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Umberto Eco et le livre indépassable

La mort d’Umberto Eco me plonge dans une insondable tristesse. Cet auteur et son Lector in fabula m’accompagnent depuis près de 30 ans et j’aurais voulu le remercier ne serait-ce que pour son œuvre romanesque.

Je voulais donc écrire un hommage à l’un de mes écrivains préférés, et finalement je ne produirai que cette petite réflexion sur le livre numérique basée sur ces mots d’Umberto Eco.

Vous affirmez : « Le livre a fait ses preuves. On ne peut rien inventer de mieux. » Mais au fond, qu’est-ce qu’un livre ? Un objet ? Des pages à lire ? Un support ? Un texte ? Le livre, c’est une série de pages de texte et/ou d’images réunies ensemble par quelque truc technique qui rend possible le feuilletage. Voilà la structure du livre. Que les pages soient en parchemin ou papier de bois comme aujourd’hui, cela n’a pas d’importance. Et si les pages sont numériques et se feuillettent sur un écran ? Nous restons dans la structure du livre. L’e-book, sur lequel le feuilletage est possible, a beau se présenter comme une nouveauté, il cherche à imiter le livre. Dans une certaine mesure seulement, puisque, sur un point au moins, il ne peut l’égaler : le livre de papier est autonome, alors que l’e-book est un outil dépendant, ne serait-ce que de l’électricité. Robinson Crusoé sur son île aurait eu de quoi lire pendant trente ans avec une bible de Gutenberg. Si elle avait été numérisée dans un e-book, il en aurait profité pendant les trois heures d’autonomie de sa batterie. Vous pouvez jeter un livre du cinquième étage, vous le retrouverez plus ou moins complet en bas. Si vous jetez un e-book, il sera à coup sûr détruit. Nous pouvons encore aujourd’hui lire des livres vieux de cinq cents ans. En revanche, nous n’avons aucune preuve scientifique que le livre électronique puisse durer au-delà de trois ou quatre ans. En tout cas, il est raisonnable de douter, compte tenu de la nature de ses matériaux, qu’il conserve la même intensité magnétique pendant cinq cents ans. Le livre, c’est une invention aussi indépassable que la roue, le marteau ou la cuiller.

Le livre, un objet indépassable ?

Cet extrait de Télérama présente le livre (papier) tel qu’il existe aujourd’hui comme un objet indépassable.

Autant je peux comprendre qu’un tel objet présente une perfection qu’un demi-millénaire (prenons pour date de départ l’apparition des incunables) n’a cessé de peaufiner, autant j’ai un peu de mal à considérer que le livre est désormais un objet figé dans le temps qui ne saurait être dépassé. Si le livre a quitté son berceau (jeu de mots inside), il n’est pas encore mort au point qu’on puisse faire sa nécrologie et dater son âge d’or. Cela d’autant plus que le livre numérique est encore bien jeune pour se prononcer sur sa durée de vie ni même affirmer qu’il ait atteint un degré de maturité tel qu’il puisse rivaliser avec ses illustres prédécesseurs. Surtout qu’Eco le présente face aux inventions qui sont le fondement de la civilisation comme la roue ou… la cuiller (orthographe non rectifiée), symbole d’un raffinement parvenu à son degré ultime de raffinement, un raffinement que nul numérique ne parviendra à augmenter.

Je trouve aussi que l’évocation de Robinson Crusoé ou de la chute du 5e étage sont des arguments un peu spécieux. Je peux comprendre que n’avoir pas à brancher un livre et donc ne pas être dépendant de l’électricité est un atout pour le bon vieux livre sur papier. En revanche, on ne peut pas prétendre se retrouver dans la même situation que Robinson Crusoé (homme du passé) et se trouver dans une situation embarrassante liée aux aléas du monde moderne sans un minimum de mauvaise foi : échouer sur une île comme notre Robinson ne peut arriver qu’à un commerçant du XVIIIe siècle. D’ailleurs le vrai Robinson a demandé lui-même à être débarqué… Gageons qu’aujourd’hui les seuls Robinson sont des volontaires et qu’ils partiront avec une batterie solaire. En fait, l’argument d’Eco m’évoque une institutrice que j’avais eue au CM1. Elle avait regardé avec mépris ma montre à cristaux liquides et déclaré que s’il y avait une guerre nucléaire, on ne saurait plus lire l’heure. Je crois que c’est la première fois que j’ai éprouvé du mépris pour la parole d’un enseignant. L’argument du « si vous étiez ou s’il arrivait » est devenu pour moi l’exemple même de la faiblesse argumentative. Car il faut reconnaître que la guerre n’est jamais arrivée et que Ravage est resté un roman et que j’ai toujours de l’électricité tout le temps, partout où je vais (il est vrai que je n’ai pas grand-chose du baroudeur qui de toute façon ne s’encombre pas de lourds volumes dans son sac à dos).

Quant aux autres arguments avancés par l’auteur du Pendule de Foucault, ils ne me semblent pas plus convaincants. Je ne suis pas trop sûr de comprendre ce qu’Eco entend par « intensité magnétique ». Pense-t-il à la longévité des supports comme les disquettes ou les disques durs ? L’homme le sait, il en a fait l’expérience : il importe de procéder à des sauvegardes régulières tenant compte de l’évolution des supports.

Qu’adviendra-t-il du livre électronique dans quelques années ? Pas grand-chose : existant la plupart du temps au format texte – un format incassable, incorruptible, incontournable – il perdurera encore longtemps. Il n’y aura qu’à l’adapter aux évolutions du marché, des supports, des formats…

« Pourquoi voudriez-vous que le livre disparaisse face au texte numérique ? »

De toute façon, comme Eco le dit lui-même dans N’espérez pas vous débarrasser des livres, « Ceci ne tuera pas cela » et le livre numérique ne tuera pas le livre papier. Le XXIe siècle, ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est les deux.

D’ailleurs Umberto Eco ne dit pas autre chose :

[…] le livre de Gutenberg est encore là. Et je peux sans me tromper affirmer qu’il me survivra… et à vous aussi. L’e-book peut éliminer certains genres de livres ou de documents : les quarante volumes d’encyclopédie qui nécessitaient une pièce de plus dans les appartements, c’est sûrement terminé… Il fera disparaître les scolioses de nos enfants qui traînent sur leur dos des kilos de manuels scolaires. Ils auront Molière, la grammaire, sur leur ordinateur portable. Mais rien n’éliminera l’amour du livre en soi. La photographie a changé l’inspiration des peintres, mais elle n’a pas tué la peinture, ni la télévision le cinéma. Pourquoi voudriez-vous que le livre disparaisse face au texte numérique ? Les gens aiment bien se faire peur aujourd’hui en imaginant des catastrophes radicales. Ils ont envie d’un peu de scandale !

Mais on peut se demander si le livre numérique est encore un livre. Google (encore et toujours lui) l’expérimente en publiant des livres unprintable.

De plus, toute innovation s’accompagne d’une reproduction du modèle ancien, raison pour laquelle on retrouve la métaphore de la page que l’on peut aisément faire disparaître et qu’Apple (qui a pourtant breveté la chose) n’a pas manqué de s’en débarrasser dans ses ouvrages faits avec iBooks Author.

Enfin, je trouve que la parenté du livre numérique avec son illustre prédécesseur peut être remise en question. Le livre subit des métamorphoses que l’on a encore de la peine à mesurer. Il en est une qui me fascine. Quand je lis un livre sur ma Kindle, j’ai accès en permanence à plusieurs dictionnaires, à l’encyclopédie Wikipédia et même à une traduction qui est une véritable application dans l’application. En somme, le livre numérique n’est plus un livre. C’est une petite bibliothèque en lui-même et rien que ça me fait dire que l’objet indépassable est sinon dépassé du moins considérablement enrichi. Mais si vous voulez en savoir davantage sur ce qu’est la lecture de nos jours, j’ai écrit tout un article sur le sujet.

Reste qu’on ne saurait demander à un vieillard de tomber en pâmoison devant toutes les merveilles du monde moderne. C’est la raison pour laquelle Umberto Eco pouvait affirmer ce genre de choses :

Mais après tout, il en allait de même avec Michel Tournier ou Claude Lévi-strauss. Tous deux tenaient parfois des propos qui montraient leur peu de goût pour ce monde qu’ils allaient quitter. Et puis pour finir, je rappellerai ce mot qu’Umberto Eco aimait à rappeler lui-même : « Même Homère somnole parfois » et on ne peut pas en vouloir au grand homme (lequel a bien peu somnolé) qui vient de décéder et qui donne une fois de plus raison à Jean-Paul Sartre :

« Dieu sait si les cimetières sont paisibles : il n’en est pas de plus riant qu’une bibliothèque. »

Reqiescat in pace, Umberto. Tes livres m’accompagneront longtemps, qu’ils soient sur papier ou sur ma liseuse.

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10 propositions pour le numérique à l’école

De nombreuses personnes s’accordent à dire qu’il faut enseigner le code à l’école (j’en ai déjà parlé ici), mais certains vont jusqu’à prétendre qu’il faudrait enseigner le PHP dès l’école primaire :

Le pire est que l’incongruité d’une telle proposition ne choque pas plus de gens que ça (ou pas assez pour que plus jamais personne ne dise un truc pareil), et qu’il ne vient pas à l’esprit de ceux qui l’affirment qu’on ne saurait coder sans savoir un minimum d’orthographe qui plus est dans une langue qui n’est pas la nôtre ni sans un minimum de bagage informatique.

Mais il y a pire. On voit bien que ce souci de déterminer ce qui doit être transmis à l’école ne s’accompagne d’aucune réflexion sur les valeurs à transmettre, d’aucune signification autre qu’économique. Je crois comprendre qu’on veut des générations de codeurs parce qu’on trouve sexy l’image du hackeur ou du développeur et que si en plus celui-ci a un côté californien fortuné, ça n’en est que meilleur pour la France et nos égos.

Mais c’est précisément de cette image et surtout de cette école dont je ne veux pas. Comprenez-moi bien : j’appelle le numérique de toute mon âme, mais je refuse de céder à une vulgate complètement irréaliste. J’ai beau le crier sur tous les toits, ça ne sert à rien (il faut dire que mon audience n’est pas bien large). Mais surtout il m’apparaît qu’il faut absolument que je définisse ce qu’est pour moi le numérique à l’école. J’avais déjà fait un modeste galop d’essai.

Je reprends ici avec dix propositions qui fondent ma conception de l’école numérique.

L’élève est un écrivain

Le numérique, c’est le retour à la case Gutenberg. Nos enfants se doivent donc d’écrire et d’écrire beaucoup dans des situations très diverses : ils tweetent, mettent à jour leur statut, ils bloguent, ils ont peut-être un journal (quelle merveilleuse application que Day One), ils notent (avec Evernote, OneNote, Keep, etc.), ils rédigent pour l’école (sur leurs copies numériques), ils font des livres eux-mêmes avec un simple traitement de texte (et l’extension idoine) ou une app comme Bookcreator, ils participent à une encyclopédie libre et gratuite, ils m’écrivent à moi, leur professeur (via le mail, le chat, l’ENT…), etc.

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Jamais un enfant n’a eu autant besoin de maîtriser les codes de l’écrit, de la typographie et de l’orthographe. Il doit avoir du style (au double sens du terme : il use les styles de son traitement de texte et possède une belle plume). Aussi doit-il savoir utiliser dictionnaires numériques et logiciels d’aide à la rédaction. Antidote est l’application rêvée pour cette maîtrise du langage. On sait qu’une simple faute d’orthographe dans un tweet peut vous faire devenir la risée du pays tout entier. Quelques personnalités politiques l’ont récemment expérimenté.

L’élève est polyglotte

Depuis cette année, Antidote nous aide à mieux écrire non seulement en français mais en anglais. Or j’ai coutume de dire à mes élèves que se couper de l’anglais, c’est se couper d’une partie considérable du web, cette invention et (quasi) propriété américaine. Il existe tant d’informations disponibles en anglais et uniquement en anglais ! Et il existe de si belles applications pour l’apprendre que ce serait un crime de s’en passer. En voici deux : Babbel et English Central. Mais on peut aussi évoquer Pilipop ou Duolingo, non limités à l’anglais.

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Mais comme la Chine est le nouveau territoire de jeu des entrepreneurs, je suppose qu’il est temps de proposer l’apprentissage de cette langue. Sur votre clavier virtuel, vous avez déjà le clavier (les claviers) nécessaire(s). Quelle que soit la langue que vous choisirez, pourquoi ne pas utiliser Skype in the classroom ? Vous pouvez même jouer au Mystery Skype et trouver une classe dans le monde entier.

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L’élève est un grand lecteur

J’ai récemment écrit un article sur le sujet, Qu’est-ce que lire au XXIe siècle ? C’est un enjeu majeur tant il est vrai que l’accès au savoir est conditionné par cette compétence. Mais surtout on lit partout, tout le temps. Les fichiers numériques (le PDF, le doc, l’odt, le html, l’ePub…) sont commencés ici et terminés là. L’acte de lire s’est même complexifié. C’est devenu presque un art à part entière que de savoir user de toutes les fonctionnalités liées au livre numérique : dictionnaire intégré, possibilité d’annoter, d’affiner sa recherche, etc.

Mais il n’y a pas que le livre : lire sur le web est une pratique quasi inconnue de nos élèves. Combien savent ce qu’est un agrégateur de contenus ? Ce qu’est un fichier XML ? Un flux RSS ? Qui connaît Instapaper ou Pocket ? Combien savent garder, ordonner, retrouver les notes de leur lecture ? Combien savent les partager ?

L’élève est un être sociable

Le numérique est une invitation à la promiscuité, au vivre ensemble (comme on dit si mal), à la sociabilisation. L’élève partage et en tire grand bénéfice. S’il lit (même un tweet), il le partage. Il écrit tout un livre ? Il le diffuse sur Wattpad. Il développe des connaissances ? Il les offre au regard d’autrui. Il les publie, par exemple sur Vikidia, et comprend que l’écriture peut-être collaborative. Il l’a découvert sur un Pad, il approfondit cette compétence en écrivant pour et avec autrui.

D’ailleurs mon élève ne travaille plus jamais seul. Le numérique n’est pas une invitation à se replier sur soi et sa machine. Il travaille avec les autres. Il apprend à déléguer, à s’organiser, à faire confiance aux autres, à responsabiliser le réfractaire, à demander de l’aide aux autres.

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L’élève va vers l’autre. Il participe à différents projets que seul le numérique a rendu possibles : il crée une web radio, une web TV, des podcasts, etc. Il interviewe des enseignants, des sportifs, des artistes et mobilise de nombreuses compétences pour arriver à ses fins. Il sait enregistrer, travailler le son, utiliser des bruitages et agrémenter son travail d’une musique. C’est précisément ce que nous faisons aussi avec les audiobooks. C’est un bel exemple de travail collaboratif. Je vous en reparlerai.

L’élève communique

Il est sur les réseaux sociaux et sait que sa parole l’engage. Il diffuse tous azimuts et connaît les moyens de le faire. De ce point de vue, il sait donc écrire et en sait suffisamment pour créer son propre blogue. Mais il sait aussi user de tous les moyens que l’on connaît : les QR-Codes, la réalité augmentée n’ont rien pour lui d’inédit.

Son quotidien en est envahi et, comme chez Marie Soulié, les murs de sa classe parlent. L’information est partout et il contribue à la transmettre.

La Twictée est à ce propos un enjeu intéressant. On fait d’une pierre deux coups en enseignant aux enfants l’orthographe tout en les enjoignant à partager ce travail, à aider les autres et à prendre confiance en eux. Ils ont ainsi franchi des frontières, au sein même de leur propre classe, puisque l’on communique avec d’autres classes aux quatre coins du globe.

L’utilisation d’Edmodo donne un souffle nouveau aux bonnes vieilles correspondances et les échanges d’un continent à l’autre sont devenus monnaie courante. L’univers de mon élève n’est plus la classe, c’est la planète tout entière. Avec sa photo de profil (sa PP comme on dit), il se présente par delà les mers.

Mais il ne communique pas seulement, il transmet comme les élèves de @Jul_Dum ses connaissances aux élèves de primaire :

Nos élèves réinvestissent l’expérience de décantation et de filtrage de l’eau qui est au programme de 5e. Ils se mettent par groupes, refont l’expérience vue en classe avec leur professeur (c’est au programme de 5e) et prennent de nombreuses photos. Ils les trient ensuite, les annotent, et réalisent un tutoriel avec l’application BookCreator (1 tutoriel par groupe).
Le tutoriel finalisé, ils établissent collectivement une grille d’évaluation et reprennent si besoin leur tutoriel en fonction de celle-ci. Les élèves de primaire viennent ensuite au collège (c’est prévu pour après les vacances) pour réaliser l’expérience eux-mêmes. Ils sont répartis par groupe et ont pour seule aide l’un des tutos de nos 5e. Ils doivent refaire l’expérience étape par étape et de préférence la réussir. Les auteurs du tutoriel qu’ils ont en main les suivent à distance pendant ce temps et constatent ou non les failles de leur travail : les primaires arrivent-ils à bien sélectionner/utiliser le matériel ? ont-ils bien toutes les étapes ?

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L’élève manipule l’image

L’élève a acquis une compétence en la matière qui force l’étonnement. Via Instagram ou Snapchat, il cadre et applique des filtres autrefois réservés à quelques happy few (souvenez-vous de la déclaration du fondateur d’Instagram : « All Instagram did was take the creative tools that the pros have been using and put them in the hands of the masses », cité par Clive Thompson in Smarter than you think). Il sait souligner les détails et enregistrer la frêle beauté d’un moment.

Il sait produire un bon mash-up capable de susciter le rire sur des questions d’actualité. Il use à foison des gifs animés qui sont devenus également un moyen de communication (beaucoup plus difficiles à filtrer que les textes, rappelle également l’auteur de Smarter than you think, raison pour laquelle ils sont si utilisés dans certains pays comme la Chine).

Ces quelques exemples sont même des invitations à repenser notre rapport à l’élève ou à notre pédagogie…

L’élève produit ses propres tutoriels sur YouTube (voir ces vidéos sur l’utilisation de Scratch ou encore le travail des élèves de Naïma Horchani Carton). Il sait ce qu’est un logiciel de montage vidéo et connaît différents formats (et pas seulement du .wma ou de l’.avi). Mais pour faire de la vidéo, combien il est important de persuader ces jeunes élèves qu’il faut accepter sa voix et son corps, qu’il faut accepter de se mettre en avant, face à une caméra. Que de compétences sont ainsi à créer ! Rien que pour faire une vidéo en classe, il faut acquérir les connaissances, organiser ses idées, écrire le script, (se) filmer, monter le film puis diffuser et partager.

J’ajouterai que le numérique permet de montrer des élèves osant se mettre en scène le temps d’une vidéo, de façon isolée et qui n’auraient jamais osé le faire face à toute une classe. Un enseignant à Londres me montrait récemment de jeunes et timides élèves acceptant de chanter face à la caméra. L’an dernier, je découvrais combien ces élèves étaient talentueuses :


De la même façon, j’aimerais mettre en place ce travail : à la fin de l’année, chaque élève de ma classe devra faire un talk. En public, il présentera le sujet de son choix, en s’appuyant sur un diaporama (type PowerPoint) pour évoquer le sujet de son choix. Merci @Ipenou pour cette idée !

L’élève est conscient des enjeux liés au droit

Mon élève sait qu’il a une responsabilité, une responsabilité d’autant plus grande qu’il est conscient des abus liés au droit d’auteur. Mais de la même façon qu’il partage, il est sensible à la culture du libre, des notions de standard, d’honnêteté et de propriété intellectuelle. Si celle-ci est inaliénable, il est conscient qu’un enjeu plus vaste le dépasse et contribue à l’enrichissement du bien commun. Il sait donc ce que signifient les Creative Commons et sait utiliser le travail des autres sans se livrer à un pillage que d’aucuns ne manqueraient pas de lui reprocher. Mon élève sait que ce qu’il écrit sur Vikidia est lu, et remarqué, commenté et supprimé s’il contrevient aux règles. Il sait que le plagiat est une bien vilaine chose.

L’élève est un chercheur

Mon élève est un infatigable chercheur et il connaît les techniques liées à une bonne et efficace recherche. Il sait utiliser non pas un mais plusieurs moteurs de recherche et affiner sa recherche en recourant à tous les outils mis à sa disposition (que ce soit en sélectionnant telle ou telle option mais aussi en recourant à quelques éléments comme des opérateurs booléens).

Il sait aussi remonter à la source d’une info, d’une image et ne s’en laisse pas compter par toutes les rumeurs.

Il ne me regarde pas comme si j’étais Dieu lorsque je lui indique ce qu’on peut faire et surtout trouver d’un simple crtl + f. À ce propos, il sait taper sur un clavier. À lui les joies de la dactylographie. Il est hors de question de le voir continuer à taper à deux doigts (grand maximum).

Et, comme un vrai codeur, il a les mains rivées sur le clavier, usant de tous les raccourcis possibles et imaginables.

L’élève code (un peu)

Cet apprentissage du code est passionnant, mais je suis persuadé qu’un usage précoce serait contreproductif, en tout cas au primaire voire au collège. Bon, si vous faites une fixation sur Scratch, je ne peux plus rien pour vous, mais si vous voulez bien comprendre qu’un élève n’a aucune idée qu’un logiciel peut être autre chose que WYSIWYG, vous comprendrez que l’urgence n’est pas à la notion de variable ni même de programmation. Encore qu’on pourrait envisager une sélection précoce des enfants : les littéraires d’un côté, les scientifiques de l’autre, mais ce n’est pas ce qu’on veut. On veut des scientifiques qui ont des idées, des scientifiques littéraires en somme, des ingénieurs sachant s’exprimer et développer des projets.

À cet effet, je crois que le plus urgent est que les élèves voient ce qu’il y a derrière le rideau (the man behind the curtains). La syntaxe wiki me semble une excellente initiation et on peut embrayer sur le Markdown puis le HTML. À partir de là, la voie est ouverte. Même le CSS intègre désormais des variables, mais je reste persuadé que cet usage doit se développer au lycée.

L’élève fait usage de la machine

Mais avant même que l’enfant devienne un petit codeur, il lui faut un minimum de connaissances. De la même façon qu’on a conçu le socle commun censé représenter (à la fin de la scolarité) le minimum obligatoire, il faudrait concevoir un bagage informatique nécessaire. Pour commencer, je suis toujours surpris de constater que, année après année, les élèves confondent toujours navigateur et moteur de recherche. Ils ne savent pas ce qu’est un client mail, n’ont jamais entendu parler de système de fichiers, ignorent probablement ce qu’est un OS (a fortiori souverain) ; URL, DNS sont des acronymes abscons, etc. Mais reconnaissons qu’ils le sauraient s’ils manipulaient tout cela un peu plus souvent. Pour l’heure, j’ai vu beaucoup d’élèves incapables d’enregistrer un fichier, incapables de le retrouver, incapables de le transmettre… Entendons-nous bien. Je ne les accuse pas d’une nullité déplorable. Je constate simplement que certains élèves ont développé des connaissances très spécifiques (par exemple, jouer aux script kiddies), mais ont une connaissance très vague de principes de base. Ce sont des autodidactes à l’école !

Finalement, ce dont ils ont besoin, c’est d’une pratique régulière de l’ordinateur (ou de la tablette ou du smartphone). Cette pratique, non pas pour elle-même, mais pour produire l’un ou l’autre contenu signalé ci-dessus dans cet article.

Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, mon élève initié au numérique est un humaniste : faire preuve de jugement, savoir s’exprimer à l’aide de différents médias, défendre des idées de partage, participer au développement de projets communs, devenir altruiste… Voilà les objectifs que je propose.

Parce qu’ « Il y a de l’humain derrière l’algorithme », explique Jean-Baptiste Casaux à propos de l’application Citymapper, il est important que l’école formule ses priorités. Il ne saurait être question de coder pour coder. L’algorithme peut bien attendre. Si l’on met celui-ci au centre de l’apprentissage, l’humain s’en désintéressera. Pourquoi voulez-vous que l’algorithme intéresse davantage des enfants que la SVT ou la 3e république ?

Avouez que tout cela est un peu plus excitant que de faire bouger une tortue en Logo (poke @Phitassel). Ne recommençons pas les mêmes erreurs…

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Non, le savoir n’est pas sur internet

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Nombreux sont ceux qui affirment que le savoir est sur internet :

Pardon mais a-t-on déjà lu affirmation plus farfelue ? Pourtant, l’idée est largement partagée. Rien qu’hier matin, je l’ai lu quatre fois

De plus, je ne suis pas certain que tous les gens qui emploient ce mot lui donnent le même sens, mais ce que je sais assurément c’est que le savoir ne se trouve pas dans nos ordinateurs.

Si c’était le cas, pourquoi le savoir aurait-il attendu internet pour s’y réfugier ? Il serait resté assoupi pendant 5000 ans et se serait précipité dans la mémoire de nos ordinateurs ? Et si l’on admet que le savoir est partout sur internet, n’était-il pas déjà dans nos bibliothèques ? N’y trouve-t-on pas tout ce que l’on peut chercher à savoir ? D’ailleurs le savoir ne serait-il pas même dans la nature ? Il n’est que de le ramasser. Après tout, ne suffit-il pas, par exemple, de prendre conscience que la moisissure permet de concevoir la pénicilline ? Ou encore, on pourrait affirmer, que puisque le savoir serait niché dans un vaste réservoir dans lequel on n’aurait qu’à piocher, n’importe quel naufragé serait un Cyrus Smith en puissance ? et qu’il suffirait (autre exemple) d’extraire quelques pyrites schisteuses pour fabriquer de la nitroglycérine.

Le savoir partout ?

Monde merveilleux où tant de savoir est à portée de main, de clic et qui ne demande qu’à se répandre dans nos cerveaux impatients.

Mais on sait bien que ce n’est pas le cas. Et je suis certain que tous ceux qui, comme Michel Serres, affirment que le savoir est sur internet usent d’un méchant raccourci :

Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. (Petite Poucette)

Si c’était vrai, mon travail d’enseignant en serait drôlement facilité. Voici le savoir : saisissez-le.

Or j’ai récemment observé un phénomène bizarre. Mes élèves de 4e sont tous équipés d’un ordinateur et je rechigne à l’idée de dispenser un enseignement qui n’en ferait pas usage. Je leur donne donc un contrôle sur le conte réaliste. Dedans, je pose, entre autres, une question de vocabulaire (qu’est-ce qu’une confession ?), une question de conjugaison (relevez les verbes et conjuguez-les au temps où ils sont) et une question de cours (à l’aide de votre cours, expliquez en quoi l’extrait que vous venez d’étudier est un conte réaliste). Pour répondre à ces questions, les élèves avaient à leur disposition le dictionnaire le Petit Robert, un accès au Conjugueur.fr et le cours complet sur le conte réaliste. Ont-ils tous réussi ? Je vous ferai grâce de statistiques détaillées, mais à peu près 1 élève sur 3 a échoué à répondre à l’une de ces questions, parfois même à l’ensemble des trois. Et pourtant tout était sur leur ordinateur.

Si l’on suit la logique des gens qui affirment que le savoir est sur internet, mes élèves auraient dû savoir. Ou pire ils savaient puisque c’était . Mais, précisément, ils ne savaient pas. Ou, pour être encore plus précis, ils n’ont pas su utiliser les informations que contenait l’ordinateur. Et je pense que l’erreur que beaucoup de gens commettent est là : ils confondent savoir et information. Mes élèves n’ont pas su (ou voulu ou pu) utiliser ces informations.

Prétendre le contraire (i.e. croire que le savoir réside dans un fichier), c’est penser que je peux construire un accélérateur de particules parce que j’ai téléchargé le manuel en PDF. Si le savoir était aussi accessible, on pourrait me larguer en pleine jungle avec un manuel de survie et je me mettrais à coloniser le lieu comme un parfait petit Robinson Crusoé.

Malheureusement, c’est plus compliqué que ça. Probablement Michel Serres, lui aussi, veut-il parler d’information à la place de savoir, de cette information qui est effectivement partout : dans nos ordinateurs ou nos smartphones, ce qui l’amène à développer cette très belle métaphore de Saint Denis portant sa tête.

Ce que c’est que savoir

C’est très beau, mais mon cher Michel (et Dieu sait que j’aime votre livre), vous vous trompez. Au prix d’une belle métaphore, vous dites des choses fausses. Ce n’est pas ma tête que je trimballe dans ma poche, c’est une boite minuscule contenant une bonne partie des livres ou sites web dans lesquels l’homme a consigné son savoir. Mais pour que j’acquière ce savoir, il va me falloir un nombre autrement considérable d’efforts que celui que représente un simple clic. À ce propos, je pense que le marketing californien nous a fait un peu de tort. Evernote ne nous présente-t-il pas son application de prise de notes comme notre second cerveau ?

Apple, en 2001, nous faisait miroiter ce vaniteux plaisir de contenir dans notre poche « a thousand songs », inaugurant par là cette délicieuse capacité d’héberger des quantités prodigieuses de ce que le génie de l’homme pouvait avoir produit. Et nous n’avons qu’à mettre la main dans la poche pour savoir

Oui, mais on vient juste de dire que c’est faux. C’est beau comme une publicité mais c’est faux. Souvenez-vous de mes élèves. En fait, savoir est tellement plus complexe. Ne serait-ce que parce que dans votre smartphone, vous avez accès à des milliards et des milliards de données et que de la même façon qu’il a fallu inventer les bibliothécaires quand les quantités de livres ont commencé à accroître de façon exponentielle, il a fallu inventer des algorithmes et des moteurs de recherche et des applications qui vous permettront de puiser dans ce puits sans fond qu’est le savoir de l’humanité.

En fait, vous pourriez peut-être savoir en un minimum d’efforts mais vous ne saurez peut-être jamais que c’était là quelque part. À dire vrai, combien d’entre vous se souviennent d’avoir consulté la 34e page de résultats de Google ?

On voit bien que savoir, c’est déjà chercher (savoir chercher) et trouver et combien d’opérations successives ? Donc trouver l’information, puis la lire ou la voir, la comprendre, l’utiliser, la stocker, la mémoriser et éventuellement la réutiliser au moment important…

En fait, savoir est un processus long et difficile. C’est d’ailleurs pour ça que fleurissent les tutoriels sur YouTube. Ils sont, pour emprunter la formule de Clive Thompson, « visuellement éloquents » (Smarter than you think) particulièrement dans le cas où vous voulez apprendre à faire quelque chose : pratiquer un sport ou construire un objet, etc.

Au reste, on voit bien que si je veux apprendre le golf ou le tir à l’arc, la seule diffusion d’une vidéo sur YouTube ne me permettra pas de savoir. Une pratique régulière, une motivation suffisante sont nécessaires pour acquérir ce savoir qui ne réside pas de lui-même dans internet. Au reste, on ne peut considérer que savoir serait l’équivalent d’un tiroir oublié ou négligé qu’on ouvre au moment opportun. Un chirurgien, par exemple, sait et sait tout de suite. On ne l’imagine pas, au milieu d’une opération dire : « Attendez, je sors mon smartphone. Faut que je cherche un truc… » Parfois savoir (comme ouvrir un parachute au bon moment) est quelque chose dont on a besoin immédiatement et qu’on n’a pas envie d’externaliser dans un support externe.

Le rôle indispensable de l’enseignant

J’oserais même dire, si cela ne passait pour une grossièreté auprès de certaines personnes, qu’il faudrait un professeur pour apprendre. Bien sûr, il y a des autodidactes. Mais, pour reprendre la distinction de Michel Tournier :

[…] l’autodidacte n’a appris que ce qu’il aimait. Sa culture est limitée par sa propre personnalité. Au contraire celui qui a fait des études régulières est obligé de tout apprendre. Son avantage est énorme parce qu’il n’y a rien de plus enrichissant que de devoir acquérir des connaissances qui vous sont a priori indifférentes, voire antipathiques. (Journal extime)

Les études sont donc nécessaires. L’école est nécessaire. Les enseignants sont nécessaires, ne serait-ce que pour vous guider, vous aider, vous donner envie voire vous imposer ce que votre jeune âge, vos goûts, votre culture, votre classe sociale ou votre religion vous amèneraient à négliger. Le savoir serait sur internet ? Il suffirait de les mettre face à un ordinateur en évacuant tout ce que le processus de transmission peut avoir d’humain ? Je suis sûr que ces enfants mourraient un à un comme ceux à qui Frédéric II, voulant découvrir la langue originelle, avait refusé que l’on parle. Ce qui m’amène à battre en brèche une autre idée : le professeur n’est plus le seul détenteur du savoir.

Notez bien que je comprends l’idée, mais si elle est juste, alors il faut fermer les écoles afin d’éviter le ridicule d’avoir à convier pendant 7 ans des élèves pour quelque chose qu’ils sauraient déjà ou auquel ils ont accès ailleurs.

Certains imaginent que les élèves ont tout le savoir dans leur téléphone, mais comme on l’a vu, d’un, c’est une illusion et de deux, ils sont la plupart du temps invités à le garder dans leur poche. Mais dans le cas où ils auraient la possibilité de le sortir, ces élèves sauraient-ils ? Non, et on a vu pourquoi. Et le téléphone (ou l’ordinateur pour ceux qui en sont équipés) ne sait pas non plus. Mon téléphone ne sait rien. Il ne sait même pas la météo. Pour la connaître, il faut qu’il en interroge un autre. Pareil pour Siri (ou Cortana ou OK Google). Si l’on veut interroger ce dernier, l’assistant doit se connecter à des serveurs distants pour vous donner la réponse que vous avez posée. En soi, avec son processeur 1000 fois supérieur à celui qui a conduit l’homme sur la lune, il n’en sait pas beaucoup plus. La véritable intelligence informatique (à laquelle on parviendra inéluctablement), ce serait que l’ordinateur puisse dire à l’élève : « Tu as vu les bêtises que tu viens d’écrire ? Corrige-toi avant de rendre ta copie. Je vais t’aider ». Mais songez que pas même le correcteur orthographique n’est fichu de vous aider à orthographier correctement et totalement un paragraphe de cinq lignes. Et vous appelez ça savoir ?

Peut-être devrait-on réserver le mot savoir à ce que l’être humain acquiert (du moins en l’état actuel des choses), et devrait-on garder le mot information pour tout ce dont regorgent nos ordinateurs et pour lesquels nous avons inventé le mot informatique ? On pourrait aussi utiliser le mot connaissance, qui avec la valeur inchoative qui est la sienne, contient l’idée de commencement, de naissance et de préhension du savoir. En ce cas, on pourrait alors mettre fin à ce début d’hybris 2.0 qui s’empare de tous ceux qui affirment qu’ils ont le savoir dans leur main et demander avec Montaigne Que sais-je ?

L’image provient de Noun Project. Thanks (again) !

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Des modes et autres obsessions pédagonumériques

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Hier, une amie m’a demandé d’expliciter le fond de ma pensée après que j’ai écrit un certain nombre de tweets sur le numérique et la pédagogie.

En fait, tout est parti d’un malheureux tweet faisant écho à l’article de @michelguillou.

Au moment où je l’écrivais, c’était une simple blague qui s’amusait elle-même de la teneur des propos de Michel.

Mais, apparemment, ça ne faisait rire que moi et je prenais subitement conscience qu’on ne peut pas rire de tout, surtout avec des gens avec qui on a la prétention de partager les mêmes valeurs.

Que disais-je ? Eh bien voici :

Les réactions qui s’en sont suivies m’ont amené à préciser un peu plus le fond de ma pensée (ou de façon un peu moins potache), et au fur à mesure que je ruminais, je suis parvenu à différentes considérations numérico-pédagogiques que voici. Je vous les livre telles quelles. Sachez que tout ce qui est écrit ici peut paraître excessivement catégorique, mais que je pourrais tout nuancer, préciser, expliciter, réfuter. On peut en discuter dans les commentaires.

De la mode

Dans le fond, je n’ai pas grand-chose contre la classe inversée. Je crois que même que certains enseignants font de très belles choses. Cependant, j’en goûte peu le principe. Je regrette qu’on ajoute quelques devoirs à des élèves fort peu désireux de les faire. Michel ajouterait que certaines capsules (quel mot ridicule !) sont fort médiocres. Mais si la chose vous plaît, qu’ai-je à dire ? Inversez si tel est votre bon plaisir.

En revanche, je suis fort surpris de l’engouement provoqué par la classe inversée. Et à dire vrai, on nous rebat les oreilles avec la classe inversée. On a eu le droit à une débauche d’articles et de reportages sur le sujet tant et si bien qu’on avait l’impression que le numérique à l’école, c’était l’inversion de la classe. Moi-même, j’ai eu quelques velléités. C’est dire !

Comprenez-moi bien. Ce n’est pas tant le principe de la classe inversée qui m’agace (c’est même intéressant dans le fond), c’est la surmédiatisation et la surreprésentation du sujet dans les conversations, les conférences et autres grands raouts dédiés au numérique. C’est qu’au bout du compte, on a le sentiment que le numérique se réduit parfois à la classe inversée.

Remarquez qu’à ce niveau de la réflexion, je n’ai toujours pas compris en quoi ce que j’ai dit pouvait heurter la susceptibilité des gens. Je suppose que lesdites gens se donnent corps et âme à leur métier par le truchement de telle ou telle pratique et qu’ils ne sont pas prêts à entendre une petite voix discordante faisant des blagues sur l’objet vénérable de la classe inversée.

En somme, cette classe inversée fait vraiment flipper (désolé pour la nullité du jeu de mots qui doit certainement être éculé) : c’est une mode, c’est-à-dire un goût collectif et passager, en l’occurrence, pour un domaine de la pédagogie. Et une plaisanterie tweetée déclenche les foudres de certains de ses adeptes.

J’en arrivais donc à la conclusion que cette mode était ennuyante, qu’elle occultait d’autres pratiques tout aussi intéressantes et que, comme toute chose exerçant une fascination, elle était bien peu compatible avec la réflexion. Dans le cas contraire, on n’aurait pas de telles réactions. Bon, il faut dire que Michel avait dû préparer le terrain…

Mais peut-être @Aurelie_Gascon a-t-elle raison :

Il y a donc des pédagogies qui passent mieux que d’autres, des pratiques plus photogéniques que d’autres. Les moches sont priés de laisser les médias tranquilles. C’est dommage parce que la variété induite par le numérique est passée sous silence. Or, pour moi, le numérique m’apparaissait comme le lieu de tous les possibles. C’est ce qui me frappe quand j’ouvre Les TICE en classe. Il y a tant de choses à faire (y compris inverser la classe), mais il n’y a pas que ça ! Seulement un certain nombre de pratiques ne doivent pas être photogéniques et elles n’intéressent pas les médias et ne trouvent pas leur place légitime dans les discussions qui se produisent sur les réseaux. C’est finalement quelque peu inquiétant : la pédagogie serait, hormis les quelques exemples auxquels justement je m’en prends, peu ragoûtante.

C’est peut-être pour cela que les enseignants dits innovants sont pronumériques. Il faut croire que ceux-ci sont triés sur le volet et que les autres sont priés de rester dans l’ombre. Or combien sont formidables, avec pour seul arsenal que leur seule personne, leur imagination et leur savoir-faire (même avec une craie) ? Lisez L’Élément de Ken Robison, vous en trouverez de très beaux exemples.

Le cycle technique

Quoi qu’il en soit, je me suis rendu compte que notre petite sphère essentiellement composée d’oiseaux bleus numériquement obsédés fonctionnait par cycle : à un moment, il fallait absolument que les élèves tweetent (ce qui est fort bien au demeurant) ; ensuite on a eu le droit au code (c’est vachement bien cependant) ; plus récemment, on ne pouvait plus enseigner sans Minecraft (ç’a l’air bien aussi) ; et il y a l’ineffable classe inversée ( qui donne lieu à plein de bonnes choses aussi par ailleurs).

On a donc, par périodes, des obsessions pédagogiques qui parfois se chevauchent, se croisent, s’annulent, en occultent d’autres. Mais enfin, il est de ces moments où il n’est plus question que de ceci ou de cela. Vous ouvrez votre TL, votre flux RSS, votre Flipboard et paf ! Minecraft ici, Minecraft là ! Minecraft partout ! Minecraft toujours !

Je comprends désormais les réticences de certains enseignants peu portés sur les 0 et les 1. Goûtant peu les joies du numérique, ils en sont dégoûtés avant même d’avoir commencé, tant on leur rebat les oreilles avec certaines pratiques qu’ils sont sommés d’admirer. Prière de s’émerveiller pourrait précéder chaque article portant sur le numérique et la pédagogie.

Tout se passe comme si le mélange du numérique et de la pédagogie reproduisait dans certains cas cette fascination liée aux écrans. On regarde, ébaubi, et on ne pense plus. On est dans l’enthousiasme avec tout ce que le mot comporte de religieux. Je me demande même si on (oui, vous aurez remarqué que je me mets dans le lot) n’est pas les adorateurs d’un dieu vide et factice.

Il y a même quelque chose de vicié dans cette présentation de merveilles numérico-pédagogiques. Pour les présenter, rappelle @francoislmrx on recourt au bon vieux cours magistral. Notez le paradoxe : pour montrer ce qui bat en brèche le cours magistral, on recourt au cours magistral.

Mais revenons-en aux antiennes médiatiques. Que prêchent-elles ? Eh bien, par exemple, il ne vous aura pas échappé qu’à propos de l’enseignement du code, on emploie à tort et à travers différentes expressions : le codage ou encore l’emploi absolu du verbe coder. On code quoi ? Tout le monde s’en fout. L’important est de coder. On retrouve ce manquement prédicatif dans l’expression Programmer ou être programmé. Que va-t-on programmer ? On ne sait pas. La grammaire est cruelle quand même…

C’est la même chose avec la classe inversée. On met l’accent sur le dispositif mais pour quoi faire ? Eh bien on n’en parle jamais ! Ah certes, on parle de méthode. On parle d’applications pour faire des capsules ! Mais du contenu ? Jamais ! De ce que l’école doit transmettre ? Jamais. Hormis en cas d’attentats, les valeurs sont reléguées au second plan.

La technique comme transmission

Ça me rappelle très nettement la critique de Tzvetan Todorov sur l’enseignement de la littérature dans le secondaire et sa capacité à instrumentaliser les textes pour faire étudier ici une métaphore, là un emploi verbal. Mais de l’homme, de ce que l’œuvre a à dire, à transmettre ? Jamais.

On a même le sentiment que l’accident l’emporte sur l’essence. Par exemple, dans l’enseignement du français, il est souvent question de slam. Et la presse de s’émerveiller ! Un enseignant fait produire à ses élèves un slam ! On voit bien que l’intérêt se déplace : on n’est plus intéressé par un enseignement qui ferait étudier Baudelaire et qui le moderniserait en le transposant en slam. On met en avant le slam qui a permis éventuellement d’étudier Baudelaire.

Il m’arrive ainsi de penser que l’on mérite la virulence de certaines critiques du camp adverse (ceux qui se disent républicains par opposition à nous autres pédagos). Car enfin il est vrai que de savoir, de connaissance, de discipline, il n’est nulle question. Ou en tout cas pas assez. Et je voudrais réaffirmer que toutes ces techniques (je ne vais quand même pas dire des outils), ces dispositifs, ces moyens mis en œuvre ne sont que les efforts de l’enseignant pour transmettre son amour des sciences ou de la littérature. Il ne faudrait donc pas confondre la fin et les moyens.

Loin de moi l’idée de penser que des enseignants font mal leur travail, qu’ils ne s’interrogent pas ou qu’ils n’en sont pas venus tout seuls aux mêmes conclusions que moi, mais le maelström médiatique (et il faudrait aussi réfléchir là-dessus : à quel point le numérique a échafaudé des égos monstrueux d’enseignants) laisse accroire que l’important, c’est de coder tout court, d’inverser et puis c’est tout, de tweeter et il en restera bien quelque chose. Moi-même, j’ai embrassé tout cela, mais ça ne peut pas constituer l’essentiel du métier d’enseignant.

Laissons le mot de la fin à Tricot (dont je n’ai pas encore vu la conférence) cité par @jourde :

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Qu’est-ce que lire au XXIe siècle ?

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On sait que pour beaucoup de gens le débat sur la lecture s’articule autour de cette question : livre numérique ou livre papier ?

Pour ma part, reprenant la formule de Victor Hugo, j’affirme que ceci ne tuera pas cela. Les deux coexistent et l’on voit mal pourquoi une nouveauté (le livre numérique) aurait pour corollaire la disparition de l’ancien (le livre papier). Dans le cas contraire, on doit avoir une conception assez radicale de la culture… On a vu qu’internet n’avait pas tué la télé qui n’avait pas tué la radio qui n’avait pas tué la presse… Il en va de même de tout un tas de choses. Par exemple, la voiture, le train ou l’avion n’ont jamais détruit les autres moyens de transport que sont la marche ou le vélo. Et on comprend bien pourquoi et je ne vous ferai donc pas l’insulte d’une explication.

Il en va de même des livres parce que, outre des considérations purement subjectives qu’on ne saurait s’interdire de prendre en compte, de nouveaux modes de lecture peuvent n’avoir pas plus d’intérêt, dans certaines situations, que prendre l’avion pour aller chercher son pain dans la ruelle d’à côté.

Mais, dans certains cas précis, le numérique permet un mode de lecture nouveau que ne permettait pas le papier. C’est ce petit tour d’horizon que je vous propose. Cependant, je n’évoquerai pas tout ce qui peut entourer et parfois étouffer le texte, à commencer par l’image qui peut même devenir animée ou interactive, la vidéo, l’audio, les quiz, etc. Non, en fait, ce qui m’intéresse ici, c’est bien l’acte de lire en lui-même et surtout pas la débauche de moyens techniques qui vous éloigne du mot.

iBooks

Ma première expérience numérique de la lecture (j’entends par là celle d’un vrai livre) fut iBooks sur iPad. Je n’ai donc pas grand-chose d’un précurseur. Longtemps, mon horizon numérique a eu pour borne la littérature puisque l’accès à celle-ci était toujours cantonné au seul papier. En fait, je n’aimais pas lire sur l’écran de mon iPad. Le rétroéclairage devait être le coupable. Cependant, j’étais assez fasciné par les possibilités induites par le livre numérique.

Surligner

La première chose qui m’a plu était de pouvoir surligner le livre sans avoir à éprouver une once de culpabilité à ainsi barbouiller l’ouvrage puisque je pouvais ensuite tout effacer. La multiplicité des couleurs offre une option intéressante d’exploitation en classe, une fois l’iPad branché sur un vidéoprojecteur.

Surligner

Noter

Plus personnelle est la possibilité de prendre des notes dans la marge. Annoter un livre (de même que mettre un marque-page) n’est donc pas l’apanage du papier. Là aussi, je trouve qu’une exploitation scolaire de la note pourrait être envisagée : l’élève peut répondre aux questions du manuel directement sur le livre. Il peut même envoyer ses réponses à l’enseignant.

Annoter

Partager

Les fonctions de partage permettent également de diffuser mais à plus vaste échelle puisque l’on peut, par exemple, tweeter un passage qui vous a séduit. Il est aussi possible d’archiver tel ou tel passage dans son application préférée de prise de notes. Encore que pour ma part, je fais des captures d’écran des passages qui m’ont intéressé. Et comme une application comme Evernote (OCR oblige) est capable de chercher du texte dans une image, cela ne pose aucun problème à cette méthode d’archivage qui s’est imposée à moi je ne sais trop comment.

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Peut-être parce que certains livres protégés par des DRM ne facilitent pas vraiment l’option de partage. Tout comme celle du copier/coller parfois purement et simplement désactivée. Cette ablation technique me fait en général considérer que le piratage est préférable à la légalité qui ne vous permet pas de faire des choses très simples comme copier un extrait que je voudrais par exemple donner à mes élèves. Heureusement il existe plusieurs solutions comme les OCR.

Le dictionnaire intégré

N’était-ce la limitation aux dictionnaires intégrés au système, cet accès tient du génie. A-t-on jamais déploré d’avoir à quitter l’ouvrage lu pour chercher un mot dans le dictionnaire ? Ici, tapoter sur un mot fait apparaître une sorte de petit pop-up contenant le sens du mot. Une intégration du Robert, d’Antidote ou du TLFi me comblerait de bonheur.

Définition

Ce qui est amusant, c’est que le dictionnaire s’adapte à chaque langue. Vous lisez en Anglais ? Le dictionnaire sera anglais. Vous lisez en Allemand ? Le dictionnaire sera allemand. Et la même chose en Grec, Italien, Japonais, etc.

J’utilise aussi cette fonctionnalité pour chercher un peu tout et n’importe quoi, en tout cas quelque chose qui ne sera pas dans le dictionnaire. En ce cas, notre petit pop-up me proposera de « Rechercher sur le web » et j’accèderai à une requête Google déjà toute prête.

Prononcer

Cette fonction doit tout d’abord être activée dans les Réglages (> Général > Accessibilité > Parole > Énoncer la sélection). Elle permet de faire lire le texte à voix haute par le système.

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C’est une fonction qui s’adresse aux personnes dont la vue ne permet pas de bien lire le texte même en agrandissant la police (possibilité que je n’ai pas même évoquée tant nous y sommes dorénavant accoutumés).

Évidemment nous pouvons avoir des élèves qui ont ce handicap. On peut être confronté aussi à des élèves rencontrant des difficultés de lecture et qui suivront d’autant mieux la lecture que les mots automatiquement lus sont également surlignés.

Énoncer

Mais je recours moi-même à cette fonction dès lors que je lis un texte en anglais et que je veux m’assurer de la prononciation de tel ou tel mot. De plus, il est vraiment amusant de constater qu’un livre devient littéralement audible. Bien sûr, cela n’a rien à voir avec l’audiobook ; ça n’a rien de commun avec les beaux enregistrements que de bons lecteurs, acteurs et même auteurs ont fait de tel ou tel chef-d’oeuvre, mais disons que ça dépanne.

La recherche

Cette fonction m’a littéralement transporté de bonheur quand je l’ai découverte. Un peu comme le crtl / cmd + f dans une page web ou un document long comme le bras.

Sélectionnez un mot, tapotez sur Rechercher et vous avez toutes les occurrences du mot dans le livre. C’est magique !

Rechercher

En fait, j’utilise le plus souvent cette fonction en tapotant sur la loupe en haut à droite. Essayez et voyez comme il est aisé de retrouver un passage qui vous intéressait et dont vous aviez oublié l’emplacement !

D’autres applications de lecture

Vous vous souvenez que je vous disais avoir peu goûté au plaisir de la lecture sur iPad avec iBooks ? C’était en raison de l’éclairage qui m’agressait fortement les yeux et, la nuit, c’était bien pire, même quand la luminosité était au minimum. Et ce n’était pas le mode nuit qui m’apportait un soulagement parce que l’idée même de lire un texte blanc sur fond noir me paraissait farfelue.

Google Play Livres

En revanche, j’ai beaucoup apprécié le réglage de la luminosité, laquelle baissait automatiquement en fonction de l’heure. Et cette baisse s’accompagnait d’une diminution de la lumière bleue au profit de tons plus chauds, tirant sur le jaune. Cela occasionnait moins de fatigue oculaire. L’une des applications le permettant est Play Livres, l’app de Google. Mais avec l’introduction d’iOS 9.3 et la généralisation de ce réglage à l’ensemble du système, on peut profiter de cette fonction partout. Je l’ai même adoptée sur mon Mac avec flu.x.

Une autre fonction assez amusante de Play Livres est l’option de traduction. Celle-ci s’avère assez efficace.

Traduire

Quoi qu’il en soit, les deux apps (Google Play et iBooks) offrent des fonctions assez similaires et ne vous obligent à choisir entre elles que si vous optez pour l’un ou l’autre des magasins (je n’ose dire librairie) que proposent les deux concurrents.

Kindle

J’ai trouvé dans la concurrence une autre application : Kindle d’Amazon. Mais avant de vous donner les raisons assez évidentes de mon utilisation de cette application, il faut vous dire un mot de ma liseuse, que j’ai adoptée assez tard.

La Kindle

C’est en effet avec la liseuse que je suis devenu un lecteur numérique. Moi qui croyais que la liseuse était une anomalie dans un marché largement occupé par les tablettes ! Un appareil un peu suranné dont le premier modèle était apparu… en 2007 ! Je la voyais comme une tablette amputée de nombreuses fonctions et je ne voyais pas que ce petit appareil léger, relativement peu cher, permettait au lecteur de se concentrer sur le seul texte et ce sans se détruire les yeux avec le rétroéclairage un peu trop violent des tablettes.

Parlez-moi d’amour

En fait, c’était le début d’une longue histoire d’amour, et d’un progressif éloignement du livre papier. À force de lire sur ma liseuse, je trouve que le livre (disons traditionnel, mais ça ne veut tellement rien dire si l’on pense à ses multiples métamorphoses, du volumen au codex) a pour lui plusieurs inconvénients :

  • son poids,
  • ses pages qui ne tiennent pas et qui se rabattent,
  • l’ombre de la main (ou simplement toute ombre résultant de la position du livre par rapport à la lumière) sur la page
  • la nécessité d’avoir un éclairage pour lire (c’est tout bête mais avec la liseuse, j’ai fini par oublier que j’avais besoin d’une source de lumière pour lire),
  • l’encre qui s’efface (du moins celle de ces affreux livres de poche)
  • les traces de doigt ou de tout ce que vous pouvez manipuler lors de votre lecture (allant de la nourriture au cérumen, en passant par les crottes de nez…)
  • le papier de mauvaise qualité (car les lecteurs ne sont pas tous assez fortunés pour se payer de beaux livres imprimés sur du vélin).

En revanche, force est de constater qu’avec une liseuse, on perd plusieurs choses :

  • on voit moins la couverture et on mémorise donc moins bien le nom de l’auteur ;
  • on perd la conscience de l’épaisseur du livre et de l’endroit où l’on se situe. Avec une liseuse, on peut ainsi très facilement se trouver tout surpris d’être à la fin (spécialement quand une partie du pourcentage comprend diverses choses comme une postface ou un sommaire). Mais ce n’est pas sans procurer quelque nouvelle émotion littéraire tant on est déconcerté de se trouver à la dernière page sans que rien ne nous y ait préparé. Cela dit, il est facile d’afficher la barre de progression, et de voir où on se trouve, mais je n’utilise que fort peu cette possibilité.

J’apprécie aussi de pouvoir accéder instantanément au livre désiré. Je n’ai pas même besoin de lever mes fesses pour lire le dernier prix Goncourt. Certains trouveront que c’est un défaut. C’est affaire de point de vue. Pour moi qui ai habité dans des lieux où la culture était peu accessible, j’y ai vu un net avantage.

Et puis même si on peut trouver à redire sur les livres et sa vente qui s’apparente davantage à de la location, il faudra quand même reconnaître qu’une application comme Calibre vous débarrasse bien facilement des DRM indésirables.

Bien sûr, on retrouve toutes (ou la plupart) des fonctionnalités susmentionnées, mais il en est d’autres que je suis toujours surpris de n’avoir toujours pas trouvé chez Apple.

Word Wise

Cette option favorise l’apprentissage de la langue dans laquelle vous lisez. Elle est certes perfectible, mais elle permet d’afficher des définitions au-dessus des mots, en filigrane en somme.

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On peut même enregistrer le vocabulaire recherché dans le dictionnaire. On se retrouve alors avec un nouveau livre contenant les mots ayant fait l’objet d’une recherche. Très pratique pour réviser, une fois la lecture terminée.

vocabulaireinteractif

Le navigateur intégré

Il m’est arrivé de constater que le lecteur que j’étais devenu ne lisait plus un livre à la fois mais plusieurs. En fait, de nombreuses fois, il m’est arrivé d’être étonné par un mot de l’auteur ou de ressentir le besoin de vérifier la validité d’une information et je le faisais en utilisant le navigateur intégré. C’est un accès à Wikipédia que nous avons ainsi et, comme le dictionnaire intégré, il permet d’effectuer des recherches assez facilement et rapidement.

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Passages les plus surlignés

Certains n’aiment pas. Je trouve ça assez amusant. On peut afficher les passages les plus surlignés par les autres lecteurs. Ainsi, au cours de votre lecture, vous voyez que tel passage a été souligné tant de fois.

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Il m’est arrivé de relire deux fois un passage que d’autres avaient souligné. Je n’y avais tout d’abord pas prêté attention puis, constatant que le passage avait été souligné, je me suis dit que peut-être je n’avais pas été assez attentif.

Autres fonctionnalités

La fonction X-Ray est typiquement du type de celle qui aurait changé ma vie d’étudiant.

Comme l’indique Amazon :

La fonction X-Ray permet d’explorer la structure d’un livre sur le Kindle Touch, ses idées essentielles, les personnages ou les thèmes.

Par exemple, cela vous permet d’accéder à tous les emplacements où le personnage untel apparaît. L’ensemble des personnages peut alors être affiché par ordre alphabétique mais aussi par ordre d’apparition ou encore par ordre de pertinence. De même avec les principaux thèmes du livre, ce qui facilite les révisions en vue d’un examen ou un concours.

X-Ray

Malheureusement cette fonction ne se trouve pas dans tous les livres, et de surcroît elle ne se trouve que dans les livres écrits en anglais.

Il y a d’autres options que je n’ai jamais essayées comme Kindle FreeTime qui consiste à créer un profil, à ajouter des livres et créer des défis, des objectifs de lecture pour inciter les enfants à lire. D’autres que j’utilise assez peu comme l’option send to Kindle. Mais je goûte assez la synchronisation de tous les appareils. Je commence un livre sur la Kindle laissée sur la table de nuit. Je peux reprendre dans la journée la lecture sur l’app Kindle installée sur mon iPhone, qui lui a le bon goût de n’avoir pas été oublié sur ladite table de nuit. Voilà pour la justification d’une troisième app dédiée à la lecture.

Mais pourtant j’en ai deux autres.

D’autres manières de lire

Je suis assez étonné de voir à quel point l’expérience de la lecture peut revêtir d’étranges formes, de constater à quel point le numérique peut aider ceux qui peinent à lire comme ceux qui veulent lire davantage.

Voice Dream Reader

Voice Dream Reader lit vos textes (PDF, ePub), vous permet même d’aller en rechercher sur Gutenberg. Ce n’est pas une application de lecture de livres audios. Cela correspond plutôt à la fonction Prononcer évoquée ci-dessus, ce qu’on appelle aussi plus souvent, en Anglais, text-to-speech. À ceci près qu’un large choix de voix vous est proposé (enfin vendu). On peut donc obtenir quelques voix (mais surtout en Anglais) moins « robotiques » que celle intégrée à iOS.

Voice Dream

Cette application prend tout son sens dans le domaine de l’éducation puisqu’un élève peut suivre la lecture (les mots sont surlignés) mais, en plus, il dispose de polices comme Dyslexie ou OpenDyslexic.

Cependant, on peut l’utiliser dans certains cas bien précis : faire lire le livre qui vous passionne dans la voiture (avec un iPhone branché sur l’autoradio par exemple) ou encore pour « faciliter » la lecture. En effet, un ami me confiait récemment qu’il utilisait la fonction text-to-speech parce qu’il avait tendance, au cours d’une lecture « normale », à vagabonder dans ses pensées et à perdre le fil (vous savez quand vous continuez à lire mais que quelques lignes ou pages plus loin, vous vous apercevez que vous n’avez rien retenu). Au moins, avec une telle fonction, cet ami me disait retenir quelque chose même quand son imagination battait la campagne. Son esprit gardait toujours une trace non pas du texte lu, mais du texte entendu.

Litz

C’est un autre ami qui m’a parlé de Spritz, une application qui utilise le Rapid Serial Visual Presentation. Concrètement, l’application n’affiche qu’un mot à la fois contenant une lettre rouge censée fixer votre attention en un point précis. Cette méthode doit pouvoir vous apprendre à lire très vite. Elle n’est pas nouvelle et date des années 70.

Litz

Vous trouverez une flopée d’applications utilisant cette méthode. J’ai pour ma part retenu Litz pour sa capacité à lire des ePubs. Mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas la solution la plus plaisante (en tout cas pour moi qui lit et aime à lire lentement). Cependant, pour des textes plus courts, de ces articles qui ont donné naissance au terme « infobésité », une telle façon de lire peut vous permettre d’entamer votre course contre la montre des textes à lire dans la journée.

Conclusion

J’ai omis de nombreuses choses dans cet article, comme les livres enrichis, mais il faudrait aussi traiter du corollaire de la lecture numérique et de l’activité de tri, de conservation et d’archivage de ses propres notes de lecture, évoquer le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion des livres (comme Goodreads par exemple), etc.

Je m’en voudrais de faire croire que ce tour d’horizon de l’état de la lecture numérique en ce début de siècle soit une injonction à lire sur tablette ou liseuse. Ce n’est pas du tout mon propos et j’ajouterai que le livre papier reste un support on ne peut plus agréable et occasionne une déconnexion reposante (n’était-ce le smartphone ou la tablette qui traînent à côté). Quand on me prête ou me donne un livre papier, je ne boude pas mon plaisir et je le prends d’autant plus volontiers que ce livre a une histoire que n’aura jamais un fichier électronique. Récemment, j’ai été ému en tombant sur un livre ayant appartenu à mon grand-père décédé il y a peu et frappé du sceau de son ex-libris. Mais ne soyons pas trop sentimentaux avec ces objets que sont les livres. Mon grand-père s’en débarrassait volontiers, et les bouquinistes sont pleins de ces orphelins dont les gens se détachent par paquets.

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Au reste, on voit bien que même le traditionnel papier peut devenir numérique ou plus précisément un support numérique avec la réalité augmentée. C’est ce que j’essaie de faire avec les fiches de lecture que je demande à mes élèves de réaliser : une fiche tripartite on ne peut plus conventionnelle est réalisée et une fois celle-ci corrigée, elle est lue par un élève qui est filmé. Ce petit travail vidéo est alors convoqué par le truchement de la réalité augmentée quand un élève braque son smartphone au CDI sur la couverture d’un livre pour lequel une fiche de lecture a été réalisée (l’exemple ci-dessus a été fait avec une Kindle mais il peut naturellement être fait avec un livre papier).

Ainsi même l’ancien et le nouveau se rejoignent et c’était bien là tout le sens de mon propos. Cependant, il me semble que l’activité de la lecture, avec le numérique, s’est complexifiée. Assurément, elle s’est au moins diversifiée. Mais ce qui amusant, c’est que cette complication s’est accompagnée d’une simplification de certains processus : l’accès à l’encyclopédie, aux dictionnaires, à l’annotation, à l’archivage, au partage… Il en a de la chance, l’homo numericus !