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Éducation Humeur

Le redoublement

Aujourd’hui, plus que jamais, le redoublement m’apparaît comme étant inique, arbitraire et inutile. La chose est devenue, selon moi, détestable. Il n’est pas jusqu’au mot qui ne me soit devenu odieux : ce suffixe inutile qui indique la répétition (re-) et qui fait redondance avec la suite du mot (-doublement) ! C’est comme si celui qui le prononçait, avec une délectation lexicale, énonçait deux fois la même notion, celle d’une sentence punitive qui n’a rien, mais alors rien de pédagogique.

Cela fait maintenant de nombreuses années que le redoublement est considéré comme inutile. Quel enseignant ne l’a pas constaté : tel élève que l’on a fait redoubler a refait une année catastrophique. Le redoublement s’est révélé inutile, et chacun de le constater empiriquement. Tant et si bien qu’il n’y a plus besoin d’argumenter, de citer les études qui le disent depuis si longtemps : le redoublement est inutile ; il serait même coûteux (1). En conseil de classe, tout le monde le sait, tout le monde le dit. Et puis, n’y a-t-il pas des pays (2) où il n’existe plus de redoublement, et cela semble fonctionner, puisque l’on nous dit (je ne sais plus où) qu’un élève, à niveau égal, progresse plus vite en passant dans la classe supérieure qu’un élève redoublant. Par ailleurs, le redoublement aurait un effet dévastateur, traumatisant (3). Évidemment, ce n’est pas ce dernier argument qui l’emporte.

En dehors de toute législation sur le sujet, on continue à faire redoubler, dans les limites étroites du non-dit administratif (rectorat, inspection académique), c’est-à-dire que même si une bande de réactionnaires nostalgiques décide que Kévin (si si, on trouve parfois et même souvent un accent) va redoubler, il va redoubler, sauf si le chef d’établissement décide dans le secret de son bureau, et en accord avec les injonctions administratives, qu’il ne doit pas encombrer la classe de niveau inférieur.

On redouble donc peu dorénavant. En revanche, on redouble toujours. Qui est la cible de tant d’attention ? La bande de gros nuls qui, en six ou sept ans, ne parvient toujours pas à aligner deux mots sans faire quatre fautes d’orthographe ? Que nenni ! Celui qui va redoubler, c’est le pauvre gosse à qui l’on fait croire que c’est une chance, qu’il va pouvoir s’améliorer. Il a parfois une moyenne supérieure à la bande tout entière réunie ! Ce discours sur le redoublement s’accompagne d’une affirmation tacite : les autres gros nuls, ils sont trop nuls pour bénéficier d’une telle « chance », ils rejoindront la sortie plus vite ! Personne ne semble s’apercevoir que le « chanceux » va devoir, à la rentrée, se débrouiller… tout seul. C’est un peu comme si on vous faisait traverser un labyrinthe dans lequel vous vous perdez naturellement. Au bout d’une année, les murs tombent, vous croyez trouver la sortie. On vous dit : « On recommence » ! Et naturellement, vous ne parvenez pas plus à trouver la sortie que la première fois.

Pire encore : comme Kévin ne comprend pas, malgré force explications, pourquoi sa bande de copains est tout de même passée (après tout ne sont-ils pas aussi nuls voire plus nuls que lui ? Il y a même un qui a traité tel professeur de « gros bâtard »), il se dit que c’est louche, qu’on ne lui donne pas une seconde chance, mais qu’on le punit et qu’on n’en punit pas certains. Et quand bien même la sentence aurait été prononcée avec toutes les meilleures intentions du monde, le message est tellement brouillé qu’il est incompréhensible pour l’élève.

Le redoublement est donc inutile, inique, arbitraire. C’est, on l’a vu, de surcroît coûteux, peut-être même sadique, certainement et inconsciemment punitif. Un gâchis. À abandonner d’urgence.

Notes :

1 — Ce coût fait dire à quelques mauvais esprits que, si on ne fait plus redoubler, c’est parce que cela coûte trop cher.
2 — La Finlande, je crois.
3 — J’emploie le mot traumatisant, parce que je sais que certains enseignants vont s’écrier : « Oh le pauvre chéri ! On le traumatise ! », refusant de considérer une seconde qu’un gosse à qui l’on fait refaire son CP engage bien mal une plus ou moins longue scolarité.

Ajout du 22.02.11 :

En y repensant, je me fais deux réflexions.

Tout d’abord, je ne comprends toujours pas pourquoi les élèves que l’on fait redoubler sont lâchement abandonnés lors de leur année supplémentaire. Aucune indication, aucune aide à des problèmes déjà repérés ne leur ait proposée. Les élèves qui redoublent ont la délicate tâche de recommencer une nouvelle année avec de nouveaux professeurs qui ont tout à redécouvrir de leurs difficultés. Quel temps perdu !

Enfin, je me demande pourquoi on continue à faire recommencer une année tout entière. L’élève a-t-il été mauvais en français ? Il refera tout le programme de SVT ! C’est un non-sens ! On voit là que la chose n’a jamais été pensée autrement qu’une punition : une année de pensums !