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Itinéraire d’un lecteur gâté : du papier à la machine à lire

Introduction

🎙️ Écoutez cet épisode sur Apple Podcast (et dès que je peux sur d’autres plateformes) !

Chronique en 10 épisodes

Kindle Oasis
Ami lecteur, toi qui commences la lecture de ces quelques mots, tu t’apprêtes à lire une série d’articles tous consacrés à la lecture numérique et ce que tu lis en est l’introduction. Apprends donc dans quoi tu t’embarques : dix longs articles narrant l’expérience d’un lecteur ayant éhontément abandonné le papier pour lire sur une tablette. Il n’est pas trop tard pour faire demi-tour.

Quelques considérations avant de commencer

Cette série d’articles n’a pas pour ambition de te convaincre. Il ne s’agit pas de t’inviter à délaisser les livres papier. Si tu aimes les objets encombrants jaunissant avec le temps, prenant la poussière, sentant l’acarien, perdant leurs pages, portant le témoignage d’un doigt effaçant sans vergogne l’encre bon marché, alors je n’ai évidemment pas mon mot à dire. Tu fais ce que tu veux. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, disait l’autre.

En réalité, cette série d’articles dont tu commences aujourd’hui la lecture n’a pas d’autre ambition que de proposer le témoignage d’un lecteur heureux ayant le sentiment d’être devenu un meilleur lecteur du fait de son adoption du numérique. Mais, encore une fois, peut-être es-tu parfaitement heureux avec les livres tels que tu les utilises, et je ne vois pas du tout pourquoi je m’efforcerais de te les faire abandonner. En revanche, si tu aimes le plastique bon marché, les nuances de gris, les objets condamnés à une obsolescence non programmée mais inéluctable et préfères les GAFAM aux libraires, tu te laisseras peut-être convaincre à adopter une liseuse ou faire de ta tablette ce que j’ai appelé La machine à lire.

L'iPad, la machine à lire

Et si tu n’as pas été rebuté par les quelques provocations ci-dessus, tu seras peut-être intéressé à l’idée de découvrir les raisons qui m’ont amené à totalement abandonner les livres dans leur version papier pour adopter pleinement des appareils du type liseuse ou tablette.

Mais encore ?

Si je ne veux pas te convaincre et que j’entends te laisser en paix avec tes habitudes, quels objectifs se donnent ces articles ? Pourquoi se donner la peine de produire une dizaine d’articles sur des pratiques forcément personnelles et donc subjectives ? Ne s’agit-il que de te raconter comment je lis ? Est-ce là un simple témoignage ?

À dire vrai, j’entreprends aussi de faire un sort à quelques idées reçues. Il n’est pas rare de lire des articles ayant toutes les apparences du plus grand sérieux et se faisant l’écho de LA recherche et qui entonnent des couplets bien connus : le papier, c’est mieux. Les écrans, c’est mal. On peut le lire aujourd’hui 1. On le lisait déjà il y a dix ans 2, et on paraît ressasser la chose à l’envi, redécouvrant encore et encore les mêmes refrains. Après tout, des figures d’autorité comme Umberto Eco n’ont-elles pas expliqué que le livre était comme la roue ou la cuillère ? Ce sont, ce seraient, des objets dont la forme est parfaite et de ce fait indépassable 3. Fin du débat !

Je suis justement souvent abasourdi par la pauvreté de certains arguments quand on discute d’un tel sujet. En général, un amateur du papier croit pouvoir plier ledit débat en affirmant sa préférence pour l’objet physique et son besoin de toucher ou tourner les pages. En fait, pourquoi pas ? Mais, en général, une personne recourant à cet argument semble se prévaloir d’une tradition pluricentenaire qui lui vaudrait la supériorité du collectionneur féru de beaux ouvrages, laissant le partisan du numérique dans le camp peu enviable des pervers férus du plastique produit par des entreprises assoiffées de DRM, une sorte d’irresponsable qu’on peut réduire à quia en lui faisant comprendre que le beau et le bon sont d’un côté et pas de l’autre.

Pire encore, personne n’est assez patient pour écouter les arguments de celui qui s’aventurerait à décrire les contours d’un écosystème invisible qui est le propre de la lecture numérique, laquelle est protéiforme, omniprésente et riche de possibilités innombrables et inédites que son jumeau de papier n’est pas en mesure d’offrir. Mais n’anticipons pas. Nous y viendrons.

Évolution des pratiques de lecture

Avant de t’exposer tout cela, essayons de nous représenter la chose suivante. Ce que nous appelons « lecture » est une pratique qui n’est pas immuable. Certes, pour beaucoup, elle semble être parvenue à une forme que l’on n’éprouve pas le besoin de changer. Tant et si bien qu’elle ressemble à la représentation qu’en donne le peintre Fragonard. Pourtant, la forme que nous attribuons au livre, le symbole que représente le livre n’est rien moins que figé. Du volumen (le livre enroulé) au codex (le livre à feuilleter), il y a là une belle histoire que la BNF s’est empressée de raconter.

La liseuse de Fragonard

Au reste, au XIIe siècle, la plupart des gens ne savent pas lire. La lecture est de fait essentiellement orale. Au Moyen Âge, un roman est alors un ouvrage en vers écrit en langue romane (d’où son nom). Il est lu à voix haute généralement durant un banquet où on écoute l’histoire. Près de dix siècles plus tard (c’est-à-dire maintenant), on retrouve un peu de cette dimension orale à travers les audiobooks.

Aujourd’hui, la lecture est une activité qu’il est difficile de définir. On ne lit pas que des livres. On vient de le dire, on les écoute également. C’est surprenant mais ce qui était auparavant purement audio peut à présent être lu. Apple Podcast permet maintenant de lire la transcription de chaque épisode, un peu comme on affiche les paroles d’un morceau de musique. De plus, la lecture ne se résume pas à celle des livres. On lit aussi des articles sur le web, des flux RSS (enfin je l’espère), des PDF, des newsletters, des tweets (que je m’obstinerai à appeler ainsi). Souvent ce qui sépare l’un de l’autre est assez flou. On peut en effet légitimement se demander ce qui sépare un thread sur Twitter d’un article de blog.

Apple Podcast

Il est donc bien hasardeux de prétendre que la lecture ne se fait que par les livres. De fait, il nous faut trouver les supports idoines, au risque d’avoir une lecture fragmentée, disparate, dispersée, mais de cela aussi, je te parlerai longuement dans les lignes qui vont suivre.

Du papier à la liseuse, de la liseuse à l’iPad

Pourtant mes propres pratiques ont évolué assez récemment.

En fait, la chose n’allait pas de soi. À dire vrai, la lecture sur papier a longtemps été pour moi le dernier bastion, le dernier résistant dans la bataille que se livraient, dans mon petit cœur de geek, le numérique et le papier. Comme vous le voyez dans mon tout premier post Instagram ci-dessous, la lecture a longtemps été pour moi synonyme de papier et puis un jour j’ai découvert un objet que je tenais à distance, qui faisait de ma part l’objet d’un injuste mépris quand je comparais son plastique médiocre à l’objet rutilant que constituait l’iPad. Pourtant, dès le début (nous sommes en 2010), l’iPad ne me paraissait pas approprié à la lecture. Et c’est précisément cet iPad qui est aujourd’hui ce que j’appelle, non sans une pointe d’émotion, ma machine à lire.

Mon premier post Instagram

Alors que s’est-il passé ? Comment suis-je passé du livre de poche à la liseuse puis à l’iPad ? Quels sont les avantages d’une lecture totalement numérisée ? Y a-t-il des inconvénients et si oui, est-il possible de les surmonter ? C’est ce que je te propose de t’expliquer dans une série d’articles dont le premier fera le récit palpitant qu’est l’irruption de la Kindle dans ma vie.

Pour que tu saches ce qui vient ensuite, voici une brève description des articles qui s’en suivront.

Après cette passionnante introduction (1re partie), après donc avoir discuté des intérêts de la liseuse mais aussi de ses manques (2e partie), je te parlerai ensuite de confort et de capacité de concentration, histoire de battre en brèche quelques idées reçues (3e partie). Ce n’est qu’ensuite que nous ferons le détail des applications qui se trouvent sur ma tablette (4e partie). À la suite de quoi, l’on verra comment conserver, trier, retrouver, mémoriser ces choses innombrables qu’on lit et oublie aussitôt (5e partie). Deux applications constituant le point d’orgue de mon édifice seront ensuite évoquées. Au cas où le suspense serait absolument intolérable, sache qu’il s’agit d’Obsidian et de Readwise (6e partie). Subséquemment, nous nous poserons la question suivante : la lecture devient-elle une affaire de geek ? Il sera alors question d’automatisation, d’intelligence artificielle, de scripts (7e partie). Dictionnaires et applications de traduction seront l’objet de l’article suivant (8e partie). Afin de ne point être accusé d’ignorer les problèmes qui ne manquent pas d’émailler nos vies numériques, l’avant-dernière partie est intitulée Les maux du numérique (9e partie donc). On en profitera pour voir comment les affronter. Il sera alors temps de conclure (et c’est la 10e partie).

1: Voir par exemple Les écoles doivent privilégier le papier et le crayon dont le sous-titre est « La lecture à l’écran est nuisible alors que la prise de notes au clavier n’apporte aucun avantage, selon un rapport de l’INSPQ. »
2: Lire sur support papier, meilleur pour la compréhension des textes ?
3: Lire mon article intitulé Umberto Eco et le livre indépassable

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Éducation Pédagogie Technologie

La vidéo a-t-elle révolutionné l’éducation ?

Il y a quelque temps de cela déjà, je formulais la réflexion suivante sur Twitter et LinkedIn :

Ne croyez pas ceux qui affirment que l’IA va bouleverser radicalement l’éducation. Aucune technologie ne l’a fait auparavant (ni la radio ni la vidéo ni internet ni les MOOCS ni la réalité augmentée ou virtuelle ni rien). La technologie change notre rapport au savoir mais, au sein même de l’école, son impact est généralement minime.

J’oubliais, soit dit en passant, la blockchain, la 5G et le Metavers.

Ce que je ne pouvais formuler en quelques mots était en fait la thèse de Justin Reich qui expliquait dans Failure to disrupt :

new technologies do not disrupt existing educational systems. Rather, existing educational systems domesticate new technologies

Dans sa conclusion, l’auteur prévenait d’ailleurs :

In the years ahead, no doubt, entrepreneurs will make these same kinds of promises about artificial intelligence and virtual reality and 5G and whatever new technologies Silicon Valley unleashes upon the world.

Mon objectif n’étant pas de citer Justin Reich tout au long de ce billet, résumons et expliquons très brièvement ce qui vient d’être formulé avant d’en venir au sujet qui nous préoccupe. Pour l’auteur de Failure to disrupt, la technologie ne bouleverse pas radicalement le système éducatif. En fait, la plupart du temps, ce dernier absorbe la technologie et lui fait faire ce que l’on faisait auparavant. Par exemple, si vous faites écouter une vidéo à vos élèves où quelqu’un expose une notion, vous ne faites que proposer à vos élèves un cours magistral et en cela, il n’y a rien de neuf. On pourra distinguer quelques apports, mais la technologie ne transforme pas radicalement le processus éducatif.

Or il m’a été objecté qu’internet ou justement la vidéo, par le truchement de YouTube, avaient révolutionné l’école. Il n’en est rien. Si la thèse consiste à dire qu’internet ou YouTube ont modifié nos vies, ont changé notre rapport au savoir, ont contribué à la circulation de l’information, ont même transformé notre façon de travailler à la maison, oui. Mais, à l’école, la plupart du temps, il n’en est rien.

Retour vers le futur

Mais reprenons.

Tout d’abord, l’introduction de la vidéo a été annoncée comme étant une révolution qui rendraient les livres obsolètes. C’est Thomas Edison qui le dit en 1913.

Books will soon be obsolete in the public schools. Scholars will be instructed through the eye. It is possible to teach every branch of human knowledge with the motion picture. Our school system will be completely changed inside of ten years. The New York Dramatic Mirror

En 1994, d’aucuns prétendaient que les vidéodisques allaient (enfin ?) révolutionner les salles de classe :

The use of videodiscs in classroom instruction is increasing every year and promises to revolutionize what will happen in the classroom of tomorrow (Semrau & Boyer. Propos entendus dans The Most Persistent Myth. Regardez. c’est assez drôle)

On pourrait penser qu’après presque 100 ans de prédictions ratées, on arrêterait là, mais non. Salman Kahn remet ça en 2011 dans Let’s use video to reinvent education. En gros, il explique que grâce à la vidéo les enseignants seront bientôt obsolètes et Bill Gates de confirmer :

Well, it’s amazing. I think you just got a glimpse of the future of education.

Évidemment, si on vous demande si la Kahn Academy a eu un quelconque impact dans la Silicon Valley voire dans nos vies, il faudrait être obtus pour ne pas le reconnaître, mais est-ce que le monde de l’éducation a été réinventé comme le dit Sal Kahn ? Non, bien sûr. Est-ce que la vidéo est désormais « le futur de l’éducation », comme le pense Bill Gates ? Non plus.

Un an plus tard, la croyance est pourtant plus forte que jamais. Daphne Koller, qui a cofondé Coursera, déclare que les MOOCs vont révolutionner l’éducation.

Le but de Coursera

is to take the best courses from the best instructors at the best universities and provide it to everyone around the world for free

Et comment fait-on cela ? Avec des vidéos bien sûr (reconnaissons-le, pas seulement. Il y a aussi… des quiz). Or, pour citer Reich encore une fois, peu de MOOCs ont apporté une véritable expérience pédagogique :

most courses simply recorded a professor lecturing, harkening back to the earliest days of motion pictures when the first order of business was the filming of stage plays.

Force est de reconnaître que la révolution n’a pas eu lieu. En tout cas, pas celles des MOOCS. Les livres ne sont pas obsolètes et la transmission des connaissances, dans les salles de classes, ne semble pas se faire par le seul moyen de la vidéo. Même le plus fervent adepte de la classe inversée reconnaîtra que la vidéo elle-seule ne suffit pas. Elle s’inscrit dans un processus plus large. Et ce processus inclut un ensemble protéiforme de technologies.

Cette combinaison de technologies peut expliquer le succès de l’une d’elles, mais ignorer cette pluralité serait une erreur. Ainsi, si Salman Kahn revient à la charge en 2023, c’est à la faveur de l’IA qui va permettre à la Kahn Academy de connaitre un regain d’intérêt.

On voit que le discours est maintenant : la vidéo va réinventer l’éducation mais cette fois avec le concours de l’IA.

Et c’est intéressant parce qu’on voit là qu’une technologie se combine à une autre pour permettre son essor. De ce point de vue, dire que la vidéo a révolutionné l’éducation serait oublier combien internet est responsable de son succès en permettant sa diffusion. Exactement de la même façon, internet s’est développé très rapidement parce qu’une autre technologie lui préexistait et permettait son adoption : le téléphone.

Ainsi, l’utilisation de la vidéo n’a de manière générale pas tellement lieu en classe (et c’est tant mieux. Pourquoi accorderait-on du temps de classe pour quelque chose qui peut facilement se faire partout et seul), et c’est en cela qu’on ne peut pas dire que la vidéo est une révolution. Elle n’a produit aucun bouleversement ni renversement. Elle est venue renforcer l’arsenal de l’enseignant. Couplée aujourd’hui à des plateformes comme Edpuzzle et un LMS comme Google Classroom et demain à l’IA, on a là un dispositif assez puissant, mais ce n’est pas une « transformation complète » comme l’indique la définition du Petit Robert.

Mais quand même, c’est super bien, YouTube !

La possibilité de regarder une vidéo sur YouTube ou Udemy est une avancée dont on se passerait douloureusement, mais ces plateformes n’ont pas révolutionné le monde de l’éducation.

Ce n’est d’ailleurs pas durant la pandémie que cette révolution a eu lieu alors que la vidéo – sous forme de visioconférence – s’est imposée comme moyen de transmission essentiel dans beaucoup de pays. Nombreux sont en effet les enseignants qui sont passés du bureau de leur salle de classe à celui de leur maison, et ont juste allumé la caméra et parlé (il n’est absolument pas question de leur jeter la pierre cela dit).

On voit donc bien, quoi qu’en dise Sal Kahn (voir la vidéo ci-dessous), qu’entre l’introduction du film en 1913 puis les vidéodisques, les cassettes, les DVD, les blue-rays et enfin internet, l’utilisation de la vidéo n’a rien d’une nouveauté, et qu’elle n’affecte en rien les pratiques scolaires existantes (i.e. la transmission d’informations).

Audrey Watters dans Teaching Machine, évoquant The History of Education (toujours Salman Kahn) ne dit pas autre chose :

There’s at least one problem with the way Khan tells it: the history is all wrong.
Despite Khan’s claim in his TED Talk that to “use video to reinvent education” is a novel idea, classrooms have been using film for over one hundred years.

L’introduction de la vidéo n’est donc pas nouvelle. Sa diffusion est évidemment plus aisée voire plus confortable qu’avant, mais elle n’est pas récente. Cela devrait nous inciter à nous méfier du mot « révolution ». Je suis assez vieux pour avoir été collégien dans les années 80 et j’ai connu le rétroprojecteur, le magnétoscope ou encore le plan informatique pour tous. Il faut se méfier de l’emploi de certains mots. L’innovation comme la révolution sont parfois plutôt… vieilles.

Pourtant, Kahn me semble marquer quelques points quand il dit que la vidéo peut être regardée quand on veut, à son rythme par exemple. Mais André Tricot, dans L’Innovation pédagogique, explique que la vidéo ne permet pas de mieux apprendre.

Les vidéos ne permettent pas d’apprendre mieux qu’en cours en présentiel, même si les opinions des étudiants et des élèves sont généralement favorables, notamment parce qu’elles leur offrent la possibilité d’apprendre « quand ils veulent », « où ils veulent », et « sur n’importe quel support » (Evans, 2008). La complémentarité et la synchronisation entre ce que dit l’enseignant et ce qui est montré à l’écran (diapositives, illustrations, graphiques, tableaux de données, etc.) est une condition absolument cruciale d’un apprentissage avec ce type de média (Mayer, 2014).

Il explique également en quoi la vidéo finalement n’a pas supplanté le texte, même s’il ne présente pas les choses en ces termes.

Notons pour finir qu’un autre média sans interaction, le texte, permet de lire les mêmes mots qu’un discours oral mais deux à trois fois plus rapidement (Vandenbroucke, 2016 ; Kushalnagar, Lasecki & Bigham, 2012). La lecture permet à l’élève de réguler sa vitesse, allant plus vite pour les passages faciles, plus lentement pour les passages difficiles (Young & Bowers, 1995). Le texte est permanent, la vidéo est transitoire : dès que j’ai entendu un mot je ne l’entends plus, je ne peux pas rester sur un mot entendu, tandis que je peux rester sur un mot lu (Leahy & Sweller, 2011).

Et enfin, pour le citer une dernière fois, l’auteur de l’ouvrage publié dans la collection Mythes et réalités explique pourquoi la vidéo ne remplace pas le cours magistral (avec une point d’ironie).

Une vidéo peut ainsi remplacer un cours magistral. Ce qui est assez remarquable parce que cela voudrait dire que (a) l’interaction entre un enseignant et ses étudiants lors d’un cours magistral est nulle et que (b) les élèves apprennent mieux en écoutant-regardant une vidéo d’un enseignant qui parle plutôt qu’en lisant le texte correspondant (ou un autre support). Or, en l’état actuel de nos connaissances tout cela est faux : au contraire, l’interaction entre un enseignant et ses étudiants lors d’un cours magistral est prodigieusement importante ; regarder une vidéo d’un enseignant qui parle n’est sans doute pas la façon la plus efficace d’apprendre, et de loin.

Regarder une vidéo ne serait ainsi pas le meilleur moyen d’apprendre (cela dépend en fait de ce que vous apprenez).

Évidemment, il y aurait beaucoup à dire parce que, pour ma part, je regarde énormément de vidéos et j’apprends beaucoup. J’utilise par exemple Otter ou Reader pour en avoir une transcription textuelle que je peux recopier dans Obsidian afin d’en souligner les passages importants, les compléter, les définir, etc. Dans la dernière version de Mac OS, je peux même souligner le texte d’une vidéo et le recopier, etc. Très pratique quand on apprend à coder. En outre, l’IA permet des merveilles et outre la transcription, on peut avoir un résumé, une liste des points saillants ou générer un quiz.

La technologie n’est pas la solution

Malheureusement, nous ne sommes pas là pour parler de mes usages et on voit bien que la vidéo à elle seule ne suffit pas, parce qu’en fait, redisons-le, une technologie quelle qu’elle soit ne suffit pas. Ainsi, le très récent rapport de l’UNESCO, Technology in education- a tool on whose terms, fait valoir que la télévision, comme la radio auparavant et comme internet par la suite, a été utilisée pour atteindre un public qui ne pouvait pas accéder à l’école :

Television has been used for delivering distance learning since the 1950s, notably in Latin America, to help address qualified teacher shortages in rural areas and high teacher absenteeism rates

Et ce avec un certain succès, mais précisément en raison de la complémentarité des éléments constituant un processus pédagogique excédant la technologie elle-même :

Lessons are often used to complement face-to-face instruction, with long-term studies finding significant impact on enrolment and completion rates. Success has been partially attributed to community participation and ongoing teacher training, while the use of in-person tutors, printed guides and videos that prompt learners to answer questions has made interventions more interactive.

La formation des enseignants ou d’autres facteurs (comme les guides imprimés ou l’interactivité s’ajoutant au support même) sont donc déterminants pour qu’une technologie connaisse un certain succès qu’elle n’aurait pas sans cela.

C’est d’ailleurs la conclusion du chapitre 2 de ce rapport :

Technology should not be viewed as the solution, but as a supportive tool in overcoming certain barriers to education access. The most effective interventions are those that put learners’ interests as the focal point and support human interaction, making use of adequate in-person support, extensive teacher training and appropriate technology for the specific context. The best learning systems never rely on technology alone.

Reste qu’une plateforme (rien que le mot pourrait à lui seul prolonger démesurément la réflexion) comme YouTube peut même être perçue comme un objet inquiétant si l’on en croit l’article du New Yorker How YouTube Created the Attention Economy. Ainsi, il faudra aussi penser à éduquer nos élèves à mieux comprendre et utiliser ce gigantesque réseau qui semble mobiliser tous les regards. La vidéo peut alors être perçue comme une technologie qui n’a pas révolutionné l’école, qui n’est pas neutre et dont l’utilisation peut dans certains cas s’avérer contre-productive. Mais c’est là un sujet pour un autre article.

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5 exemples concrets précédés de réflexions sur l’importance de la collaboration

Dans le cadre de mon travail au LFI, j’écris tous les quinze jours une newsletter. J’y fais le point sur les formations que nous avons accomplies, annonce celles que nous ferons bientôt, partage l’actualité éducative ou propose quelques réflexions pédagogiques voire technologiques. Dans les deux dernières, je parlais de la collaboration, un sujet qui me tient à cœur depuis de longues années et dont l’intérêt a été récemment ravivé par la lecture de l’excellent ouvrage Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud auquel la deuxième partie de cet article doit énormément.

Faire collectif pour apprendre

J’avais tout d’abord exposé quelques réflexions sur les raisons qui font que la collaboration est un enjeu essentiel. C’est une compétence qui a assuré la survie de l’espèce. Je donnais ensuite quelques exemples concrets susceptibles d’être appliqués en classe.

Pourquoi collaborer

On promeut souvent la collaboration comme une compétence à acquérir par nos élèves. Mais apprendre à collaborer n’a rien d’évident.

Tout d’abord, elle se heurte à différentes représentations. Par exemple, on s’imagine bien souvent l’individu isolé, œuvrant dans la solitude à la réalisation d’une tâche quelle qu’elle soit. C’est en fait un penseur de Rodin dont la nudité nous révèle que la pensée est dépouillée de tout outil.

Rien n’est plus faux. Daniel Bougnoux nous rappellerait que le célèbre penseur, « nu, concentré sur lui-même,  sans le secours d’aucun livre, clavier, écran ni artefact quelconque » ne pense pas (La condition médiologique). Peut-être qu’il songe, qu’il rêvasse ou même délire, mais pour penser, organiser, développer, noter, structurer, diffuser, communiquer, nous avons besoin d’outils. Bougnoux expliquerait donc que « l’homme seul ne pense pas » et Yuval Noah Harari confirmerait.

Le penseur de Rodin

Dans 21 leçons pour le 21e siècle (Partie IV Vérité, 15. Ignorance: Vous en savez moins que vous ne le pensez), l’auteur nous dit que l’individualité est un mythe :

Les humains pensent rarement par eux-mêmes. Nous pensons plutôt en groupe.

Aucun individu ne sait à lui tout seul construire une cathédrale, une bombe atomique ou un avion par exemple. Harari évoque ensuite une théorie intéressante : L’illusion de la connaissance (Steven A. Sloman and Philip Fernbach). Il apparaît que nous nous reposons sur l’expertise des autres pour pratiquement tous nos besoins. Et le fait est que si je devais expliquer comment fonctionne mon robinet, détailler les différentes opérations qui mènent au démarrage d’une voiture ou à la production du paracétamol ou des chaussures que j’ai aux pieds, je serais bien embarrassé.

Mais revenons aux penseurs, aux génies et à leurs inventions.

Collaborer est notre force

Walter Isaacson dans Les innovateurs (chapitre 2, L’ordinateur), cherchant à qui attribuer l’invention du premier ordinateur et essayant de démêler l’influence que les uns ont pu avoir sur les autres, prend l’exemple du procès intenté à l’encontre d’Eckert et Mauchly (les inventeurs de l’ENIAC). Mauchly s’était grandement inspiré des travaux de John Atanasoff.

Certes les idées qu’Eckert et Mauchly ont mis en pratique n’étaient pas toutes les leurs, mais ils ont su, puisant dans une multiplicité de sources, les appliquer, réaliser ce qu’ils avaient imaginé en étant aidé d’une équipe compétente et leur invention a eu un impact considérable dans l’histoire de l’informatique. Combien d’inventeurs ont manqué d’une telle équipe, des fonds nécessaires, et n’ont pu parvenir à réaliser leur vision ? Eh bien, c’est le cas de John Atanasoff.

Pourquoi un tel génie comme Atanasoff a-t-il disparu dans les catacombes de l’histoire et pas Mauchly ? Voici la réponse de Walter Isaacson :

La façon dont vous classez les contributions historiques des autres dépend en partie des critères que vous choisissez. Si vous êtes séduit par le romantisme des inventeurs solitaires et que vous vous souciez moins de savoir qui a le plus influencé les progrès dans tel domaine, vous pourriez placer Atanasoff et Zuse en tête de liste. Mais la principale leçon à tirer de la naissance des ordinateurs est que l’innovation est généralement un effort de groupe, impliquant une collaboration entre les visionnaires et les ingénieurs, et que la créativité provient de l’utilisation de nombreuses sources. Il n’y a que dans les livres de contes que les inventions surgissent comme un coup de tonnerre, ou comme une ampoule s’illuminant dans la tête d’un individu isolé dans une cave, un grenier ou un garage.

Donc non seulement l’homme ne pense pas seul. Il ne peut pas. Il se repose beaucoup sur les autres mais de surcroît le produit des grands inventeurs est le résultat d’un travail d’équipe. Et avouez que ni Christophe Colomb n’est arrivé en Amérique tout seul en ramant, ni Isaac Newton n’a pu produire sa théorie comptant sur son seul génie et aussi une pomme. Après tout, nous ne sommes que des nains juchés sur des épaules de géants, n’est-ce pas ?

De surcroît, si l’homme, cette créature insignifiante apparue il y a quelque 70 000 années, à peine plus importante que la mouche ou le pivert, en est venue à dominer le monde, c’est en raison de sa capacité à collaborer.

Regardez cette vidéo dans laquelle Yuval Noah Harari explique que la force des êtres humains est de savoir collaborer avec un très grand nombre d’individus et qui leur sont totalement étrangers. La démonstration est édifiante.

Mais alors, en ce cas, pourquoi l’école ne promeut-elle pas davantage cette capacité à collaborer ? Comme le rappelle Ken Robinson (et Ian Clayton) :

Dans le monde du travail, la collaboration et le travail d’équipe sont essentiels à la réussite ; à l’école, on appelle cela tricher.

Nous savons donc qu’il est important de collaborer. Cela a été une des compétences qui a assuré la survie de l’espèce. Mais comment développons-nous cette compétence chez les élèves ? Voici cinq conseils facilement applicables.

5 conseils pour apprendre à collaborer

Conseil #1

Évitez de donner un travail à faire à plusieurs élèves si celui-ci peut être fait par un seul. Si vous voulez convaincre les élèves de la nécessité de travailler à plusieurs, il faut que la tâche demandée l’exige. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est André Tricot dans L’innovation pédagogique.

Conseil #2

Le travail collaboratif peut représenter un surcoût cognitif chez les élèves (c’est encore Tricot qui le dit). Une solution peut consister à donner un « script » aux élèves découpant en sous-tâches les travaux à réaliser. Chacun a alors un rôle précis à jouer et une sous-tâche à réaliser à un moment donné. Voici un exemple que j’ai rédigé pour l’analyse de texte en classe de première.

Répartition des tâches

Conseil #3

Si l’on veut favoriser le travail collaboratif, il est préférable d’éviter de noter la production finale. On évitera ainsi que certains élèves fassent tout le travail. On évitera également les conflits si, dans le groupe, des élèves ne fournissent pas le travail attendu. On recommandera également de faire précéder le travail collectif d’un travail individuel pour que chacun puisse avoir quelque chose à apporter au groupe. Enfin, on organisera le travail en groupe pour éviter la répartition spontanée des rôles.

Il est au reste possible de s’en remettre au hasard pour favoriser la mixité des élèves en utilisant une application comme Flippity. J’aime beaucoup le Random Name Picker, lequel permet aussi de créer des groupes aléatoirement. Voyez aussi celui-ci pour construire des groupes et assigner des tâches.

Assigner des tâches

Conseil #4

Toujours en classe de français, voici un autre scénario possible pour apprendre à commencer une introduction. On propose quatre ou cinq phrases d’accroche et les élèves doivent d’abord individuellement les classer par ordre de pertinence ou de préférence et justifier brièvement leurs choix. Plus tard, en groupe, ils doivent discuter de ces choix et les confronter à ceux des autres. Il faut alors argumenter et défendre son point de vue.

Une restitution collective est possible durant laquelle un classement de référence est établi par l’enseignant. Cela permet de mesurer l’écart entre le choix des élèves et celui qui vient d’être décidé collectivement. 

Conseil #5

Voici un dernier exemple puisé dans Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud dont je vous recommande la lecture (les précédents exemples étaient simplement inspirés de Laurent Reynaud). Il s’agit de donner un travail écrit aux élèves. L’évaluation repose sur un simple code couleur et est dépourvue de tout commentaire.

Evaluation

J’aime beaucoup cette idée, car elles forcent les élèves à chercher et à s’entraider pour comprendre leurs erreurs:

Si les élèves qui ont un rond vert sur leur copie ne s’inquiètent pas, les autres s’activent pour comprendre leur couleur et améliorer leur travail. Ils se tournent vers leurs camarades qui ont une couleur supérieure à la leur ou bien ouvrent leurs classeurs. Ils n’ont pas d’annotations sur la copie, cela rend nécessaire les interactions pour comparer leur propre production à celle des autres.

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Google Sheets, 3 formations pour les enseignants

Voici les dernières formations que nous avons faites au LFI. Toutes consacrées à Google Sheets pour à la fois permettre à ceux qui le voudraient de passer les certifications Google, mais aussi pour comprendre combien un tableur peut constituer un support d’une richesse quasi illimitée.

Apprendre le vocabulaire avec un tableur

Flippity Spreadsheet

Nous avons commencé par montrer combien un tableur pouvait être un outil puissant avec un scénario pédagogique intitulé Utiliser Google Sheets pour apprendre du vocabulaire.

Ce scénario me semble illustrer le modèle SAMR :

  • Substitution : noter le vocabulaire à apprendre sur Google Sheets
  • Augmentation : utiliser les filtres pour trier les mots
  • Modification : utiliser la fonction Translate pour traduire ou partager son tableur avec un élève ou l’enseignant
  • Redéfinition : transformer son tableur en flashcards avec Flippity

Flippity Flashcards

Si cela vous intéresse, voici le plan de la formation.

Et voici le petit Kahoot donné à la fin.

Un tableur pour mieux suivre les travaux des élèves (première partie)

La semaine suivante, nous avons continué avec une série de 10 exercices suivi d’un challenge pour utiliser Google Sheets en classe et suivre le travail des élèves.

Voici ce qui a été travaillé :

  • créer un tableau
  • le formater
  • alterner les rangées de couleur
  • utiliser la fonction RANDBETWEEN
  • utiliser le formatage conditionnel
  • utiliser les fonctions MAX, MIN, AVERAGE & COUNTIF
  • utiliser la fonction FILTER
  • insérer un graphique
  • utiliser la fonction IF
  • utiliser la fonction HYPERLINK
  • utiliser la validation de données
  • utiliser la fonction SUM
  • utiliser des instructions IF imbriquées
  • cacher des rangées et des colonnes
  • utiliser les fonctions SPLIT et CONCATENATE
  • utiliser les fonctions SORT & UNIQUE (et comment les combiner)
  • ajouter des cases à cocher
  • utiliser le formatage conditionnel avec des cases à cocher
  • ajouter un calendrier sous forme de pop-up

Il y a (encore) un petit Kahoot à la fin si vous voulez vérifier vos acquis.

Kahoot

Et comme il a fallu deux séances pour réaliser cette formation, on s’est fendu d’un petit récap qui s’est enrichi de quelques petits trucs supplémentaires que je vous laisse découvrir.

Chart

Un tableur pour mieux suivre les travaux des élèves (deuxième partie)

La suite est là : Google Sheets for Teachers #2.

En gros, on s’est concentré sur les extensions comme formMule et Autocrat après un (autre) petit récapitulatif.

Google Sheets for Teachers

On n’a pas eu le temps de tout faire (VLOOKUP par exemple), mais on reprendra à la rentrée !

Voilà ! Cela faisait bien longtemps que je n’avais rien publié sur ce blog. J’en profite pour vous souhaiter, un peu en avance, un joyeux Noel !

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Comment évaluer en ligne ?

Si vous devez évaluer voire noter le travail que vos élèves ont réalisé durant le confinement, vous nourrissez peut-être quelque inquiétude quant à l’honnêteté avec lequel il a été réalisé.

Bien qu’il n’existe pas de solution idéale et que vous ne pouvez pas surveiller vos élèves avec la même efficacité que s’ils se trouvaient dans la même pièce que vous, vous pouvez tout de même trouver quelques solutions.

Voici un peu plus d’une dizaine de conseils vous permettant de « régler » ou tout au moins de trouver quelques solutions à certains problèmes tout en aidant vos élèves à mieux travailler en ligne. J’espère pouvoir enrichir cette liste au fur et à mesure.

13 conseils pour évaluer en ligne

1. Demandez aux élèves de travailler sur un Google Docs partagé (afin que vous puissiez vérifier de temps en temps ce qu’il s’y passe).

2. Avertissez-les : pas de copier-coller dans ce document (si vous voyez soudain trente lignes apparaître, prévenez-les que cela peut légitimement vous paraitre suspect).

3. Avertissez les élèves que vous vérifierez l’historique (tapez ⌘⌥⇧H pour l’obtenir plus rapidement). Si c’est un travail de groupe, cela vous permet de voir qui a fait quoi.

4. Vous pouvez aussi dire que vous allez utiliser la fonction antiplagiat intégré dans Google Classroom (lire Activez les rapports). Il existe de nombreuses apps de ce type (voir ci-dessous).

5. Pensez à utiliser Draftback, une extension Chrome. C’est très impressionnant et instructif (on a l’impression d’avoir une machine à remonter le temps et de voir tout ce qui a été écrit lettre après lettre). Vous apprendrez ainsi comment la pensée d’un élève prend forme.

6. Comme le rappelle Ken Robison, l’évaluation n’est pas un « spreadsheet » (une feuille de calcul) mais un dialogue. Cela signifie qu’évaluer ne consiste pas (ou pas seulement) à mettre des points. Aussi, efforcez-vous de donner autant de commentaires que possible. Vous pouvez insérer un commentaire audio grâce à Mote. Vous pouvez utiliser Loom pour montrer et expliquer des choses à travers une vidéo rapide. Ou vous pouvez utiliser Text Blaze pour créer une banque de commentaires que vous pouvez modifier et partager avec vos collègues. Uniformiser les appréciations et exigences au sein d’une même équipe offre de la cohérence et de la clarté pour les élèves. De surcroît, Text Blaze vous permet de créer des raccourcis qui vous feront gagner un temps précieux.

7. Les élèves doivent toujours être prêts à expliquer ou justifier ce qu’ils ont écrit. Ainsi, si vous avez des doutes sur ce qui a été rédigé, préparez une réunion avec votre élève et ayez une petite conversation, non pas pour le prendre au piège mais pour s’assurer qu’il ou elle est en mesure de prouver qu’il/elle est l’auteur des lignes que vous voulez évaluer.

8. Si vous pensez que cela est nécessaire, vous pouvez demander aux élèves de garder leur caméra allumée à tout moment pendant l’examen (cela n’est pas sans poser quelques problèmes et de nombreux logiciels de surveillance sont absolument affreux. Voir ci-dessous).

9. Parfois, les parents sont désireux d’apporter leur aide et proposent sinon de surveiller leur enfant, du moins de jeter un œil sur ce qu’il se passe durant l’examen. Contactez-les si vous pensez qu’un élève triche.

10. Ne posez pas de question dont la réponse puisse être facilement recherchée sur Google. Demandez à vos élèves de réfléchir, non pas de répéter ce qu’ils ont appris (ou copié). Il est par ailleurs évident que, dans ma matière (le français), je ne peux plus donner certains textes dont les explications fleurissent sur le web depuis 20 ans. Je dois trouver autre chose.

11. Rappelez à vos élèves qu’ils peuvent refaire et renvoyer leur travail. Ils ressentiront moins la pression de l’échec et éprouveront moins le besoin de tricher.

12. Si possible, évitez de noter. Vous pouvez évaluer par compétences. Cette fois encore, si l’élève n’a pas la pression de la note, il ne ressentira pas (ou moins peut-être) le besoin de tricher.

13. Vous avez le sentiment que vous ne pouvez pas noter un travail parce que vous avez de sérieux doutes à propos de l’honnêteté avec lequel il a été fait ? Faites-en une évaluation formative et fournissez une nouvelle évaluation sommative.

Sites et applications de détection du plagiat

Tous ne se valent pas, mais certains sont gratuits et font le job (comme on dit).

Un peu de lecture sur les logiciels de surveillance du type Proctorio

À propos de Proctorio, le Washington Post écrit :

One system, Proctorio, uses gaze-detection, face-detection and computer-monitoring software to flag students for any “abnormal” head movement, mouse movement, eye wandering, computer window resizing, tab opening, scrolling, clicking, typing, and copies and pastes. A student can be flagged for finishing the test too quickly, or too slowly, clicking too much, or not enough.
If the camera sees someone else in the background, a student can be flagged for having “multiple faces detected.” If someone else takes the test on the same network — say, in a dorm building — it’s potential “exam collusion.” Room too noisy, Internet too spotty, camera on the fritz? Flag, flag, flag.

Ou encore

Some students also said they’ve wept with stress or urinated at their desks because they were forbidden from leaving their screens.

Comme vous pouvez le lire, c’est assez atroce. Pour en apprendre davantage, lire :

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Découvrez la puissance des applications de tableau blanc pour faire vos cours en présentiel, en distanciel ou en hybride

Cet article est la traduction d’un billet publié sur Medium en anglais et écrit dans le cadre de mon travail au lycée Winston-Churchill.


Vous avez un iPad ? Un stylet ? Alors débarrassez-vous de ce feutre et écrivez sur votre iPad avec ces applications au lieu d’utiliser le tableau blanc accroché au mur dans votre classe:

Pourquoi ?

Les notes écrites sont belles et colorées, mais je suis sûr que vous avez un nombre limité de deux ou trois couleurs si vous utilisez le tableau de votre classe alors que vous disposez d’une quantité à peu près infinie de couleurs si vous utilisez les apps susmentionnées. De plus, avec les applications de prises de notes comme Notability ou GoodNotes, vous pouvez ajouter de nombreuses choses comme des images, des sons, des formes et même une page web !

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, si vous êtes en ligne, vous pouvez partager votre tableau facilement. C’est une fonction importante quand les élèves travaillent à distance mais aussi quand vous devez faire en cours en mode hybride et que vous voulez montrer ce que vous écrivez à vos élèves qui sont physiquement présents comme à ceux qui sont en ligne.

De plus

En utilisant votre iPad (ou n’importe quelle tablette d’ailleurs),

  • Vous n’avez plus à tourner le dos à vos élèves.
  • Vous pouvez écrire tout en déambulant dans la classe (attention tout de même).
  • Vous n’aurez plus à effacer votre leçon à la fin de la classe (et réfléchissez-y : pourquoi devrait-on effacer tout le travail qu’on a accompli ?)
  • Vous pouvez envoyer votre travail à un élève absent (en exportant simplement votre tableau au format PDF ou image).
  • Les élèves peuvent revoir la leçon à leur rythme (si vous l’avez enregistrée).

Comment faire cela ?

Pour commencer, j’ai mentionné quelques-unes des grandes apps pour iPad, mais en voici quelques-unes que j’utilise comme tableau blanc et voici comment je partage ma leçon avec mes élèves.

Les applications de tableau blanc

Comment partager son tableau avec les élèves en ligne

La plupart du temps, quand on enseigne en ligne, il est possible d’utiliser le tableau blanc intégré d’une application comme Zoom. Mais, comme vous allez le voir ci-dessous, on peut trouver de plus en plus d’applications en ligne vraiment impressionnantes.

Quel que soit votre choix, dans Zoom, cliquez sur Partager > Tableau blanc or Écran (si vous préférez des apps comme Notability ou JamBoard).

À mon avis, il est important de comprendre qu’on a besoin à la fois d’une application de vidéoconférence et un tableau blanc. Comme on peut le lire dans cet article sur Medium:

L’année scolaire commençant, divers défis relatifs à l’enseignement en ligne commencent à apparaître. Les outils de vidéoconférence résolvent les besoins de l’audio et de la vidéo dans une certaine mesure. En revanche, l’aspect informel des instructions délivrées dans une classe comme écrire un problème sur un tableau blanc ou regarder le travail d’un élève sur celui-ci, prendre des notes sur le tableau en tant qu’enseignant, aller au tableau pour participer manquent énormément.

Par conséquent, on a braiment besoin d’une application de vidéoconférence comme Zoom ou Meet mais on a aussi besoin d’une application de tableau blanc. Selon vos besoins, certaines des apps que nous avons mentionnées vous conviendront plus ou moins.

Ce que j’aime dans ces apps

GoodNotes et Notability sont de très belles apps de prises de notes (et avec un vidéoprojecteur, vous obtenez un très joli tableau blanc à afficher en classe). Et si vous voulez avoir une idée des possibilités du second, jetez un œil sur l’article Tips for Online Learning Using Notability. Mais quelles que soient les qualités de ces apps, elles ne sont pas très bonnes en matière de collaboration (même les nouvelles fonctions de GoodNotes sont plutôt limitées).

Vous devriez donc plutôt regarder du côté d’apps comme celles de Microsoft ou Google : Whiteboard & Jamboard. Microsoft et Google excellent dans les fonctions de partage. Notability est une app très puissante. Je l’utilise tout le temps comme tableau blanc, mais si je veux que mes élèves interviennent, qu’ils écrivent une réponse, une app comme Jamboard est beaucoup plus convaincante.

Mais vous pouvez aussi jeter un œil sur quelques-unes de ces très puissantes apps telles que Peer.school, WhiteBoard.fi, Whiteboard Chat, etc. Toutes ces apps vous permettent d’écrire et de collaborer avec vos élèves.

Peer.school

J’aime beaucoup Peer.school. C’est un projet libre, gratuit et open-source. De plus, vous pouvez trouver le code sur GitHub.

C’est une app très simple. En fait, il n’y pas grand-chose que vous puissiez faire à part écrire. Mais tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un navigateur. Nul besoin de s’inscrire. Et j’apprécie beaucoup que les élèves puissent voir la caméra du professeur pendant que celui-ci écrit sur le tableau.

WhiteBoard.fi

WhiteBoard.fi est beaucoup plus élaboré. Il est gratuit et il est très respectueux de votre vie privée également. Voici un extrait de leur règlement :

Aucune inscription n’est requise pour utiliser ce service. Aucun nom d’utilisateur, email ou mot de passe n’est requis.
Aucune information personnelle n’est stockée ou collectée. On demande aux participants leur nom quand ils entrent dans une pièce (pour que le professeur puisse les identifier), mais vous pouvez utiliser des surnoms ou des alias.
Toute information est supprimée quand la pièce est close (ou après deux heures d’inactivité).
Aucune information n’est partagée avec des services de tierce partie.
Aucune publicité ni traqueur n’est affiché dans ce service.

De plus, le site est fréquemment mis à jour et cela prendrait beaucoup de temps afin d’énumérer toutes les fonctions, mais j’apprécie la possibilité pour un enseignant de contrôler qui entre dans une pièce (votre session) ou de la verrouiller après que la classe a commencé.

J’aime également la facilité avec laquelle vous pouvez insérer des symboles mathématiques, des expressions ou des équations. De fait, il y a un éditeur qui vous permet d’insérer du code LaTeX. Davantage d’informations sur le sujet dans cette vidéo YouTube How to use the math tool.

Whiteboard Chat

Whiteboard Chat est certainement la forme la plus fascinante de ce type d’app puisqu’elle annonce la fusion d’un tableau blanc collaboratif et d’une application de vidéoconférence. De plus, c’est gratuit. Il est possible de l’utiliser sans avoir à se connecter. C’est donc rapide et pratique. Et il y a une tonne de chouettes fonctions comme créer un sondage, un sablier, insérer des symboles mathématiques ou musicaux, inviter des gens, etc.

Il y a également une belle vue en grille vous permettant de voir toutes les pages du tableau blanc (dans la mesure où vous avez choisi l’option Start teaching au début). Pratique quand vos élèves sont en train de travailler sur différentes pages.

Cependant, pour sauvegarder votre tableau, il vous faudra vous connecter avec votre compte Google ou Facebook.

Ziteboard

Celui-ci n’est pas gratuit (du moins pas complètement : voyez les prix sur cette page). Dans la version gratuite, vous pouvez créer trois tableaux blancs.

Cela me rappelle un peu l’application pour iPad Concepts qui présente une sorte de canevas infini, ce qui signifie que vous pouvez écrire quelque chose et au lieu de l’effacer ou même de créer une page ou diapositive comme dans Jamboard, vous pouvez faire défiler le tableau où vous voulez et continuer à écrire sans jamais vous arrêter et éventuellement zoomer, dézoomer… D’ailleurs, le nom « Ziteboard » vient de la fusion de zoomable et whiteboard !

Bien sûr, vous pouvez inviter des gens pour travailler sur votre tableau. Vous trouverez de sympathiques fonctions comme l’import d’image, de PDF ou de mp3. J’aime beaucoup la possibilité d’insérer un PDF qu’il s’agisse de mon propre document que je souhaite partager ou du travail d’un élève que je désire montrer.

Mais, encore une fois, l’app n’est pas totalement gratuite.

Tableau noir

Vous n’aimez pas les tableaux blancs ? Vous préférez un tableau noir ? On a ça aussi. Allez sur Tableaunoir, un tableau noir en ligne.

Vous pouvez cacher la barre d’outils de telle façon que tout le monde se concentre sur le tableau. C’est net et élégant.

Voici les principales fonctions :

Bien sûr, vous pouvez dessiner et effacer avec votre souris ou une tablette graphique.
Vous pouvez aussi utiliser des sortes d’aimants pour le frigo que vous déplacez sur le tableau, faire des animations par exemple pour montrer des algorithmes, des graphiques, etc. (Et même appuyer sur Go !)
Créer vos propres aimants personnalisés pour faire des leçons interactives en important n’importe quelle image.
Des palettes de couleurs pour les craies (7 couleurs noir/blanc, jaune, orange, bleu, rouge, rose, vert),
Changer la couleur de l’arrière-plan des aimants,
Charger/Sauvegarder l’actuel tableau,
Ajouter du texte (Appuyez sur Entrer et écrivez), et bouger le texte. Intégration de LaTeX (recourant à MathJax) !
Passez à un tableau blanc au lieu d’un tableau noir,
Collaborer et annoter le même tableau au même moment (vous avez besoin d’un serveur à cet effet),
Changer le curseur pour droitier (par défaut) pour un curseur pour gaucher,
Ajouter autant de demi-tableaux que nécessaire en allant à droite avec → et puis gauche/droite avec les flèches du clavier ←/→,

Vous pouvez regarder une vidéo sur YouTube expliquant comment l’utiliser. Et vous pouvez télécharger le code source également sur GitHub !

Autres utilisations

Nous avons mentionné au début de cet article que nous avions besoin de deux apps : une app de vidéoconférence et une app de tableau blanc. Mais il y a encore deux autres utilisations que j’aimerais évoquer.

Expliquez tout ce que vous voulez à un élève

Cette fois, nous allons utiliser un tableau blanc non pas pour toute la classe, mais pour un seul élève seulement. Et pour ce faire, nous allons utiliser une app permettant d’enregistrer ce qu’il se passe à l’écran comme Loom quand on souhaite expliquer une notion particulière qui requiert un peu plus de quelques lignes dans un email. En fait, pouvoir afficher le travail d’un élève et expliquer les erreurs qui ont été faites est vraiment extraordinaire. C’est quelque chose d’assez facile à faire dans une école, en vrai, quand tout le monde est présent physiquement mais si vous êtes en ligne, l’utilisation de Loom va se révéler fort pratique.

Donc, à chaque fois qu’un élève envoie un message et dit « Je ne comprends pas ceci et cela », je choisis d’afficher son travail dans l’une des apps que nous avons mentionnées et j’enregistre les explications que j’écris sur le tableau avec Loom que ce soit sur mon Mac ou mon iPad.

Enregistrez votre leçon dans une brève vidéo

En classe, quand on manque de temps et que je ne souhaite pas prendre davantage de temps pour que les élèves écrivent la leçon parce que je veux qu’on avance et que l’on passe à l’activité suivante, je choisis, quand je rentre chez moi, d’enregistrer une courte vidéo expliquant rapidement l’essentiel de notre travail afin que les élèves sachent ce qu’il faut retenir et apprendre.

Bien sûr, si vous ne voulez pas le faire ou si vous ne souhaitez pas prendre du temps pour cela (mais gardez à l’esprit que ce n’est pas chronophage parce des apps comme Loom ou Screencastify rendent la chose très facile et très rapide), vous pouvez simplement enregistrer la leçon durant le cours. Ainsi, vous enregistrez simplement ce que vous dites et montrez avec le vidéoprojecteur et une app de tableau blanc.

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Éducation Informatique

Comment différencier l’enseignement à partir d’un simple spreadsheet ?

Adoptant ce propos de Ken Robinson,

One of the perils of standardized education is the idea that one size fits all. (Creative schools, chapitre 9 Bring it all back home)

et partant donc du principe qu’on ne saurait donner un même exercice à 30 élèves différents, j’avais imaginé comment différencier l’apprentissage de l’orthographe.

Si le sujet vous intéresse, j’en avais déjà parlé dans l’article Cette année, la dictée en cache trois ainsi que dans Différencier l’enseignement : deux exemples. Il faudrait d’ailleurs que je republie un article sur la chose qui a depuis largement évolué. Vous pouvez en tout cas télécharger Vingt-quatre dictées, un livre proposant six dictées différenciées en quatre versions différentes (plus d’autres à venir).

En y repensant, je constate que c’est un sujet qui me préoccupe depuis des années. Je me souviens qu’en 2012, je me triturais déjà les méninges pour savoir comment on pouvait évaluer le traditionnel exercice de la dictée (voir Comment évaluer cette dictée) sans que cela ne devienne un jeu de massacre anxiogène pour tout le monde : prof, parents, élèves.

Ayant trouvé un système me satisfaisant concernant la dictée, je cherchais comment différencier l’enseignement de la grammaire. Voici où j’en suis parvenu de mes réflexions.

Tout commence dans un spreadsheet

Comme l’indique le sous-titre, tout commence dans un spreadsheet. Celui-ci est délivré via Google Classroom (je précise que tous nos élèves ont un iPad) et chaque élève reçoit donc une feuille de calcul (pour le dire en français) dans lequel il y a trois onglets.

Les voici.

1. Explications

Le premier (voir illustration ci-dessous) présente quelques explications et précise où l’élève trouvera les ressources qui lui seront utiles et qui seront constituées essentiellement du manuel de grammaire au format ePub et des vidéos que l’on trouvera sur ma chaîne YouTube.

2. Programme

Le deuxième onglet (voir illustration ci-dessous) présente le programme de grammaire décliné en trois versions correspondant à trois niveaux de difficulté différents : piste noire, piste rouge et piste bleue.

Dans ce programme, tout ce qui ne possède pas d’hyperlien se trouvera dans le manuel de grammaire susmentionné. Le reste figure soit sur YouTube soit sur mon site Ralentir travaux. Ce sont des exercices.

Les élèves sont donc invités à suivre ce programme en fonction du niveau qui est le leur.

3. Progression

Le dernier onglet permet à l’élève d’indiquer où il en est dans son travail. Pour chaque partie du programme, un menu permet à l’élève de préciser

  1. S’il a fini les exercices
  2. S’il n’a pas fini les exercices
  3. S’il a besoin d’aide

Ici, précisons tout de suite qu’en faisant ainsi les élèves sont invités à travailler en toute autonomie. Ils forment des groupes de trois à quatre élèves et travaillent selon leur niveau, à leur rythme et selon leur besoin . J’admets qu’un élève me dise qu’il n’a pas du tout besoin de réviser telle ou telle partie du programme ou qu’il a parfaitement compris tel point et qu’il n’a pas besoin de mes explications ou d’une correction. Et, en effet, ma contribution est parfois inexistante tant il est vrai qu’il y a pratiquement toujours un élève dans un groupe qui a la réponse au problème qui leur est soumis. Je suis alors plus libre pour répondre aux questions d’élèves moins autonomes ou ayant des difficultés.

En somme, les élèves — pour la plupart — sont conviés à être autonomes et ils évoluent ainsi dans un univers que j’imagine être assez proche du modèle de Sugata Mitra et de son SOLE (Self Organised Learning Environment).

Vous vous demanderez peut-être si ce n’est pas une lourde responsabilité pour des élèves de sixième. Eh bien apprenez que j’ai souvent le sentiment d’être encore trop présent et de ne pas leur faire assez confiance. En revanche, parfois, certains élèves pêchent par orgueil : ils croyaient avoir compris et finalement non. Ils avaient présumé de leur niveau et alors on les voit passer d’une piste à une autre.

Quoi qu’il arrive, les élèves peuvent refaire une évaluation dont le résultat ne leur donne pas entièrement satisfaction. La prise de risque est donc minime. En effet, tout contrôle peut être fait et refait.

Un autre spreadsheet

Vous vous demandez peut-être comment je fais pour savoir où chaque élève en est de sa progression. Bien sûr, je ne vais pas voir chaque spreadsheet des élèves pour en prendre connaissance.

En fait, toutes ces informations sont automatiquement rassemblées sur un spreadsheet (celui du prof en somme). Ainsi quand 25 élèves m’indiquent qu’ils ont fini telle partie, tout apparaît sur ce spreadsheet.

Je sais alors où les élèves en sont et je peux ainsi dégainer mon évaluation, ce que je fais encore de façon traditionnelle et je confesse que j’aimerais bien automatiser la chose. Ce sera la prochaine étape.

Pour l’heure, vous vous demandez peut-être comment l’information donnée par un élève sur son fichier peut apparaître sur le mien. En d’autres termes, comment connecter deux feuilles de calcul ?

La réponse courte réside dans la fonction IMPORTRANGE.

Un peu de technique

La fonction IMPORTRANGE est… une fonction ! Comme les banales fonctions SUM ou AVERAGE que vous utilisez peut-être quand vous faites des évaluations.

La syntaxe est toute simple et correspond en gros à ceci :

IMPORTRANGE("https://docs.google.com/spreadsheets/d/abcd123abcd123", "sheet1!A1:C10")

Dans la parenthèse, vous avez l’URL du fichier de l’élève entre guillemets (https://docs.google.com/spreadsheets/d/abcd123abcd123). On trouve ensuite (toujours entre guillemets) le titre de l’onglet (sheet1!) dans lequel il faut aller rechercher l’information, et enfin la ou les cellules (A1:C10).

En d’autres termes, ça signifie que quand vous préparez tout cela, vous faites un banal spreadsheet destiné à l’élève sur lequel celui-ci vous dira s’il a fait ses exercices ou pas. Et vous, vous faites un autre spreadsheet un peu plus compliqué cette fois où vous aurez les informations suivantes :

  1. Les nom et prénom de l’élève
  2. L’URL menant au spreadsheet de l’élève
  3. Et les cases dans lesquelles l’élève indique sa progression. C’est dans ces cases que se trouvent autant de fonctions IMPORTRANGE dont vous aurez besoin.

Et si vous souhaitez que l’ensemble soit visuel, choisissez de colorer les cases en vert si tout va bien ou inversement en rouge si ça ne va pas. À cet effet, dans Google Sheets, allez dans Format > Conditional formatting. De cette façon, en un seul coup d’œil vous embrassez les résultats de toute la classe.

On va quand même pas faire ça à la main ?

Naturellement, vous avez autre chose à faire que de créer un spreadsheet dans lequel vous allez copier de 20 à 30 URL de fichiers que vous avez partagés. C’est pour cette raison qu’il convient d’automatiser un peu les choses. Pour cela, il vous faut l’application Google Classroom qui vous permet d’envoyer et partager autant de spreadsheets que d’élèves.

En choisissant l’option « Make a copy for each student », chaque élève reçoit un spreadsheet à son nom. Vous n’aurez plus ensuite qu’à utiliser dans Google Chrome une charmante extension de Google Sheets qui vous permettra d’aller chercher automatiquement toutes les informations dont vous avez besoin : noms et prénoms et URL des fichiers partagés. Cette extension est Files Cabinet.

Tout cela est un peu obscur ? Dites-le-moi dans les commentaires. Éventuellement, si besoin est, je ferai un tutoriel complet en vidéo, car il y a pas mal de manipulations à effectuer pour arriver au résultat voulu.

Conclusion

J’ai donc là deux moyens de différencier l’enseignement de l’orthographe et de la grammaire. Dans les deux cas, les exercices sont déclinés en plusieurs versions correspondant à des niveaux différents désignés sous l’appellation de piste, métaphore sportive que nombre de collègues ont adoptée au lycée.

Dans les deux cas, cette façon de travailler fait la part belle à l’autonomie. Et de fait, j’invite souvent les élèves à chercher par eux-mêmes les solutions à leur problème. Par exemple, en ce qui concerne les dictées, de nombreuses erreurs peuvent être corrigées avec un Bescherelle ou un dictionnaire comme celui de l’Académie française qui permet de faire une recherche phonétique. Cela veut dire qu’un élève qui n’a pas la moindre idée de l’orthographe d’un mot peut quand même le trouver tout seul.

Par ailleurs, vous n’avez probablement pas le temps de produire un manuel de grammaire au format ePub ou des vidéos sur YouTube, mais rien ne vous empêche de construire votre progression à partir des ressources que vous pouvez glaner sur le web.

Comme j’ai pu le constater avec les dictées, ce système est perfectible et je suis impatient de voir où en seront les choses dans quelques années. J’aimerais aussi étendre cette façon de faire à d’autres types de travaux : rédaction, commentaire composé, lecture analytique, etc.

Si vous avez des idées, je suis preneur !

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Humeur Informatique Littérature

Le livre numérique, l’histoire d’un naufrage

Cet article a été, à l’origine, publié sur Medium, il y a quelque temps déjà. Il prenait la forme d’une lettre ouverte destinée aux éditeurs auxquels j’entendais confier mon désarroi concernant l’état du livre numérique. J’y avouais ma déception quant à la négligence dont lesdits éditeurs faisaient preuve à l’égard du livre numérique.

Au moment où cette lettre a été écrite, je dois confesser que je pensais que les choses finiraient par s’arranger. Mais hier (c’est-à-dire deux ans après), j’ai pris conscience qu’il n’en était rien. C’est même pire.

Le livre numérique, état des lieux

Il y a deux ans, donc, une de mes filles m’a dit : « Je n’aime pas trop la liseuse ; je préfère un vrai livre ». Mais qu’est-ce qu’un vrai livre ? Autrefois volumen, devenu codex, transformé en livre de poche, aujourd’hui électronique, l’une de ses formes  peut-elle prétendre définir à l’exclusivité de toute autre ce qu’est un livre ?

En ce qui me concerne, longtemps, j’ai lu sur papier. Longtemps, ma passion pour le numérique a eu pour borne le livre papier. Je n’avais pas alors perçu tout ce qui faisait la richesse du livre numérique. Mais à présent que je le comprends, je ne cesse de lire sur ma tablette, sur mon téléphone ou mieux ma liseuse. Je suis devenu un lecteur avide et je n’aime rien tant qu’indiquer la progression de ma lecture sur Goodreads et voir ce que lisent mes amis.

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Malheureusement, cette ardeur est vite tempérée par le catalogue exsangue que les éditeurs proposent. Lire Si c’est un homme ? Pas possible. Lire Les Mots ? Non plus. Lire Ellis Island ? Vous n’y pensez pas. Lire Enfance de Nathalie Sarraute ? Lire Journal extime. N’y pensons pas non plus. Ni Levi, ni Perec, ni Sartre, ni Sarraute, ni Tournier n’ont vraisemblablement mérité que des éditeurs se livrent à leur première mission, celle de diffuser l’œuvre des écrivains, celle d’être un peu le héraut de ces artistes. Mais, après tout, ils ont bien manqué le rendez-vous avec Proust, Gracq ou Artaud. Alors on n’est pas très étonné de ces lacunes du catalogue que donc, par définition, les éditeurs possèdent pourtant déjà. Ils sont capables de rater deux fois le même rendez-vous.

Alors, on cherche ailleurs. Mais j’y reviendrai…

Si d’aventure on trouve l’ouvrage désiré, que se passe-t-il ? Prenons un exemple. J’ai acheté L’Âge d’homme de Michel Leiris. L’ouvrage est publié par Gallimard. C’est un ePub flambant neuf. Cet ouvrage de 1939 a bénéficié d’une « édition électronique » le 25 janvier 2016 (édition réalisée par Inovcom). Qu’est-ce que ça donne ?

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L’ouvrage, du moins la première partie, est truffé d’erreurs. On trouve les traditionnels guillemets ou points d’exclamation qui se retrouvent tout seuls au début d’une ligne. On trouve des signes de ponctuation qui n’ont rien à faire là où ils se trouvent. Un point ici, un signe de parenthèse là. Et on comprend que le scanne du livre papier n’a pas dû faire l’objet d’une relecture très attentive. Par conséquent, le lecteur achoppe sur des bouts de phrases qui ne veulent rien dire : « clans de telles conditions », « aucun danger de ment », « on petit dire »…

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Dans L’Enfant de Jules Vallès, il y a certes moins d’erreurs (il y en a cependant un nombre important), mais parfois il manque carrément un mot.

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Toutefois, ce qui est bien avec Amazon, c’est qu’on peut signaler les erreurs. Du coup, j’en ai signalé près d’une vingtaine. Évidemment, ces erreurs se retrouvent chez le concurrent. Chez Apple par exemple. Cela me laisse perplexe d’ailleurs. Sachant à quel point ils sont excessivement vétilleux et zélés chez la pomme, je subodore que certains éditeurs bénéficient de passe-droits ou du moins d’une certaine clémence. En ce qui me concerne, Apple a retiré de son store un de mes bouquins pour des erreurs qui n’existaient pas.

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Mais les éditeurs s’en fichent comme de l’an 40 ! La preuve ! Ces deux erreurs sont dans cette édition depuis des années et des années et elles n’ont jamais été corrigées !

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L’ePub, ce mal aimé des éditeurs

En fait, ces éditions électroniques que les éditeurs confient à je ne sais trop qui, elles les indiffèrent un peu ! Assez cruellement, ils vont jusqu’à prétendre qu’il n’y a aucun intérêt à s’intéresser au marché du livre numérique.

En lisant cet article de Numerama, on découvre que ce livre numérique serait même moribond. L’article, dont voici l’en-tête, propose ironiquement un intéressant état des lieux tel que les éditeurs le définissent :

L’ebook va mourir ! Mais si, vous l’avez lu un peu partout dans la presse il y a quelques semaines. Les études le prouvent : le marché du livre numérique serait au point mort quand le livre papier reviendrait en force. Pour certains, l’affaire est pliée, le bon vieux bouquin a gagné et la technologie a perdu. Enfin ça, c’est ce que certains aimeraient croire. Sans doute un peu parce que ça les arrange.

Parce que ça les arrange. C’est exactement ça.

Parce que si le livre numérique se meurt, c’est quasi in utero. Les éditeurs ont pris si peu le temps de le mettre au monde ! On peut le comprendre. Ils sont tellement contents de ce marché à 4 milliards d’euros. C’est le plus gros en France devant le cinéma ou le jeu vidéo. Ils sont plein aux as. Ils parviennent même à faire croire aux gens que le vrai livre s’incarne dans cette reliure de feuillets apparue grosso modo à la Renaissance (bon, d’accord, exit le cuir et le vélin et place au papier recyclé sur lequel l’encre s’efface). Pourquoi investir dans un nouveau modèle ? Pourquoi dépenser de l’argent alors qu’ils en gagnent tant avec un business model déjà bien établi ?

Bien sûr, on le leur a déjà dit, mais n’ayons pas peur de le répéter. Les éditeurs vont mourir. Exactement comme cela s’est passé avec la musique. D’abord, il y aura le piratage. Oh ! Chers éditeurs, ne prenez pas cet air exaspéré ! Le moyen de faire autrement ? Vous croyez que je l’ai lu comment, Enfance de Nathalie Sarraute ? Sincèrement, je préfère acheter mes livres, mais quand ils n’existent pas… Et c’est pareil pour Journal extime de Michel Tournier. D’ailleurs, j’étais prêt à l’acheter en papier. Après trois passages vains chez mon libraire (pas préféré), je suis allé le chercher ailleurs…

Le piratage n’est que la première étape. La seconde est un remplacement. Comme pour les disquaires ou les plateformes n’ayant pas su évoluer, de nouveaux acteurs débarquent sur le marché avec leurs longues dents qui rayent le plancher. Les Spotify ou les Deezer pour la musique. Et pour l’édition ? Eh bien cherchez qui jettera la première pelletée de terre sur le mausolée que les éditeurs se sont confectionné.

Pour ma part, j’ai choisi l’autoédition. Je publie les versions numériques de mon dernier livre chez Apple, Amazon, Kobo, Google Play… Et j’ai même une version papier avec Createspace. Mais je ne suis pas là pour vous parler de mon expérience d’auteur. Je suis là en tant que lecteur. Et je suis un lecteur déçu, c’est-à-dire au sens étymologique trompé. Je me suis bien fait avoir. Je ne vous remercie pas.

Au reste, quitte à trouver des erreurs, je préfère encore télécharger un livre provenant de Wikisource et aider au bien commun en corrigeant les erreurs quand j’en trouve.

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Quand l’édition numérique tourne à la farce

Les ouvrages que l’on peut acheter sont donc de bien mauvaise facture, on vient de le voir. Ce qu’on ne sait pas, c’est que c’est encore pire que ce que l’on peut penser, un peu à l’image de cette reproduction qui, devenue numérique, est vide de sens.

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Mais la dernière acquisition que je viens de faire me laisse quasiment sans voix.

Voici.

La dernière de mes filles vient de finir Les Malheurs de Sophie. C’est une lecture qu’elle a appréciée. Pour prolonger ce plaisir littéraire, on décide de télécharger Les Petites filles modèles. On choisit une édition payante avec des illustrations de Pénélope Bagieu qui nous semble sympathique (Folio Junior).

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Et c’est tout. Je donne la liseuse à ma fille.

Constatant le peu d’engouement de celle-ci, je m’étonne sans plus. Puis, nonchalamment, je regarde où elle en est de sa lecture. Tout d’abord, je suis un peu surpris de la mention d’une 2CV chez la comtesse de Ségur. Et puis l’évidence me frappe ! La couverture est la bonne mais le livre, à l’intérieur, est… tout autre. Il s’agit de La Troisième vengeance de Robert Poutifard ! J’ai acheté Les Petites filles modèles. J’ai la couverture des Petites filles modèles, mais à l’intérieur, c’est La Troisième vengeance de Robert Poutifard  !

Le livre n’est donc pas le bon. Gallimard s’est trompé de livre !

J’avais déjà été déçu par le passé mais là c’est le coup de grâce. C’est désormais l’évidence. Le livre numérique, c’est un naufrage dont les éditeurs sont pleinement responsables.

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Le livre numérique est né au Moyen Âge

Une exposition à la Bodleian Library

En passant à Oxford (que c’est beau !), et au hasard d’une promenade, j’ai eu la chance de voir une exposition sur le livre à la Bodleian Library. Mon attention a tout d’abord été attirée par une vidéo racontant l’incroyable processus de création d’un livre manuscrit. Non pas qu’on y apprenne grand-chose de nouveau, mais cela m’a inspiré quelques réflexions.

On le sait, le livre est un objet incroyablement complexe. L’ensemble du processus rend compte de sa richesse : de l’animal dont on a récupéré la peau, à sa longue préparation (comme le rappelle l’exposition avec humour, « l’animal ne naît pas rectangulaire »), en passant par la constitution de l’encre, la taille de la plume, l’écriture patiente et soignée, les emplacements laissés à l’enlumineur dessinant, peignant à grosses gouttes puis appliquant ses feuilles d’or et, pour finir, le travail de reliure des feuillets à la grosse aiguille et l’épaisse couverture protégeant le tout et souvent accompagné d’un fermoir savamment ouvragé. On voit bien à quel point le livre était un bel ouvrage (désolé pour la tautologie).

Métamorphoses du livre

Naturellement, le livre tel qu’on le connaîtra ensuite tout au long des siècles qui ont suivi la découverte de l’imprimerie subira bien des métamorphoses. Il aura fallu inventer le papier, matière première indispensable pour que les orfèvres travaillant le métal appliquent leur savoir-faire à la création des fontes (lisez L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean pour en savoir plus sur le sujet).

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La confection de l’objet connaîtra une nette accélération malgré une confection encore très artisanale pendant des années et des années, et puis, dans les années 1950, on en est arrivé à la démocratisation de la chose. Un jour, le livre est devenu *livre de poche*. Papier recyclé, colle séchant précocement et cassant, encre s’effaçant au contact du pouce ; objet devenu courant et accessible mais devenu si laid et ayant perdu sa consistance ; il semble à peine le reflet de ses illustres ancêtres.

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Le livre et la nymphe

Ce n’est pas que je regrette que seule une maigre aristocratie ait les moyens de commander et acheter de rares et splendides ouvrages, mais il m’apparaît à présent avec évidence que le livre est un peu comme la nymphe Écho. Malheureuse de ne pas être aimée du beau Narcisse auquel elle ne peut s’adresser, elle dépérit, maigrit et perd son corps pour n’être plus qu’un son. Le livre, aujourd’hui, c’est un peu la même chose. On est passé du superbe objet fait de cuir et de vélin au petit format du Folio et puis il est devenu fichier numérique. Il est presque intangible et ne pèse désormais que quelques kiloctets. À peine. C’est devenu un bien immatériel.

Et vous savez quoi ? Eh bien, c’est tout à fait normal. Ça va dans le sens de l’histoire. Beaucoup de gens expriment leur amour du livre, du papier, de l’objet palpable, lourd et manipulable. Mais cet objet prétendument aimé a commencé à disparaître il y a déjà plusieurs siècles. Précisons dans une parenthèse que je vais très vite refermer que les beaux livres ont trouvé refuge dans les catalogues d’exposition, les livres d’art ou la littérature de jeunesse richement illustrée. Seulement, ce n’est pas la majorité des livres. Notre objet de consommation n’est pas le beau livre. C’est un ersatz qui s’il disparaît un jour face au livre numérique ne saurait vraiment être regretté.

Mais on sait bien qu’il n’y aucune raison pour que le livre même de médiocre qualité disparaisse. C’est même plutôt fortement improbable. Il n’y a d’ailleurs aucune raison de l’opposer à son avatar numérique. Mais ce qui me frappe à présent, c’est combien le livre numérique ressemble à son vénérable ancêtre médiéval. L’exposition que je viens de voir me confirme à quel point le livre ressemble à internet depuis… le Moyen Âge.

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Par exemple (voir ci-dessus), on associe la possibilité de laisser un commentaire au site web ou au blog, mais les manuscrits du Moyen Âge offraient déjà cette possibilité aux lecteurs en insérant une large marge dans laquelle on pouvait inscrire quelques ajouts ou surligner les passages importants pour les futurs lecteurs.

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On voit dans cet ouvrage que l’écriture à plusieurs mains n’était pas l’apanage de Wikipédia. Un livre pouvait être commencé par tel scribe et être poursuivi par tel autre. Un siècle plus tard, un lecteur ajoutait une traduction dans les marges.

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Dernier exemple (ci-dessus) parmi une kyrielle d’autres que je n’ai pas pris en photo : dans cette bible latine, les scribes ont glissé quelques traductions en anglais un peu à la façon d’une Kindle où l’on peut insérer dans les interlignes des traductions pour aider le lecteur à surmonter les difficultés linguistiques.

De fait, je ne saurais finir sans un clin d’œil amusé à tous ces gens — et ils sont légion — qui craignent que le livre disparaisse alors que la parenté du format ePub avec ses prédécesseurs manuscrits est si évidente ! Si l’évolution du livre vous effraie ou vous horripile, apprenez que cette évolution a commencé bien avant votre naissance. En fait, elle était contenue en germe dès la naissance du livre.

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Différencier l’enseignement : deux exemples

Le péril éducatif

L’enseignement que je prodigue essaie autant que faire se peut de s’éloigner d’une transmission qui s’appliquerait aveuglément et indifféremment à tous. Je désire plus que tout prendre le contre-pied d’un enseignement (et ce n’est vraiment pas toujours facile) qui ferait fi des besoins spécifiques de chaque élève.

C’est que, comme le disait Ken Robinson dans Creative schools (chapitre 9 Bring it all back home, empl. 3026) :

One of the perils of standardized education is the idea that one size fits all.

C’est d’ailleurs cette idée qui prévaut quand je propose des dictées différenciées comme en témoigne mon précédent article Cette année la dictée en cache trois. Force est de constater que donner la même dictée à 26 élèves différents, de nationalités différentes, d’âges différents, de niveau différents, de motivations différentes n’a aucun sens. ‍♂️

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Fort de ce point de vue, j’avais commencé par enregistrer mes dictées au format mp3 pour que les élèves les fassent à leur rythme. Mais cette année, chaque dictée est désormais déclinée en trois niveaux pour que les élèves les fassent en fonction de leurs capacités.

Mais qu’en est-il de l’enseignement de la grammaire ? Comment différencier ?

Tout commence par un Kahoot

Tout commence par un simple test, mais pas n’importe quel test. Un Kahoot. Cette très simple application en ligne a la capacité d’électrifier une classe. Et ce n’est pas la moindre merveille de voir tous les élèves se lever, tablette à la main pour répondre aux questions du quiz, bataillant pour trouver la bonne réponse. Quoi qu’on pense de la chose, les faits sont là : on voit des élèves se passionner pour… un test de grammaire ! 😮 Il n’entre pas dans mon sujet d’expliquer plus avant ce qu’est un Kahoot (ou tout autre forme de quiz en ligne, comme Nearpod ou Plickers). Il suffira d’avoir à l’esprit qu’on fait participer tous les élèves. Pas un seul timide ne conserve sa réponse pour lui-même au fond de la classe puisqu’il n’a ni à mettre à l’épreuve sa capacité à parler en public ni à affronter le regard des autres.

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C’est donc un premier point primordial (si j’ose dire) : tous les élèves contribuent activement et ce dans une atmosphère de joie peu commune.

Tout cela est parfait, mais encore ?

Exploiter les données

Ce qui m’importe, ce sont alors les résultats que j’obtiens dans une feuille de calcul. En effet, quand le test est terminé, l’application génère une page sur laquelle on va trouver toutes sortes d’informations.

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Ainsi, j’obtiens un classement (ce qui n’est pas la chose la plus pertinente), mais surtout je vois quel élève a réussi quoi. Par exemple, tout en haut du Google Sheets, apparaît tel élève qui a tout réussi sauf la conjugaison du futur simple. Tel autre a besoin de revoir diverses règles de grammaire et d’orthographe : la nature, la fonction, le pluriel, etc.

Demander le menu !

Je vais donc éplucher cette feuille de calcul afin d’établir un programme spécifique à chaque élève. Pour chacun d’entre eux, je liste les points à revoir. Je prépare un certain nombre de ressources en fonction desdits points. Dans l’exemple ci-dessous, l’élève doit mettre des groupes nominaux au pluriel puis des phrases. À chaque étape de l’exercice, il doit réexpliquer la règle ou du moins formuler ce qu’il a compris, tandis que des élèves qui n’ont aucun souci avec le pluriel s’attèleront à d’autres tâches.

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Bien sûr, du fait qu’on utilise des Google Forms pour faire les exercices, je récupère à nouveau les résultats dans une feuille de calcul. Et l’on sait que la notation (si l’on veut noter) peut même être automatisée en ajoutant à Chrome un add-on comme Doctopus.

Créer du lien

À cela, j’ajoute un document que je donne à l’élève et dont la fonction est double. Il sert de menu indiquant ce que l’élève doit faire. Mais ce document sert également à établir un contact entre l’élève et l’enseignant. Ce document doit permettre à l’élève de dire : « J’ai pu faire ceci, mais pas cela et je vous explique pourquoi » (et naturellement l’enseignant peut répondre en insérant des commentaires). Enfin, au bas de ce document apparaît une date qui fixe le jour de la prochaine évaluation.

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Pour conclure

Tout cela demande un temps important de préparation. C’est pour cette raison qu’il est fondamental de constituer des banques d’exercices, ce que l’on peut faire entre collègues (par exemple, partager un dossier commun dans lequel on peut mettre les préparations de chacun).

Cela demande aussi beaucoup de temps aux élèves de reprendre là où ils ont des difficultés, de formuler les règles, d’être réévalués, etc. Mais on peut prendre le parti de la lenteur et devenir adepte du slow movement. On a alors non plus des objectifs de rentabilité (réaliser un programme, mettre des notes) mais de qualité (donner à l’élève la possibilité de revenir en arrière, de recommencer jusqu’à ce que l’évaluation soit satisfaisante).

Ken Robinson, dans l’ouvrage mentionné au début de cet article, montre comment la Révolution industrielle a engendré une conception de l’éducation fondée sur la notion de rentabilité. Il développe ensuite une analogie intéressante entre agriculture et éducation. De même qu’on oppose agriculture intensive et agriculture biologique, Ken Robinson oppose une éducation naturelle, biologique à une éducation intensive, industrielle :

education is not an industrial process at all; it is an organic one.

(op. cit., empl. 771)

Et il ajoute plus loin :

As in farming, the emphasis in industrial education has been, and increasingly is, on outputs and yield: improving test results, dominating league tables, raising the number of graduates.

[…]

Education is really improved only when we understand that it too is a living system and that people thrive in certain conditions and not in others.

(op. cit., empl. 810)

Bien des choses sont nécessaires pour que les élèves réussissent (to thrive évoque à la fois la réussite, le développement, la croissance), mais je suis persuadé que le temps et un programme adapté – en l’occurrence en orthographe et en grammaire pour mes collégiens – sont des facteurs essentiels de l’épanouissement scolaire.