Ralentir travaux, je l’ai fait avec dans l’idée que, pour le lire, je ne demanderai ni inscription ni contrepartie financière. C’est accessible. Instantanément. Je crois savoir que mon travail profite à ceux qui sont loin, dans des écoles mal dotées (mais disposant au moins d’une connexion à internet), à des étudiants étrangers, à des parents désireux de s’informer, à des curieux, et pourquoi pas à des établissements ayant déjà acheté des iPads et qui, compte tenu, de la richesse du web, n’auront pas à payer encore pour y mettre le contenu nécessaire aux apprentissages.

Et puis la remarque peut paraître prétentieuse car émanant de moi seul, mais si l’on veut bien considérer les économies réalisées par les administrations ayant recours à des logiciels libres (que l’on songe à OpenOffice, LibreOffice, Ubuntu…), on se dira que proposer gratuitement des manuels permettra de mettre l’argent ailleurs que dans des CD-ROM ou des manuels qui inévitablement finiront au rebut (c’est malheureux, mais c’est comme ça). Et je refuse d’entendre l’argument rappelant que tout travail mérite salaire. Je veux bien que l’on considère que j’ai fourni un travail de dément pour produire ce manuel, mais je ne peux raisonnablement pas le mettre en vente. Ou alors, pour reprendre une fois encore Condorcet, ce que je vendrais serait mon nom et mes mots, non mes idées qui ont été dites des millions de fois sur internet, dans les manuels, dans les salles de cours, etc.

Pourquoi l’iPad ?

On pourra s’étonner qu’un manuel se voulant gratuit et libre de droits soit proposé sur iPad, et l’on aura raison. Il est difficile de voir en Apple le parangon de l’ouverture et de la liberté. Force est cependant de reconnaître que seule Apple a développé un programme digne de ce nom permettant de produire à peu de frais un manuel numérique digne de ce nom, mais, dès que j’en aurai la possibilité, je m’attaquerai aux autres plateformes afin de proposer le manuel sur d’autres supports. De toute façon, vous trouverez à peu près tout le contenu du manuel sur Ralentir travaux.

Quand j’ai découvert iBooks Author, j’ai vu la possibilité qui m’était donnée de créer facilement et rapidement ce que j’avais toujours souhaité faire depuis Ralentir travaux. Un manuel. Je ne voudrais pas vous faire l’inventaire des avantages du numérique. Je ne vais même pas vous dire ce que contient ce manuel (je vous invite tout simplement à le parcourir. Tout au plus voudrais-je rappeler ces quelques points :

  • La tablette numérique est légère, et permet de se débarrasser du poids du cartable.
    Si la tablette a un coût à l’achat, celui-ci peut être partiellement absorbé par des dépenses qui deviendront superfétatoires (papier, encre, photocopieuse, manuel sur papier…). De plus, tout ce que j’ai acheté chez Apple est durable et solide (je ne suis pas un fanboy, c’est juste comme ça) y compris dans les mains de mes enfants les moins soigneux.
  • La luminosité d’un iPad peut être réglée directement dans l’application, et ne gêne pas les yeux. On peut même lire dans le noir !
  • La police peut être changée, agrandie. C’est, je crois, un atout pour tous ceux qui ont des problèmes de vue. C’en est un également pour les dyslexiques.
  • Mettre des signets, surligner, prendre des notes, tout cela est possible. Chaque mot peut être défini ou renvoyer au web.
  • On trouve des exercices interactifs, des quiz…
  • On trouve également des vidéos, des fichiers audio (un élève peut ainsi faire des dictées seul ou du moins s’entraîner), des diaporamas, des images interactives parfois en haute définition (un jour, on oubliera que la photocopie a existé).
  • Des liens internet menant à Wikipédia ou à Gallica offrent l’accès à de belles éditions quand ce ne sont pas les éditions originales. Une fois encore, j’y vois une libéralisation de la culture. On ne peut certes toujours pas les toucher, mais on peut voir, on peut lire ces œuvres de la Bibliothèque nationale de France que seuls quelques privilégiés pouvaient auparavant découvrir. Et je me souviendrai toujours du regard ébahi d’élèves habituellement peu sensibles au plaisir livresque découvrant des éditions originales.
  • Le manuel peut être utilisé avec d’autres applications. Le Petit Robert, Antidote sont des merveilles sur iPad. Certains logiciels de prise de notes sont extraordinaires. Je ne mets plus les pieds dans une bibliothèque sans mon iPad et Evernote ou Penultimate.

Quelques mots pour finir. Je me suis efforcé de rendre ce manuel aussi complet que possible, de multiplier les exercices de grammaire, de vocabulaire, de rédaction, etc. Il est l’œuvre d’une seule personne (ou presque), et c’est une bien lourde tâche que celle-ci. J’espère que vous saurez vous montrer indulgent quand vous trouverez une coquille, une erreur, une approximation, etc. Je vous remercie de votre compréhension. Un manuel numérique se bonifie dans le temps, non dans la cave, mais confronté à votre regard.

Il me reste à vous souhaiter une bonne lecture. J’espère que vous la trouverez, selon le vieux précepte horacien, utile et agréable.


Mise à jour :
Récemment, j’ai montré la première frise chronologique à mes élèves de quatrième. Avant cela, je leur ai posé quelques questions sur les genres littéraires, l’époque qui a vu fleurir tel ou tel, les grands événements historiques, etc. Je me suis alors rendu compte que leur donner ces repères littéraires et historiques était intéressant et important (j’étais collégien quand on déplorait déjà le manque de repères de la part des élèves), mais je me suis aussi aperçu qu’ils ignoraient complètement qui étaient Newton, Linné ou Pasteur, quand on avait bien pu utiliser l’électricité pour s’éclairer, quand la machine à vapeur était apparue, à quel moment on avait découvert la septicémie…

En somme, il s’agissait de mettre en relation tous ces événements, bref de rendre un peu compte de ce qu’était la vie à telle ou telle époque par le truchement de quelques dates significatives.
Quand la frise précédait un chapitre consacré à un seul auteur, je parvenais encore plus ou moins à brosser une période autour de quelques dates. Malheureusement, pour le premier chapitre, portant sur le XVIIe et XVIIIe siècles, cela peut donner une apparence de fouillis historiques. Le moyen de faire autrement ?

Le manuel a donc connu sa première mise à jour. Pour en bénéficier, iTunes ne vous prévient de rien. Il faut donc supprimer le livre dans iBooks et le télécharger à nouveau.


Deuxième mise à jour :
Le manuel a connu une mise à jour largement plus importante que la précédente. C’est expliqué ici.


Troisième mise à jour :
Cette troisième mise à jour apporte diverses corrections de bugs, oublis, erreurs en tout genre (numérotation de séances, de questions, de formatage du texte, de vidéos, etc.)
Quelques modifications ont également été faites, et quelques exercices ont été ajoutés (notamment sur les propositions subordonnées circonstancielles et sur l’écriture d’un conte réaliste).


Quatrième mise à jour
Cette mise à jour apporte une nouvelle couverture (pour se conformer à celle du manuel de 6e).
Le fichier multimédia d’introduction ainsi que la vidéo « Le masque de la mort rouge » ont été optimisés (le manuel est donc désormais moins lourd).
Ont été ajoutés une séance sur « Le pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire (enfin dans le domaine public), une leçon (vidéo) sur les point de vue, une série d’exercices sur les points de vue ainsi qu’un lien sur « La maison de Gavroche ».
Enfin, quelques erreurs ont été corrigées dans la table des illustrations.

Cinquième mise à jour
Ajout d’un groupement de textes « Victor Hugo et l’injustice »
Ajout d’un sujet d’exposé sur le thème « Vivre au XIXe siècle »
Ajout d’une séance « Jean Valjean chez monseigneur Myriel » (adaptation du texte des Misérables)
Ajout d’une séance « L’accident du père Fauchelevent » (lecture analytique)
Améliorations diverses

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L’enseignant est-il de droite ?

La classe d’une école de villageChantal Jouanno, il y a quelques jours, expliquait dans les matins de France Culture ce que signifie être de droite. Selon elle, la liberté individuelle (l’état n’a pas à s’immiscer dans vos choix individuels), la méritocratie (Chantal Jouanno est contre l’idée qu’on est socialement déterminé, on aide donc ceux qui veulent faire des efforts) sont des valeurs de droite ou, en tout cas, portées par la droite en 2007.

Je me suis alors demandé si ces valeurs n’étaient pas celles de l’enseignant ou du moins de beaucoup d’enseignants. Cette question en a entraîné une autre : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? Je ne me suis pas demandé si telle profession portait telle ou telle idéologie (comme les ouvriers ont pu voter communiste ou front national). Je me suis demandé si le métier que l’on fait détermine notre vision des choses.

Ainsi, un musicien est un passéiste. Pas toujours, mais c’est souvent le cas. Je connais peu de musiciens qui ne tombent amoureux de tel ou tel vieil instrument : un guitariste devant une vieille Fender des années 60, un violoniste devant un stradivarius, etc. Si l’on reprend le cas du guitariste, force est de constater que celui-ci a un penchant prononcé pour le passé. Il aime les vieilles guitares, les vieilles technologies (les amplis à lampe), et regarde avec peu d’intérêt sinon avec méfiance une guitare en fibre de carbone. En un sens, on peut le qualifier de conservateur (comme on peut être conservateur d’une bibliothèque). Il revendique un savoir-faire, un amour du passé (ou plus précisément un passé qui a laissé son empreinte sur le présent). Est-ce un réactionnaire pour autant ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadé que la question mérite d’être posée.


Attention, cet article, le dernier de l’année, mêle le plus grand sérieux à la facétie. Saurez-vous démêler l’écheveau ?

Liberté et méritocratie dans le monde enseignant

L’enseignant est-il de droite ? La question a de quoi surprendre, parce qu’il est commun de penser que celui-ci vote traditionnellement à gauche. Mais, après tout, on se souvient que nombre d’entre eux, en 2007, ont voté au centre et même à droite pour Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas vraiment là. Il s’agit de voir en quoi la profession d’enseignant peut être, de facto, de droite. Commençons par voir si les propos de Chantal Jouanno peuvent être revendiqués par un enseignant.

Je connais beaucoup d’entre eux qui revendiquent la liberté évoquée par madame Jouanno. C’est la fameuse liberté pédagogique, la liberté de faire ce que l’on veut dans sa classe, sans qu’une injonction étatique à laquelle l’enseignant n’adhère pas (celle de pratiquer la pédagogie différenciée, celle d’évaluer par compétences, celle d’adopter tel programme…) vienne entraver sa vision des choses, sa façon de faire, ses habitudes en somme. En un sens, un tel enseignant est un libéral. Le mot est ambigu, car encore au XIXe, dans les pays anglo-saxons aujourd’hui, être libéral, c’est être de gauche. Mais, ici, il est connoté à droite.

Je me souviens avoir un peu bataillé, dans un forum pour enseignants, sur la question du déterminisme. Je faisais valoir l’idée que certains élèves, d’un milieu très défavorisé, voyaient leurs chances de réussir à l’école diminuer comme une peau de chagrin (pas d’argent, pas d’aide pour les devoirs, pas de références culturelles, etc.). On m’avait rétorqué que d’aucuns avaient très bien réussi à l’école malgré tout cela, et que si l’on voulait, on pouvait, qu’il fallait se battre, etc. Ne retrouve-t-on pas là l’idée de la méritocratie ? Cette idée que nous ne sommes pas socialement déterminés, que l’on peut réussir, quel que soit son origine ou son milieu. Cette affirmation m’a toujours laissé perplexe. Je dois reconnaître que je n’ai jamais eu le cœur de dire à un enfant extrêmement pauvre, qui se fait violer tous les jours, qui a été abandonné, ou que sais-je encore, qu’il doit se battre, qu’il peut transcender le déterminisme qui le laisserait en bas de l’ascenseur social.

Voilà d’ailleurs bien une idée répétée à satiété par le monde enseignant : si l’on veut réussir, il faut faire des efforts. Souvent, le problème est réduit à cette affirmation : si l’élève ne réussit pas, c’est parce qu’il ne travaille pas. L’école, c’est simple comme bonjour. Les élèves qui réussissent sont portés aux nues, les autres n’ont pas fait ce qu’il fallait. Ils ont démérité. Il y a donc un goût prononcé pour la méritocratie.

Le discours de la peur

On trouve, à l’école, tout un discours que je qualifierais de droite. Par exemple, celui de la peur. On se souvient peut-être de la présidentielle de 2002. Le thème de l’insécurité était porté par la droite, à un tel point d’ailleurs, que cela faisait dire à Lionel Jospin qu’on ne cherchait pas à élire le ministre de l’intérieur, mais bien un président. On a vu ce que cela lui a coûté. Ce discours anxiogène, je l’ai retrouvé dans celui d’enseignants concevant le numérique sinon comme un danger potentiel (cf. tel enseignant violenté et filmé) du moins une entrave au bon déroulement des choses (l’élève triche sur son smartphone, il est distrait…). Ce discours est automatiquement lié à un autre : celui du goût d’un état antérieur où le numérique n’existait pas. C’était le temps où on ne supprimait pas de postes à outrance, c’était le temps où le maître était détenteur de l’autorité incontestée, c’était le temps où l’on mettait des notes et l’on ne trouvait rien à y redire, c’était le temps où des programmes n’avaient pas bouleversé tout un paysage qui faisait que le parent comprenait ce que faisait l’élève, c’était le temps où on ne laissait pas passer tout le monde dans la classe supérieure, c’était le temps où tout le monde ne réussissait pas à l’école (en 1986, seuls 49 % d’élèves obtiennent le brevet des collèges), c’était le temps où on se concentrait sur l’essentiel (apprendre, lire, compter), c’était le temps d’avant, un temps regretté, plus ou moins idéalisé, un temps qu’il faudrait restaurer pour retrouver le bonheur perdu.
Quand l’enseignant ne comprend plus rien au monde dans lequel il évolue, quand il achoppe sur les modifications apportées à un état plus ou moins idéalisé, il est permis de voir en lui un réactionnaire. Mais le mot n’est pas péjoratif : le réactionnaire réagit, il n’accepte pas le monde dans lequel il vit. Il s’oppose à l’idéologie des compétences, est pour le redoublement, veut que l’école bâtisse une élite, etc. Mais, par un curieux effet de renversement, notre réactionnaire se voit en résistant, presque un gauchiste qui s’oppose au discours dominant, alors que je vois en lui un individu de droite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut.

Un maximum d’enseignant

Mais on se souvient que ma question était celle-ci : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? L’enseignant, dans un cas bien précis, peut-il est autre chose que de droite ? Lui qui est bien souvent assis (pas toujours, il circule dans les rangs), parfois au-dessus des autres (il est sur une estrade qui tend, il est vrai, à disparaître des salles). Ne peut-on pas se demander si être assis et au-dessus des autres n’influe pas sur notre vision du monde ? Bien sûr, tout cela est symbolique. Être assis, c’est, dit le Petit Robert, être affermi, assuré, ferme, stable. L’enseignant appartient au monde de celui qui a réussi, et a accédé à un certain statut. On opposera le fait que l’instituteur ne jouit plus de la considération d’antan, mais j’ai pu remarquer que l’enseignant, dans le monde rural, était perçu comme étant le détenteur d’un savoir, d’un statut (il a fait des études). Ce n’est pas rien, malgré qu’on en ait. Dans un univers où l’on ne dépasse parfois pas le brevet des collèges, être enseignant est un privilège.
Pour filer la métaphore des symboles, être au-dessus des autres (qu’il y ait estrade ou non), c’est simplement être celui qui sait, quand l’élève ne sait pas, celui qui interroge, quand l’élève doit répondre, celui qui oblige, quand l’élève doit obéir… C’est en somme, pour reprendre les termes de Michel Foucault, avoir le pouvoir (refusant ce pouvoir, Michel Foucault se disait être «un minimum d’enseignant»). L’enseignant a le pouvoir. Parfois même, il devient directeur d’école, principal adjoint ou principal. Il devient un notable. Il participe aux cérémonies aux côtés du maire. Après tout, il a fait de longues études universitaires. Comment ne pas voir qu’il est loin, très loin du public auquel il s’adresse ? Il est à sa droite.

Dans mon prochain billet, je vous dirai pourquoi l’enseignant devrait être de gauche.

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De 1986 à 2016, histoire d’un sujet de brevet

Article mis à jour le 24.06.16

Nombre d’enseignants ont trouvé le sujet de l’épreuve de français (2012) du brevet des collèges excessivement facile. Sans aller jusqu’à hurler avec les loups de Sauver les lettres, on peut s’étonner qu’un questionnaire portant sur un conte ne contienne quasiment aucune question de grammaire. À lire le sujet de l’épreuve, on en vient même à se dire que ce sujet pourrait être donné à des élèves de sixième.

En effet, il pourrait – exception faite de la question portant sur l’indirect libre – être traité sans réelle difficulté par les plus jeunes collégiens. Est-ce à dire que le sujet de troisième n’était qu’un sujet de sixième ? Que le niveau du brevet – qui est celui du collège, non celui de troisième – est celui du plus petit niveau ? Que le niveau est de plus en plus bas ? Que c’est la faute du socle ? Et je ne sais quoi d’autre ?

Pour répondre, ou plus précisément, pour tenter d’apporter sinon un début de réponse du moins un embryon de réflexion, j’ai dû faire un peu d’archéologie scolaire. Sans remonter jusqu’à la protohistoire du brevet, rappelons que, de 1978 à 1985, ce diplôme s’obtient par le contrôle continu. Ce n’est qu’en 1986 que les collégiens – dont je fus – passèrent à nouveau cette épreuve. À quoi pouvait bien alors ressembler cette épreuve ? Était-elle plus difficile que celle à laquelle nos collégiens ont droit aujourd’hui ? Pour y répondre, pas la peine de chercher sur le web, on ne trouve pas grand-chose. J’ai cherché, mais vainement. Peut-être qu’un autre que moi saura mieux s’y prendre, mais je n’ai pas trouvé. Je me suis alors souvenu que mon père qui était chef d’établissement dans le collège où j’ai passé le brevet avait gardé les sujets de français (et aussi d’histoire et de maths pour ceux que cela intéresse). Par chance, j’avais gardé le sujet, que je vous laisse découvrir.

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La différence saute aux yeux. C’est bien simple, le sujet de l’année 2012 est l’exact contraire du sujet de 1986. Autant le premier évacue la grammaire (et ce sera systématiquement le cas pour tous les sujets qui suivront), autant le second lui accord une place symétriquement proportionnelle au nombre de questions de compréhension. L’important n’est alors pas tant de montrer sa compréhension du texte que de faire la preuve de ses capacités grammaticales. Les exigences sont nombreuses : conjugaison du futur, du passé simple (avec un trait d’union !), du passé composé, du conditionnel présent. Le binôme nature et fonction est évidemment de la partie . Et, enfin, des questions sur les propositions subordonnées que je n’oserais pas donner au meilleur de mes élèves.

Que faut-il conclure ? Que le niveau d’exigence a baissé ? Que le niveau des élèves a conséquemment baissé ? La réponse pourrait paraître évidente au professeur de français que je suis. Il n’est que de voir ce qu’on demandait aux élèves et ce qu’on leur demande aujourd’hui. La différence est telle qu’il n’y a pas l’ombre d’une hésitation. Vraiment ? Ce serait faire peu de cas d’un détail. Mon père avait gardé les sujets. Il avait aussi gardé une photocopie de ma copie. Rétrospectivement, cela fait un peu mal. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas bon.

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Si je m’en sors relativement honorablement en dictée, je découvre (ou redécouvre, on oublie ce genre de choses) que je n’étais pas une flèche en grammaire. Je ne vous montrerai pas les horreurs que j’ai pondues sur les propositions subordonnées, mais voici un exemple de mes capacités en conjugaison ou à répondre à des questions englobant nature et fonction.

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Voudrait-on remettre un tel sujet au goût du jour ? Alors il faudrait rappeler que seulement 50 % des élèves ont obtenu leur brevet cette année-là. Probablement, la notation n’était pas la même. En lisant le barème, je prends conscience que la dictée en 1986 comptait pour 15 points. Aujourd’hui, c’est 6 points, auxquels il faut certes ajouter les 4 points de l’exercice de réécriture. Mais ce sont 15 points sur 80, alors que l’épreuve de français actuelle (voir le sujet de l’année 2016) compte pour 40 points…

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Je vous laisse conclure. Le sujet de l’année 2012 était, en effet, très facile (et certaines questions posées en 2014 et en 2015 étaient ridiculement faciles). Pour autant, nombre d’élèves auront achoppé sur tel ou tel point. Finalement, si l’on considère le sujet de 2012, un texte de Michel Tournier, c’est encore un peu élitiste pour beaucoup d’élèves (qu’est-ce qu’un calife ? C’est vraiment un conte ? Quelle est cette histoire de cuisinier et de commémoration ?).

La question n’est-elle pas de savoir ce que l’on veut « retirer » de ce collège. Désire-t-on qu’un élève sache manier les propositions subordonnées consécutives ou sache écrire correctement et comprendre ce qu’il lit ? Malgré tout mon amour de la littérature, tout mon intérêt pour la grammaire, toute l’exigence dont je peux faire preuve à longueur de temps, je ne peux que pencher pour la deuxième solution. Et le sujet de 2014 (et dont j’avais proposé une correction), qui invitait les candidats à réfléchir sur la prose poétique de Saint-Exupéry, a montré que des compétences importantes de lecteur étaient requises. Reste que bien souvent les consignes de correction nous invitent à la clémence, ce qui se conçoit, mais une clémence qui a clairement pour objectif de distribuer des points allègrement : “l’élève a le droit de dire qu’il n’a pas compris”, nous a-t-on dit l’an dernier.

P.-S.

Suite à de nombreuses demandes, j’ajoute les sujets d’histoire et de maths.

Histoire géographie

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Mathématiques

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Éducation Littérature

La rhétorique au collège

Aristote par RaphaëlLa rhétorique restreinte

La rhétorique, telle qu’on l’enseignait encore au XIXe siècle, était constituée de trois grandes parties : l’inventio (la recherche des idées ou des arguments), la dispositio (l’arrangement des différentes parties du texte écrit), et l’elocutio (choix et disposition des mots dans la phrase). C’était déjà une rhétorique restreinte dont on avait retranché la pronuntiatio et la memoria. Elle se réduisit comme une peau de chagrin quand elle ne devint plus qu’un traité des figures.

Au collège, l’enseignement relève aujourd’hui, pour l’essentiel, d’une rhétorique de l’elocutio. Nous n’avons, en effet, retenu de l’ancienne rhétorique que quelques figures de style. Au collège, l’élève est invité à n’en retenir qu’un certain nombre, comme dans cet exercice, par exemple.

Récemment, @mmechautard proposait un exercice intéressant. Les élèves devaient, non pas simplement repérer quelques figures, mais rédiger quelques phrases dans lesquelles figureraient une comparaison ou un zeugme, etc. Cet exercice semble avoir connu quelque succès, les élèves s’étant amusés à formuler des plaisanteries du type «Il descendit les poubelles et son voisin».

Rhétorique et enseignement

Je me suis alors rappelé Figures II de Gérard Genette et de «Rhétorique et enseignement» où il est expliqué que, auparavant, les grands textes de la littérature n’étaient pas seulement des objets d’étude, mais aussi des modèles à imiter. Aujourd’hui, il ne s’agirait évidemment pas de demander à un élève un portrait de Byron comme cela avait pu l’être à Flaubert. Mais, au moins, on pourrait se rappeler que la pratique régulière de l’écriture, dans le sillage des grands auteurs, bref ce qu’on appelle l’imitation, a ceci de bénéfique qu’on en revient à une rhétorique explicite, une rhétorique qui dit son nom, au lieu de se contenter d’exiger de l’élève qu’il fasse un effort pour écrire correctement, sans plus d’explications.

Faire un effort pour écrire correctement, cela ne veut rien dire au fond pour l’élève à qui on n’a jamais appris à écrire. Tout au plus l’invite-t-on à faire attention à l’orthographe, à suivre quelques consignes (utiliser le passé simple, placer des épithètes…). Pour le reste, il est livré à lui-même. Or la rhétorique n’a jamais vraiment quitté le collège. Elle a toujours été là, sans réellement faire l’objet d’un apprentissage avoué. En français, les précédents programmes invitaient à rédiger une narration, développer une description, à bâtir une argumentation, etc. Dans ce dernier cas, on retrouve nombre de composantes de l’ancienne rhétorique : recherche des idées, disposition de ces idées en un texte qui a un sens (selon la double acception : une signification et une direction), et expression de ces idées en termes acceptables pour l’institution scolaire.

Encore faut-il, pour ce dernier point, que l’élève ait un peu de vocabulaire, d’où la nécessité de l’étudier, de lui conférer une place importante, ce que font les actuels programmes de français. L’élève doit aussi avoir son arsenal de figures lui permettant d’exprimer ses idées avec force. À cet effet, il importe que l’élève sache non seulement les repérer, mais aussi les utiliser d’où les exercices susmentionnés. Mais il est impératif qu’on lui ait appris à écrire. Or on apprend à lire, mais on n’apprend pas réellement à écrire. Tout au plus donne-t-on quelques exercices de rédaction dont la consigne pourrait être : «Vas-y, fais de ton mieux, exprime-toi, si possible en un langage correct, avec le minimum de fautes». Mais attend-on seulement la moindre valeur littéraire de ce qui sera produit par l’élève ? A-t-on vraiment préparé cet élève à l’exercice de la rédaction ?

Apprendre à écrire

Si l’élève a appris à lire, il n’a pas appris à écrire d’une façon un tant soit peu littéraire. On reste persuadé, que l’élève ayant lu retiendra, ipso facto, quelques formulations que, de lui-même, il restituera dans un élan de bonne volonté. Son génie personnel, résidu romantique, fera le reste. N’est-on pas là dans l’erreur, si l’on ne remet pas au goût du jour l’exercice d’imitation, régulier, plus ou moins bref, en tout cas davantage que celui de la rédaction, et préparant la rédaction ?

Récemment, j’ai donné cet exercice dans lequel il fallait remplacer les verbes en gras par un participe présent, puis supprimer le sujet. Enfin, l’élève devait rajouter la conjonction de coordination « et » (voire supprimer le dernier pronom personnel sujet) :

Le chat enfila ses bottes, il mit son sac à son cou, il s’en alla dans une garenne.

Le chat enfila ses bottes, et mettant son sac à son cou, s’en alla dans une garenne.

L’objectif, dans cet exercice d’imitation de Charles Perrault, était évidemment de manier le participe présent que nous étudiions alors, de faire un peu de grammaire donc, mais aussi de s’exprimer avec davantage de fluidité, de concision, plutôt que d’accumuler des phrases courtes commençant répétitivement par le pronom personnel «il».

Mais l’exercice, tel quel, relève essentiellement de l’exercice de grammaire ou de réécriture. Pour qu’il devienne exercice d’imitation, il fallait que dans la rédaction suivant l’exercice, l’élève produise quelques phrases imitant le modèle étudié.

En quatrième, cet exercice exige qu’on se lance directement dans l’exercice d’imitation.

Lisez cet extrait de Vingt mille lieues sous les mers

«En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l’affaire d’un instant. Nous n’avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l’eau jusqu’à la ceinture.»

Consignes

Réécrivez un paragraphe du même type :

– en commençant par un complément circonstanciel (En deux minutes) suivi d’une proposition contenant un verbe à l’imparfait (étions) ;
– en rédigeant ensuite trois propositions débutant par un infinitif (charger, pousser, armer) s’achevant par un verbe au passé simple (fut) ;
– en terminant enfin par une phrase de conclusion construite sur le modèle Nous n’avions pas… que…. Le dernier verbe sera conjugué au passé simple et précédé de deux participes présents (hurlant et gesticulant).

J’avais eu l’idée de cet exercice en relisant Les Misérables et Le Rouge et le Noir. À lire ces extraits, on se rappelle que nos grands auteurs, malgré qu’ils en aient (je pense à Victor Hugo), avaient fait leur classe de rhétorique :

Écarter les pavés, soulever la grille, charger sur ses épaules Marius inerte comme un corps mort, descendre, avec ce fardeau sur les reins, en s’aidant des coudes et des genoux, dans cette espèce de puits heureusement peu profond, laisser retomber au-dessus de sa tête la lourde trappe de fer sur laquelle les pavés ébranlés croulèrent de nouveau, prendre pied sur une surface dallée à trois mètres au-dessous du sol, cela fut exécuté comme ce qu’on fait dans le délire, avec une force de géant et une rapidité d’aigle ; cela dura quelques minutes à peine.

Les Misérables

Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l’accabler de coups de cravache ne fut que l’affaire d’un instant. Deux laquais voulurent défendre leur camarade ; Julien reçut des coups de poing : au même instant il arma un de ses petits pistolets et le tira sur eux ; ils prirent la fuite. Tout cela fut l’affaire d’une minute.

Le Rouge et le Noir

En somme, pour plagier Gérard Genette, on se dit que pour un adolescent de l’époque des Hugo, des Flaubert ou Stendhal, se lancer dans la littérature n’était pas une aventure ou une rupture mais le prolongement, l’aboutissement de leurs études.
Quant à mes collégiens, ce n’est pas un prolongement ni même une rupture. Ils ont tout simplement besoin d’apprendre à écrire.

Une copie de quatrième

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L’obscur objet de la dictée

Cartel de defyJe le confesse, à ma grande honte, je ne connaissais pas Éveline Charmeux. J’ai donc lu son billet sur la dictée sans aucun a priori. Et je l’ai trouvé mauvais. Il est mal écrit. Les répétitions («un niveau très bas bas»), les oublis («c’est sorte de pathologie gravissime»), les erreurs typographiques («l’ hallucination») ou inqualifiables («auFormatiàoncune réflexion») révèlent-ils qu’il a été rédigé à la hâte ? Je ne sais pas, mais il m’a profondément consterné. Jusque-là, seule l’affaire du pourrisseur du web avait réussi à me sortir de ma torpeur habituelle.

Au reste, le discours d’Eveline Charmeux m’a rappelé celui qui était tenu à l’IUFM où la dictée était battue en brèche. Les arguments ne manquaient d’ailleurs pas de pertinence. La dictée ne serait qu’un moyen d’évaluation injuste, elle ne permettrait pas d’acquérir de connaissances. Elle était tombée de son piédestal. Elle n’était plus le seul moyen de travailler l’orthographe (que l’on songe à l’exercice de réécriture). J’étais alors convaincu qu’il ne fallait plus faire de dictée ou du moins qu’il ne fallait plus lui accorder l’importance qui fut la sienne. Las ! Cette idée n’a pas résisté au temps, lequel j’ai passé à me demander de quelle façon je pouvais évaluer l’orthographe sans pour autant déprimer mes petits élèves.

Prolégomènes

Avant d’expliquer les vertus pédagogiques que j’attribue à la dictée, je voudrais tout de même préciser deux petites choses. Eveline Charmeux écrit que la dictée a :

[…] l’incomparable plaisir que procure à tout enseignant — moi la première, je le confesse bien volontiers ! — cette situation de pouvoir absolu sur des élèves, soumis, visage baissé, au rythme de la voix du maître, seul à posséder légitimement le “corrigé”…
La dictée, c’est le symbole de l’école, de celle qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire […]

Tout d’abord, je n’éprouve aucun «incomparable plaisir» face à des élèves soumis. Je suis conscient à ce point du pouvoir de l’enseignant que j’ai pris l’habitude depuis longtemps de faire cours porte ouverte, cette ouverture me rappelant le monde extérieur dans lequel je ne suis pas le maître ni le plénipotentiaire de l’éducation lequel, comme un mauvais parent, aurait tous les droits sur ses enfants dans le huis clos de son domicile.
Au reste, je n’ai pas la vanité de goûter au plaisir de ma voix qui s’énonce dans le silence scolaire, dominant des «visage (s) baissé (s)». Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Que veut-on ? Que l’on s’humilie d’avoir assis les élèves quand nous sommes debout ? Eh ! Voulez-vous que l’on intervertisse la situation ? Tout le monde debout ! Je m’assieds.
Enfin, la dictée serait un symbole. Celui d’une école qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire. Serait-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Un piège tendu aux esprits chagrins qui lisent en diagonale ? Qu’est-ce que l’école sinon le lieu où l’on apprend ce que l’on ne sait pas ? Le contraire s’appelle la science infuse. Les élèves ne l’ayant pas, ils viennent apprendre. En quoi cela peut-il choquer ?

Un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation

Selon Eveline Charmeux, la dictée ne saurait être ce monstre pédagogique étant à la fois la fin et le moyen. Je pense que les termes sont mal définis, et comme à chaque fois que l’on nomme mal les choses, on se fourvoie. Par quelque bout que l’on prenne les choses, pas moyen de faire autrement : la période d’apprentissage est ipso facto suivie d’une évaluation. Il faut nécessairement vérifier que la notion inculquée a été comprise. Dans le cas contraire, on se hasarde à laisser les élèves avancer dans les méandres du programme sans s’intéresser à leurs progrès ou leurs échecs. Mais la question est de savoir si la dictée peut à la fois être un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation.

Un moyen d’évaluation

Avant de dire en quoi la dictée est un moyen d’apprentissage, voyons le moyen d’évaluation. En quoi est-il choquant d’évaluer ce qui a été écrit ? Serait-ce parce qu’on attribue une note ? Que l’on soupçonne celle-ci d’être très basse ? Sans même parler d’évaluation par compétences, ne peut-on simplement dire à l’élève à qui l’on rend sa dictée : «C’est bien, il n’y a pas de faute. À présent, on va faire plus dur ou on va passer à autre chose» ou encore «Attention, il y a des fautes. Tel ou tel point est à revoir. Je vais te donner des exercices pour remédier à cette situation». La dictée est l’évaluation de ce que sait faire un élève à un moment donné. Ainsi, par exemple, le présent de l’indicatif ayant fait l’objet d’un apprentissage ne devrait pas être erroné dans le texte faisant l’objet d’une dictée. S’il l’est, il faut réviser.

De toute façon, je ne crois pas qu’il existe encore beaucoup d’enseignants qui ponctionnent deux voire quatre points par faute de grammaire. En ce cas, l’exercice est impitoyable. Quelques fautes dans un texte de vingt lignes, et l’élève n’a pas la moyenne. Cette façon de faire n’a plus, depuis longtemps, la faveur des enseignants. Et je crois que c’est ce modèle qu’Eveline Charmeux bat en brèche. Celui de l’enseignant qui pour enseigner l’orthographe ne posséderait que ce seul moyen de la dictée et par là même se saisirait de ce moyen pour mettre une note qui souvent atteint des abysses négatifs. Afin de ne pas allonger indéfiniment ce billet déjà très long, j’ai écrit un autre billet intitulé Mais comment évaluer cette dictée ? Tout au plus, dirais-je qu’il y a pléthore quant aux moyens d’évaluer une dictée, et que celle-ci n’est plus l’exercice terrible condamnant par avance tout élève pris en faute.

Un moyen d’apprentissage

Examinons maintenant en quoi la dictée, notée ou non, mais évaluée (en tant qu’elle fait l’objet d’une appréciation, et donc d’un moyen de progresser), concourt à l’amélioration de l’orthographe des élèves. On l’a dit, il existe d’autres moyens d’apprentissage (parmi lesquels il y a l’exercice de réécriture, mais aussi la charade, le pendu, les mots croisés sans même parler de la rédaction). À ce propos, le billet d’Eveline Charmeux repose sur un malentendu. Je n’ai lu nulle part que l’on prétendait que la dictée était LA solution. Tout au plus peut-on parler de solution, c’est-à-dire d’une solution entre autres.

D’emblée, je suis choqué que l’on soit choqué quand on fait faire une dictée qui date des années 80 à des élèves d’aujourd’hui qui n’en font plus. Eh quoi ! On a tellement expliqué que la dictée, c’était le mal, que les enseignants ont fini par s’en convaincre, et n’en font plus (heureusement, cela change). Dès lors, des élèves ne peuvent plus réussir un exercice qu’ils ne pratiquent plus ou pas assez. En quoi cela est-il étonnant ? On apprend en faisant (oui, je suis pour la pédagogie active). Or j’ai la conviction qu’il est fondamental que l’on dise aux élèves : «On va écrire un texte, et ce qui fait l’objet de ce travail, c’est l’orthographe et rien que l’orthographe». Les élèves, aujourd’hui ou hier (qu’importe), réduisent tellement la chose écrite à la portion congrue (un contenu plus qu’un contenant), que je ne connais pas un collègue d’histoire, de SVT ou de ce que vous voulez qui n’ait rencontré la nécessité d’évaluer l’orthographe tant il est vrai que les élèves s’en désintéressent. J’en suis même venu à ne plus photocopier mes contrôles, mais à les projeter, à demander aux élèves d’écrire les consignes, et de leur dire qu’ils gagneront des points en accordant un peu d’attention aux mots qu’ils recopient.
La dictée, qu’elle fasse deux lignes ou trente, régulière, et d’une difficulté en rapport avec le niveau des élèves, consiste à écouter un texte et à faire des choix. Je ne parle pas du ridicule exemple pris par le contempteur de la dictée. «théâtre» ou «apéritif» ne m’intéressent pas. C’est de l’orthographe lexicale. Un dictionnaire fera l’affaire. Ce n’est pas là que le bât blesse. De toute façon, quand bien même la chose est notée, l’élève perd 1 voire 0,5 point et même rien du tout dans certain cas. En revanche, on peut estimer que, jusqu’à ce qu’on ait rencontré la nécessité d’écrire ce mot, on ne savait pas comment l’écrire. Quel autre exercice que la rédaction ou la dictée permet de prendre conscience que l’on ne sait pas écrire tel ou tel mot ? Si on ne sait pas, on cherche, on corrige, on apprend (après avoir noté le mot dans un calepin pour le réviser, le réutiliser, etc.). Mais, je l’ai dit, ce n’est pas là l’essentiel. La dictée doit permettre à l’élève de faire des choix : tel mot s’accorde-t-il avec tel autre ? A-t-on bien choisi parmi des homophones grammaticaux ? Serait-ce «ses», «ces», «c’est» ou même «sait» ?

Et si l’on veut adopter «une pédagogie de la prévention des erreurs», l’on peut se pencher sur l’élève que l’on aiguille sur la bonne voie. Je ne commenterais pas la pitoyable métaphore routière, et sa conclusion :

Aussi, obliger les enfants à réfléchir, donc à ralentir leur écriture, n’est certainement pas un service à leur rendre.

Cette phrase qui vient conclure la métaphore filée du moniteur d’autoécole nous explique donc que celui-ci ne rendra pas service à son élève qu’il invite à ralentir. Vraiment ? Écrase-toi contre la voiture d’en face, on verra après…

Et je ne parlerai même pas de l’opposition énoncé/énonciation qui, je le suppose, est le point d’orgue dans la démonstration de l’auteure :

Or, la dictée est doublement étrangère à l’énonciation : parole extérieure, élaborée par quelqu’un d’autre, elle est reçue passivement, et à travers une oralisation du dicteur, laquelle n’a rien à voir avec la prononciation mentale qui accompagne l’énonciation. Pire , cette oralisation extérieure se substitue à la prononciation mentale et la bloque complètement — ou, tout au moins, la fausse gravement.

Comment ne pas percevoir que cette vulgate linguistique discrédite toute tentative de communication ? Toute parole extérieure étant reçue passivement, d’où vient que l’on continue de considérer l’autre, sans même parler de celui qui vient avec sa dictée ? Et si, d’aventure, la dictée se révélait être cet indigne chausse-trape éducatif, que ne proposez-vous pas la méthode qui permettra de reconnaître un problème que vous reconnaissez ? Au lieu de cela, vous concluez :

Au fait, au lieu de perdre du temps à faire faire des erreurs qui vont s’imprimer dans la tête des gamins et y installer un bazar pas possible, si on essayait enfin d’aider les élèves à comprendre comment ça marche, l’orthographe ?

Comment faut-il donc faire ? Encore une fois, je répondrai dans un élan d’autopromotion. Tout Ralentir travaux s’efforce d’y répondre, et dans cette réponse, il y a la dictée, laquelle fait partie de mon arsenal éducatif. Il en existe d’autres, que je n’ai jamais pu véritablement exploiter. Il y a les dictées que des élèves peuvent faire eux-mêmes, à leur rythme, en utilisant (pourquoi pas ?) un dictionnaire ou une grammaire. On pourrait songer, comme pour la rédaction, à utiliser un correcteur orthographique, pas le médiocre correcteur intégré à tout traitement de texte, mais celui d’Antidote par exemple. Il doit bien y avoir des enseignants canadiens le faisant. J’aimerais entendre leur voix.

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Mais comment évaluer cette dictée ?

Dictée notée en comptant les mots justesIl fut un temps où on nous expliquait que la dictée était descendue de son piédestal, qu’il ne fallait pas ou moins en faire, que c’était un moyen d’évaluation et non pas de formation. Depuis, je me suis aperçu que sa pratique régulière faisait progresser les élèves, à condition de ne pas mettre de zéros à tout va.
Mais alors comment évaluer cette dictée remise au goût du jour ?
Je me pose régulièrement cette question, car quoiqu’on en dise il faut bien le faire. En tout cas, on attend de moi que je mette des notes, alors que je pourrais fort bien m’en passer, surtout à propos de ce type d’évaluation. De toute façon, les notes – surtout depuis que j’ai entendu André Antibi – ne me dérangent pas plus que ça (mais c’est un autre sujet). Alors, si l’on doit en mettre, voyons comment l’on peut faire.

Avant de répondre à la question posée par l’article, je précise quand même que je n’ai pas encore trouvé la bonne formule (ou que je ne vois aucune raison de privilégier telle ou telle), raison pour quoi j’écris cet article, peut-être pour me permettre d’y voir plus clair. La seule conviction que j’ai est qu’il faille faire des dictées, malgré qu’on en ait. Soumettre à la sagacité d’un élève une difficulté orthographique à résoudre ne me semble pas devoir être voué aux gémonies.

À l’ancienne

Je crois savoir que certains collègues font ça : ils retirent deux points par faute de grammaire, un point par faute d’orthographe lexicale (des fautes de vocabulaire en somme), et un demi-point par accent.
En notant ainsi, dans certaines classes, on est à peu près certain d’avoir évité de mettre la moyenne aux meilleurs, et d’avoir mis des notes négatives à 80 % de la classe. Or une telle façon de noter, à coup sûr, démoralise les élèves les mieux intentionnés : pourquoi travailler puisque de toute façon ils auront zéro, l’exercice étant cruellement difficile.
Cependant, un tel degré d’exigence dans la notation, pourrait être concevable avec d’excellents élèves. J’en ai, mais pour ceux-là, quelle que soit la façon de noter, le résultat est invariablement le même : ils ont vingt.
En somme, cette réflexion ne les concerne pas vraiment.

Avec un barème moins sévère

On obtient des notes un peu moins mauvaises en ne retirant qu’un point par faute de grammaire, et un demi-point par faute de vocabulaire. Mais franchement, les notes ne sont pas pour autant extraordinaires. On limite les dégâts, et on n’évite pas la sempiternelle cohorte de zéros.
J’utilise souvent ce barème avec des dictées relativement courtes, et ne contenant pas trop de difficultés. L’élève a même la possibilité de refaire la dictée. On efface la note. On recommence. On progresse, j’espère.

La dictée préparée

Je déteste. J’ai toujours le sentiment de perdre mon temps. Pourtant j’ai essayé à de nombreuses reprises : je dicte un texte ; c’est non noté ; on le corrige ; on fournit les explications ; éventuellement on s’entraîne ; on demande aux élèves d’apprendre ; on refait la dictée.
Ratage complet.
Il faut bien le reconnaître. Les élèves dont l’orthographe est très mauvaise sont souvent (je n’ai pas dit toujours) des élèves qui ne travaillent pas suffisamment ou pas comme il faut ou, et c’est (certaines années) l’écrasante majorité, pas du tout. Alors si on leur donne un texte à apprendre pour qu’ils obtiennent une note décente, il ne faut pas forcément s’attendre à ce qu’ils fassent le travail demandé.
Au bout du compte, on se dit qu’il doit y avoir des progrès en orthographe grâce à une pratique fréquente, pas nécessairement par un gros travail d’apprentissage de texte donné à l’avance.

Par segments

Alors, celle-là, cela fait un moment que l’on ne me l’a pas imposée. J’ai dû noter des dictées ainsi une année lors de la correction du brevet.
Le principe est simple : on considère un segment donné, c’est-à-dire un bout de phrase pour lequel on ne retira pas plus de tant de points.
Par exemple, dans la phrase «Le loup, qui se sent pressé, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent», on considère que «Le loup, qui se sent pressé» est un segment qui vaut tant de points. S’il y a plus de tant de fautes, on soustrait le nombre de points fixés.
Autant dire, que je déteste cette façon de faire. C’est vraiment se compliquer l’existence pour pas grand-chose.

Des points pour la grammaire, des points pour le vocabulaire

Cette façon de faire est plus intéressante. Pour une dictée sur vingt, on va accorder dix points pour la grammaire, dix points pour le vocabulaire. On décompte un point ou un demi-point par faute (par exemple). Or si l’élève a fait 30 fautes de grammaire, il ne perd pas plus de dix points. Et le correcteur de prier, pour que l’élève n’ait pas fait trop de fautes de vocabulaire, ce qui lui permet alors de ne pas obtenir une note trop basse.
Cela marche bien pour les élèves qui ont quelque compétence orthographique, mais qui ont encore pas mal de lacunes en grammaire ou en vocabulaire. Cela permet aussi de voir avec précision ce qui pèche, si c’est la grammaire (conjugaison, accords, etc.) ou si c’est le vocabulaire, et de proposer la remédiation idoine.

La dictée portant sur un point précis

On dicte un texte après avoir étudié tel ou tel point et dans la dictée, on n’évalue que le point étudié. Par exemple, si on a étudié l’accord des adjectifs qualificatifs ou le passé simple, on ne prend en compte dans la correction que l’accord des adjectifs qualificatifs ou le passé simple. Si on le souhaite, on peut garder trois ou quatre points pour le reste si l’on tient absolument à l’évaluer.
Cela permet de préciser ce que l’on cherche à évaluer.

La dictée dialoguée

Je n’ai jamais essayé. Le principe est pourtant intéressant : on dicte un texte et dans le même temps on interroge les élèves en leur posant des questions du type : «Quelle difficulté va-t-on rencontrer dans l’écriture de telle phrase ?». Sans jamais donner la réponse, les élèves peuvent faire valoir qu’ici, après une préposition, on aura un verbe à l’infinitif, que là, après un COD antéposé, le participe passé va s’accorder, etc., etc.
On devine que la chose prend du temps, et qu’on n’en a pas forcément…

La dictée cacophonique

Je n’ai jamais essayé non plus ! Je crois bien qu’à une époque, c’était mal vu. Pourtant, ça semble assez amusant. On donne un texte truffé de fautes qu’on peut d’ailleurs mettre en évidence en jouant sur la typographie. Et l’élève doit réécrire le texte en corrigeant les erreurs. Après tout, c’est un exercice assez proche de ce que l’on peut faire d’après le texte La petite poule rousse où il faut reconjuguer tous les verbes au passé simple. C’est aussi le moyen utilisé lors du brevet avec les élèves bénéficiant d’un tiers temps. Ils doivent faire des choix. Ainsi, l’élève doit choisir entre «ce/se/ceux tableau est propre».

En comptant les mots justes (et non les faux)

On compte le nombre de mots dans une dictée, et on ne prend en considération que les mots justes. Le calcul peut se faire en pourcentage : 100 x nombre de mots justes divisé par le nombre de mots de la dictée (96).

Exemple : 100 x 35 divisé par 96 = 36,45 %

On peut aussi calculer une note sur 20 : 20 x nombre de mots justes divisé par le nombre de mots de la dictée (96).

Exemple : 20 x 35 divisé par 96 = 7,29/20

J’ai essayé : ça a beaucoup amusé les élèves qui ont tous eu la moyenne. À la réunion parents professeurs, on m’a regardé avec suspicion : comment l’élève qui a fait autant de fautes, a-t-il pu avoir la moyenne ?
En prenant en compte que les mots justes, l’élève a forcément une bonne note, même le plus mauvais d’entre eux a su écrire «le», «de», «pour» ou «table». Évidemment, il aura peut-être échoué à orthographier correctement les mots difficiles…

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Lettre ouverte à un lycéen (qui n’a pas la maturité pour être éduqué au numérique)

Cher lycéen, toi qui as – ou qui es en passe d’avoir – l’âge de te marier, de voter et même de faire la guerre, tu n’aurais pas la maturité nécessaire pour être éduqué au numérique. Dix-huit ans après ta naissance, tu ne serais même pas en mesure de tirer profit du numérique !

En lisant une telle assertion, tu dois passablement pouffer de rire, toi qui «du matin jusques au soir» vis dans un univers numérique. En revanche, tu dois manquer de t’étrangler en avalant tes céréales quand tu entends qu’un enseignant ne veut pas t’éduquer, toi qui appartiens au mythe faux et archifaux de la génération Y, et qui connais toute l’étendue de ce mensonge. Certes, un clavier n’a pour toi rien d’anxiogène, mais tu as besoin d’apprendre à t’en servir. En effet, il ne suffit pas de naître dans une bibliothèque ou un centre hippique pour devenir un grand lecteur ou un cavalier émérite. Il faut apprendre.
De surcroît, tu sais bien que «numérique», ça ne veut rien dire. S’agit-il de calcul numérique ? De signal numérique ? D’appareil numérique ? Et dans ce dernier cas, parle-t-on de caméra, d’appareil photo, de téléviseur numériques ? Et, au fait, la fracture numérique n’existe-t-elle plus ? Tous les adolescents sont-ils devenus égaux face au numérique ? Ont-ils tous les mêmes capacités ? Le même équipement ? La même connexion internet ?

Bref, la chose est si vague, si fausse, si révoltante qu’elle devrait susciter l’indignation. Mais non, les gens ont préféré applaudir à tout rompre.

Le lycéen – lui qui vit et jongle en permanence avec divers appareils – ne mérite pas que l’on se désintéresse à ce point de son présent. On ne peut non plus négliger son avenir dans lequel les machines seront chaque jour davantage omniprésentes. Demain, le lycéen votera sur son téléphone, il paiera ses courses avec ce même appareil. Il rencontrera peut-être même sa femme par ce truchement. Sa culture – fût-elle littéraire – est numérique. Lui dire que l’enseignement se désintéresse de cette question, c’est lui dire : «Ton univers ne m’intéresse pas. Le tien et le mien (celui de la littérature, celui de la poésie et du baroque) ne s’interpénétreront jamais».

Le professeur de lettres que je suis trouve ce discours absolument inaudible. Le professeur que je suis voudrait te dire tout ce que je souhaiterais que tu apprennes si j’avais la charge de ton éducation numérique.

Tout d’abord, tu apprendrais à te servir d’un clavier. Tu apprendrais donc la dactylographie afin de frapper mélodieusement et délicatement de tes dix doigts ce clavier que tu utilises tous les jours. Et pas comme ces autodidactes heurtant nerveusement et fébrilement les touches lorsqu’ils chattent sur les messageries instantanées. Les raccourcis clavier, les combinaisons de touches n’auraient aucun secret pour toi. Ta frappe aurait l’efficacité d’un développeur programmant en C++.
Tu apprendrais également la typographie, afin que les documents que tu imprimes n’aient pas la laideur repoussante de ceux que les adultes nous imposent. Tu découvrirais différentes «fontes» et saurais ce qu’est une espace insécable ou le quart de cadratin. Soucieux de ton orthographe, tu découvrirais l’importance et la richesse des correcteurs orthographiques que sont Antidote ou le Petit ProLexis.
Tu apprendrais à te servir d’une machine, à la démonter et à la remonter, tu considérerais chaque système d’exploitation, chaque programme à sa juste valeur, et ta pratique ne serait pas assujettie à celle qui t’a été imposée par l’usage, celui du cercle familial, de l’impact publicitaire ou même du coût financier.
La programmation serait enseignée. L’omniprésence du web ne plaide-t-elle pas en faveur du HTML 5, du CSS 3, du JavaScript, etc. ? Eh quoi ? Un internaute ne serait-il qu’un simple usager, jamais un créateur ? Le web 2.0 n’était-il qu’un mythe ? Faut-il enfermer les lycéens dans la simple utilisation de programme délivrant des sites tout faits ? Désire-t-on un web uniforme ? En outre, l’apprentissage de la programmation invite à la plus grande des rigueurs : si le programme est mal écrit, il ne fonctionne pas.
L’usage du web doit-il se conformer à des lois sinon iniques du moins inadaptées ? Un lycéen devrait pouvoir outrepasser les filtres qui lui sont imposés. Il doit pouvoir assurer la sécurité de son réseau wifi. Il doit pouvoir déplomber ce qu’il a légalement acheté pour pouvoir en jouir à sa guise. Il doit pouvoir regarder ses séries américaines sans que l’industrie télévisuelle ne lui indique quand, comment et de quelle façon il doit les regarder. De ce point de vue, le lycéen doit être un hacker, et un hacker qui parle anglais. Il est même polyglotte, parce que connecté aux réseaux sociaux, il s’adresse à la planète entière. Il parle à ceux qui se trouvent dans leur printemps révolutionnaire, il parle aux lycéens des antipodes subissant des cataclysmes, il suit sur son téléphone l’arrestation de Ben Laden avant tout le monde.
Enfin, on peut espérer que ce lycéen, tel un de ces étudiants facétieux qui hantent les romans ou l’histoire de l’informatique, soit l’un de ces farceurs qui font enrager les grandes entreprises. Un Steve Wozniak en puissance mâtiné de Panurge.
La culture qui est la sienne est aussi une culture soucieuse de la garantie des libertés informatiques. Le lycéen est soucieux de sa vie privée (il sait par exemple ce qu’est un VPN), il est désireux d’utiliser les standards de l’informatique, et recherche autant que faire se peut les logiciels libres. Il ne veut pas mettre son avenir (et tous ses précieux documents) entre les mains de géants informatiques mercantiles.

Retourné dans la galaxie Gutenberg, il est sorti d’un univers que l’on croyait un temps uniquement dévolu au monde de l’image. Le lycéen passe son temps à lire… sur internet. Il faut donc lui apprendre à le faire, à choisir soigneusement ses sources pour éviter de se faire berner par le moindre pervers malicieux. Il doit croire en la liberté de la presse, et la parcourir quotidiennement. Il doit lire autant de livres qu’il veut sur son iPad, sa tablette Androïd, sur ce qu’il veut enfin, mais lire. Et prendre des notes avec l’un de ces merveilleux programmes qu’est, par exemple, Evernote. Quand il part en vacances, il a dans sa poche ou dans son sac des milliers de livres. Il peut même, s’il le désire et si on l’a aidé à en comprendre l’importance, avoir le Grand Robert. Avec cela, il ne reviendra jamais au papier, ce support jauni, terne, en petits caractères noir et blanc. Et quand il achoppe sur une notion, quelle qu’elle soit, il doit pouvoir trouver de l’aide dans cette grande bibliothèque qu’est internet soit en cherchant, soit en s’adressant à ses enseignants bienveillants par le biais de la visioconférence.