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La vidéo a-t-elle révolutionné l’éducation ?

Il y a quelque temps de cela déjà, je formulais la réflexion suivante sur Twitter et LinkedIn :

Ne croyez pas ceux qui affirment que l’IA va bouleverser radicalement l’éducation. Aucune technologie ne l’a fait auparavant (ni la radio ni la vidéo ni internet ni les MOOCS ni la réalité augmentée ou virtuelle ni rien). La technologie change notre rapport au savoir mais, au sein même de l’école, son impact est généralement minime.

J’oubliais, soit dit en passant, la blockchain, la 5G et le Metavers.

Ce que je ne pouvais formuler en quelques mots était en fait la thèse de Justin Reich qui expliquait dans Failure to disrupt :

new technologies do not disrupt existing educational systems. Rather, existing educational systems domesticate new technologies

Dans sa conclusion, l’auteur prévenait d’ailleurs :

In the years ahead, no doubt, entrepreneurs will make these same kinds of promises about artificial intelligence and virtual reality and 5G and whatever new technologies Silicon Valley unleashes upon the world.

Mon objectif n’étant pas de citer Justin Reich tout au long de ce billet, résumons et expliquons très brièvement ce qui vient d’être formulé avant d’en venir au sujet qui nous préoccupe. Pour l’auteur de Failure to disrupt, la technologie ne bouleverse pas radicalement le système éducatif. En fait, la plupart du temps, ce dernier absorbe la technologie et lui fait faire ce que l’on faisait auparavant. Par exemple, si vous faites écouter une vidéo à vos élèves où quelqu’un expose une notion, vous ne faites que proposer à vos élèves un cours magistral et en cela, il n’y a rien de neuf. On pourra distinguer quelques apports, mais la technologie ne transforme pas radicalement le processus éducatif.

Or il m’a été objecté qu’internet ou justement la vidéo, par le truchement de YouTube, avaient révolutionné l’école. Il n’en est rien. Si la thèse consiste à dire qu’internet ou YouTube ont modifié nos vies, ont changé notre rapport au savoir, ont contribué à la circulation de l’information, ont même transformé notre façon de travailler à la maison, oui. Mais, à l’école, la plupart du temps, il n’en est rien.

Retour vers le futur

Mais reprenons.

Tout d’abord, l’introduction de la vidéo a été annoncée comme étant une révolution qui rendraient les livres obsolètes. C’est Thomas Edison qui le dit en 1913.

Books will soon be obsolete in the public schools. Scholars will be instructed through the eye. It is possible to teach every branch of human knowledge with the motion picture. Our school system will be completely changed inside of ten years. The New York Dramatic Mirror

En 1994, d’aucuns prétendaient que les vidéodisques allaient (enfin ?) révolutionner les salles de classe :

The use of videodiscs in classroom instruction is increasing every year and promises to revolutionize what will happen in the classroom of tomorrow (Semrau & Boyer. Propos entendus dans The Most Persistent Myth. Regardez. c’est assez drôle)

On pourrait penser qu’après presque 100 ans de prédictions ratées, on arrêterait là, mais non. Salman Kahn remet ça en 2011 dans Let’s use video to reinvent education. En gros, il explique que grâce à la vidéo les enseignants seront bientôt obsolètes et Bill Gates de confirmer :

Well, it’s amazing. I think you just got a glimpse of the future of education.

Évidemment, si on vous demande si la Kahn Academy a eu un quelconque impact dans la Silicon Valley voire dans nos vies, il faudrait être obtus pour ne pas le reconnaître, mais est-ce que le monde de l’éducation a été réinventé comme le dit Sal Kahn ? Non, bien sûr. Est-ce que la vidéo est désormais « le futur de l’éducation », comme le pense Bill Gates ? Non plus.

Un an plus tard, la croyance est pourtant plus forte que jamais. Daphne Koller, qui a cofondé Coursera, déclare que les MOOCs vont révolutionner l’éducation.

Le but de Coursera

is to take the best courses from the best instructors at the best universities and provide it to everyone around the world for free

Et comment fait-on cela ? Avec des vidéos bien sûr (reconnaissons-le, pas seulement. Il y a aussi… des quiz). Or, pour citer Reich encore une fois, peu de MOOCs ont apporté une véritable expérience pédagogique :

most courses simply recorded a professor lecturing, harkening back to the earliest days of motion pictures when the first order of business was the filming of stage plays.

Force est de reconnaître que la révolution n’a pas eu lieu. En tout cas, pas celles des MOOCS. Les livres ne sont pas obsolètes et la transmission des connaissances, dans les salles de classes, ne semble pas se faire par le seul moyen de la vidéo. Même le plus fervent adepte de la classe inversée reconnaîtra que la vidéo elle-seule ne suffit pas. Elle s’inscrit dans un processus plus large. Et ce processus inclut un ensemble protéiforme de technologies.

Cette combinaison de technologies peut expliquer le succès de l’une d’elles, mais ignorer cette pluralité serait une erreur. Ainsi, si Salman Kahn revient à la charge en 2023, c’est à la faveur de l’IA qui va permettre à la Kahn Academy de connaitre un regain d’intérêt.

On voit que le discours est maintenant : la vidéo va réinventer l’éducation mais cette fois avec le concours de l’IA.

Et c’est intéressant parce qu’on voit là qu’une technologie se combine à une autre pour permettre son essor. De ce point de vue, dire que la vidéo a révolutionné l’éducation serait oublier combien internet est responsable de son succès en permettant sa diffusion. Exactement de la même façon, internet s’est développé très rapidement parce qu’une autre technologie lui préexistait et permettait son adoption : le téléphone.

Ainsi, l’utilisation de la vidéo n’a de manière générale pas tellement lieu en classe (et c’est tant mieux. Pourquoi accorderait-on du temps de classe pour quelque chose qui peut facilement se faire partout et seul), et c’est en cela qu’on ne peut pas dire que la vidéo est une révolution. Elle n’a produit aucun bouleversement ni renversement. Elle est venue renforcer l’arsenal de l’enseignant. Couplée aujourd’hui à des plateformes comme Edpuzzle et un LMS comme Google Classroom et demain à l’IA, on a là un dispositif assez puissant, mais ce n’est pas une « transformation complète » comme l’indique la définition du Petit Robert.

Mais quand même, c’est super bien, YouTube !

La possibilité de regarder une vidéo sur YouTube ou Udemy est une avancée dont on se passerait douloureusement, mais ces plateformes n’ont pas révolutionné le monde de l’éducation.

Ce n’est d’ailleurs pas durant la pandémie que cette révolution a eu lieu alors que la vidéo – sous forme de visioconférence – s’est imposée comme moyen de transmission essentiel dans beaucoup de pays. Nombreux sont en effet les enseignants qui sont passés du bureau de leur salle de classe à celui de leur maison, et ont juste allumé la caméra et parlé (il n’est absolument pas question de leur jeter la pierre cela dit).

On voit donc bien, quoi qu’en dise Sal Kahn (voir la vidéo ci-dessous), qu’entre l’introduction du film en 1913 puis les vidéodisques, les cassettes, les DVD, les blue-rays et enfin internet, l’utilisation de la vidéo n’a rien d’une nouveauté, et qu’elle n’affecte en rien les pratiques scolaires existantes (i.e. la transmission d’informations).

Audrey Watters dans Teaching Machine, évoquant The History of Education (toujours Salman Kahn) ne dit pas autre chose :

There’s at least one problem with the way Khan tells it: the history is all wrong.
Despite Khan’s claim in his TED Talk that to “use video to reinvent education” is a novel idea, classrooms have been using film for over one hundred years.

L’introduction de la vidéo n’est donc pas nouvelle. Sa diffusion est évidemment plus aisée voire plus confortable qu’avant, mais elle n’est pas récente. Cela devrait nous inciter à nous méfier du mot « révolution ». Je suis assez vieux pour avoir été collégien dans les années 80 et j’ai connu le rétroprojecteur, le magnétoscope ou encore le plan informatique pour tous. Il faut se méfier de l’emploi de certains mots. L’innovation comme la révolution sont parfois plutôt… vieilles.

Pourtant, Kahn me semble marquer quelques points quand il dit que la vidéo peut être regardée quand on veut, à son rythme par exemple. Mais André Tricot, dans L’Innovation pédagogique, explique que la vidéo ne permet pas de mieux apprendre.

Les vidéos ne permettent pas d’apprendre mieux qu’en cours en présentiel, même si les opinions des étudiants et des élèves sont généralement favorables, notamment parce qu’elles leur offrent la possibilité d’apprendre « quand ils veulent », « où ils veulent », et « sur n’importe quel support » (Evans, 2008). La complémentarité et la synchronisation entre ce que dit l’enseignant et ce qui est montré à l’écran (diapositives, illustrations, graphiques, tableaux de données, etc.) est une condition absolument cruciale d’un apprentissage avec ce type de média (Mayer, 2014).

Il explique également en quoi la vidéo finalement n’a pas supplanté le texte, même s’il ne présente pas les choses en ces termes.

Notons pour finir qu’un autre média sans interaction, le texte, permet de lire les mêmes mots qu’un discours oral mais deux à trois fois plus rapidement (Vandenbroucke, 2016 ; Kushalnagar, Lasecki & Bigham, 2012). La lecture permet à l’élève de réguler sa vitesse, allant plus vite pour les passages faciles, plus lentement pour les passages difficiles (Young & Bowers, 1995). Le texte est permanent, la vidéo est transitoire : dès que j’ai entendu un mot je ne l’entends plus, je ne peux pas rester sur un mot entendu, tandis que je peux rester sur un mot lu (Leahy & Sweller, 2011).

Et enfin, pour le citer une dernière fois, l’auteur de l’ouvrage publié dans la collection Mythes et réalités explique pourquoi la vidéo ne remplace pas le cours magistral (avec une point d’ironie).

Une vidéo peut ainsi remplacer un cours magistral. Ce qui est assez remarquable parce que cela voudrait dire que (a) l’interaction entre un enseignant et ses étudiants lors d’un cours magistral est nulle et que (b) les élèves apprennent mieux en écoutant-regardant une vidéo d’un enseignant qui parle plutôt qu’en lisant le texte correspondant (ou un autre support). Or, en l’état actuel de nos connaissances tout cela est faux : au contraire, l’interaction entre un enseignant et ses étudiants lors d’un cours magistral est prodigieusement importante ; regarder une vidéo d’un enseignant qui parle n’est sans doute pas la façon la plus efficace d’apprendre, et de loin.

Regarder une vidéo ne serait ainsi pas le meilleur moyen d’apprendre (cela dépend en fait de ce que vous apprenez).

Évidemment, il y aurait beaucoup à dire parce que, pour ma part, je regarde énormément de vidéos et j’apprends beaucoup. J’utilise par exemple Otter ou Reader pour en avoir une transcription textuelle que je peux recopier dans Obsidian afin d’en souligner les passages importants, les compléter, les définir, etc. Dans la dernière version de Mac OS, je peux même souligner le texte d’une vidéo et le recopier, etc. Très pratique quand on apprend à coder. En outre, l’IA permet des merveilles et outre la transcription, on peut avoir un résumé, une liste des points saillants ou générer un quiz.

La technologie n’est pas la solution

Malheureusement, nous ne sommes pas là pour parler de mes usages et on voit bien que la vidéo à elle seule ne suffit pas, parce qu’en fait, redisons-le, une technologie quelle qu’elle soit ne suffit pas. Ainsi, le très récent rapport de l’UNESCO, Technology in education- a tool on whose terms, fait valoir que la télévision, comme la radio auparavant et comme internet par la suite, a été utilisée pour atteindre un public qui ne pouvait pas accéder à l’école :

Television has been used for delivering distance learning since the 1950s, notably in Latin America, to help address qualified teacher shortages in rural areas and high teacher absenteeism rates

Et ce avec un certain succès, mais précisément en raison de la complémentarité des éléments constituant un processus pédagogique excédant la technologie elle-même :

Lessons are often used to complement face-to-face instruction, with long-term studies finding significant impact on enrolment and completion rates. Success has been partially attributed to community participation and ongoing teacher training, while the use of in-person tutors, printed guides and videos that prompt learners to answer questions has made interventions more interactive.

La formation des enseignants ou d’autres facteurs (comme les guides imprimés ou l’interactivité s’ajoutant au support même) sont donc déterminants pour qu’une technologie connaisse un certain succès qu’elle n’aurait pas sans cela.

C’est d’ailleurs la conclusion du chapitre 2 de ce rapport :

Technology should not be viewed as the solution, but as a supportive tool in overcoming certain barriers to education access. The most effective interventions are those that put learners’ interests as the focal point and support human interaction, making use of adequate in-person support, extensive teacher training and appropriate technology for the specific context. The best learning systems never rely on technology alone.

Reste qu’une plateforme (rien que le mot pourrait à lui seul prolonger démesurément la réflexion) comme YouTube peut même être perçue comme un objet inquiétant si l’on en croit l’article du New Yorker How YouTube Created the Attention Economy. Ainsi, il faudra aussi penser à éduquer nos élèves à mieux comprendre et utiliser ce gigantesque réseau qui semble mobiliser tous les regards. La vidéo peut alors être perçue comme une technologie qui n’a pas révolutionné l’école, qui n’est pas neutre et dont l’utilisation peut dans certains cas s’avérer contre-productive. Mais c’est là un sujet pour un autre article.

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5 exemples concrets précédés de réflexions sur l’importance de la collaboration

Dans le cadre de mon travail au LFI, j’écris tous les quinze jours une newsletter. J’y fais le point sur les formations que nous avons accomplies, annonce celles que nous ferons bientôt, partage l’actualité éducative ou propose quelques réflexions pédagogiques voire technologiques. Dans les deux dernières, je parlais de la collaboration, un sujet qui me tient à cœur depuis de longues années et dont l’intérêt a été récemment ravivé par la lecture de l’excellent ouvrage Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud auquel la deuxième partie de cet article doit énormément.

Faire collectif pour apprendre

J’avais tout d’abord exposé quelques réflexions sur les raisons qui font que la collaboration est un enjeu essentiel. C’est une compétence qui a assuré la survie de l’espèce. Je donnais ensuite quelques exemples concrets susceptibles d’être appliqués en classe.

Pourquoi collaborer

On promeut souvent la collaboration comme une compétence à acquérir par nos élèves. Mais apprendre à collaborer n’a rien d’évident.

Tout d’abord, elle se heurte à différentes représentations. Par exemple, on s’imagine bien souvent l’individu isolé, œuvrant dans la solitude à la réalisation d’une tâche quelle qu’elle soit. C’est en fait un penseur de Rodin dont la nudité nous révèle que la pensée est dépouillée de tout outil.

Rien n’est plus faux. Daniel Bougnoux nous rappellerait que le célèbre penseur, « nu, concentré sur lui-même,  sans le secours d’aucun livre, clavier, écran ni artefact quelconque » ne pense pas (La condition médiologique). Peut-être qu’il songe, qu’il rêvasse ou même délire, mais pour penser, organiser, développer, noter, structurer, diffuser, communiquer, nous avons besoin d’outils. Bougnoux expliquerait donc que « l’homme seul ne pense pas » et Yuval Noah Harari confirmerait.

Le penseur de Rodin

Dans 21 leçons pour le 21e siècle (Partie IV Vérité, 15. Ignorance: Vous en savez moins que vous ne le pensez), l’auteur nous dit que l’individualité est un mythe :

Les humains pensent rarement par eux-mêmes. Nous pensons plutôt en groupe.

Aucun individu ne sait à lui tout seul construire une cathédrale, une bombe atomique ou un avion par exemple. Harari évoque ensuite une théorie intéressante : L’illusion de la connaissance (Steven A. Sloman and Philip Fernbach). Il apparaît que nous nous reposons sur l’expertise des autres pour pratiquement tous nos besoins. Et le fait est que si je devais expliquer comment fonctionne mon robinet, détailler les différentes opérations qui mènent au démarrage d’une voiture ou à la production du paracétamol ou des chaussures que j’ai aux pieds, je serais bien embarrassé.

Mais revenons aux penseurs, aux génies et à leurs inventions.

Collaborer est notre force

Walter Isaacson dans Les innovateurs (chapitre 2, L’ordinateur), cherchant à qui attribuer l’invention du premier ordinateur et essayant de démêler l’influence que les uns ont pu avoir sur les autres, prend l’exemple du procès intenté à l’encontre d’Eckert et Mauchly (les inventeurs de l’ENIAC). Mauchly s’était grandement inspiré des travaux de John Atanasoff.

Certes les idées qu’Eckert et Mauchly ont mis en pratique n’étaient pas toutes les leurs, mais ils ont su, puisant dans une multiplicité de sources, les appliquer, réaliser ce qu’ils avaient imaginé en étant aidé d’une équipe compétente et leur invention a eu un impact considérable dans l’histoire de l’informatique. Combien d’inventeurs ont manqué d’une telle équipe, des fonds nécessaires, et n’ont pu parvenir à réaliser leur vision ? Eh bien, c’est le cas de John Atanasoff.

Pourquoi un tel génie comme Atanasoff a-t-il disparu dans les catacombes de l’histoire et pas Mauchly ? Voici la réponse de Walter Isaacson :

La façon dont vous classez les contributions historiques des autres dépend en partie des critères que vous choisissez. Si vous êtes séduit par le romantisme des inventeurs solitaires et que vous vous souciez moins de savoir qui a le plus influencé les progrès dans tel domaine, vous pourriez placer Atanasoff et Zuse en tête de liste. Mais la principale leçon à tirer de la naissance des ordinateurs est que l’innovation est généralement un effort de groupe, impliquant une collaboration entre les visionnaires et les ingénieurs, et que la créativité provient de l’utilisation de nombreuses sources. Il n’y a que dans les livres de contes que les inventions surgissent comme un coup de tonnerre, ou comme une ampoule s’illuminant dans la tête d’un individu isolé dans une cave, un grenier ou un garage.

Donc non seulement l’homme ne pense pas seul. Il ne peut pas. Il se repose beaucoup sur les autres mais de surcroît le produit des grands inventeurs est le résultat d’un travail d’équipe. Et avouez que ni Christophe Colomb n’est arrivé en Amérique tout seul en ramant, ni Isaac Newton n’a pu produire sa théorie comptant sur son seul génie et aussi une pomme. Après tout, nous ne sommes que des nains juchés sur des épaules de géants, n’est-ce pas ?

De surcroît, si l’homme, cette créature insignifiante apparue il y a quelque 70 000 années, à peine plus importante que la mouche ou le pivert, en est venue à dominer le monde, c’est en raison de sa capacité à collaborer.

Regardez cette vidéo dans laquelle Yuval Noah Harari explique que la force des êtres humains est de savoir collaborer avec un très grand nombre d’individus et qui leur sont totalement étrangers. La démonstration est édifiante.

Mais alors, en ce cas, pourquoi l’école ne promeut-elle pas davantage cette capacité à collaborer ? Comme le rappelle Ken Robinson (et Ian Clayton) :

Dans le monde du travail, la collaboration et le travail d’équipe sont essentiels à la réussite ; à l’école, on appelle cela tricher.

Nous savons donc qu’il est important de collaborer. Cela a été une des compétences qui a assuré la survie de l’espèce. Mais comment développons-nous cette compétence chez les élèves ? Voici cinq conseils facilement applicables.

5 conseils pour apprendre à collaborer

Conseil #1

Évitez de donner un travail à faire à plusieurs élèves si celui-ci peut être fait par un seul. Si vous voulez convaincre les élèves de la nécessité de travailler à plusieurs, il faut que la tâche demandée l’exige. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est André Tricot dans L’innovation pédagogique.

Conseil #2

Le travail collaboratif peut représenter un surcoût cognitif chez les élèves (c’est encore Tricot qui le dit). Une solution peut consister à donner un « script » aux élèves découpant en sous-tâches les travaux à réaliser. Chacun a alors un rôle précis à jouer et une sous-tâche à réaliser à un moment donné. Voici un exemple que j’ai rédigé pour l’analyse de texte en classe de première.

Répartition des tâches

Conseil #3

Si l’on veut favoriser le travail collaboratif, il est préférable d’éviter de noter la production finale. On évitera ainsi que certains élèves fassent tout le travail. On évitera également les conflits si, dans le groupe, des élèves ne fournissent pas le travail attendu. On recommandera également de faire précéder le travail collectif d’un travail individuel pour que chacun puisse avoir quelque chose à apporter au groupe. Enfin, on organisera le travail en groupe pour éviter la répartition spontanée des rôles.

Il est au reste possible de s’en remettre au hasard pour favoriser la mixité des élèves en utilisant une application comme Flippity. J’aime beaucoup le Random Name Picker, lequel permet aussi de créer des groupes aléatoirement. Voyez aussi celui-ci pour construire des groupes et assigner des tâches.

Assigner des tâches

Conseil #4

Toujours en classe de français, voici un autre scénario possible pour apprendre à commencer une introduction. On propose quatre ou cinq phrases d’accroche et les élèves doivent d’abord individuellement les classer par ordre de pertinence ou de préférence et justifier brièvement leurs choix. Plus tard, en groupe, ils doivent discuter de ces choix et les confronter à ceux des autres. Il faut alors argumenter et défendre son point de vue.

Une restitution collective est possible durant laquelle un classement de référence est établi par l’enseignant. Cela permet de mesurer l’écart entre le choix des élèves et celui qui vient d’être décidé collectivement. 

Conseil #5

Voici un dernier exemple puisé dans Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud dont je vous recommande la lecture (les précédents exemples étaient simplement inspirés de Laurent Reynaud). Il s’agit de donner un travail écrit aux élèves. L’évaluation repose sur un simple code couleur et est dépourvue de tout commentaire.

Evaluation

J’aime beaucoup cette idée, car elles forcent les élèves à chercher et à s’entraider pour comprendre leurs erreurs:

Si les élèves qui ont un rond vert sur leur copie ne s’inquiètent pas, les autres s’activent pour comprendre leur couleur et améliorer leur travail. Ils se tournent vers leurs camarades qui ont une couleur supérieure à la leur ou bien ouvrent leurs classeurs. Ils n’ont pas d’annotations sur la copie, cela rend nécessaire les interactions pour comparer leur propre production à celle des autres.

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Éducation Technologie

Google Sheets, 3 formations pour les enseignants

Voici les dernières formations que nous avons faites au LFI. Toutes consacrées à Google Sheets pour à la fois permettre à ceux qui le voudraient de passer les certifications Google, mais aussi pour comprendre combien un tableur peut constituer un support d’une richesse quasi illimitée.

Apprendre le vocabulaire avec un tableur

Flippity Spreadsheet

Nous avons commencé par montrer combien un tableur pouvait être un outil puissant avec un scénario pédagogique intitulé Utiliser Google Sheets pour apprendre du vocabulaire.

Ce scénario me semble illustrer le modèle SAMR :

  • Substitution : noter le vocabulaire à apprendre sur Google Sheets
  • Augmentation : utiliser les filtres pour trier les mots
  • Modification : utiliser la fonction Translate pour traduire ou partager son tableur avec un élève ou l’enseignant
  • Redéfinition : transformer son tableur en flashcards avec Flippity

Flippity Flashcards

Si cela vous intéresse, voici le plan de la formation.

Et voici le petit Kahoot donné à la fin.

Un tableur pour mieux suivre les travaux des élèves (première partie)

La semaine suivante, nous avons continué avec une série de 10 exercices suivi d’un challenge pour utiliser Google Sheets en classe et suivre le travail des élèves.

Voici ce qui a été travaillé :

  • créer un tableau
  • le formater
  • alterner les rangées de couleur
  • utiliser la fonction RANDBETWEEN
  • utiliser le formatage conditionnel
  • utiliser les fonctions MAX, MIN, AVERAGE & COUNTIF
  • utiliser la fonction FILTER
  • insérer un graphique
  • utiliser la fonction IF
  • utiliser la fonction HYPERLINK
  • utiliser la validation de données
  • utiliser la fonction SUM
  • utiliser des instructions IF imbriquées
  • cacher des rangées et des colonnes
  • utiliser les fonctions SPLIT et CONCATENATE
  • utiliser les fonctions SORT & UNIQUE (et comment les combiner)
  • ajouter des cases à cocher
  • utiliser le formatage conditionnel avec des cases à cocher
  • ajouter un calendrier sous forme de pop-up

Il y a (encore) un petit Kahoot à la fin si vous voulez vérifier vos acquis.

Kahoot

Et comme il a fallu deux séances pour réaliser cette formation, on s’est fendu d’un petit récap qui s’est enrichi de quelques petits trucs supplémentaires que je vous laisse découvrir.

Chart

Un tableur pour mieux suivre les travaux des élèves (deuxième partie)

La suite est là : Google Sheets for Teachers #2.

En gros, on s’est concentré sur les extensions comme formMule et Autocrat après un (autre) petit récapitulatif.

Google Sheets for Teachers

On n’a pas eu le temps de tout faire (VLOOKUP par exemple), mais on reprendra à la rentrée !

Voilà ! Cela faisait bien longtemps que je n’avais rien publié sur ce blog. J’en profite pour vous souhaiter, un peu en avance, un joyeux Noel !

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Éducation Informatique

Comment différencier l’enseignement à partir d’un simple spreadsheet ?

Adoptant ce propos de Ken Robinson,

One of the perils of standardized education is the idea that one size fits all. (Creative schools, chapitre 9 Bring it all back home)

et partant donc du principe qu’on ne saurait donner un même exercice à 30 élèves différents, j’avais imaginé comment différencier l’apprentissage de l’orthographe.

Si le sujet vous intéresse, j’en avais déjà parlé dans l’article Cette année, la dictée en cache trois ainsi que dans Différencier l’enseignement : deux exemples. Il faudrait d’ailleurs que je republie un article sur la chose qui a depuis largement évolué. Vous pouvez en tout cas télécharger Vingt-quatre dictées, un livre proposant six dictées différenciées en quatre versions différentes (plus d’autres à venir).

En y repensant, je constate que c’est un sujet qui me préoccupe depuis des années. Je me souviens qu’en 2012, je me triturais déjà les méninges pour savoir comment on pouvait évaluer le traditionnel exercice de la dictée (voir Comment évaluer cette dictée) sans que cela ne devienne un jeu de massacre anxiogène pour tout le monde : prof, parents, élèves.

Ayant trouvé un système me satisfaisant concernant la dictée, je cherchais comment différencier l’enseignement de la grammaire. Voici où j’en suis parvenu de mes réflexions.

Tout commence dans un spreadsheet

Comme l’indique le sous-titre, tout commence dans un spreadsheet. Celui-ci est délivré via Google Classroom (je précise que tous nos élèves ont un iPad) et chaque élève reçoit donc une feuille de calcul (pour le dire en français) dans lequel il y a trois onglets.

Les voici.

1. Explications

Le premier (voir illustration ci-dessous) présente quelques explications et précise où l’élève trouvera les ressources qui lui seront utiles et qui seront constituées essentiellement du manuel de grammaire au format ePub et des vidéos que l’on trouvera sur ma chaîne YouTube.

2. Programme

Le deuxième onglet (voir illustration ci-dessous) présente le programme de grammaire décliné en trois versions correspondant à trois niveaux de difficulté différents : piste noire, piste rouge et piste bleue.

Dans ce programme, tout ce qui ne possède pas d’hyperlien se trouvera dans le manuel de grammaire susmentionné. Le reste figure soit sur YouTube soit sur mon site Ralentir travaux. Ce sont des exercices.

Les élèves sont donc invités à suivre ce programme en fonction du niveau qui est le leur.

3. Progression

Le dernier onglet permet à l’élève d’indiquer où il en est dans son travail. Pour chaque partie du programme, un menu permet à l’élève de préciser

  1. S’il a fini les exercices
  2. S’il n’a pas fini les exercices
  3. S’il a besoin d’aide

Ici, précisons tout de suite qu’en faisant ainsi les élèves sont invités à travailler en toute autonomie. Ils forment des groupes de trois à quatre élèves et travaillent selon leur niveau, à leur rythme et selon leur besoin . J’admets qu’un élève me dise qu’il n’a pas du tout besoin de réviser telle ou telle partie du programme ou qu’il a parfaitement compris tel point et qu’il n’a pas besoin de mes explications ou d’une correction. Et, en effet, ma contribution est parfois inexistante tant il est vrai qu’il y a pratiquement toujours un élève dans un groupe qui a la réponse au problème qui leur est soumis. Je suis alors plus libre pour répondre aux questions d’élèves moins autonomes ou ayant des difficultés.

En somme, les élèves — pour la plupart — sont conviés à être autonomes et ils évoluent ainsi dans un univers que j’imagine être assez proche du modèle de Sugata Mitra et de son SOLE (Self Organised Learning Environment).

Vous vous demanderez peut-être si ce n’est pas une lourde responsabilité pour des élèves de sixième. Eh bien apprenez que j’ai souvent le sentiment d’être encore trop présent et de ne pas leur faire assez confiance. En revanche, parfois, certains élèves pêchent par orgueil : ils croyaient avoir compris et finalement non. Ils avaient présumé de leur niveau et alors on les voit passer d’une piste à une autre.

Quoi qu’il arrive, les élèves peuvent refaire une évaluation dont le résultat ne leur donne pas entièrement satisfaction. La prise de risque est donc minime. En effet, tout contrôle peut être fait et refait.

Un autre spreadsheet

Vous vous demandez peut-être comment je fais pour savoir où chaque élève en est de sa progression. Bien sûr, je ne vais pas voir chaque spreadsheet des élèves pour en prendre connaissance.

En fait, toutes ces informations sont automatiquement rassemblées sur un spreadsheet (celui du prof en somme). Ainsi quand 25 élèves m’indiquent qu’ils ont fini telle partie, tout apparaît sur ce spreadsheet.

Je sais alors où les élèves en sont et je peux ainsi dégainer mon évaluation, ce que je fais encore de façon traditionnelle et je confesse que j’aimerais bien automatiser la chose. Ce sera la prochaine étape.

Pour l’heure, vous vous demandez peut-être comment l’information donnée par un élève sur son fichier peut apparaître sur le mien. En d’autres termes, comment connecter deux feuilles de calcul ?

La réponse courte réside dans la fonction IMPORTRANGE.

Un peu de technique

La fonction IMPORTRANGE est… une fonction ! Comme les banales fonctions SUM ou AVERAGE que vous utilisez peut-être quand vous faites des évaluations.

La syntaxe est toute simple et correspond en gros à ceci :

IMPORTRANGE("https://docs.google.com/spreadsheets/d/abcd123abcd123", "sheet1!A1:C10")

Dans la parenthèse, vous avez l’URL du fichier de l’élève entre guillemets (https://docs.google.com/spreadsheets/d/abcd123abcd123). On trouve ensuite (toujours entre guillemets) le titre de l’onglet (sheet1!) dans lequel il faut aller rechercher l’information, et enfin la ou les cellules (A1:C10).

En d’autres termes, ça signifie que quand vous préparez tout cela, vous faites un banal spreadsheet destiné à l’élève sur lequel celui-ci vous dira s’il a fait ses exercices ou pas. Et vous, vous faites un autre spreadsheet un peu plus compliqué cette fois où vous aurez les informations suivantes :

  1. Les nom et prénom de l’élève
  2. L’URL menant au spreadsheet de l’élève
  3. Et les cases dans lesquelles l’élève indique sa progression. C’est dans ces cases que se trouvent autant de fonctions IMPORTRANGE dont vous aurez besoin.

Et si vous souhaitez que l’ensemble soit visuel, choisissez de colorer les cases en vert si tout va bien ou inversement en rouge si ça ne va pas. À cet effet, dans Google Sheets, allez dans Format > Conditional formatting. De cette façon, en un seul coup d’œil vous embrassez les résultats de toute la classe.

On va quand même pas faire ça à la main ?

Naturellement, vous avez autre chose à faire que de créer un spreadsheet dans lequel vous allez copier de 20 à 30 URL de fichiers que vous avez partagés. C’est pour cette raison qu’il convient d’automatiser un peu les choses. Pour cela, il vous faut l’application Google Classroom qui vous permet d’envoyer et partager autant de spreadsheets que d’élèves.

En choisissant l’option « Make a copy for each student », chaque élève reçoit un spreadsheet à son nom. Vous n’aurez plus ensuite qu’à utiliser dans Google Chrome une charmante extension de Google Sheets qui vous permettra d’aller chercher automatiquement toutes les informations dont vous avez besoin : noms et prénoms et URL des fichiers partagés. Cette extension est Files Cabinet.

Tout cela est un peu obscur ? Dites-le-moi dans les commentaires. Éventuellement, si besoin est, je ferai un tutoriel complet en vidéo, car il y a pas mal de manipulations à effectuer pour arriver au résultat voulu.

Conclusion

J’ai donc là deux moyens de différencier l’enseignement de l’orthographe et de la grammaire. Dans les deux cas, les exercices sont déclinés en plusieurs versions correspondant à des niveaux différents désignés sous l’appellation de piste, métaphore sportive que nombre de collègues ont adoptée au lycée.

Dans les deux cas, cette façon de travailler fait la part belle à l’autonomie. Et de fait, j’invite souvent les élèves à chercher par eux-mêmes les solutions à leur problème. Par exemple, en ce qui concerne les dictées, de nombreuses erreurs peuvent être corrigées avec un Bescherelle ou un dictionnaire comme celui de l’Académie française qui permet de faire une recherche phonétique. Cela veut dire qu’un élève qui n’a pas la moindre idée de l’orthographe d’un mot peut quand même le trouver tout seul.

Par ailleurs, vous n’avez probablement pas le temps de produire un manuel de grammaire au format ePub ou des vidéos sur YouTube, mais rien ne vous empêche de construire votre progression à partir des ressources que vous pouvez glaner sur le web.

Comme j’ai pu le constater avec les dictées, ce système est perfectible et je suis impatient de voir où en seront les choses dans quelques années. J’aimerais aussi étendre cette façon de faire à d’autres types de travaux : rédaction, commentaire composé, lecture analytique, etc.

Si vous avez des idées, je suis preneur !

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Éducation Informatique

Ralentir travaux, bientôt 10 ans !

Je viens de terminer un cours sur l’accord du participe passé. Vous n’avez pas idée du temps que j’ai passé à construire ce cours ! 😃 Mais je crois que ça en vaut la peine.

Ce cours illustre la façon dont je vois les choses, et l’orientation que devrait prendre Ralentir travaux.

Je conçois depuis fort longtemps déjà qu’un site web doit être accessible et présenter une approche dynamique de la notion à appréhender. C’est ici en quelque sorte une pédagogie active qui est à l’honneur. L’apprenant (qui n’est pas forcément un élève) ne doit pas être un simple lecteur (ou alors il peut se contenter de prendre un simple manuel de grammaire sur papier), mais doit être mis à partie. Il faut le faire travailler.

C’est pourquoi cette page web présente un cours progressif faisant, par des exercices interactifs, découvrir la notion à comprendre. On trouvera alors

  • Du texte
  • Des fichiers audio
  • Une correction (qu’un peu de JavaScript dévoile en temps voulu)
  • Des vidéos
  • Des images (illustration, gif animé, carte mentale)
  • Des exercices interactifs

L’ensemble a été réalisé avec Coda (HTML 5, CSS, JavaScript) envoyé sur mon serveur avec Transmit (à ce propos Workflow fait le tout automatiquement : redimensionner et téléverser l’image). Mais auparavant, tout a été écrit en Markdown puis exporté en HTML avec Ulysses.

Les fichiers audio ont été créés avec GarageBand, les vidéos avec Adobe Spark Video (beaucoup d’images ont été faites avec Keynote et animées avec iMovie), la carte mentale avec MindNode, le gif animé avec GIFToaster. Les exercices ont été faits avec HotPotatoes.

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Éducation Informatique

Une écriture collaborative de bout en bout

Raconter avec InkleWriter

Vous avez sûrement entendu parler d’InkleWriter, ce site web permettant de rédiger des histoires interactives un peu sur le modèle des histoires dont vous êtes le héros, popularisées dans les années 80. Concrètement, vous écrivez un paragraphe ou une partie qui aboutit à un double choix, une alternative narrative laissée au bon vouloir du lecteur qui orientera l’histoire dans un sens ou dans un autre.

InkleWriter

Pour parvenir à cela, j’ai demandé à mes élèves de raconter une histoire qui en contenait plusieurs, chaque paragraphe devant bifurquer sur deux choix possibles. L’idée était d’écrire un texte fantastique qui pouvait, selon les errements narratifs, devenir simplement surnaturel et non purement fantastique, avec cette hésitation caractéristique du « genre ».

Méthode

Une carte mentale

Carte mentale

Pour rédiger un texte aussi long et aussi complexe, les élèves ont d’abord créé un plan en s’aidant d’une carte mentale. Certes, InkleWriter en génère une, mais si elle est bien pratique en ceci qu’elle permet d’embrasser en un seul coup d’œil l’architecture d’un texte aux trames narratives multiples et enchevêtrées, elle ne permet pas de le modifier aisément. Or, pour éviter de se perdre et d’avoir des corrections et des modifications à n’en plus finir, il est souhaitable d’avoir un plan et donc de savoir où l’on va.

Carte mentale

Enfin avoir un plan permet de répartir les rôles et de savoir qui fera quoi puisque une telle rédaction ne saurait être l’œuvre d’un seul élève.

Un traitement de texte collaboratif

L’étape suivante est la rédaction. Pour que celle-ci soit véritablement collaborative, nous avons opté pour Framapad. Ainsi chaque élève peut travailler sur son ordinateur mais aussi poursuivre le travail chez lui quand les autres ne sont plus là.

Framapad

De plus, la coloration des lignes me permet de mesurer le degré d’investissement des uns et des autres. Enfin, la possibilité de remonter l’état du brouillon dans le temps permet de voir la progression du travail mais aussi de retrouver aisément ce dernier quand un petit plaisantin est venu se livrer à quelque vandalisme.

L’application InkleWriter

Une fois le texte et ses multiples ramifications rédigées, les élèves peuvent simplement copier et coller les différentes parties, chacune assortie de deux liens permettant, au choix du lecteur, d’orienter l’histoire dans un sens ou dans l’autre. Ainsi, le lecteur est vraiment partie prenante.

Voici quelques exemples qui restent à corriger :

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10 propositions pour le numérique à l’école

De nombreuses personnes s’accordent à dire qu’il faut enseigner le code à l’école (j’en ai déjà parlé ici), mais certains vont jusqu’à prétendre qu’il faudrait enseigner le PHP dès l’école primaire :

Le pire est que l’incongruité d’une telle proposition ne choque pas plus de gens que ça (ou pas assez pour que plus jamais personne ne dise un truc pareil), et qu’il ne vient pas à l’esprit de ceux qui l’affirment qu’on ne saurait coder sans savoir un minimum d’orthographe qui plus est dans une langue qui n’est pas la nôtre ni sans un minimum de bagage informatique.

Mais il y a pire. On voit bien que ce souci de déterminer ce qui doit être transmis à l’école ne s’accompagne d’aucune réflexion sur les valeurs à transmettre, d’aucune signification autre qu’économique. Je crois comprendre qu’on veut des générations de codeurs parce qu’on trouve sexy l’image du hackeur ou du développeur et que si en plus celui-ci a un côté californien fortuné, ça n’en est que meilleur pour la France et nos égos.

Mais c’est précisément de cette image et surtout de cette école dont je ne veux pas. Comprenez-moi bien : j’appelle le numérique de toute mon âme, mais je refuse de céder à une vulgate complètement irréaliste. J’ai beau le crier sur tous les toits, ça ne sert à rien (il faut dire que mon audience n’est pas bien large). Mais surtout il m’apparaît qu’il faut absolument que je définisse ce qu’est pour moi le numérique à l’école. J’avais déjà fait un modeste galop d’essai.

Je reprends ici avec dix propositions qui fondent ma conception de l’école numérique.

L’élève est un écrivain

Le numérique, c’est le retour à la case Gutenberg. Nos enfants se doivent donc d’écrire et d’écrire beaucoup dans des situations très diverses : ils tweetent, mettent à jour leur statut, ils bloguent, ils ont peut-être un journal (quelle merveilleuse application que Day One), ils notent (avec Evernote, OneNote, Keep, etc.), ils rédigent pour l’école (sur leurs copies numériques), ils font des livres eux-mêmes avec un simple traitement de texte (et l’extension idoine) ou une app comme Bookcreator, ils participent à une encyclopédie libre et gratuite, ils m’écrivent à moi, leur professeur (via le mail, le chat, l’ENT…), etc.

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Jamais un enfant n’a eu autant besoin de maîtriser les codes de l’écrit, de la typographie et de l’orthographe. Il doit avoir du style (au double sens du terme : il use les styles de son traitement de texte et possède une belle plume). Aussi doit-il savoir utiliser dictionnaires numériques et logiciels d’aide à la rédaction. Antidote est l’application rêvée pour cette maîtrise du langage. On sait qu’une simple faute d’orthographe dans un tweet peut vous faire devenir la risée du pays tout entier. Quelques personnalités politiques l’ont récemment expérimenté.

L’élève est polyglotte

Depuis cette année, Antidote nous aide à mieux écrire non seulement en français mais en anglais. Or j’ai coutume de dire à mes élèves que se couper de l’anglais, c’est se couper d’une partie considérable du web, cette invention et (quasi) propriété américaine. Il existe tant d’informations disponibles en anglais et uniquement en anglais ! Et il existe de si belles applications pour l’apprendre que ce serait un crime de s’en passer. En voici deux : Babbel et English Central. Mais on peut aussi évoquer Pilipop ou Duolingo, non limités à l’anglais.

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Mais comme la Chine est le nouveau territoire de jeu des entrepreneurs, je suppose qu’il est temps de proposer l’apprentissage de cette langue. Sur votre clavier virtuel, vous avez déjà le clavier (les claviers) nécessaire(s). Quelle que soit la langue que vous choisirez, pourquoi ne pas utiliser Skype in the classroom ? Vous pouvez même jouer au Mystery Skype et trouver une classe dans le monde entier.

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L’élève est un grand lecteur

J’ai récemment écrit un article sur le sujet, Qu’est-ce que lire au XXIe siècle ? C’est un enjeu majeur tant il est vrai que l’accès au savoir est conditionné par cette compétence. Mais surtout on lit partout, tout le temps. Les fichiers numériques (le PDF, le doc, l’odt, le html, l’ePub…) sont commencés ici et terminés là. L’acte de lire s’est même complexifié. C’est devenu presque un art à part entière que de savoir user de toutes les fonctionnalités liées au livre numérique : dictionnaire intégré, possibilité d’annoter, d’affiner sa recherche, etc.

Mais il n’y a pas que le livre : lire sur le web est une pratique quasi inconnue de nos élèves. Combien savent ce qu’est un agrégateur de contenus ? Ce qu’est un fichier XML ? Un flux RSS ? Qui connaît Instapaper ou Pocket ? Combien savent garder, ordonner, retrouver les notes de leur lecture ? Combien savent les partager ?

L’élève est un être sociable

Le numérique est une invitation à la promiscuité, au vivre ensemble (comme on dit si mal), à la sociabilisation. L’élève partage et en tire grand bénéfice. S’il lit (même un tweet), il le partage. Il écrit tout un livre ? Il le diffuse sur Wattpad. Il développe des connaissances ? Il les offre au regard d’autrui. Il les publie, par exemple sur Vikidia, et comprend que l’écriture peut-être collaborative. Il l’a découvert sur un Pad, il approfondit cette compétence en écrivant pour et avec autrui.

D’ailleurs mon élève ne travaille plus jamais seul. Le numérique n’est pas une invitation à se replier sur soi et sa machine. Il travaille avec les autres. Il apprend à déléguer, à s’organiser, à faire confiance aux autres, à responsabiliser le réfractaire, à demander de l’aide aux autres.

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L’élève va vers l’autre. Il participe à différents projets que seul le numérique a rendu possibles : il crée une web radio, une web TV, des podcasts, etc. Il interviewe des enseignants, des sportifs, des artistes et mobilise de nombreuses compétences pour arriver à ses fins. Il sait enregistrer, travailler le son, utiliser des bruitages et agrémenter son travail d’une musique. C’est précisément ce que nous faisons aussi avec les audiobooks. C’est un bel exemple de travail collaboratif. Je vous en reparlerai.

L’élève communique

Il est sur les réseaux sociaux et sait que sa parole l’engage. Il diffuse tous azimuts et connaît les moyens de le faire. De ce point de vue, il sait donc écrire et en sait suffisamment pour créer son propre blogue. Mais il sait aussi user de tous les moyens que l’on connaît : les QR-Codes, la réalité augmentée n’ont rien pour lui d’inédit.

Son quotidien en est envahi et, comme chez Marie Soulié, les murs de sa classe parlent. L’information est partout et il contribue à la transmettre.

La Twictée est à ce propos un enjeu intéressant. On fait d’une pierre deux coups en enseignant aux enfants l’orthographe tout en les enjoignant à partager ce travail, à aider les autres et à prendre confiance en eux. Ils ont ainsi franchi des frontières, au sein même de leur propre classe, puisque l’on communique avec d’autres classes aux quatre coins du globe.

L’utilisation d’Edmodo donne un souffle nouveau aux bonnes vieilles correspondances et les échanges d’un continent à l’autre sont devenus monnaie courante. L’univers de mon élève n’est plus la classe, c’est la planète tout entière. Avec sa photo de profil (sa PP comme on dit), il se présente par delà les mers.

Mais il ne communique pas seulement, il transmet comme les élèves de @Jul_Dum ses connaissances aux élèves de primaire :

Nos élèves réinvestissent l’expérience de décantation et de filtrage de l’eau qui est au programme de 5e. Ils se mettent par groupes, refont l’expérience vue en classe avec leur professeur (c’est au programme de 5e) et prennent de nombreuses photos. Ils les trient ensuite, les annotent, et réalisent un tutoriel avec l’application BookCreator (1 tutoriel par groupe).
Le tutoriel finalisé, ils établissent collectivement une grille d’évaluation et reprennent si besoin leur tutoriel en fonction de celle-ci. Les élèves de primaire viennent ensuite au collège (c’est prévu pour après les vacances) pour réaliser l’expérience eux-mêmes. Ils sont répartis par groupe et ont pour seule aide l’un des tutos de nos 5e. Ils doivent refaire l’expérience étape par étape et de préférence la réussir. Les auteurs du tutoriel qu’ils ont en main les suivent à distance pendant ce temps et constatent ou non les failles de leur travail : les primaires arrivent-ils à bien sélectionner/utiliser le matériel ? ont-ils bien toutes les étapes ?

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L’élève manipule l’image

L’élève a acquis une compétence en la matière qui force l’étonnement. Via Instagram ou Snapchat, il cadre et applique des filtres autrefois réservés à quelques happy few (souvenez-vous de la déclaration du fondateur d’Instagram : « All Instagram did was take the creative tools that the pros have been using and put them in the hands of the masses », cité par Clive Thompson in Smarter than you think). Il sait souligner les détails et enregistrer la frêle beauté d’un moment.

Il sait produire un bon mash-up capable de susciter le rire sur des questions d’actualité. Il use à foison des gifs animés qui sont devenus également un moyen de communication (beaucoup plus difficiles à filtrer que les textes, rappelle également l’auteur de Smarter than you think, raison pour laquelle ils sont si utilisés dans certains pays comme la Chine).

Ces quelques exemples sont même des invitations à repenser notre rapport à l’élève ou à notre pédagogie…

L’élève produit ses propres tutoriels sur YouTube (voir ces vidéos sur l’utilisation de Scratch ou encore le travail des élèves de Naïma Horchani Carton). Il sait ce qu’est un logiciel de montage vidéo et connaît différents formats (et pas seulement du .wma ou de l’.avi). Mais pour faire de la vidéo, combien il est important de persuader ces jeunes élèves qu’il faut accepter sa voix et son corps, qu’il faut accepter de se mettre en avant, face à une caméra. Que de compétences sont ainsi à créer ! Rien que pour faire une vidéo en classe, il faut acquérir les connaissances, organiser ses idées, écrire le script, (se) filmer, monter le film puis diffuser et partager.

J’ajouterai que le numérique permet de montrer des élèves osant se mettre en scène le temps d’une vidéo, de façon isolée et qui n’auraient jamais osé le faire face à toute une classe. Un enseignant à Londres me montrait récemment de jeunes et timides élèves acceptant de chanter face à la caméra. L’an dernier, je découvrais combien ces élèves étaient talentueuses :


De la même façon, j’aimerais mettre en place ce travail : à la fin de l’année, chaque élève de ma classe devra faire un talk. En public, il présentera le sujet de son choix, en s’appuyant sur un diaporama (type PowerPoint) pour évoquer le sujet de son choix. Merci @Ipenou pour cette idée !

L’élève est conscient des enjeux liés au droit

Mon élève sait qu’il a une responsabilité, une responsabilité d’autant plus grande qu’il est conscient des abus liés au droit d’auteur. Mais de la même façon qu’il partage, il est sensible à la culture du libre, des notions de standard, d’honnêteté et de propriété intellectuelle. Si celle-ci est inaliénable, il est conscient qu’un enjeu plus vaste le dépasse et contribue à l’enrichissement du bien commun. Il sait donc ce que signifient les Creative Commons et sait utiliser le travail des autres sans se livrer à un pillage que d’aucuns ne manqueraient pas de lui reprocher. Mon élève sait que ce qu’il écrit sur Vikidia est lu, et remarqué, commenté et supprimé s’il contrevient aux règles. Il sait que le plagiat est une bien vilaine chose.

L’élève est un chercheur

Mon élève est un infatigable chercheur et il connaît les techniques liées à une bonne et efficace recherche. Il sait utiliser non pas un mais plusieurs moteurs de recherche et affiner sa recherche en recourant à tous les outils mis à sa disposition (que ce soit en sélectionnant telle ou telle option mais aussi en recourant à quelques éléments comme des opérateurs booléens).

Il sait aussi remonter à la source d’une info, d’une image et ne s’en laisse pas compter par toutes les rumeurs.

Il ne me regarde pas comme si j’étais Dieu lorsque je lui indique ce qu’on peut faire et surtout trouver d’un simple crtl + f. À ce propos, il sait taper sur un clavier. À lui les joies de la dactylographie. Il est hors de question de le voir continuer à taper à deux doigts (grand maximum).

Et, comme un vrai codeur, il a les mains rivées sur le clavier, usant de tous les raccourcis possibles et imaginables.

L’élève code (un peu)

Cet apprentissage du code est passionnant, mais je suis persuadé qu’un usage précoce serait contreproductif, en tout cas au primaire voire au collège. Bon, si vous faites une fixation sur Scratch, je ne peux plus rien pour vous, mais si vous voulez bien comprendre qu’un élève n’a aucune idée qu’un logiciel peut être autre chose que WYSIWYG, vous comprendrez que l’urgence n’est pas à la notion de variable ni même de programmation. Encore qu’on pourrait envisager une sélection précoce des enfants : les littéraires d’un côté, les scientifiques de l’autre, mais ce n’est pas ce qu’on veut. On veut des scientifiques qui ont des idées, des scientifiques littéraires en somme, des ingénieurs sachant s’exprimer et développer des projets.

À cet effet, je crois que le plus urgent est que les élèves voient ce qu’il y a derrière le rideau (the man behind the curtains). La syntaxe wiki me semble une excellente initiation et on peut embrayer sur le Markdown puis le HTML. À partir de là, la voie est ouverte. Même le CSS intègre désormais des variables, mais je reste persuadé que cet usage doit se développer au lycée.

L’élève fait usage de la machine

Mais avant même que l’enfant devienne un petit codeur, il lui faut un minimum de connaissances. De la même façon qu’on a conçu le socle commun censé représenter (à la fin de la scolarité) le minimum obligatoire, il faudrait concevoir un bagage informatique nécessaire. Pour commencer, je suis toujours surpris de constater que, année après année, les élèves confondent toujours navigateur et moteur de recherche. Ils ne savent pas ce qu’est un client mail, n’ont jamais entendu parler de système de fichiers, ignorent probablement ce qu’est un OS (a fortiori souverain) ; URL, DNS sont des acronymes abscons, etc. Mais reconnaissons qu’ils le sauraient s’ils manipulaient tout cela un peu plus souvent. Pour l’heure, j’ai vu beaucoup d’élèves incapables d’enregistrer un fichier, incapables de le retrouver, incapables de le transmettre… Entendons-nous bien. Je ne les accuse pas d’une nullité déplorable. Je constate simplement que certains élèves ont développé des connaissances très spécifiques (par exemple, jouer aux script kiddies), mais ont une connaissance très vague de principes de base. Ce sont des autodidactes à l’école !

Finalement, ce dont ils ont besoin, c’est d’une pratique régulière de l’ordinateur (ou de la tablette ou du smartphone). Cette pratique, non pas pour elle-même, mais pour produire l’un ou l’autre contenu signalé ci-dessus dans cet article.

Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, mon élève initié au numérique est un humaniste : faire preuve de jugement, savoir s’exprimer à l’aide de différents médias, défendre des idées de partage, participer au développement de projets communs, devenir altruiste… Voilà les objectifs que je propose.

Parce qu’ « Il y a de l’humain derrière l’algorithme », explique Jean-Baptiste Casaux à propos de l’application Citymapper, il est important que l’école formule ses priorités. Il ne saurait être question de coder pour coder. L’algorithme peut bien attendre. Si l’on met celui-ci au centre de l’apprentissage, l’humain s’en désintéressera. Pourquoi voulez-vous que l’algorithme intéresse davantage des enfants que la SVT ou la 3e république ?

Avouez que tout cela est un peu plus excitant que de faire bouger une tortue en Logo (poke @Phitassel). Ne recommençons pas les mêmes erreurs…

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Non, le savoir n’est pas sur internet

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Nombreux sont ceux qui affirment que le savoir est sur internet :

Pardon mais a-t-on déjà lu affirmation plus farfelue ? Pourtant, l’idée est largement partagée. Rien qu’hier matin, je l’ai lu quatre fois

De plus, je ne suis pas certain que tous les gens qui emploient ce mot lui donnent le même sens, mais ce que je sais assurément c’est que le savoir ne se trouve pas dans nos ordinateurs.

Si c’était le cas, pourquoi le savoir aurait-il attendu internet pour s’y réfugier ? Il serait resté assoupi pendant 5000 ans et se serait précipité dans la mémoire de nos ordinateurs ? Et si l’on admet que le savoir est partout sur internet, n’était-il pas déjà dans nos bibliothèques ? N’y trouve-t-on pas tout ce que l’on peut chercher à savoir ? D’ailleurs le savoir ne serait-il pas même dans la nature ? Il n’est que de le ramasser. Après tout, ne suffit-il pas, par exemple, de prendre conscience que la moisissure permet de concevoir la pénicilline ? Ou encore, on pourrait affirmer, que puisque le savoir serait niché dans un vaste réservoir dans lequel on n’aurait qu’à piocher, n’importe quel naufragé serait un Cyrus Smith en puissance ? et qu’il suffirait (autre exemple) d’extraire quelques pyrites schisteuses pour fabriquer de la nitroglycérine.

Le savoir partout ?

Monde merveilleux où tant de savoir est à portée de main, de clic et qui ne demande qu’à se répandre dans nos cerveaux impatients.

Mais on sait bien que ce n’est pas le cas. Et je suis certain que tous ceux qui, comme Michel Serres, affirment que le savoir est sur internet usent d’un méchant raccourci :

Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. (Petite Poucette)

Si c’était vrai, mon travail d’enseignant en serait drôlement facilité. Voici le savoir : saisissez-le.

Or j’ai récemment observé un phénomène bizarre. Mes élèves de 4e sont tous équipés d’un ordinateur et je rechigne à l’idée de dispenser un enseignement qui n’en ferait pas usage. Je leur donne donc un contrôle sur le conte réaliste. Dedans, je pose, entre autres, une question de vocabulaire (qu’est-ce qu’une confession ?), une question de conjugaison (relevez les verbes et conjuguez-les au temps où ils sont) et une question de cours (à l’aide de votre cours, expliquez en quoi l’extrait que vous venez d’étudier est un conte réaliste). Pour répondre à ces questions, les élèves avaient à leur disposition le dictionnaire le Petit Robert, un accès au Conjugueur.fr et le cours complet sur le conte réaliste. Ont-ils tous réussi ? Je vous ferai grâce de statistiques détaillées, mais à peu près 1 élève sur 3 a échoué à répondre à l’une de ces questions, parfois même à l’ensemble des trois. Et pourtant tout était sur leur ordinateur.

Si l’on suit la logique des gens qui affirment que le savoir est sur internet, mes élèves auraient dû savoir. Ou pire ils savaient puisque c’était . Mais, précisément, ils ne savaient pas. Ou, pour être encore plus précis, ils n’ont pas su utiliser les informations que contenait l’ordinateur. Et je pense que l’erreur que beaucoup de gens commettent est là : ils confondent savoir et information. Mes élèves n’ont pas su (ou voulu ou pu) utiliser ces informations.

Prétendre le contraire (i.e. croire que le savoir réside dans un fichier), c’est penser que je peux construire un accélérateur de particules parce que j’ai téléchargé le manuel en PDF. Si le savoir était aussi accessible, on pourrait me larguer en pleine jungle avec un manuel de survie et je me mettrais à coloniser le lieu comme un parfait petit Robinson Crusoé.

Malheureusement, c’est plus compliqué que ça. Probablement Michel Serres, lui aussi, veut-il parler d’information à la place de savoir, de cette information qui est effectivement partout : dans nos ordinateurs ou nos smartphones, ce qui l’amène à développer cette très belle métaphore de Saint Denis portant sa tête.

Ce que c’est que savoir

C’est très beau, mais mon cher Michel (et Dieu sait que j’aime votre livre), vous vous trompez. Au prix d’une belle métaphore, vous dites des choses fausses. Ce n’est pas ma tête que je trimballe dans ma poche, c’est une boite minuscule contenant une bonne partie des livres ou sites web dans lesquels l’homme a consigné son savoir. Mais pour que j’acquière ce savoir, il va me falloir un nombre autrement considérable d’efforts que celui que représente un simple clic. À ce propos, je pense que le marketing californien nous a fait un peu de tort. Evernote ne nous présente-t-il pas son application de prise de notes comme notre second cerveau ?

Apple, en 2001, nous faisait miroiter ce vaniteux plaisir de contenir dans notre poche « a thousand songs », inaugurant par là cette délicieuse capacité d’héberger des quantités prodigieuses de ce que le génie de l’homme pouvait avoir produit. Et nous n’avons qu’à mettre la main dans la poche pour savoir

Oui, mais on vient juste de dire que c’est faux. C’est beau comme une publicité mais c’est faux. Souvenez-vous de mes élèves. En fait, savoir est tellement plus complexe. Ne serait-ce que parce que dans votre smartphone, vous avez accès à des milliards et des milliards de données et que de la même façon qu’il a fallu inventer les bibliothécaires quand les quantités de livres ont commencé à accroître de façon exponentielle, il a fallu inventer des algorithmes et des moteurs de recherche et des applications qui vous permettront de puiser dans ce puits sans fond qu’est le savoir de l’humanité.

En fait, vous pourriez peut-être savoir en un minimum d’efforts mais vous ne saurez peut-être jamais que c’était là quelque part. À dire vrai, combien d’entre vous se souviennent d’avoir consulté la 34e page de résultats de Google ?

On voit bien que savoir, c’est déjà chercher (savoir chercher) et trouver et combien d’opérations successives ? Donc trouver l’information, puis la lire ou la voir, la comprendre, l’utiliser, la stocker, la mémoriser et éventuellement la réutiliser au moment important…

En fait, savoir est un processus long et difficile. C’est d’ailleurs pour ça que fleurissent les tutoriels sur YouTube. Ils sont, pour emprunter la formule de Clive Thompson, « visuellement éloquents » (Smarter than you think) particulièrement dans le cas où vous voulez apprendre à faire quelque chose : pratiquer un sport ou construire un objet, etc.

Au reste, on voit bien que si je veux apprendre le golf ou le tir à l’arc, la seule diffusion d’une vidéo sur YouTube ne me permettra pas de savoir. Une pratique régulière, une motivation suffisante sont nécessaires pour acquérir ce savoir qui ne réside pas de lui-même dans internet. Au reste, on ne peut considérer que savoir serait l’équivalent d’un tiroir oublié ou négligé qu’on ouvre au moment opportun. Un chirurgien, par exemple, sait et sait tout de suite. On ne l’imagine pas, au milieu d’une opération dire : « Attendez, je sors mon smartphone. Faut que je cherche un truc… » Parfois savoir (comme ouvrir un parachute au bon moment) est quelque chose dont on a besoin immédiatement et qu’on n’a pas envie d’externaliser dans un support externe.

Le rôle indispensable de l’enseignant

J’oserais même dire, si cela ne passait pour une grossièreté auprès de certaines personnes, qu’il faudrait un professeur pour apprendre. Bien sûr, il y a des autodidactes. Mais, pour reprendre la distinction de Michel Tournier :

[…] l’autodidacte n’a appris que ce qu’il aimait. Sa culture est limitée par sa propre personnalité. Au contraire celui qui a fait des études régulières est obligé de tout apprendre. Son avantage est énorme parce qu’il n’y a rien de plus enrichissant que de devoir acquérir des connaissances qui vous sont a priori indifférentes, voire antipathiques. (Journal extime)

Les études sont donc nécessaires. L’école est nécessaire. Les enseignants sont nécessaires, ne serait-ce que pour vous guider, vous aider, vous donner envie voire vous imposer ce que votre jeune âge, vos goûts, votre culture, votre classe sociale ou votre religion vous amèneraient à négliger. Le savoir serait sur internet ? Il suffirait de les mettre face à un ordinateur en évacuant tout ce que le processus de transmission peut avoir d’humain ? Je suis sûr que ces enfants mourraient un à un comme ceux à qui Frédéric II, voulant découvrir la langue originelle, avait refusé que l’on parle. Ce qui m’amène à battre en brèche une autre idée : le professeur n’est plus le seul détenteur du savoir.

Notez bien que je comprends l’idée, mais si elle est juste, alors il faut fermer les écoles afin d’éviter le ridicule d’avoir à convier pendant 7 ans des élèves pour quelque chose qu’ils sauraient déjà ou auquel ils ont accès ailleurs.

Certains imaginent que les élèves ont tout le savoir dans leur téléphone, mais comme on l’a vu, d’un, c’est une illusion et de deux, ils sont la plupart du temps invités à le garder dans leur poche. Mais dans le cas où ils auraient la possibilité de le sortir, ces élèves sauraient-ils ? Non, et on a vu pourquoi. Et le téléphone (ou l’ordinateur pour ceux qui en sont équipés) ne sait pas non plus. Mon téléphone ne sait rien. Il ne sait même pas la météo. Pour la connaître, il faut qu’il en interroge un autre. Pareil pour Siri (ou Cortana ou OK Google). Si l’on veut interroger ce dernier, l’assistant doit se connecter à des serveurs distants pour vous donner la réponse que vous avez posée. En soi, avec son processeur 1000 fois supérieur à celui qui a conduit l’homme sur la lune, il n’en sait pas beaucoup plus. La véritable intelligence informatique (à laquelle on parviendra inéluctablement), ce serait que l’ordinateur puisse dire à l’élève : « Tu as vu les bêtises que tu viens d’écrire ? Corrige-toi avant de rendre ta copie. Je vais t’aider ». Mais songez que pas même le correcteur orthographique n’est fichu de vous aider à orthographier correctement et totalement un paragraphe de cinq lignes. Et vous appelez ça savoir ?

Peut-être devrait-on réserver le mot savoir à ce que l’être humain acquiert (du moins en l’état actuel des choses), et devrait-on garder le mot information pour tout ce dont regorgent nos ordinateurs et pour lesquels nous avons inventé le mot informatique ? On pourrait aussi utiliser le mot connaissance, qui avec la valeur inchoative qui est la sienne, contient l’idée de commencement, de naissance et de préhension du savoir. En ce cas, on pourrait alors mettre fin à ce début d’hybris 2.0 qui s’empare de tous ceux qui affirment qu’ils ont le savoir dans leur main et demander avec Montaigne Que sais-je ?

L’image provient de Noun Project. Thanks (again) !

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Des modes et autres obsessions pédagonumériques

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Hier, une amie m’a demandé d’expliciter le fond de ma pensée après que j’ai écrit un certain nombre de tweets sur le numérique et la pédagogie.

En fait, tout est parti d’un malheureux tweet faisant écho à l’article de @michelguillou.

Au moment où je l’écrivais, c’était une simple blague qui s’amusait elle-même de la teneur des propos de Michel.

Mais, apparemment, ça ne faisait rire que moi et je prenais subitement conscience qu’on ne peut pas rire de tout, surtout avec des gens avec qui on a la prétention de partager les mêmes valeurs.

Que disais-je ? Eh bien voici :

Les réactions qui s’en sont suivies m’ont amené à préciser un peu plus le fond de ma pensée (ou de façon un peu moins potache), et au fur à mesure que je ruminais, je suis parvenu à différentes considérations numérico-pédagogiques que voici. Je vous les livre telles quelles. Sachez que tout ce qui est écrit ici peut paraître excessivement catégorique, mais que je pourrais tout nuancer, préciser, expliciter, réfuter. On peut en discuter dans les commentaires.

De la mode

Dans le fond, je n’ai pas grand-chose contre la classe inversée. Je crois que même que certains enseignants font de très belles choses. Cependant, j’en goûte peu le principe. Je regrette qu’on ajoute quelques devoirs à des élèves fort peu désireux de les faire. Michel ajouterait que certaines capsules (quel mot ridicule !) sont fort médiocres. Mais si la chose vous plaît, qu’ai-je à dire ? Inversez si tel est votre bon plaisir.

En revanche, je suis fort surpris de l’engouement provoqué par la classe inversée. Et à dire vrai, on nous rebat les oreilles avec la classe inversée. On a eu le droit à une débauche d’articles et de reportages sur le sujet tant et si bien qu’on avait l’impression que le numérique à l’école, c’était l’inversion de la classe. Moi-même, j’ai eu quelques velléités. C’est dire !

Comprenez-moi bien. Ce n’est pas tant le principe de la classe inversée qui m’agace (c’est même intéressant dans le fond), c’est la surmédiatisation et la surreprésentation du sujet dans les conversations, les conférences et autres grands raouts dédiés au numérique. C’est qu’au bout du compte, on a le sentiment que le numérique se réduit parfois à la classe inversée.

Remarquez qu’à ce niveau de la réflexion, je n’ai toujours pas compris en quoi ce que j’ai dit pouvait heurter la susceptibilité des gens. Je suppose que lesdites gens se donnent corps et âme à leur métier par le truchement de telle ou telle pratique et qu’ils ne sont pas prêts à entendre une petite voix discordante faisant des blagues sur l’objet vénérable de la classe inversée.

En somme, cette classe inversée fait vraiment flipper (désolé pour la nullité du jeu de mots qui doit certainement être éculé) : c’est une mode, c’est-à-dire un goût collectif et passager, en l’occurrence, pour un domaine de la pédagogie. Et une plaisanterie tweetée déclenche les foudres de certains de ses adeptes.

J’en arrivais donc à la conclusion que cette mode était ennuyante, qu’elle occultait d’autres pratiques tout aussi intéressantes et que, comme toute chose exerçant une fascination, elle était bien peu compatible avec la réflexion. Dans le cas contraire, on n’aurait pas de telles réactions. Bon, il faut dire que Michel avait dû préparer le terrain…

Mais peut-être @Aurelie_Gascon a-t-elle raison :

Il y a donc des pédagogies qui passent mieux que d’autres, des pratiques plus photogéniques que d’autres. Les moches sont priés de laisser les médias tranquilles. C’est dommage parce que la variété induite par le numérique est passée sous silence. Or, pour moi, le numérique m’apparaissait comme le lieu de tous les possibles. C’est ce qui me frappe quand j’ouvre Les TICE en classe. Il y a tant de choses à faire (y compris inverser la classe), mais il n’y a pas que ça ! Seulement un certain nombre de pratiques ne doivent pas être photogéniques et elles n’intéressent pas les médias et ne trouvent pas leur place légitime dans les discussions qui se produisent sur les réseaux. C’est finalement quelque peu inquiétant : la pédagogie serait, hormis les quelques exemples auxquels justement je m’en prends, peu ragoûtante.

C’est peut-être pour cela que les enseignants dits innovants sont pronumériques. Il faut croire que ceux-ci sont triés sur le volet et que les autres sont priés de rester dans l’ombre. Or combien sont formidables, avec pour seul arsenal que leur seule personne, leur imagination et leur savoir-faire (même avec une craie) ? Lisez L’Élément de Ken Robison, vous en trouverez de très beaux exemples.

Le cycle technique

Quoi qu’il en soit, je me suis rendu compte que notre petite sphère essentiellement composée d’oiseaux bleus numériquement obsédés fonctionnait par cycle : à un moment, il fallait absolument que les élèves tweetent (ce qui est fort bien au demeurant) ; ensuite on a eu le droit au code (c’est vachement bien cependant) ; plus récemment, on ne pouvait plus enseigner sans Minecraft (ç’a l’air bien aussi) ; et il y a l’ineffable classe inversée ( qui donne lieu à plein de bonnes choses aussi par ailleurs).

On a donc, par périodes, des obsessions pédagogiques qui parfois se chevauchent, se croisent, s’annulent, en occultent d’autres. Mais enfin, il est de ces moments où il n’est plus question que de ceci ou de cela. Vous ouvrez votre TL, votre flux RSS, votre Flipboard et paf ! Minecraft ici, Minecraft là ! Minecraft partout ! Minecraft toujours !

Je comprends désormais les réticences de certains enseignants peu portés sur les 0 et les 1. Goûtant peu les joies du numérique, ils en sont dégoûtés avant même d’avoir commencé, tant on leur rebat les oreilles avec certaines pratiques qu’ils sont sommés d’admirer. Prière de s’émerveiller pourrait précéder chaque article portant sur le numérique et la pédagogie.

Tout se passe comme si le mélange du numérique et de la pédagogie reproduisait dans certains cas cette fascination liée aux écrans. On regarde, ébaubi, et on ne pense plus. On est dans l’enthousiasme avec tout ce que le mot comporte de religieux. Je me demande même si on (oui, vous aurez remarqué que je me mets dans le lot) n’est pas les adorateurs d’un dieu vide et factice.

Il y a même quelque chose de vicié dans cette présentation de merveilles numérico-pédagogiques. Pour les présenter, rappelle @francoislmrx on recourt au bon vieux cours magistral. Notez le paradoxe : pour montrer ce qui bat en brèche le cours magistral, on recourt au cours magistral.

Mais revenons-en aux antiennes médiatiques. Que prêchent-elles ? Eh bien, par exemple, il ne vous aura pas échappé qu’à propos de l’enseignement du code, on emploie à tort et à travers différentes expressions : le codage ou encore l’emploi absolu du verbe coder. On code quoi ? Tout le monde s’en fout. L’important est de coder. On retrouve ce manquement prédicatif dans l’expression Programmer ou être programmé. Que va-t-on programmer ? On ne sait pas. La grammaire est cruelle quand même…

C’est la même chose avec la classe inversée. On met l’accent sur le dispositif mais pour quoi faire ? Eh bien on n’en parle jamais ! Ah certes, on parle de méthode. On parle d’applications pour faire des capsules ! Mais du contenu ? Jamais ! De ce que l’école doit transmettre ? Jamais. Hormis en cas d’attentats, les valeurs sont reléguées au second plan.

La technique comme transmission

Ça me rappelle très nettement la critique de Tzvetan Todorov sur l’enseignement de la littérature dans le secondaire et sa capacité à instrumentaliser les textes pour faire étudier ici une métaphore, là un emploi verbal. Mais de l’homme, de ce que l’œuvre a à dire, à transmettre ? Jamais.

On a même le sentiment que l’accident l’emporte sur l’essence. Par exemple, dans l’enseignement du français, il est souvent question de slam. Et la presse de s’émerveiller ! Un enseignant fait produire à ses élèves un slam ! On voit bien que l’intérêt se déplace : on n’est plus intéressé par un enseignement qui ferait étudier Baudelaire et qui le moderniserait en le transposant en slam. On met en avant le slam qui a permis éventuellement d’étudier Baudelaire.

Il m’arrive ainsi de penser que l’on mérite la virulence de certaines critiques du camp adverse (ceux qui se disent républicains par opposition à nous autres pédagos). Car enfin il est vrai que de savoir, de connaissance, de discipline, il n’est nulle question. Ou en tout cas pas assez. Et je voudrais réaffirmer que toutes ces techniques (je ne vais quand même pas dire des outils), ces dispositifs, ces moyens mis en œuvre ne sont que les efforts de l’enseignant pour transmettre son amour des sciences ou de la littérature. Il ne faudrait donc pas confondre la fin et les moyens.

Loin de moi l’idée de penser que des enseignants font mal leur travail, qu’ils ne s’interrogent pas ou qu’ils n’en sont pas venus tout seuls aux mêmes conclusions que moi, mais le maelström médiatique (et il faudrait aussi réfléchir là-dessus : à quel point le numérique a échafaudé des égos monstrueux d’enseignants) laisse accroire que l’important, c’est de coder tout court, d’inverser et puis c’est tout, de tweeter et il en restera bien quelque chose. Moi-même, j’ai embrassé tout cela, mais ça ne peut pas constituer l’essentiel du métier d’enseignant.

Laissons le mot de la fin à Tricot (dont je n’ai pas encore vu la conférence) cité par @jourde :

L’image provient de Noun Project. Thanks !

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Qu’est-ce que lire au XXIe siècle ?

liseuse-iphone

On sait que pour beaucoup de gens le débat sur la lecture s’articule autour de cette question : livre numérique ou livre papier ?

Pour ma part, reprenant la formule de Victor Hugo, j’affirme que ceci ne tuera pas cela. Les deux coexistent et l’on voit mal pourquoi une nouveauté (le livre numérique) aurait pour corollaire la disparition de l’ancien (le livre papier). Dans le cas contraire, on doit avoir une conception assez radicale de la culture… On a vu qu’internet n’avait pas tué la télé qui n’avait pas tué la radio qui n’avait pas tué la presse… Il en va de même de tout un tas de choses. Par exemple, la voiture, le train ou l’avion n’ont jamais détruit les autres moyens de transport que sont la marche ou le vélo. Et on comprend bien pourquoi et je ne vous ferai donc pas l’insulte d’une explication.

Il en va de même des livres parce que, outre des considérations purement subjectives qu’on ne saurait s’interdire de prendre en compte, de nouveaux modes de lecture peuvent n’avoir pas plus d’intérêt, dans certaines situations, que prendre l’avion pour aller chercher son pain dans la ruelle d’à côté.

Mais, dans certains cas précis, le numérique permet un mode de lecture nouveau que ne permettait pas le papier. C’est ce petit tour d’horizon que je vous propose. Cependant, je n’évoquerai pas tout ce qui peut entourer et parfois étouffer le texte, à commencer par l’image qui peut même devenir animée ou interactive, la vidéo, l’audio, les quiz, etc. Non, en fait, ce qui m’intéresse ici, c’est bien l’acte de lire en lui-même et surtout pas la débauche de moyens techniques qui vous éloigne du mot.

iBooks

Ma première expérience numérique de la lecture (j’entends par là celle d’un vrai livre) fut iBooks sur iPad. Je n’ai donc pas grand-chose d’un précurseur. Longtemps, mon horizon numérique a eu pour borne la littérature puisque l’accès à celle-ci était toujours cantonné au seul papier. En fait, je n’aimais pas lire sur l’écran de mon iPad. Le rétroéclairage devait être le coupable. Cependant, j’étais assez fasciné par les possibilités induites par le livre numérique.

Surligner

La première chose qui m’a plu était de pouvoir surligner le livre sans avoir à éprouver une once de culpabilité à ainsi barbouiller l’ouvrage puisque je pouvais ensuite tout effacer. La multiplicité des couleurs offre une option intéressante d’exploitation en classe, une fois l’iPad branché sur un vidéoprojecteur.

Surligner

Noter

Plus personnelle est la possibilité de prendre des notes dans la marge. Annoter un livre (de même que mettre un marque-page) n’est donc pas l’apanage du papier. Là aussi, je trouve qu’une exploitation scolaire de la note pourrait être envisagée : l’élève peut répondre aux questions du manuel directement sur le livre. Il peut même envoyer ses réponses à l’enseignant.

Annoter

Partager

Les fonctions de partage permettent également de diffuser mais à plus vaste échelle puisque l’on peut, par exemple, tweeter un passage qui vous a séduit. Il est aussi possible d’archiver tel ou tel passage dans son application préférée de prise de notes. Encore que pour ma part, je fais des captures d’écran des passages qui m’ont intéressé. Et comme une application comme Evernote (OCR oblige) est capable de chercher du texte dans une image, cela ne pose aucun problème à cette méthode d’archivage qui s’est imposée à moi je ne sais trop comment.

evernote5

Peut-être parce que certains livres protégés par des DRM ne facilitent pas vraiment l’option de partage. Tout comme celle du copier/coller parfois purement et simplement désactivée. Cette ablation technique me fait en général considérer que le piratage est préférable à la légalité qui ne vous permet pas de faire des choses très simples comme copier un extrait que je voudrais par exemple donner à mes élèves. Heureusement il existe plusieurs solutions comme les OCR.

Le dictionnaire intégré

N’était-ce la limitation aux dictionnaires intégrés au système, cet accès tient du génie. A-t-on jamais déploré d’avoir à quitter l’ouvrage lu pour chercher un mot dans le dictionnaire ? Ici, tapoter sur un mot fait apparaître une sorte de petit pop-up contenant le sens du mot. Une intégration du Robert, d’Antidote ou du TLFi me comblerait de bonheur.

Définition

Ce qui est amusant, c’est que le dictionnaire s’adapte à chaque langue. Vous lisez en Anglais ? Le dictionnaire sera anglais. Vous lisez en Allemand ? Le dictionnaire sera allemand. Et la même chose en Grec, Italien, Japonais, etc.

J’utilise aussi cette fonctionnalité pour chercher un peu tout et n’importe quoi, en tout cas quelque chose qui ne sera pas dans le dictionnaire. En ce cas, notre petit pop-up me proposera de « Rechercher sur le web » et j’accèderai à une requête Google déjà toute prête.

Prononcer

Cette fonction doit tout d’abord être activée dans les Réglages (> Général > Accessibilité > Parole > Énoncer la sélection). Elle permet de faire lire le texte à voix haute par le système.

IMG_1735

C’est une fonction qui s’adresse aux personnes dont la vue ne permet pas de bien lire le texte même en agrandissant la police (possibilité que je n’ai pas même évoquée tant nous y sommes dorénavant accoutumés).

Évidemment nous pouvons avoir des élèves qui ont ce handicap. On peut être confronté aussi à des élèves rencontrant des difficultés de lecture et qui suivront d’autant mieux la lecture que les mots automatiquement lus sont également surlignés.

Énoncer

Mais je recours moi-même à cette fonction dès lors que je lis un texte en anglais et que je veux m’assurer de la prononciation de tel ou tel mot. De plus, il est vraiment amusant de constater qu’un livre devient littéralement audible. Bien sûr, cela n’a rien à voir avec l’audiobook ; ça n’a rien de commun avec les beaux enregistrements que de bons lecteurs, acteurs et même auteurs ont fait de tel ou tel chef-d’oeuvre, mais disons que ça dépanne.

La recherche

Cette fonction m’a littéralement transporté de bonheur quand je l’ai découverte. Un peu comme le crtl / cmd + f dans une page web ou un document long comme le bras.

Sélectionnez un mot, tapotez sur Rechercher et vous avez toutes les occurrences du mot dans le livre. C’est magique !

Rechercher

En fait, j’utilise le plus souvent cette fonction en tapotant sur la loupe en haut à droite. Essayez et voyez comme il est aisé de retrouver un passage qui vous intéressait et dont vous aviez oublié l’emplacement !

D’autres applications de lecture

Vous vous souvenez que je vous disais avoir peu goûté au plaisir de la lecture sur iPad avec iBooks ? C’était en raison de l’éclairage qui m’agressait fortement les yeux et, la nuit, c’était bien pire, même quand la luminosité était au minimum. Et ce n’était pas le mode nuit qui m’apportait un soulagement parce que l’idée même de lire un texte blanc sur fond noir me paraissait farfelue.

Google Play Livres

En revanche, j’ai beaucoup apprécié le réglage de la luminosité, laquelle baissait automatiquement en fonction de l’heure. Et cette baisse s’accompagnait d’une diminution de la lumière bleue au profit de tons plus chauds, tirant sur le jaune. Cela occasionnait moins de fatigue oculaire. L’une des applications le permettant est Play Livres, l’app de Google. Mais avec l’introduction d’iOS 9.3 et la généralisation de ce réglage à l’ensemble du système, on peut profiter de cette fonction partout. Je l’ai même adoptée sur mon Mac avec flu.x.

Une autre fonction assez amusante de Play Livres est l’option de traduction. Celle-ci s’avère assez efficace.

Traduire

Quoi qu’il en soit, les deux apps (Google Play et iBooks) offrent des fonctions assez similaires et ne vous obligent à choisir entre elles que si vous optez pour l’un ou l’autre des magasins (je n’ose dire librairie) que proposent les deux concurrents.

Kindle

J’ai trouvé dans la concurrence une autre application : Kindle d’Amazon. Mais avant de vous donner les raisons assez évidentes de mon utilisation de cette application, il faut vous dire un mot de ma liseuse, que j’ai adoptée assez tard.

La Kindle

C’est en effet avec la liseuse que je suis devenu un lecteur numérique. Moi qui croyais que la liseuse était une anomalie dans un marché largement occupé par les tablettes ! Un appareil un peu suranné dont le premier modèle était apparu… en 2007 ! Je la voyais comme une tablette amputée de nombreuses fonctions et je ne voyais pas que ce petit appareil léger, relativement peu cher, permettait au lecteur de se concentrer sur le seul texte et ce sans se détruire les yeux avec le rétroéclairage un peu trop violent des tablettes.

Parlez-moi d’amour

En fait, c’était le début d’une longue histoire d’amour, et d’un progressif éloignement du livre papier. À force de lire sur ma liseuse, je trouve que le livre (disons traditionnel, mais ça ne veut tellement rien dire si l’on pense à ses multiples métamorphoses, du volumen au codex) a pour lui plusieurs inconvénients :

  • son poids,
  • ses pages qui ne tiennent pas et qui se rabattent,
  • l’ombre de la main (ou simplement toute ombre résultant de la position du livre par rapport à la lumière) sur la page
  • la nécessité d’avoir un éclairage pour lire (c’est tout bête mais avec la liseuse, j’ai fini par oublier que j’avais besoin d’une source de lumière pour lire),
  • l’encre qui s’efface (du moins celle de ces affreux livres de poche)
  • les traces de doigt ou de tout ce que vous pouvez manipuler lors de votre lecture (allant de la nourriture au cérumen, en passant par les crottes de nez…)
  • le papier de mauvaise qualité (car les lecteurs ne sont pas tous assez fortunés pour se payer de beaux livres imprimés sur du vélin).

En revanche, force est de constater qu’avec une liseuse, on perd plusieurs choses :

  • on voit moins la couverture et on mémorise donc moins bien le nom de l’auteur ;
  • on perd la conscience de l’épaisseur du livre et de l’endroit où l’on se situe. Avec une liseuse, on peut ainsi très facilement se trouver tout surpris d’être à la fin (spécialement quand une partie du pourcentage comprend diverses choses comme une postface ou un sommaire). Mais ce n’est pas sans procurer quelque nouvelle émotion littéraire tant on est déconcerté de se trouver à la dernière page sans que rien ne nous y ait préparé. Cela dit, il est facile d’afficher la barre de progression, et de voir où on se trouve, mais je n’utilise que fort peu cette possibilité.

J’apprécie aussi de pouvoir accéder instantanément au livre désiré. Je n’ai pas même besoin de lever mes fesses pour lire le dernier prix Goncourt. Certains trouveront que c’est un défaut. C’est affaire de point de vue. Pour moi qui ai habité dans des lieux où la culture était peu accessible, j’y ai vu un net avantage.

Et puis même si on peut trouver à redire sur les livres et sa vente qui s’apparente davantage à de la location, il faudra quand même reconnaître qu’une application comme Calibre vous débarrasse bien facilement des DRM indésirables.

Bien sûr, on retrouve toutes (ou la plupart) des fonctionnalités susmentionnées, mais il en est d’autres que je suis toujours surpris de n’avoir toujours pas trouvé chez Apple.

Word Wise

Cette option favorise l’apprentissage de la langue dans laquelle vous lisez. Elle est certes perfectible, mais elle permet d’afficher des définitions au-dessus des mots, en filigrane en somme.

wordwise

On peut même enregistrer le vocabulaire recherché dans le dictionnaire. On se retrouve alors avec un nouveau livre contenant les mots ayant fait l’objet d’une recherche. Très pratique pour réviser, une fois la lecture terminée.

vocabulaireinteractif

Le navigateur intégré

Il m’est arrivé de constater que le lecteur que j’étais devenu ne lisait plus un livre à la fois mais plusieurs. En fait, de nombreuses fois, il m’est arrivé d’être étonné par un mot de l’auteur ou de ressentir le besoin de vérifier la validité d’une information et je le faisais en utilisant le navigateur intégré. C’est un accès à Wikipédia que nous avons ainsi et, comme le dictionnaire intégré, il permet d’effectuer des recherches assez facilement et rapidement.

navigateurintegre

Passages les plus surlignés

Certains n’aiment pas. Je trouve ça assez amusant. On peut afficher les passages les plus surlignés par les autres lecteurs. Ainsi, au cours de votre lecture, vous voyez que tel passage a été souligné tant de fois.

passagessurlignes

Il m’est arrivé de relire deux fois un passage que d’autres avaient souligné. Je n’y avais tout d’abord pas prêté attention puis, constatant que le passage avait été souligné, je me suis dit que peut-être je n’avais pas été assez attentif.

Autres fonctionnalités

La fonction X-Ray est typiquement du type de celle qui aurait changé ma vie d’étudiant.

Comme l’indique Amazon :

La fonction X-Ray permet d’explorer la structure d’un livre sur le Kindle Touch, ses idées essentielles, les personnages ou les thèmes.

Par exemple, cela vous permet d’accéder à tous les emplacements où le personnage untel apparaît. L’ensemble des personnages peut alors être affiché par ordre alphabétique mais aussi par ordre d’apparition ou encore par ordre de pertinence. De même avec les principaux thèmes du livre, ce qui facilite les révisions en vue d’un examen ou un concours.

X-Ray

Malheureusement cette fonction ne se trouve pas dans tous les livres, et de surcroît elle ne se trouve que dans les livres écrits en anglais.

Il y a d’autres options que je n’ai jamais essayées comme Kindle FreeTime qui consiste à créer un profil, à ajouter des livres et créer des défis, des objectifs de lecture pour inciter les enfants à lire. D’autres que j’utilise assez peu comme l’option send to Kindle. Mais je goûte assez la synchronisation de tous les appareils. Je commence un livre sur la Kindle laissée sur la table de nuit. Je peux reprendre dans la journée la lecture sur l’app Kindle installée sur mon iPhone, qui lui a le bon goût de n’avoir pas été oublié sur ladite table de nuit. Voilà pour la justification d’une troisième app dédiée à la lecture.

Mais pourtant j’en ai deux autres.

D’autres manières de lire

Je suis assez étonné de voir à quel point l’expérience de la lecture peut revêtir d’étranges formes, de constater à quel point le numérique peut aider ceux qui peinent à lire comme ceux qui veulent lire davantage.

Voice Dream Reader

Voice Dream Reader lit vos textes (PDF, ePub), vous permet même d’aller en rechercher sur Gutenberg. Ce n’est pas une application de lecture de livres audios. Cela correspond plutôt à la fonction Prononcer évoquée ci-dessus, ce qu’on appelle aussi plus souvent, en Anglais, text-to-speech. À ceci près qu’un large choix de voix vous est proposé (enfin vendu). On peut donc obtenir quelques voix (mais surtout en Anglais) moins « robotiques » que celle intégrée à iOS.

Voice Dream

Cette application prend tout son sens dans le domaine de l’éducation puisqu’un élève peut suivre la lecture (les mots sont surlignés) mais, en plus, il dispose de polices comme Dyslexie ou OpenDyslexic.

Cependant, on peut l’utiliser dans certains cas bien précis : faire lire le livre qui vous passionne dans la voiture (avec un iPhone branché sur l’autoradio par exemple) ou encore pour « faciliter » la lecture. En effet, un ami me confiait récemment qu’il utilisait la fonction text-to-speech parce qu’il avait tendance, au cours d’une lecture « normale », à vagabonder dans ses pensées et à perdre le fil (vous savez quand vous continuez à lire mais que quelques lignes ou pages plus loin, vous vous apercevez que vous n’avez rien retenu). Au moins, avec une telle fonction, cet ami me disait retenir quelque chose même quand son imagination battait la campagne. Son esprit gardait toujours une trace non pas du texte lu, mais du texte entendu.

Litz

C’est un autre ami qui m’a parlé de Spritz, une application qui utilise le Rapid Serial Visual Presentation. Concrètement, l’application n’affiche qu’un mot à la fois contenant une lettre rouge censée fixer votre attention en un point précis. Cette méthode doit pouvoir vous apprendre à lire très vite. Elle n’est pas nouvelle et date des années 70.

Litz

Vous trouverez une flopée d’applications utilisant cette méthode. J’ai pour ma part retenu Litz pour sa capacité à lire des ePubs. Mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas la solution la plus plaisante (en tout cas pour moi qui lit et aime à lire lentement). Cependant, pour des textes plus courts, de ces articles qui ont donné naissance au terme « infobésité », une telle façon de lire peut vous permettre d’entamer votre course contre la montre des textes à lire dans la journée.

Conclusion

J’ai omis de nombreuses choses dans cet article, comme les livres enrichis, mais il faudrait aussi traiter du corollaire de la lecture numérique et de l’activité de tri, de conservation et d’archivage de ses propres notes de lecture, évoquer le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion des livres (comme Goodreads par exemple), etc.

Je m’en voudrais de faire croire que ce tour d’horizon de l’état de la lecture numérique en ce début de siècle soit une injonction à lire sur tablette ou liseuse. Ce n’est pas du tout mon propos et j’ajouterai que le livre papier reste un support on ne peut plus agréable et occasionne une déconnexion reposante (n’était-ce le smartphone ou la tablette qui traînent à côté). Quand on me prête ou me donne un livre papier, je ne boude pas mon plaisir et je le prends d’autant plus volontiers que ce livre a une histoire que n’aura jamais un fichier électronique. Récemment, j’ai été ému en tombant sur un livre ayant appartenu à mon grand-père décédé il y a peu et frappé du sceau de son ex-libris. Mais ne soyons pas trop sentimentaux avec ces objets que sont les livres. Mon grand-père s’en débarrassait volontiers, et les bouquinistes sont pleins de ces orphelins dont les gens se détachent par paquets.

aurasma2

Au reste, on voit bien que même le traditionnel papier peut devenir numérique ou plus précisément un support numérique avec la réalité augmentée. C’est ce que j’essaie de faire avec les fiches de lecture que je demande à mes élèves de réaliser : une fiche tripartite on ne peut plus conventionnelle est réalisée et une fois celle-ci corrigée, elle est lue par un élève qui est filmé. Ce petit travail vidéo est alors convoqué par le truchement de la réalité augmentée quand un élève braque son smartphone au CDI sur la couverture d’un livre pour lequel une fiche de lecture a été réalisée (l’exemple ci-dessus a été fait avec une Kindle mais il peut naturellement être fait avec un livre papier).

Ainsi même l’ancien et le nouveau se rejoignent et c’était bien là tout le sens de mon propos. Cependant, il me semble que l’activité de la lecture, avec le numérique, s’est complexifiée. Assurément, elle s’est au moins diversifiée. Mais ce qui amusant, c’est que cette complication s’est accompagnée d’une simplification de certains processus : l’accès à l’encyclopédie, aux dictionnaires, à l’annotation, à l’archivage, au partage… Il en a de la chance, l’homo numericus !